Et l’Homme créa Dieu ?
introduction
On peut distinguer le concept de création – qui ne peut pas désigner un processus, mais le résultat de ce processus – de deux notions connexes : d’une partie, de la fabrication, de la production d’un à partir d’une matière existante, et suivant une règle préétablie. Elle renvoie au domaine de la technique et de l’artisanat, et se pense comme un processus temporellement assignable. D’autre part, la production, qui constitue une extension du premier paradigme. Il s’agit alors d’une fabrication mécanisée, étendue dans les moyens qu’elle met en œuvre, et dans la quantité d’objets produits. L’objet est pensé non comme singulier, mais comme reproductible en droit. La production opère une sorte de passage à la limite de la fabrication, par la mécanisation et les progrès techniques. C’est ainsi que, dans la conception philosophique de Marx, la production est la fonction économique principale, qui conditionne à la fois la distribution et la consommation. Corrélativement, elle implique une mise en place d’un second plan du sujet à un stade de la fabrication d’une automatisation complète des moyens de production dans les usines, comme suit procédé courant aujourd’hui.
Par opposition à ces deux concepts, la création est pensée comme instantanée; ce que confirme la thématique du luxe que «la lumière soit! »Divin de l’Ancien Testament, c’est-à-dire un acte hors du temps. Elle est tout à fait acte, et immédiatement effectivité. Elle est le fait d’un auteur, et qu’elle soit comprise comme acte créateur ou comme produit créé, elle se donne sur le mode du singulier et de l’unique, et renvoie à un dessein impénétrable d’avance. Elle s’articule au concept d’origine, et appelle la pensée d’un créateur, en l’occurrence, le Dieu créateur.
De ce fait, la notion trouve sa pertinence dans deux registres: d’une part, un domaine qui pourrait qualifier de «métaphysico-théologique», dont le modèle est donné par le paradigme judéo-chrétien de la création ex nihilo, une création surgissante du néant absolu . Il est question d’interroger la constitution de ce paradigme par rapport au modèle grec, et de la définition chrétienne du Créateur à la définition du Démiurge donnée par Platon dans le Timée.Dans cette perspective, on peut repérer un certain nombre d’interrogations internes à l’histoire de la philosophie, qui ont un intérêt pour la modalité de l’acte créateur de la «création continue»? -; ou bien le statut du produit créé par rapport à son Créateur – qui se donne à penser dans la théorie augustinienne des «vestiges de Dieu», par exemple -; ou encore la question de l’efficacité et de la liberté du Créateur lui-même – Dieu est-il libre de créer à son gré, et même de faire que 2 + 2 fassent 5, comme le juge Descartes, ou bien doit-il respecter les injonctions de la raison? -.
De manière externe, en revanche, il conviendra d’interroger l’exténuation progressif du modèle, qui est dû en partie à la retraite générale du dogme, mais sans doute aussi à l’institution de paradigmes plus scientifiques, comme l’évolutionnisme, pour penser la genèse des espèces dans le monde. La notion de création peut-elle encore se voir attribuer une valeur heuristique, voire épistémologique?
Le second domaine concerné par la notion de création est le registre esthétique, à la fois par extension théologique et par analogie entre l’artiste et Dieu. Ainsi, le parallèle se fonde implicitement sur la toute-puissance de l’artiste sur son art, et sur l’écart que présente son activité par rapport aux productions techniques, écart que marque l’impossibilité de définir conceptuellement l’oeuvre – d ‘ la théorie kantienne du génie comme quoi la nature donne sa règle à l’art. II sera nécessaire d’analyser la pertinence du concept de création pour penser l’activité artistique – atteste-t-elle, comme le veut Dürer, d’une hybrispropre à l’artiste, qui se voudrait l’égal de Dieu? Ou bien faut-il simplement le renvoyer au processus de sublimation d’où relève, selon Freud, toute activité artistique? La notion à-elle une pertinence réelle pour penser l’art?
En substance, peut-être-sera-t-il indispensable de remettre en cause le présupposé implicite qui anime la plupart des pensées de la création, à savoir l’idée selon laquelle celle-ci serait intégralement positive, par opposition à cet autre qu’est la destruction (elle anéantit ce qui a pu surgir comme quelque chose). Mais peut-on aussi le positif du négatif? Quelles sont les conséquences, les domaines de l’impossibilité de créer et de détruire?
Etrange génie de l’esprit humain
I- LA QUESTION DE L’ORIGINE: FABRICATION OU CREATION?
