Qu’est-ce que Le mal ?

« Vendredi 13 novembre, 21h 20, LA TERREUR A PARIS »

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« Au Bataclan, « du sang partout, des cadavres»

Au moins 80 personnes ont été tuées dans cette salle de spectacle du 11e arrondissement de la capital.

Dans les premières secondes, les spectateurs croient à une pétarade accidentelle. « J’ai pensé qu’une enceinte avait explosé, puis les lumières se sont allumées. Les tireurs que j’ai vus avaient le visage dissimulé par des capuches et des écharpes », raconte Benoît. Il se trouvait près d’une des sorties de la salle et a réussi à s’échapper avec son amie.

A l’intérieur, la panique gagne la foule. Les gens se jettent au sol. « J’étais allongé dans la fosse, la fille à côté de moi est morte. Ils ont beaucoup tiré…

A l’intérieur de la salle de spectacle, les otages vivent un cauchemar. Les assaillants ont achevé les blessés au sol. « J’avais un morceau de chair sur moi, il y avait du sang partout, des cadavres », raconte un jeune homme, l’air hagard, des traces de sang séché sur son pantalon beige. Il fixe le parquet du bar dans lequel il s’est réfugié. Il assistait au concert avec son père, mais ignore à présent où se trouve ce dernier. « Peut-être avec les pompiers, peut-être mort ». Quand la fusillade commence, père et fils sont dans la fosse, près des barrières, à quelques mètres de la scène. Certains de leurs voisins tombent sous les balles. Tous sont à terre, les membres paralysés par la peur, corps contre corps, vivants contre morts … Dans les poches, les téléphones vibrent. L’attente dure presque deux heures, jusqu’à l’assaut{…}.

Sur des brancards, des hommes et des femmes drapés dans des couvertures de survie sont embarqués dans les ambulances. Ceux qui peuvent marcher se déplacent par groupes, encadrés par les sauveteurs. La rue déborde de policiers en uniforme et en civil, de pompiers. « C’est un carnage à l’intérieur », souffle une secouriste qui aide à évacuer un homme au tee-shirt maculé de sang. Les plus mal en point sont immédiatement évacués vers les hôpitaux. Un homme, grièvement blessé à la poitrine, a le teint cireux.”

« Le Monde » – dimanche 15 – lundi 16 novembre 2015

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      Face à un tel acte innommable puisque nos mots, si pauvres par leur contenu, seraient incapables d’en saisir toute la mesure, c’est-à-dire le profond effroi, et en prenant de la distance par rapport à l’émotion qui est à la fois enchanteresse, intense, mais aussi aveugle et éphémère, notre analyse n’a guère pour ambition d’expliquer sa factualité, mais plutôt de tenter de comprendre, du point de vue de la raison, l’horreur absolue qui habite les abîmes de la nature humaine.

      Selon la tradition de la philosophie grecque, Socrate enseignait que « nul n’est méchant volontairement ». Par une telle maxime, voulait-il dédommage l’invididu de toute méchanceté essentielle ? D’un côté, on peut raisonnablement penser que lorsqu’un être humain est éclairé sur la nature du bien et du mal, il serait susceptible de choisir volontarement le bien. Cependant, Rousseau, à la suite de Saint Augustin, reconnaît que, même éclairé sur le bien, il incline à rechercher le mal et à y choisir comme une propension forte de notre débile nature, spontanément réfractaire au bien, acte d’élévation stellaire de l’Humanité. Mais, d’un autre côté, Socrate, qu’on ne peut qualifier de naïf, mais comme un être humain doué d’une bonté absolue, a été lui-même victime de sa propre morale et/ou philosophie de la vie. Accusé par ses concitoyens athéniens, dont il a employé tout le temps de son existence terrestre à vouloir convertir à la vertu, à l’honnêteté, au principe de justice etc., il est condamné à mort sous de fallacieux prétextes de corruption de la jeunesse, d’impiété par rapport aux dieux de la cite, d’introduction de nouvelles divinités à Athènes. Il le fut surtout par d’obscurs athéniens comme Mélétos, Anytos et Lycon.

      Dans le cadre de la philosophie judéo-chrétienne, par opposition au malheur, qui résulte de la malchance ou du hasard, le mal renvoie à une préméditation, au sens où il est l’objet d’une volonté, c’est-à-dire l’origine d’une action. Comme principe, et sous ce rapport, il s’oppose ainsi au bien. Le mal apparaît alors comme un scandale, par opposition au bien qui serait naturel au cœur de l’Homme. En d’autres termes, le bien serait co-essentiel, immanent à l’être humain : le mal se comprend comme une contre-nature.

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I- Les tentatives judéo-chrétiennes de l’explication du mal ? S’agit-il d’ergoteries casuistiques ?

       En quoi le mal peut-il être un problème pour la conscience humaine ? Depuis les Essais de Théodicée de Leibniz, on a pris l’habitude de distinguer trois registres pour le penser : physique, métaphysique et moral. Mais le mal est-il un problème strictement moral ? N’est-il un problème que parce que la morale judéo-chrétienne trouve son fondement dans la métaphysique ? Il s’agit alors de savoir comment justifier théologiquement le mal, si Dieu est posé comme l’Etre qui est infiniment bon et infiniment puissant : ou il permet le mal, et il n’est donc pas bon ; ou il ne peut l’empêcher, et il n’est donc pas tout puissant. Poser la question du mal revient à poser celle de l’origine du mal, et de l’auteur du mal. Le mal est-il un principe séparé, autonome, tout-puissant et, donc, contraire du bien ? Ou alors n’est-il qu’une déviation par rapport à une inclination naturelle propre à l’être humain à faire le bien ? Est-il Négation ou Privation?

      De surcroît, le problème du mal engage le lien de l’homme à Dieu, à lui-même et aux autres. D’un point de vue théologique, il s’agit de savoir si le mal réside dans l’imperfection naturelle de l’homme, en tant que créature « pécheresse » selon le terme de la théologie judéo-chrétienne ; ou s’il est fondamentalement l’œuvre de sa liberté. Corrélativement, il sied de formuler l’hypothèse d’une volonté satanique, et se demander s’il est possible que l’être humain puisse vouloir et faire le mal intentionnellement.

       Il nous semble qu’il y a lieu, ultérieurement, d’explorer d’autres horizons de la pensée et des visions humaines du problème du mal au-delà des discours et des conceptions théologiques et philosophiques classiques.

  1. A) Retour au texte de la Genèse[1] ;

        A partir du texte de la Genèse, la question du mal se conçoit suivant une double dimension, en l’occurrence, le mal moral et le mal physique. En son premier sens, le mal moral est envisagé comme acte contraire à la volonté de Dieu, accompli par un être intelligent et libre. Il prend alors le nom de péché. Originairement, il fait son apparition au paradis terrestre à partir de l’arbre « de la connaissance du bien et du mal » {Genèse, 2, 9, 17). Cette science n’est pas communiquée directement par l’arbre, mais acquise au terme d’un choix volontaire dont le sujet humain est responsable ; du moins, les premiers parents de l’Humanité en la figure d’Adam et Eve. Toutefois, le mal moral n’atteint l’âme de l’homme que par l’intermédiaire d’un autre être qui connaissait déjà ce mal et qui avait des raisons de le communiquer à l’homme : le serpent, en qui se cache Satan, une créature du même Dieu. Le serpent étant, selon les traditions sémites, un symbole phallique, la Kabale autant que la Torah n’hésitent pas à soutenir que cette scène d’Eve face à cet animal est une figure métaphorique du fait qu’Adam a connu Eve. En d’autres termes, il a couché avec elle pour avoir une descendance, comme leur Dieu le leur avait ordonné « Multipliez-vous… »

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       C’est donc Lucifer en la figure de l’ange déchu qui est à l’origine du mal chez l’homme. Avant l’homme, Satan et tous les anges déchus sont tombés eux aussi dans le mal : ils sont des créatures libres, intelligentes. Ces créatures sont devenues imparfaites et bornées après avoir désobéi. Mais elles sont supérieures à l’homme par leurs pouvoirs intrinsèques, quasi divins. Nonobstant ce, selon la Torah, l’Homme seul, parmi les créatures, est semblable à Dieu lui-même puisque, comme lui, après la manducation du fruit de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal », il sait ce qui est bien et ce qui est mal, apanage des dieux. Toutefois, à la différence de Dieu, l’Homme n’a pu accéder à la manducation du fruit de l’arbre de la vie éternelle. La mort est donc son lot en cette vie.

