« Dieu pour quoi, pour qui ? »

Par Paul Gravillon, ancien journaliste du « Progrès de Lyon, écrivain, poète

Intervention au « Pavillon des causeurs », juin 1999

 Dieu ou dieu anthropomorphe ?

     A la question beaucoup plus classique, même si elle est un peu trop directe, « Qui est Dieu ? », vous avez préféré la question, à mon avis plus logique, « Dieu pour quoi, pour qui ? ». Elle est plus précise et, en même temps, plus modeste. Car, en fait, la première n’est pas une vraie question, du moins c’est une question seulement pour le croyant, et encore, même dans ce cas, ce n’est pas vraiment une question : cela devient une « interrogation », c’est-à-dire une question « adressée » à Dieu. Car il faut déjà croire en Dieu pour lui demander : « Qui es-tu ? » Lui seul peut répondre. Comme je ne suis pas Dieu, je vous remercie de ne pas l’avoir posée. La seconde nous convient beaucoup mieux, c’est une question d’homme à homme, nous pouvons nous interroger les uns les autres sur le « pour quoi » et le « pour qui ».

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De la création, de ses limites et de ses critiques en philosophie

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Et l’Homme créa Dieu ?

introduction

On peut distinguer le concept de création – qui ne peut pas désigner un processus, mais le résultat de ce processus – de deux notions connexes : d’une partie, de la fabrication, de la production d’un à partir d’une matière existante, et suivant une règle préétablie. Elle renvoie au domaine de la technique et de l’artisanat, et se pense comme un processus temporellement assignable. D’autre part, la production, qui constitue une extension du premier paradigme. Il s’agit alors d’une fabrication mécanisée, étendue dans les moyens qu’elle met en œuvre, et dans la quantité d’objets produits. L’objet est pensé non comme singulier, mais comme reproductible en droit. La production opère une sorte de passage à la limite de la fabrication, par la mécanisation et les progrès techniques. C’est ainsi que, dans la conception philosophique de Marx, la production est la fonction économique principale, qui conditionne à la fois la distribution et la consommation. Corrélativement, elle implique une mise en place d’un second plan du sujet à un stade de la fabrication d’une automatisation complète des moyens de production dans les usines, comme suit procédé courant aujourd’hui.

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De l’expérience de trois années de maturation en Prépa littéraire Seconde Partie

De Pauline Khalifa.

« Me tournant vers le torero, j’observe que pour lui également il y a règle qu’il ne peut enfreindre et authenticité, puisque la tragédie qu’il joue est une tragédie réelle, dans laquelle il verse le sang et risque sa propre peau. »

 Michel Leiris, De la littérature considérée comme une tauromachie.

I/ Dernières considérations.

A/ « Tu es khôllée, ma chérie. »

Oubliant de mentionner nos très chères khôlles – ou colles pour les psychorigides, je vais profiter de cet oubli pour l’intégrer dans cette seconde partie sur les expériences de la prépa littéraire dans la peau d’une créative-perfectionniste. La khôlle n’est pas à entendre au sens traditionnel du terme comme une punition essuyée au collège ou au lycée. La khôlle est un oral d’une heure de préparation – voire plus comme une heure et demie ou deux heures dans le but de présenter un travail à votre professeur. La khôlle répond à une organisation de la part des élèves et des professeurs. Certaines khôlles sont des commentaires de texte, d’autres des versions de Latin, d’autres des mini-dissertations, tout dépend des exigences de votre professeur. Vous avez dix minutes pour l’ASH (oral de sciences humaines), vingt minutes de parole pour la majorité de vos khôlles, ou une heure selon les modalités de l’oral, et dix minutes de questions, ou quinze minutes de questions et de reprise. L’avantage de la khôlle est d’une part d’être suivi par votre professeur qui peut corriger voire rectifier votre travail, et d’autre part il est en mesure de faire le point sur votre bien-être en tant qu’élève. La première khôlle est toujours un moment fatidique. Nous avons tous notre première khôlle très chère à notre cœur. Et ensuite le temps passe et elles s’accumulent. Et là. Vous êtes anesthésié. Totalement. Lire la suite

Deuxième Partie. De la sublime beauté du silence : le choix du silence comme facteur de transfiguration heureuse de soi-même

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Se libérer de la ville pour aller contempler la beauté des cieux profonds

Introduction

     Nous avons montré précédemment les paradoxes de la solitude, à la fois comme phénomène psychologique et social, c’est-à-dire comme l’essence de l’être humain. Il est vrai qu’il y a une nuance entre la solitude et l’isolement et nous l’avons aussi déjà indiqué. À l’instar de l’ermite – nous y reviendrons longuement ci-dessous – l’isolement peut être considéré comme physique ou géographique. Car l’impression d’isolement est compatible avec la proximité physique. À titre d’exemple, un étranger découvrant pour la première fois une ville où il n’était jamais allé auparavant éprouve le sentiment lié au dépaysement, qui se traduit par une solitude intérieure ; et ceci malgré la forte densité de la population proche, état de la promiscuité. Cet étranger est isolé du reste des êtres humains, qu’il voit et qu’il se contente de côtoyer. Il y a comme un mur entre lui et ceux-ci. C’est ce que Laurent Mauvignier a bien montré dans son roman Dans la foule (Edit. de Minuit, Paris 2006). Dans un entretien au « Les Cahiers Forell-Formes et représentations en linguistique et littérature- », il revient sur le fait que nous ne pouvons point échapper à notre solitude, même dans une foule compacte. C’est en ce sens qu’il écrit : « Il se trouve que le cas particulier s’oppose à la multiplication des points de vue, à la masse, ou alors il faut faire de la foule, du nombre, une entité à part entière, et donc lui soustraire sa nature même, qui est d’être multiple et indiscernable. C’est donc une limite et un enjeu très fort, d’autant que le monde est de plus en plus le résultat de mouvements de masse… une masse, une foule, ce n’est jamais que 1 + 1 + 1 des milliers de fois, même si les statistiques, les chiffres, l’effet d’ensemble nous donnent à croire qu’il s’agit d’une nuée, d’un corps mobile en action, qui prendrait lui-même ses décisions, qu’il serait libre – et, de fait, souvent nous avons cette impression, par la puissance de la foule – , alors qu’à l’intérieur, si l’on change de focale, on ne voit que de petites unités humaines, notre unité de base. C’est donc ça qu’il faut regarder ».
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De la décadence comme fatalité inhérente à l’essence même des phénomènes

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L’Humanité peut-elle échapper à une forme de décadence ?

I- Etudes théoriques : émergence et mort des peuples et des mondes

Introduction

     La décadence est une notion confuse, d’un point de vue philosophique, qui mêle le psychologique et l’historique ; elle est à fois descriptive et normative, et comporte une forte dimension axiologique : il y a toujours quelque chose comme un verdict dans le diagnostic de décadence. Cette notion se revendique traditionnellement comme un concept opératoire dans l’historiographie. Dans cette perspective, elle doit être distinguée de la déchéance, qui renvoie à l’histoire personnelle d’un sujet, de la dégénérescence, qui relève d’une corruption d’une pureté raciale – si ce mot race a un sens s’agissant des descendants d’Homo sapiens -, et du déclin, qui se mesure, et qui est de l’ordre du constat plutôt que du diagnostic. Corrélativement, elle doit être articulée à deux concepts clés : celui d’origine, d’une part, comme point de référence et commencement absolu, et celui de progrès dont la décadence est comme l’envers, d’autre part.
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