A- Le modèle grec: le Démiurge
Le texte de référence est le Timée,27b-61c, entre le mythe de l’Atlantide et l’analyse de la place de l’homme dans le monde; Ce texte fondateur dans lequel Platon met en place les éléments d’une théorie de la création du monde et de ses modalités. Cette théorie sur l’arrière-plan, sur l’occurrence, le matérialisme de Démocrite et d’Anaxagore, fondée sur l’hypothèse suivant laquelle le monde serait exclusivement déterminé par des causes physiques. En effet, la création de la fonction justifiant l’existence d’un ordre dans le monde, ainsi que la présence des principes du bien et de la justice. Elle a donc une visée apologétique. La thèse de Platon est que le monde dans lequel nous vivons est créé, existe dans le temps; il a eu un commencement, par suite une cause, le Démiurge. En tant qu ‘mimesis, et un modèle, le monde intelligible. Le Démiurge est défini comme artisan, ouvrier, cause fabricatrice. Il n’est donc pas cause première, pas plus que la création n’opère ex nihilo. L’univers est créé par l’introduction d’une matière informe pré-existante, et donc le fruit d’une activité intelligente et finalisée, tournée vers la recherche du bien.
En ce qui concerne le modèle, deux sources sont possibles, intelligibles ou sensibles, mais seulement la première peut assurer la perfection du résultat forme et les propriétés « . Cest l’excellence du modèle qui met en garde la valeur de la copie. Quant au procesus créateur, le monde sensible est à l’image du «vivant intelligible»; il est composé de feu et de terre, tient s’ajoutent deux éléments chargés d’assurer la liaison, l’eau et l’air. La création opère d’une manière rigoureuse, suivant un calcul des proportions, par une progression géométrique dans laquelle «il arrive ainsi que tous les termes qui contiennent la même fonction,
Les parties du monde seront calculées à la fois mathématiquement calculables – il s’agit de l’influence pythagoricienne de la théorie de l’harmonie des sphères célestes -, et dans une coïncidence parfaite. De même, la trajectoire du monde est fixé – c’est le mouvement circulaire, à l’exclusion de tout autre – algébriquement: «Tel était donc dans son ensemble le calcul (logismos) du Dieu (…) En vertu de ce calcul, il fit un corps poli, entier homogène, égal de toutes les parties, depuis son centre, un corps complet, parfait, composé de corps parfaits ». (34a).
Le monde est doté d’une âme, première et plus divine, des productions du Démiurge. Elle est le principe des mouvements de l’univers, son principe de vie. Après avoir été harmonisée au reste du monde suivant la théorie des médiateurs, elle constituera la voûte céleste. Concernant la création du temps, Platon parle d ‘«imitation mobile de l’éternité», c’est-à-dire l’image éternelle qui se meut suivant la loi des nombres (37d). C’est exactement ce que l’on appelle mathématique qui permet d’être le principe d’ordre dans la création, et en fait la copie de l’éternité.
Il s’agit d’un paradigme minimal de la création, qui ne fait pas intervenir une causalité créatrice au sens de la théologie judéo-chrétienne ou alexandrine, mais plutôt une efficace limitée, ordonnatrice: tant que le modèle de la création existant avant la création. Le Démiurge et ses agents au jour des nouvelles formes, mais la composition harmonieuse d’éléments préexistants, qui vise à reproduire un modèle qui existe déjà. Il n’y a pas de création, au sens absolu du terme, mais copie d’un modèle ou reproduction d’un modèle pré-existant.
Matériaux de la création artisitique
B- La substitution du modèle chrétien: la création ex nihilo
«Accordez-moi d’entendre et de comprendre comment» dans le principe «Vous avez fait le Ciel et la Terre» ( Confessions, XI, 3).
Le contexte de départ est l’opposition de Saint Augustin et des Manichéens sur le dogme de la création: contre le matérialisme qui fait de Dieu une lumière, substance corporelle et ténue n’entrant pas dans les corps. En réaction par rapport à sa première doctrine, Augustin enseigne le dogme de la Création ex nihilo : Dieu ne peut pas tirer le monde de sa propre substance, car cela suppose une partie de lui peut devenir finie, mutable, soumise aux altérations l’univers, ce qui est contradictoire. Demeure alors le problème de savoir comment penser le rapport du divin à l’humain, de l’infini au fini, de l’éternel temporel, d’où l’examen d’une seconde hypothèse, qui est, implicitement, la mise en scène par le Timée:«Mais comment avez-vous créé le Ciel et la Terre, et de quelle machine êtes-vous servi pour votre grandiose travail? Vous n’opériez pas comme l’artiste, lequel façonne un corps avec un autre corps, au gré de son esprit »(XI, 5).