       Dès lors, pour entraîner la nature humaine dans le mal, Satan a procédé par ruse : le mal est entré en l’homme sous une triple forme : la désobéissance, l’orgueil, la sensualité, selon la théorie philosophique et théologique judéo-chrétiennes. Après cette première tentation, l’homme a contracté un penchant funeste pour le mal moral, comme le prouve manifestement Caïn qui s’emporte contre Dieu quand celui-ci n’agrée pas ses dons (Genèse, 4, 67). En ce sens, le mal est personnifié comme un être malfaisant qu’un premier consentement rapproche de l’âme humaine avec laquelle il tend à s’unir. Donc, il offense toujours Dieu, non seulement quand il se présente à l’état d’acte, mais aussi quand il n’est qu’à l’état de désir ou de pensée consentis selon Matthieu, 5, 28 ; Marc 7,23; Luc, 6, 45. Il s’oppose à la charité. Mais l’homme, grâce à sa liberté, a la possibilité de lui résister, voire en un sens de le dominer ; tout comme il n’est nullement prisonnier de ses penchants sexuels. Il peut prendre de la distance par rapport à cette implusion de la nature qu’il a en partage avec toutes les espèces vivantes. Il en résulte les raisons suivantes :

   D’une part, le mal est permanent en l’homme – voire parmi les hommes -, qui porte en lui la convoitise. Sur ce point, Dieu n’est pas responsable dans la genèse du mal moral. Cette tendance n’aboutit au mal que par la coopération de la volonté du sujet humain. Mais, puisque celui-ci est censé être fondamentalement incapable de se libérer per se de son mal, son premier devoir est alors de demander à Dieu de l’en protéger autant que de ses conséquences ; mieux, de l’aider à distinguer entre le bien et le mal. Quant au mal physique, il s’impose, se manifeste comme la souffrance qui atteint à la fois l’âme et le corps : il est regardé par les théologiens, comme une conséquence du mal moral.

     Ainsi, selon ce livre de la Genèse, Dieu dit expressement aux premiers parents que s’ils désobéissent, ils mourront (Genèse, 2, 17). Quand le péché est commis, c’est-à-dire en langage neutre, quand ils enfreignent l’ordre de Dieu, celui-ci n’hésite pas à les maudire, sans autre forme de procès : il annonce à la femme qu’elle enfantera dans la douleur et à l’homme qu’il gagnera son pain à la sueur de son front (Genèse, 3, 16-19). D’où la déduction aisée que la philosophie et la théologie en tirent, à savoir que toute vie humaine s’accompagne de souffrance physique (Job, 7, l). Cette concpetion du mal pose donc : la raison d’être ou, plutôt, la nature du mal réside dans le châtiment divin.

     Dès lors, le problème incompréhesnsible est alors celui des inégalités et des injustices, dans la répartition des souffrances. Pourquoi le mal frappe-t-il l’homme de bien comme Job, alors que le méchant peut prospérer ? Pourquoi l’innocent doit pâtir au même titre ou pire que le méchant ? (cf le livre de Job). Job se soumet humblement aux pire souffrances, permises par Dieu et infligées par sa créature satanique, sans incriminer la Providence. Le paradoxe tient au fait que le mal physique frappe aussi les innocents comme les morts du 13 novembre 2015 à Paris. Toutefois, selon la théologie judéo-chrétienne, Dieu les prémunit du même coup contre le mal moral en expiant, ainsi, leurs fautes.

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         D’autre part, le mal moral a une origine métaphysique : il tient à la faute originelle, elle-même éminemment transmissible. Le mal physique, quant à lui, apparaît comme pénitence incompréhensible et mystérieuse. Pour définir ou comprendre la nature du mal, on pense à son origine. D’où la question suivante : à quoi peut aboutir une recherche authentique de l’Auteur du mal ? A une abstraction, ou à une conception substantielle du mal ?

B -Privation ou principe réel ?

       La question de bon sens qu’on peut se poser au sujet du mal est la suivante : si Dieu est l’unique cause de tous les phénomènes, comment comprendre que, dans son infinie bonté, il puisse tolérer l’existence du mal ? Si le mal est advenu par l’existence de la matière, laquelle est créée ex-nihilo, pourquoi Dieu, supposé tout-puissant, ne l’éradique-t-il pas ? Et si le mal ne provient pas d’un principe mauvais, d’une puissance maligne qui serait l’égale de Dieu, alors d’où vient-il ? N’est-elle pas contradictoire avec la toute-puissance et même avec la bonté de la nature de Dieu ? Et inversement, si la mal absolu vient de l’homme, et non de Dieu, ne signifie-t-il pas la limitation de la toute-puissance divine ? A ces questions, selon la tradition théologique, deux conceptions considérées comme des hérésies répondent en faisant du mal un principe, une cause efficiente.

1) Le gnosticisme

  Cette doctrine est considérée comme une hérésie depuis l’époque des apôtres. Elle est une tentative de résoudre un double problème : d’une part, l’origine du mal et l’origine du monde et, d’autre part, le passage de l’infini au fini. Au commencement, Dieu est unique et bon. Mais il y a de l’incompatibilité entre lui et la matière qui est mauvaise en soi-même, en tant qu’elle relève du non-être. Ce faisant, on peut déduire l’existence d’un être intermédiaire, à savoir le Démiurge, concept issu de la pensée de Platon et de sa vision de la construction du monde. Son Démiurge est l’architecte de l’univers. Mais cette œuvre est imparfaite par rapport au Monde Intelligible qui lui a servi de modèle d’inspiration. Donc, selon le gnosticisme, l’œuvre de celui-ci est fondamentalement viciée ; d’où l’imperfection du monde et la présence du mal ici-bas.

     Cette conception gnostique du mal, dite hérétique, est réfutée par Plotin (204-270), Ennéades, l, 8, 3 : l’auteur critique les Gnostiques, qui « disent que le démiurge du monde est méchant et que le monde est mauvais » (II, 9, titre). Selon cet auteur, il ne sied pas de chercher dans le monde sensible la perfection du monde intelligible, qui en est fort éloignée, dès lors qu’il est un mélange d’intelligence et de matière. Ainsi, le mal se définit comme la privation de bien (III, 2, l et 2). Le mal a son origine dans la matière, en tant qu’elle est dénuée de forme. Toutefois, selon Plotin, celle-ci n’existe pas sans revêtir une forme, dans son « horrible nudité » (l, 8, 15). D’où cette belle métaphore : le mal est comme un captif que la beauté recouvre de chaînes d’or.

    Le monde sensible est donc une image très imparfaite du monde intelligible. Mais celui qui le trouve laid ne considère que la partie, sans tenir compte du tout. En effet, dans le monde considéré comme l’âme immense, même le méchant a sa place : et par analogie, chaque vie, comme chaque corde de la lyre, rend le son qui lui est propre. Et l’ensemble, non perceptible immédiatement, concourt à l’harmonie universelle.

2) Le Manichéisme

      Celui-ci est une religion dont le fondateur est le perse Mani qui a vécu au IIIe après J-C. C’est un syncrétisme qui combine des éléments du zoroastrime, de l’hindouisme, du bouddhisme et du christianisme. Le Manichéisme enseigne que, de toute éternité, il y a deux phénomènes essentiels, deux principes ou deux royaumes opposés : d’une part, la lumière et, d’autre part, les ténèbres. La lumière symbolise le bien tant physique que moral ; en revanche, les ténèbres figurent le mal absolu. Le premier royaume est le règne du roi du Paradis de la lumière, en l’occurrence, le Dieu suprême. En revanche, le royaume des ténèbres n’a pas initialement de chef. Il est sans ciel, mais il comprend une terre et ses éléments d’où sort Satan, le diable primitif.

     La guerre des deux royaumes s’explique par une tentative d’invasion du royaume de la lumière par Satan. Dans ce combat de puissances opposées, Dieu produit alors de la mère de vie l’Homme primitif qu’il lance contre Satan. Dans cette confrontation avec Satan, Dieu perd des parcelles de lumière, d’où surgit un mélange d’éléments lumineux et ténébreux qui se propage à travers la génération. Dieu s’est servi alors de cette nature mixte pour produire le monde actuel, mélange de bien et de mal, qu’il s’efforce de purifier pour ramener les éléments lumineux dans le royaume de lumière. Comme le monde, L’Homme est composé de bien et de mal. Par conséquent, il doit donc préparer sa délivrance : et de sa conduite, bonne ou mauvaise en ce monde, dépend sa délivrance.

    L’humanité est donc en proie à la lutte des deux éléments qui composent sa nature de la manière suivante : la lumière captive tend à se dégager du principe ténébreux. Dans cette dualité principielle, les démons cherchent à la retenir par les passions et les erreurs, tandis que les esprits lumineux et les anges favorisent son émancipation par l’envoi de prophètes comme Noé, Zoroastre, Abraham, Bouddha, Jésus. La fin du monde marquera le retour, c’est-à-dire la réintégration de toute la lumière à sa source initiale. C’est pourquoi, les catholiques contemporains de Manès ou Mani, comme Augustin, n’ont pas manqué de critiquer véhément cette doctrine qu’ils considèrent alors comme une hérésie. En effet, selon ces derniers, c’est blasphémer que d’établir l’éternité d’un principe malin à côté du bien ou Dieu. De surcroît, ce dualisme nie l’unité de Dieu et sa toute-puissance. Selon eux, les deux principes doivent être compris comme deux abstractions, deux êtres de raison ; autant dire deux pures fictions.

       Parmi ces critiques de l’hérésie manichéenne, on donc peut citer Saint Augustin qui l’a réfuté dans son De moribus Ecclesiae catholicae et De moribus manichaeorum. Car d’après les Manichéens, le mal est pour une créature ce qui est contraire à sa nature, ce qui lui nuit ou la corrompt. En outre, il est substance. Or, et en réalité, selon les antimanichéens, le mal n’est qu’un accident, un phénomène adventice d’une substance. C’est un état d’inconvenance ou de désordre, qui est cause de la souffrance et de la corruption en ce bas-monde. Qu’une substance puisse être précipitée dans cet état vient, de fait, de ce qu’elle n’est pas l’Etre suprême, souverain et absolu.

        Le mal est donc une privation : celle d’un bien que l’on devrait avoir et qui convient à la substance, laquelle en est privée (Confessions, l, 3, 12). La privation peut avoir pour objet un bien physique ou moral. Dans le premier cas, elle est la conséquence du caractère imparfait de la créature, qui vient du néant et doit nécessairement y retourner. Dans le second cas, elle tient à une déviation de la liberté. Le mal moral n’est donc pas une substance, mais un accident de l’être libre. Il ne peut exister que dans une nature qui, en tant que libre, est bonne et, donc, en tant que tel, ne peut être qu’un bien. En tant que privation, il n’a pas d’être, ni de perfection. Il est absence ou défaut de ce qu’un être devrait naturellement posséder. En ce sens, Dieu ne peut être l’auteur du mal. Mais on ne peut non plus concevoir hors de Dieu un principe mauvais, un summum malum : il n’y a pas de premier principe pour le mal, comme il y en a un pour le bien. Il y a même une contradiction entre l’être et le mal : le mal est du côté du non-être.

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Il- Le problème de la justification du mal : l’analyse théologique et métaphysique   

1) Mystère et dialectique : deux explications possibles

     Si le mal est privatif, il s’agit de savoir à quoi tient la privation : Dieu en est-il responsable, ou l’homme ?

        Sur ce point précis, la tradition philosophico-théologique envisage deux hypothèses :

  1. a) Dieu n’a rien à voir avec le mal, comme le soutient Saint augustin dans son De liberio arbitrio. Dieu existe et tous les biens viennent de lui. Or, la volonté doit être considérée comme un bien, car le libre arbitre appartient à une âme qui, elle, est certainement un bien. Celui-ci émane de Dieu qui l’a donné à l’homme comme un bien précieux. Dieu n’est donc pas responsable du mal, lequel vient seulement du libre-arbitre. Dès lors, le péché n’est ni nécessaire, ni voulu par Dieu : seule la volonté humaine commet le péché, qui consiste à préférer un bien inférieur à un bien supérieur. Le mal a donc une cause, non pas efficiente, mais déficiente. Il s’explique sans recours à une dualité de principes, et sans inculper Dieu. Car il est établi qu’il n’y a pas de premier principe pour le mal, comme il y en a un pour le bien. Aux thèses traditionnelles selon lesquelles Dieu n’est pas l’auteur du mal, et le mal provient d’un mésusage du libre-arbitre, Augustin ajoute donc que le mal est privation du bien, et que cette privation résulte d’un éloignement de Dieu, défini comme le Souverain Bien.
  2. b) une hypothèse plus radicale : le mal a une finalité ; il est donc permis par Dieu. Telle est la solution de Saint Thomas, à savoir le « mystère». Dieu aurait permis le péché d’Adam en vue de l’avènement du Christ, c’est-à-dire du rachat de l’homme et de l’incarnation. De même, la liberté faillible aurait été créée pour l’amour de la charité entre Dieu et sa créature. Il y aurait donc une sorte de dialectique inhérente à la volonté divine : Dieu permet le mal comme une épreuve à la dimension de la création toute entière. En d’autres termes, il faut avoir connu le mal pour pouvoir le surmonter.

2) La solution leibnizienne par le calcul du meilleur

      Peut-on rendre compte du mal dans l’ordre d’une harmonie préétablie, d’une simplicité des voies et du calcul du meilleur ? Le mal serait alors un moindre mal dans l’économie du tout. Telle est la thèse de Leibniz, dans son Discours de métaphysique, XXX, tout autant que dans ses Essais de Théodicée (pp. 425-455, et surtout l, §§ 21-34). Selon ce philosophe, « Comment Dieu incline notre âme sans la nécessiter : qu’on n’a point le droit de se plaindre qu’il ne faut point demander pourquoi Judas pèche, mais seulement pourquoi Judas le pécheur est admis à l’existence préférablement à d’autres personnes possibles ; de l’imperfection originale avant le péché et des degrés de la grâce. »

      Leibniz se livre à une réfutation du mal métaphysique en examinant la question posée à partir de l’article XXX : pourquoi Judas a-t-il été possible dans l’idée de Dieu ? (Discours de métaphysique, § 4). Il s’agit, en fait, de la traduction théologique du calcul métaphysique : le principe du meilleur inclut la considération des fins et des moyens. Conformément au §8 de la Théodicée, il porte sur les fins globales de son Dieu mathématicien. Par rapport à l’infinité des mondes possibles, il existe un cas de combinaison optimale. Celui-ci vient de la considération d’un maximum et d’un minimum (maximum d’effets, minimum d’efforts), et de leur articulation : la perfection est donc celle d’un optimum, non d’un maximum. Le meilleur met un terme au progrès qualitatif. Dans la comparaison entre plusieurs solutions par rapport à un maximum donné, il existe des solutions optimales. Par analogie, le meilleur des mondes possibles, c’est-à-dire le monde réel, obéit à cette loi. Sur ce point, Leinniz donne un exemple dans la Théodicée relativement à la peinture. En effet, les ombres rehaussent les couleurs d’un tableau ; une dissonance bien placée donne du relief à l’harmonie ; les tragédies nous font pleurer.