Le pouvoir de créer ne peut venir à l’artiste que de Dieu, en tant que ce dernier a créé son esprit. Toute hypothèse démiurgique est récurrente, car elle suppose que le Démiurge lui-même ait un créateur. L’acte créateur sera donc production à partir de rien, ce qui n’est pas possible à Dieu car Dieu seul est être. Corrélativement, la cause de la création n’est pas extérieure à Dieu, mais tient à la seule bonté divine.
Le modèle sous-jacent est celui de la Genèse (Ancien Testament): la création est l’acte inaugural par lequel le monde vient à l’existence à partir de rien, et se trouve ordonné par Dieu par exemple, le partage du Ciel et des Eaux. Se joue de l’institution d’une hiérarchie au sommet de laquelle se trouve l’homme, comme image terrestre de Dieu, ainsi que la fondation d’une temporalité qui ne préexistait pas à l’acte créateur. Reste à penser la modalité de la création: elle se fait «dans son principe», c’est-à-dire par le verbe: «Au commencement était le verbe, et le verbe était en Dieu, et le Verbe est Dieu . Toutes les choses ont été faites par lui et rien de ce qui a été fait sans lui ». ( Évangile selon Saint Jean, Prologue, 1,93).
Le Verbe est à la même identique à Dieu, et différent de lui. C’est le dogme fondateur du christianisme: une essence, trois personnes, soit en latin mian ousian, treis upostasis / una essentia, très perscmnae. C’est pourquoi, la Trinité est un mystère. Le Verbe sera alors défini suivant trois directions: Raison éternelle et Maître intérieur. En tant que il s’est incarné, il est le Christ.
La différence des paroles humaines, qui sont temporelles, le verbe divin est jugé hors du temps, et ne passent pas. Il s’exprime simultanément et intégralement, sans recours à l’énonciation successifs des mots: l’acte créateur est un acte global, et les six jours de repos par la Genèse doivent s’entendre comme un seul instant: votre verbe qui vous est co-éternel que nous avons toujours tout ce que vou dites et qu’existe tout ce à quoi vous dites d’exister. Ce n’est pas autrement que par votre parole que vous créez »(XI, 7).
Dieu a fait le concret le Ciel et la terre, et assure l’information de la matière: il y a une distinction entre le ciel, comme la matière spirituelle et le moment de la création – c’est le royaume des anges, mais les inébranlablement attachés à Dieu, immuables en raison de leur béatitude -, et la terre, en tant que matière créée à partir de Idées de Dieu, qui subsistent dans son intelligence comme «réalité intelligibles», causes particulières de tout ce qui commence et finit.
La définition de la terre comme le monde a créé le dogme du Créateur comme tout puissant, omniscient et bienveillant. Le concept de création appelle celui d’une origine transcendante. L’acte créateur est double: il fait et même temps, il parfait. L’acte de faire consiste à être brut, et celui de parfaire, à l’ancien par participation aux idées. Tel is also le Seņs de la Distinction de Gilson Entre le fecit divin – fecit coelum et terram: Donner l’Être à juin matière Qui ont tendance au néant fils par caractère Informe – et le Dixit Divin (fiat lux), Qui imprime à this matière une forme et un mouvement qui la ramène à lui. Créer, c’est donc indivisiblement produire l’informe et le ramener à soi pour l’ancien.
Voici quelques précisions sur la création continue. Il s’agit d’une reprise par Saint Thomas à partir du dogme de la Genèse : il est plus digne de la présence de Dieu que nécessaire au maintien de la création et de la conservation des êtres; d’où la création de la création continue, ré-élaborée par Descartes et par Malebranche. La présente est la suivante: «La création ne passe point comme Dieu la conservation et la création ne sont même pas une chose» ( Entretiens de métaphysique, VII, § 7).
Dieu est la cause de l’Fait Acté initial créateur, de tout Mais aussi Ce qui arrive in the world, d’where le lien essentiel between thèse de la création Continuée et l’occasionnalisme de Malebranche ( De la recherche de la vérité ): toutes les causes sont en fait des causes occasionnelles, c’est-à-dire qui est efficace et efficace. Il s’agit d’une réfutation implicite de l’idée aristotélicienne selon laquelle la nature est un principe interne de finalité, ou d’un mécanisme charitable qui veut que chaque corps tire de lui-même son efficace.