     Le problème qui se pose alors est celui du statut de la partie : est-elle elle-même parfaite ? Leibniz a changé de perspectives sur ce point : en géométrie, même les parties sont optimalisées. En 1690, Leibniz affirme que le meilleur du tout est aussi celui de la partie. L’univers est réglé avec un maximum de perfection dans ses moindres détails. Le particulier comme le général sont optimalisés. Dans la Théodicée, on constate une position inverse : il n’y a pas de continuité du modèle mathématique au modèle métaphysique : la partie d’un tout, isolée, n’est pas nécessairement parfaite. Mais c’est le rapport au tout qui compte. Ainsi, dans le § 20, il considère que le mal métaphysique est une privation nécessaire au sens où l’imperfection appartient au concept même du fini, et donc de la créature, sans que la volonté de Dieu intervienne, puisqu’il ne fait que contempler les essences sans les créer. Or, tout monde créé est nécessairement imparfait. Autrement, les créatures seraient illimitées, et donc égales à Dieu. En effet, la limitation sera due à la perception plus ou moins confuse des créatures. D’où son interrogation : « Où trouverons-nous la source du mal ? La réponse est qu’elle doit être cherchée dans la nature idéale de la créature, autant que cette nature est renfermée dans les vérités éternelles qui sont dans l’entendement de Dieu indépendamment de sa volonté. » (GF, p. 116).

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     L’application au problème de l’existence de Judas se fait dans le Discours de métaphysique, § XXXII. Leibniz invite à distinguer entre le local, à savoir la notion indivise de Judas, et le global, c’est-à-dire la notion de Judas considérée par rapport à la série des choses créées. La combinaison des deux grands principes, principe du meilleur = perfection optimale des ouvrages de Dieu, et principe de l’inhérence = notion complète de l’individu, permet d’innocenter Dieu sur tous les plans. D’une part, localement, parce que dans chaque notion individuelle, la limitation implique la peccabilité. En ce sens, Judas péchera librement, conformément au fait que son âme est dotée de volonté, et enveloppe tous ses états présents et futurs. D’autre part, Dieu n’est donc pas auteur de la trahison de Judas, puisqu’il ne crée pas les connexions entre les termes des séries. Il contemple la notion de Judas, voit, mais ne produit pas le péché. Enfin, ce n’est pas Dieu qui pèche en Judas, mais c’est Judas qui, librement, pèche en et par lui-même.

      Globalement, Leibniz s’emploie également à innocenter Dieu par la distinction entre volonté antécédente, c’est-à-dire la recherche du maximum : un Judas loyal, et non pécheur, et volonté conséquente, ou ce qui amène à l’existence un optimum, et admet tel mal en considération du bien de toute la série : Judas le traître, à partir de la considération de l’optimum de la série. La profondeur de la sagesse divine a donc créé Judas pécheur. Bien qu’il ne soit pas parfait, c’est le meilleur des Judas possibles. Tel est le sens de l’exemple célèbre du §30 : celui de deux bateaux chargés, l’un de bois, l’autre de pierre, descendent un fleuve. En fonction de leur charge, ils vont plus ou moins vite. On peut comparer le courant à l’action de Dieu, qui conserve ce qu’il y a de positif dans les créatures : Dieu est la cause du mouvement, non du retard, lequel est imputable à l’inertie de la matière.

     Le mal physique peut alors être facilement réfuté, en tant qu’il n’est que la conséquence du mal métaphysique. A cet effet, Leibniz présente quatre arguments :

1) Dieu veut le meilleur du monde comme totalité, qui ne correspond pas nécessairement avec celui de cette partie qu’est l’Homme ;

2) La gravité des maux physiques est exagérée par l’âme humaine : il s’agit d’un manque de mesure dans l’appréciation ;

3) la plupart des souffrances peuvent être surmontées par l’exercice de la raison essentiellement ;

4) la souffrance elle-même a une fonction bénéfique : elle nous détourne de ce qui est nuisible, et, moralement parlant, elle est soit un châtiment, soit un moyen d’acquérir du mérite.

     Il ne lui reste donc plus à réfuter que le mal moral. Il s’agit du péché, soit la violation par la volonté humaine des lois divines, qui ne peut être considéré comme un moyen pour un bien, et doit donc être pensé comme un absolu. Mais il n’est pas le fait de Dieu. En effet, la volonté de Dieu n’est pas causale, mais seulement permissive. Le mal est donc imputable à la liberté humaine, qui en elle-même est un bien, mais elle a été mal utilisée dans le péché. Pour comprendre comment la liberté humaine elle-même est possible, il faut faire la distinction entre plusieurs types de nécessité : « II faut considérer qu’il y a deux grands principes de nos raisonnements : l’un est le principe de la contradiction, qui pose que deux propositions contradictoires, l’une est vraie, l’autre fausse. L’autre principe est celui de la raison déterminante : c’est que jamais rien n’arrive, sans qu’il y ait une cause, ou du moins une raison déterminante c’est-à-dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison a priori, pourquoi cela est existant plutôt que non existant, et pourquoi cela est ainsi plutôt que de tout autre façon. » (In Théodicée, § 44, p. 128).

    On peut même envisager deux autres principes chez Leibniz : le principe de continuité, à savoir que la nature ne connaît pas ni sauts ni vide. C’est le fondement du calcul infinitésimal. Dans le principe des indiscernables, il pose que deux choses doivent toujours différer autrement que par le nombre, c’est-à-dire en qualité, et non seulement en quantité.

   La nécessité géométrique relève du principe d’identité et de non contradiction. Elle concerne notamment les vérités mathématiques, et plus généralement tout ce qui relève de l’incréé, c’est-à-dire du possible, mais elle ne régit pas le réel. Au contraire, la nécessité hypothétique est celle qui gouverne le monde : elle relève du principe de raison, et donc du choix divin. Elle concerne le compossible, et non le possible. A ce sujet, le philosophe se réfère à l’exemple suivant : « Spinoza est mort à la Haye » : le fait qu’il y soit mort relève seulement d’une nécessité hypothétique, mais non pas géométrique, car il n’aurait pas été contradictoire qu’il meure à Amsterdam. La création est donc régie par un ordre et des lois qui dépendent du principe du meilleur et de la convenance, comme l’harmonie préétablie.

       En matière morale, il faut également penser la nécessité par laquelle les décrets divins influent sur les affaires humaines comme hypothétique : elle incline vers le choix du meilleur, mais sans déterminer stricto sensu la volonté. Leibniz présente un argument supplémentaire : au contraire de la nécessité géométrique, qui exclut toute possibilité de choix et implique que la volonté soit déterminée par un objet, la nécessité hypothétique rend nécessaire le choix entre plusieurs objets possibles, ce qui conduit à un double horizon polémique :

     D’une part, la liberté d’indifférence cartésienne, reprise de l’exemple de l’âne de BURIDAN et sa réfutation (en Théodicée, III, pp 303 sqq) par le principe des indiscernables : il n’y a pas d’identique dans le monde car nos perceptions sont trop grossières, parfois, pour voir les différences. C’est donc un cas d’école.

     D’autre part, le sophisme du paresseux : tout est prévu par Dieu, mais nous ne sommes pas prescients, et nous devons donc agir au mieux, en nous déterminant à l’action. Selon Leibniz, « on est toujours plus incliné, et par conséquent plus déterminé, d’un côté que de l’autre, mais on n’est jamais nécessité aux choix que l’on fait. J’entends ici une nécessité absolue et métaphysique ; car il faut avouer que Dieu, que le sage, est porté au meilleur par une nécessité morale. Il faut avouer aussi qu’on est nécessité au choix par une nécessité hypothétique ». (Théodicée, II, § 132, p. 186.)

     Toutefois, il semble possible d’articuler une double critique des thèses leibniziennes : d’une part, la question du mal est, en définitive, renvoyée au problème de la liberté. Or, celle-ci est définie de manière très paradoxale par Leibniz : nous sommes des automates spirituels. Parce que nous obéissons à notre propre nature, nous n’userons jamais de notre liberté que comme Dieu l’a prévu. Nos actions sont donc certaines mais non déterminées. Mais Leibniz semble intérioriser la nécessité qu’il refuse de voir dans la nature, en la renvoyant au déterminisme d’une nature propre à chaque substance. Le sujet humain n’échappe au déterminisme des phénomènes que pour rencontrer celui de sa propre essence. D’autre part, les thèses leibniziennes reposent sur un présupposé théorique lourd, à savoir la possibilité d’une cosmologie rationnelle, elle-même réfutée par Kant dans la « Dialectique Transcendantale ».

    Dès lors, la question est de savoir comment repenser autrement le problème du mal, en le renvoyant à une liberté individuelle déterminée, non comme conformité à une essence pré-existante, mais comme choix de cette essence. Ceci implique un passage du théologique au champ de la moralité, du global à l’individuel, et pose en filigrane la question de la volonté diabolique.

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III- La possibilité de la volonté diabolique : laïciser le mal pour mieux cerner sa nature

1) Une brève analyse de la thèse de Kant

       On peut se fonder sur un constat, voire une évidence : l’expérience atteste que l’homme est mauvais comme l’affirme Kant dans sa Religion dans limites de la simple raison (p. 53). Toutefois, le mal n’est pas analytiquement contenu dans le concept d’homme : le mal ne peut être rapporté aux dispositions originelles de l’homme, qui en font un être raisonnable et responsable, pour lequel le respect est un motif suffisant pour obéir à la loi. Le mal est contingent. Il sera donc défini comme « subjectivement nécessaire », c’est-à-dire comme un « penchant naturel » qui provient, paradoxalement, non de notre nature, mais du libre arbitre. Ce penchant tient à la préférence spontanée manifestée par tout homme envers son intérêt propre, ce qui le conduit, au mieux, à vouloir composer avec la loi morale et, au pire, à lui désobéir, voire à s’y opposer.

     Le problème est de savoir d’où vient le « penchant » évoqué plus haut : il s’agit d’un choix originaire par lequel la liberté se donne son caractère. Ce choix se distingue de tous les autres, en ce qu’il se produit hors du temps, et il est imputable à la raison selon la résolution de la Troisième antinomie dans la Critique de la raison pure : il est un « fait intelligible » que l’expérience ne peut jamais découvrir. C’est un choix éthique, qui engage toute l’existence, puisque l’institution de la maxime suprême détermine le choix de toutes les maximes subjectives. Cette analyse a été reprise par Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation qui pose qu’un voleur volera toujours, que ce soit une ou cent couronnes.

      D’un point de vue empirique, le mal requiert un motif adverse, une répugnance à obéir à la loi, un mobile antagoniste : celui-ci doit être trouvé dans une détermination contingente du libre-arbitre, qui se qualifie comme volonté mauvaise. Ce fondement ne peut donc être que subjectif, et il est hétérogène aux bonnes dispositions de la nature humaine. Il y a donc possibilité pour l’homme de choisir le mal, c’est-à-dire de déterminer son action selon une maxime qui est contraire à la loi morale. Or, ce choix est une alternative absolue. D’où une réfutation de la définition théologique du mal comme privation : il n’y a pas d’action moralement neutre. Kant refuse d’admettre qu’il y ait un moyen terme, dans l’ordre de la justification, entre une volonté moralement bonne, déterminée par le seul respect de la loi morale, et une volonté moralement mauvaise, parce qu’elle admet d’autres motifs dans sa maxime. Il s’agit en fait d’une application à la morale de la démonstration de l’Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative. En effet, pour détruire une force, physique ou morale, il faut une force antagoniste : non pas différence de degré, mais opposition réelle impliquant un principe effectif de résistance. Le non bien n’indique pas seulement l’absence d’un motif moral, mais la présence d’un motif contraire : le mal n’est pas de l’ordre de la privation.

        Dans cette perspective, Kant réfute deux éventualités : d’une part, l’existence d’une volonté sainte, c’est-à-dire une volonté telle qu’elle serait immédiatement et nécessairement inclinée au bien par la seule considération de la loi morale comme il le montre dans la Critique de la raison pratique (Analytique). Une telle volonté n’est pas humaine, car il n’y a pas d’harmonie spontanée entre la loi et la liberté ; il faut donc un acte, un choix par lequel la loi devient le motif du libre arbitre. D’autre part, et inversement, Kant rejette l’hypothèse d’une volonté diabolique, celle qui prendrait pour maxime de son action d’agir contrairement à la loi morale. La rébellion contre la loi ne peut, à elle seule, motiver la décision, ce qui serait le propre d’un être diabolique, pas de l’homme. Mieux encore, la volonté satanique serait une contradiction dans les termes : la position de la loi morale est coextensive à la raison elle-même en tant que raison pratique. Cette dernière ne peut donc viser à la détruire sans se nier elle-même. Il n’y a pas plus de volonté maligne qu’il n’y a de raison irrationnelle.

       La question est alors de savoir comment définir le mal : Kant a recours au dualisme sensibilité/raison, et à la nécessité de subordonner, dans l’ordre des motifs, la première à la seconde. En effet, le mal ne tient pas aux déterminations de la sensibilité : les inclinations sensibles ne sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises. Le mal ne réside donc pas dans la matière des mobiles, mais dans la façon dont ils se subordonnent les uns aux autres. Le mal n’est pas dans l’amour de soi comme tel, mais dans la subordination de l’impératif rationnel à l’amour de soi érigé en règle de la volonté. Le mal réside donc dans une inversion des mobiles : « II fait des mobiles de l’amour de soi et de ses inclinations la condition de l’obéissance à la loi morale, alors que c’est bien plutôt cette dernière qui devrait être accueillie comme condition suprême de la satisfaction des autres dans la maxime générale du libre arbitre en qualité de mobile unique. » (Religion, 57).

     L’obéissance à la loi inconditionnée est ravalée au rang de la « simple obéissance conditionnée » : l’homme s’abuse sur ses intentions véritables, et se tient pour justifié dans la mesure où sa conduite extérieure ne contredit pas la lettre de la loi morale, ou parce que les circonstances lui ont épargné certaines joutes dont il était capable. Il faut admettre, selon Kant, trois degrés dans le penchant au mal : la fragilité – la loi morale est reconnue, mais la volonté est trop faible pour la suivre-, l’impureté – mélange des motifs -, la méchanceté – inversion des motifs -.

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      D’où le paradoxe suivant : certes, choisir le mal c’est faire acte de liberté ; mais c’est renoncer à l’autonomie de la volonté qui se détermine uniquement en considération de la loi. Il ne s’agit donc pas d’une affirmation faustienne de la liberté, mais au contraire d’une chute dans l’hétéronomie des motifs issus de la sensibilité. Le libre arbitre contient un élément négatif en tant qu’il n’est pas nécessairement déterminé par la loi : il devient facteur actif de négation en choisissant une maxime contraire à la loi. Ce paradoxe tient, en fait, à un conflit entre libre-arbitre et liberté.