Dieu est totalement actif, à l’origine et tout au long de l’histoire humaine; mais il n’agit pas par caprice, au sens où il règle l’enchaînement général des causes et des effets dans le monde, et ceci de façon intemporelle, au moyen des lois. Cependant, c’est le fait qu’il faille lui attribuer une puissance infinie, et lui réserver toute l’efficacité dans le monde, qui implique la nécessité de penser la création comme création continue. La puissance divine se déploie tout au long du temps, à partir d’un acte lui-même intemporel.
A travers la création de la création continue, il y a un renforcement du dogme de la création, et d’une conception absolue comme création ex nihilo.
Le génie universel de l’être humain dans la création
II- L’EXTENUATION DU MODELE
Trois remises en cause
1) Spinoza, dans l’ Ethique, appendice au livre I, opère une double critique de la figure d’un Dieu créateur, et du modèle anthropomorphique de la création. Plus exactement, il s’agit d’une remise en cause du préjugé téléologique: «Certains … vont jusqu’à tenir pour certain que Dieu lui-même dirige tout vers une certaine fin; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l’homme et qu’il a fait l’homme pour que l’homme lui rende un culte ». (GF, page 61).
Spinoza dénonce l’illusion anthropocentriste fondée sur l’expérience que le sujet à son propre rapport au monde, à savoir un rapport d’utilité, engagé sur la mise en relation des fins et des moyens. Cette illusion repose sur un usage non pondéré de l’imagination – d’où l’essence de la superstition -, et doit être dissipée par le passage à la connaissance du deuxième genre. L’efficace divine ne passe pas par la médiation d’une volonté toute puissante qui usait de la sagesse divine. C’est, donc, la réfutation du dogme de la Genèse: le monde ne vient pas à l’existence après Dieu, et suivant un décret divin. Au contraire, il faut penser une autre définition de Dieu: Dieu se produit lui-même comme nature suivant les lois étemelles de sa propre nécessité. Dieu, comme nature naturante, est cause de lui-même comme nature naturée. Il est donc cause de soi, c’est-à-dire celui dont l’essence enveloppe l’existence. Dès lors, le dogme de la création est battu en brèche par les thèses spinozistes afférents à l’immanence de Dieu comme substance: il n’y a pas de différence qualitative entre Dieu et les créatures. L’homme n’est pas à l’image de Dieu, mais il est un mode de la divinité, qui s’exprime selon deux attributs que sont l’étendue ou le corps, et la pensée ou l’âme. Penser Dieu, c ‘ est penser la nature et penser le monde. On ne peut assigner au monde une origine transcendante.
2) D’une manière générale, Kant, dans la Critique de la raison pure remet en cause toute tentative dogmatique pour penser l’origine du monde, et Dieu lui-même. Il est impossible d’arriver à une certaine certitude hors du domaine de l’expérience, faute d’un soutien empirique pour la connaissance: le dogme de la création ne peut être accepté que par une conjecture qui a fait une affaire de foi, non de raison. D’où la critique de la cosmologie rationnelle dans la « Dialectique Transcendantale », Première Antinomie. Critique du concept de création à propos du monde comme idée transcendantale. Kant y examine deux thèses opposées: d’abord, le monde à un commencement dans le temps et dans l’espace et il est limité ; ensuite, il n ‘(T & P page 340). Toutes les deux prouvent de manière hapagogique, et non ostensive, une par la réfutation de l’autre, relativement au temps et à l’espace:
ceci : si l’on admet que le monde n’a pas commencé, il y a une série infinie d’états successifs dans le monde. Ou, l’infini d’une série consiste en ce qu’elle ne peut jamais être achevée dans une synthèse successive. Donc, l’idée même d’une série infinie et est aussi contradictoire.
Donc, il faut postuler que le monde soit un commencement.
antithèse : si le monde à un commencement, il doit y avoir un temps où le monde n’existait pas, c’est-à-dire un temps vide. Ou, il est impossible que quoi que ce soit naisse dans un temps vide – il n’y a aucune condition distincte de l’existence ou de la non existence attachée aux parties de ce temps.
Donc, le monde, comme complet, doit donc avoir un commencement.
La réfutation de l’antinomie elle-même passe par l’idéalisme transcendantal: il est impossible de poser le monde comme une absolue absolue et, donc, de l’affirmer ou du nier comme tel. Le monde n’existe ni comme un « tout infini en soi », ni comme un « tout fini en soi » . En d’autres termes, il n’a pas d’existence dans le temps et dans l’espace que par un processus de synthèse opéré par l’entendement dans la liaison des phénomènes sous les lois de la nature.