      Finalement, comment échapper au mal ? Puisque l’homme n’est pas foncièrement mauvais, une conversion et une régénération par la liberté sont en droit possibles. Tout homme garde en lui un sentiment de respect pour la loi morale, si enfoui soit-il. La conversion réside dans le rétablissement de l’ordre juste des mobiles ; elle est instantanée et intemporelle, tout comme le choix initial, il est légitime d’avoir de l’espérance. Le mal est en droit éradicable par la liberté.

       Malgré cette confiance absolue de Kant dans la perfectibilité de l’être humain, il nous semble percevoir, en cette attitude, une part d’idéalité, d’innocence philosophique, à l’instar de l’attiude constante de Socrate. En revanche, nous posons que le méchant par nature n’est pas en mesure de se convertir au bien. Car il est régi par le mal et il en est le moteur, consciemment ou inconsciemment : quoi qu’il fasse.

2) Une autre théorie du mal : le mal comme structure fondamentale des phénomènes

       Dès lors, prenant quelque distance avec ces conceptions du bien et du mal en philosophie et en théologie, on peut envisager autrement la pensée du mal à la la faveur des événements tragiques de Paris.

 La question du mal peut être envisagée de manière différente. Dans ce cas, il ne dépendrait ni d’un Dieu quelconque que la croyance et la raison humaine chargent incommensurablement, dans tous les sens, comme la cause des maux qui frappent, de façon discontinue, la fragile humanité ; ni même de la volonté humaine débile et incapable, dans l’absolu, de provoquer cette infortune métaphysique, selon la philosophie et la théologie judéo-chrétiennes. Déjà, au niveau de la matière qui nous constitue, on parle volontiers de l’existence de deux courants structurels antithétiques. Ainsi, au niveau de l’électricité, la charge électrique peut prendre deux formes qu’on a coutume de considérer comme étant « opposées ». Par hypothèse, on les qualifie de positive ou de négative. Deux charges de même nature, par exemple, deux charges positives, se repoussent comme les expériences en laboratoire le prouvent bien. En revanche, les expérimenteurs remarquent que deux charges de nature opposée s’attirent, comme le reconnaît la maxime populaire : « les contraires s’attirent ». On a donné le nom d’interaction électromagnétique à ces phénomènes de la matière.

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      Ces faits nous autorisent à penser qu’il existe tant dans l’univers perceptible, connaissable même par le truchement des moyens technologiques d’inspection des profondeurs de la Matière, que dans sa dimension invisible – les astrophysiciens admettent que tout l’univers n’est pas visible –, à l’instar du courant électrique, ce qu’on pourrait appeler deux « pôles actifs » : une dimension positive et une autre qui est négative. Le pole positif tend vers le bien comme par nécessité et le pôle négatif est attiré par le mal comme par nécessité. Même si nous n’avons pas les moyens de voir de tels phénomènes, il n’en demeure pas moins que les êtres habités la partie négative peuvent trouver tous les moyens nécessaires pour aller porter des coups partout sur la terre. Ils peuvent causer le mal comme s’ils étaient mûs par une force aveugle, tel l’anankè des grecs anciens qui incline fortment les êtres humains à accomplir ce qui a été, à leur insu, décidé comme leur sort par les dieux. Quoi qu’ils fassent, ils ne peuvent s’en soustraire. Leur liberté ou leur volonté propre consiste justement à accomplir ce qui leur est dévolu comme destin sur terre.

      En ce sens, n’en déplaise aux psychiatres et psychanalystes, aux sceptiques, aux soi-disant fidèles croyants des progrès de la science – cette nouvelle religion universelle adulée telle une nouvelle déesse -, il faut admettre que le mal existe fort bien. Dans l’univers qui nous contient et dont nous sommes nous-mêmes des éléments matériels, il existe des forces dont nous ignorons la puissance, les tenants et les aboutissants, même si nous pouvons en être victimes, c’est-à-dire immolés quelque part sur la terre et sur l’autel des forces du mal sans nom, ni visage, sans forme ni identité ni nature même ; quelque chose d’impalpable, d’incroyablement indicible, mais essentiellement vivant, réel, pleinement, densément réel. Ces forces dont l’individu ordinaire ignore la nature sont, pourtant, accessibles à des individus tout entiers mûs par l’énergie du mal. Ces derniers savent les manipuler de sorte qu’ils ciblent parfois des innocents tels des victimes de leurs forces malfaisantes. Cette énergie du mal ne cesse de ronger leur conscience au point de donner l’impression de toucher la cervelle elle-même. Elle pénètre tellement les structures élémentaires de cette zone de leur être qu’ils deviennent comme un mal vivant, une torche ardente, mais sans consomption, de la toute puissance du mal agissant en eux continûment, comme les forces de la sorcellerie toutes entières tendues vers l’effectuation du mal comme mode d’être. C’est l’art du meurtre à l’état pur.

         C’est pourquoi, nous admettons trois typologies d’êtres humains : d’abord, ceux dont toute l’énergie vitale – physique et psychique – respire le mal sans rédemption : ensuite, ceux qui sont habités par l’énergie stellaire du bien et qui sont portés au rayonnement de la bonté et de la beauté autour d’eux ; enfin, qui sont traversés, de manière presque égale, par les deux pôles de l’énergie à la fois sous sa face négative et sous sa dimension positive. Ces derniers peuvent être perfectibles, par l’usage de leur liberté, dans le sens du bien. Mais ils peuvent aussi avoir un penchant pour le mal.

      On retrouve une figure de ce mal intrinsèque à la nature des phénmènes dans ce qu’il est convenu d’appeler l’aura. Certes, des doutes peuvent surgir sur ce point parce que, faute de modestie parfois, nous ne voulons pas reconnaître que nous ne pouvons pas toujours capter ou percevoir consciemment tout ce que nous recevons de notre environ immédiat ou de l’univers lui-même, visible ou invisible. Souvent, ces phénomènes que nous recevons nous demeurent invisibles. Tel est la figure de l’aura. Qu’’est-ce donc que l’aura, ce phénomène qui appraît comme une composante de nous-mêmes ? Selon la sagesse des nations, celle des peuples de l’Afrique noire, des Hindous, des Asiatiques comme les Chinois etc., l’aura apparaît comme le miroir de nos affects. Elle se diffuse autour de nous et, ainsi, elle a des incidences sur nos liens avec autrui. En tant que personne vivante, l’aura exprime une quantité considérable de dispositions inhérentes à notre être : la vitalité, l’état d’esprit malin, bon ou mauvais, ou encore beau, la santé, les portes de l’enfer. Dans ce cas, elle nuit nécessairement à tout ce qui est bien ou source de bien-être.

       C’est par le truchement de cette énergie invisible, mais réelle, que nous nous sentons immédiatement fort à l’aise en présence des autres, bien disposé à leur égard. A l’inverse, l’aura ténébreuse indispose tout ce qui est autour d’elle ; et fait fuir tout le monde. Nous ne pouvons guère expliquer ce genre de sentiment par les seuls pouvoirs de notre raison qui, dans son impuissance à en rendre réellement compte, incline à le ranger dans l’ordre de l’irrationnel comme la figure de l’inconnu et de l’inconnaissable suivant ses grilles de saisie et de lecture des phénomènes qui la dépassent infiniment. Ainsi, dans la vie courante, nous en faisons souvent l’expérience : il suffit que certaines personnes prennent place au milieu des autres pour apaiser l’atmosphère ou, au contraire, pour la rendre électrique, voire agacer sans raison apparente les uns et les autres.

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      Il y a donc parmi nous des êtres qui sont stellaires, comme des soleils éclatants. Disposant d’une telle grâce, qu’ils ne s’expliquent pas eux-mêmes, ils exercent un rayonnement heureux sur les autres. Il en est tout autrement des autres êtres humains qui semblent être habités par Lucifer lui-même en tant que symbole de la lumière ténébreuse et infernale. Tout leur être inspire le mal radical, comme une bête féroce disposant de tentacules qui s’étendent pour saisir l’esprit des autres et l’étouffer. Ceux que nous appelons ordinairement les méchants rédhibitoires ont, en leur être, une aura pareille à un hydre hideux. Ils sont sujets à des sentiments qui les portent à la méchanceté la plus sordide, à une terreur sans limite. Ils sont prompts aux actes antivitaux, anisociaux, comme la guerre, les meurtres les plus atroces, innommables, aux crimes abominables etc ; ils sont porteurs de noir dessein, d’humeur massacrante. Car tuer un être humain procure à celui qui en est le responsable, une suprême jouissance. C’est aussi l’attrait le plus absolu, qui explique le nombre considérable de meurtres et de crimes au quotidien chez les hommes.

        Ces personnes possédées par une fortune sont sans rémission aucune, quel que soit le poids de l’éducation morale, spirituelle, intellectuelle et/ou savante, voire psychologique. C’est l’incarnation du mal, de la nuisance à la sérénité de la vie des autres, ce qui excite, au contraire, leur jalousie tueuse. Tout se passe dans leurs comportements ordinaires comme si on consentait à lâcher des fauves au milieu des hommes et qu’on tâche de les raisonner en les parsuadant de ne causer de tort à personne, tel que les attaquer ou les dévorer tranquillement ; ou encore comme si on libérait les hôpitaux psychiatriques des aliénés les plus dangereux et qu’on leur enseigne des conduites de bonne intelligence avec les autres en société alors que leur pathologie les incline fortement aux crimes les plus abominables.

      Tel est le sens de la « Néronnite », ce nouveau concept du Mal que nous avons été conduit de forger pour expliquer le mal qui dépasse infiniment notre intelligence des choses ou nos capacités de compassion. Il dérive de l’empereur Néron. En effet, selon les témoignages de ses biographes comme Suétone, Néron, qui a accédé au pouvoir par la fourberie, les crimes, aimait tuer par plaisir. Il était la démesure même dans l’effectivité du mal absolu. Il tuait comme s’il s’abreuvait du sang de ses victimes : sa propre mère, des membres de sa famille, ses rivaux, ses advsersaires comme ses amis. Il tuait pour pur plasir de tuer parce qu’il ne voyait aucun mal dans les crimes qu’il commettait. Etait-il malade ? Etait-il un cas patent de Psychiatrie ? Aussi, toute personne atteinte de « néronnite » a un fort penchant à causer le mal, à faire le mal pour le mal sans autre forme de procès ; sans remords ni scrupule. Justement, dans le comportment de quelqu’un qui est atteint de néronnite, toutes les inhibitions, morales ou pschologiques, lâchent leurs freins donnant ainsi libre cours à l’effectivité du mal pur.

      Au fond, les facteurs de désordre psychique et/ou psychologique, psychiatriques, voire de la puissance sorcellaire inhérente à certains individus etc., manifestent au niveau des réalités humaines des figures du mal dont l’essence est intrinsèquement humaine. Même s’il n’existait pas de Dieu quelconque accusé à tort de vouloir du mal à l’espèce humaine, ce genre de mal est humain trop humain. En outre, il nous semble que le suprême degré du mal réside dans la suprême domination d’une conscience humaine sur une autre. Hegel a bien montré, dans sa Phénomélogie de l’esprit, à quel point la conscience humaine est malheureuse tant qu’elle ne trouve pas un adversaire à combattre pour manifester sa supériorité. Toute conscience est cosncience de soi-même comme subjectivité pure en dominant une autre conscience qui, de fait, a la même valeur qu’elle.

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       L’humanité a toujors été insupportable par rapport à tout autre en vertu de ce principe d’une égale dignité, d’une égale valeur qui pose d’emblée chacun de nous comme absolument sujet en jouissant du même rang d’humain, descendant de la même espèce d’Homo sapiens. Or, le rêve secret de tout un chacun, c’est justement de devoir ôter cette dimension inaliénable, inaltérable. Mais comment faire, puisque, malgré tous les efforts de soumettre l’autre à soi, il reste toujours éminemment et absolument sujet ? Et que, quoiqu’on fasse, on ne peut lui ôter cette qualité d’être humain ? Dès lors, tout l’art du mensonge, de l’illusion de soi ou de la tromperie de soi-même consiste à faire croire à soi-même qu’en réussissant à lui dénier sa subjectivité absolue, on parvient à faire de lui un simple objet. Si tel était effectivement le cas, comment comprendre que les esclaves, à travers les temps, n’ont jamais pu se résoudre à se penser en termes de statut d’objets du fait de leur situation d’esclaves accidentels ? Tel fut le cas de Spartacus, esclave et gladiateur d’origine thrace et ses compagnons esclaves de diverses origines européennes : des Gaulois, des angles, des germains, des Grecs, des Espagnols et des gens d’Afrique du Nord etc. Leur révolte lors de la Troisième Guerre servile en Italie, pour se libérer du joug très dur de leurs maîtres, eut lieu entre 73 et 71 avant J-C. En effet, c’est la guerre, sous ses diverse figures, qui produit des esclaves. Mais, assurément, aucun d’entre eux n’a pu un instant se penser non humain, malgré tous les efforts déployés par les supposés maîtres pour leur dénier leur humanité. Nous disons « supposés maîtres » parce que ce sont eux-mêmes qui s’estiment ainsi. Quant à l’esclave, il sait qu’il est au service de quelqu’un, son semblable, pour avoir la vie sauve ; pour continuer à jouir de la vie, comme l’autre.

    De même, tous les criminels de la terre, des espèces d’illuminés ou non par une religion, ont le sentiment d’exercer une domination sur leurs victimes. En détenant un quelconque pouvoir, celui des armes, de l’argent, de la religion etc., ils sont persuadés qu’ils sont ainsi devenus les maîtres de l’univers humain. Etant maîtres, du moins illusoirement, ils s’estiment en droit de donner la mort à qui que ce soit, indistinctement. Ils sont devenus comme des dieux qui ont droit de vie et de mort sur les hommes, comme s’ils étaient leurs créatures. Tuer est donc à la fois une jouissance infinie et une manière de tenter de priver la conscience – signe de l’Humanité – à ses victimes. Qu’ils se nomment terroristes ou autres méchants, ils savent qu’il n’y a pas de plus grande délectation qu’une domination, même illuosire, sur la ou une conscience humaine. C’est la figure de la démesure absolue, du mal absolu ; un mal sans limite, profond en même temps que « divin » ou satanique. Il s’agit d’un mal qui gît au fond de chaque être humain puisque chacun peut être soumis à cette tentation de domination sur la conscience de l’autre. Il s’agit essentiellement de tous ceux qui sont habités par l’énergie négative ou par les deux courants opposés de l’énergie.

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      Telle est aussi, nous l’avons dit, la figure de la puissance absolue parmi les hommes. A titre d’exemple : la légende raconte qu’en arrivant aux latomies, une immense grotte artificielle frappe le regard de tout étranger. Celle-ci était nommée l’Oreille fameuse de Denys le tyran, hôte pendant quelque temps de Platon en quête d’un roi vertueux susceptible de consentir à édifier sa République idéale. Selon cette légende, Denys, qui fut un homme cruel et sans scrupule, aimait écouter de ses appartements privés les clameurs des prisonniers qu’il retenait dans ses caves. Un tube, long de plus d’une soixantaine de mètres, lui permettait d’espionner les cris de ses victimes. En collant son oreille à ce trou diabolique, les sons pouvaient lui parvenir amplifiés jusqu’à soixante fois. Il jouissait infiniment de ce spectacle et il pouvait ainsi entendre les projets d’évasion de ces pauvres êtres humains. C’est l’expression même, profonde, abyssale d’un homme atteint de néronnite. Ce faisant, il pensait les maintenir totalement sous sa coupe et s’assurer de durer aussi longtemps que possible sur son trône. Car un grand nombre de ces prisonniers étaient ses adversaires, des résistants à sa gouvernance tyrannique.

            Finalement, dans le cadre des événements de Paris, il ne sied pas que les nations européennes prennent les armes contre l’Etat Islamique, conformément à la réaction spontanée de François Hollande suite à ce drame innommable. Sur ce point, le peuple français a fait preuve d’intelligence des phénomènes en question en se refusant à confondre tous les niveaux de réalité. C’est une attitude de prudence au sens philosophique du terme : il montre qu’il est plus raisonnable et plus rationnel que certaines élites politiques ou certains intellectuels. Sur ce point, Pascal a raison de reconnaître le bon sens et le bon agir du peuple par rapport au mépris des savants et autres hommes habiles. En effet, d Dans les Pensées (liasse « raisons des effets »), Pascal affirme que si les opinions du peuple sont vaines, dans la mesure où « il pense que la vérité est là où elle n’est pas » (Pensée 92), C’est-à-dire dans la mesure où il n’a pas de « pensée de derrière » (cette pensée de derrière la tête qui permet seule de rendre raison des effets), ses opinions sont cependant saines : même s’il pense mal, le peuple agit, objectivement, comme il faut agir. Et Pascal, dénonçant la pseudo-sagesse du demi-habile, affirme explicitement que le propre de l’homme, de l’homme déchu, est de savoir prendre des risques. Telle est la leçon de la Pensée 101 (éditions Lafuma) : « Le peuple a des opinions très saines. Par exemple, l. D’avoir choisi le divertissement, et la chasse plutôt que la prise. Les demi-savants s’en moquent et triomphent à montrer là-dessus la folie du monde. Mais par une raison qu’ils ne pénètrent pas, on a raison : [de] travailler pour l’incertain, aller sur mer, passer sur une planche » ; en d’autres termes, de refuser de céder à la panique en poursuivant le cours ordinaire de la vie.

        Or, François Hollande, en agissant ainsi, se soumet ni plus ni moins à la pratique biblique ancestrale de la fameuse loi du Talion : « œil pour œil dent pour dent ». Il ne sert à rien de vouloir faire une monstration de virilité ou de muscles. Jamais aucun peuple n’a vraiment été vaincu par un autre sur son propre terrain ou territoire. S’il y a éventuellement victoire, celle-ci n’est que provisoire jusqu’à ce que le vaincu invente de nouveaux moyens, une nouvelle stratégie pour reprendre l’hostilité. Les arabes connaissent bien les moindres méandres des sables de leurs territoires. Vouloir les y défier, c’est aller tout droit à l’échec à l’instar des Anglais qui ont régné dans cette zone du monde pendant longtemps sans avoir eu gain de cause. Il en fut de même des Ottomans. Au Vietnam, après avoir meurtri les peuples de ce pays pendant des décennies, et malgré leur superpuisssance militaire et financière, les Etats-uniens ont été battus. En Afghanistan, les armées de l’Union soviétique, suite à près de dix anx de guerre impitoyable, ont échoué à vaincre les peuples de ce pays etc. Une telle déroute est toujours en cours avec les Etats-uniens qui ont succédé aux Soviétiques.

    Par ailleurs, les puissances occidentales et la Russie, depuis les cieux, lâchent sans arrêt des bombes au sol, lesquelles sont censées détruire des positions de l’I.E (Etat islamique). Quelle assurance ont-elles d’atteindre réellement leurs cibles ? Si tel était le cas, comment expliquer que cet Etat soit encore debout en défiant toutes ces grandes puissances militaires et éconmiques ? En outre, il s’agit d’une manière de perpétrer le mal : les bombes tuent sans doute plus d’innocents qu’on ne l’image. Dans ce cas, on ne fait pas mieux que les terroristes qui ont tué des innocents à Paris. Certes, on ne montre guère ces morts innocentes des bombes, mais on sait qu’elles créent des désastres humains innombrables.

      Dès lors, il n’y a qu’une solution qui vaille : la médiation de la raison, seule source de paix durable. Mais, les hommes sont parfois assez stupides dans leurs conduites, ce qui confine à l’infantilisme : ils commencent par se combattre farouchement. Puis, après beaucoup de morts, de dégâts matériels, de dépenses d’énergie, de sacrifices d’innocents, comme les molochs de Baal, de gaspillage d’armes, ils se résolvent à se mettre autour d’une table pour faire usage de leur raison, hors du bruit des armes, afin de discuter sereinement et trouver la voie d’une paix durable. Donc, pour sortir de cet enfer, il est nécessaire d’y penser sans attendre outremesure. Alors, le flot des migrants cessera, les peuples orientaux retrouveront leur mode de vie, la paix civile interne aux pays et internationale.

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[1] Nous avons déjà abordé cette thématique en 2002 et mis en ligne sur « http://hommes-et-faits.com/ima_cult/Pb_Anthro_Mal.htm De : Pi… » . Le titre de ces investigation est le suivant : « Philosophie et Anthropologie du mal ». Par ailleurs, un peu plus, nous avons abordé d’autres aspects de ce problème dans notre livre Eve, Filles d’Eve : le Féminin intemporel- Vanité du soi-disant sexe fort-, (Paris, Thélès, janvier 2008, 264 p.). Toutefois, dans l’investigation présente, nous avons opéré un changement de vision des phénomènes qui se révèle comme un progrès profond dans notre pensée.

3 réflexions sur “Qu’est-ce que Le mal ?

  1. pierrebamony dit :

    Bonjour Pierre

    Merci pour cette analyse qui prend de la distance et met de la reflexion sur le mal et les attentats de Paris
    Deux réflexions de ma part
    – Le début me renvoie aux écrits de Etty Hellisum, je crois, sur une part volontaire de faiblesse et de retrait de Dieu laissant de la place à l’être humain et à sa liberté et donc au mal ( c’est aussi dans un certain livre de la Kabbale, Isaac Louria )
    Pour la conclusion, je suis tout à fait d’accord avec toi, que la guerre ne se déclare pas sur une impulsion, style oeil pour oeil, ou comme un enfant qui réagit sans réfléchir, Onfray est de cet avis ; et j’ai également twitté dans ce sens
    Pour le milieu de ton article, je n’ai pas eu le temps de le lire à fond
    Merci en tout cas d’amener du recul dans un domaine grave et qui engage des vies et en tout cas ce n’est pas simple

    chantal De Mey-Guillard : de.mey-guillard@orange.fr

  2. pierrebamony dit :

    Bonsoir M. Pierre,

    Superbe article !
    Je voudrais rajouter du grain à votre moulin concernant l’attitude infantile du gouvernement, en ce sens où chaque décision prise provient d’une vision extrêmement court-terministe : réagir spontanément, en se laissant dicter par l’émotion suggérée par les sondages, est-ce mener une politique sérieuse ou réagir comme un homme de peu de mesure ? Une politique devrait reposer sur une vision à long terme, or l’échéance des cinq ans ne va naturellement pas dans ce sens là ; remarquez que lors d’un début sur les élections présidentielles au soir de l’élection de François Hollande, certains évoquaient déjà 2017. De même que la professionnalisation du politique, où l’intérêt privé, fort compréhensible par ailleurs, peut être privilégié contre l’intérêt public, pose quand même un souci dans le sens où le second intérêt est quand même l’activité première de tout politique.

    Camille Sarrasin : cb.sarrasin@gmail.com

  3. pierrebamony dit :

    Coucou Pierre,

    J’ai bien eu ton courrier électronique avec cet article très intéressant et très poussé sur le « mal »…ca m’a pris un bon bout de temps pour le lire, j’ai trouvé difficile mais réellement intéressant, Merci !

    Sylvy Fayolle

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