Le monde n’est pas fini, au sens où notre expérience n’est pas finie, mais il n’est pas absolument infini non plus, ne peut être pensé comme une réalité en soi. Le concept même du monde est contradictoire, ce qui signifie signifier une totalité de phénomènes, qui sont pris dans des séries indéfinies, et non susceptibles d’être totalisés.
3) On peut voir Darwin la radicalisation, sur un mode scientifique, de la critique kantienne: remise en cause du dogme de l’immuabilité des espèces, et du primat de l’homme. Introduction of the historicité qui détrône toute pensée d’un Créateur d’origine immanente: réinscription d’un commencement dans une durée à laquelle il est homogène.
D’où la mise en place d’un concept clef, celui d’évolution, qui se fait par adaptation et sélection. Les espèces réagissent aux sollicitations du milieu en se transformant, et les plus aptes et les plus rapides l’emportent sur les autres.
Dès lors, le primat ontologique de l’homme sur les autres espèces est nié. Sur ce point, on peut lire aussi, avec intérêt, les Cinq Leçons sur la psychanalyse, ntamment le thème des «trois humiliations» de Freud. C’est, surtout, la figure d’un Créateur d’où il se tient sa suprématie, par ressemblance, qui est réfutée. Le concept de création tout entier devient inopérant pour penser la genèse du monde: il n’a pas de valeur, ni épistémologique, ni heuristique, ni même régulateur, comme chez Kant.
III- LE PARADIGME ESTHETIQUE?
A- L’artiste comme créateur
Une analogie avec le modèle de la création divine est possible: il n’y a pas de matière préexistante, au sens où l’oeuvre ne se préexiste pas à elle-même; il n’y a pas de règle de plus qui permet de rendre compte conceptuellement. Les caractéristiques propres à l’œuvre, notamment le thème de la musé, analysées par Kant dans la Critique de la Faculté de juger et de les rejeter par la pensée romantique de l’inspiration, de la voyance etc.
Kant is the definition of the science in the base of the science of the science in the science of the science in the science of the science in the science formulez, mais à qui la sensibilité à chacun doit se soumettre.
Il suffirait de voir la différence entre Newton et Shakespeare: tout homme peut, en droit, refaire les raisonnements newtoniens, mais il n’y a qu’un seul Shakespeare. D’où la naissance des écoles, mais le caractère inexplicable du génie patient au don.
– le génie est ce qui permet de penser la production de l’œuvre comme création, parce que la question de la conceptualiser la règle par laquelle l’œuvre est amenée au jour: la valeur de la singularité absolue de l’œuvre d’art art tenu à cette impossibilité. C’est le problème, plus général, le jugement de goût, et la définition paradoxale du beau comme universel sans concept.
Cette analyse a été reprise par Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation, III: le génie est un excès d’énergie intellectuelle, une aptitude exceptionnelle à la contemplation; ou encore ce que vous pouvez faire avec les artistes. Comparaison a contrario avec le talent: l’homme de talent atteint, mais que les autres ne peuvent toucher, le génie, ce que les hommes ordinaires ne peuvent pas voir.
On trouve un écho de ces analyses dans un ouvrage de Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanique , qui reprend le thème, mais du côté de l’œuvre produite, et non de l’artiste:
la copie en atelier, faite à la main et distribuée à la petite échelle, et la reproduction industrialisée, soit par la lithographie, soit par la photographie, et surtout le cinéma, paradigme de l’oeuvre reproductible. La chose de Benjamin est dans l’œuvre reproduite, il manque toujours le « hic et nunc » de l’oeuvre originale, son kairos en quelque sorte: «Le hic et le nunc» de l’original forment le contenu de la notion de l’authenticité (…). Les éléments de l’authenticité se refusent toujours à toute reproduction, non pas seulement à la reproduction mécanisée ». (Gallimard, Écrits Français, page 142).
Le témoignage de l’authenticité, témoignage d’une histoire, d’une durée, d’un créateur créateur, est véhiculé par la matérialité de l’œuvre. Ou, c’est cette matérialité qui fait défaut à la reproduction. Celle-ci coupe l’œuvre de son histoire et de la tradition dans laquelle elle prend sens. Ce qui disparaît, c’est ce que Benjamin appelle son « aura »: « Qu’est-ce que somme que l’aura? Une singulière trame de temps et d’espace: apparition unique d’un lointain, si proche soit-il. L’homme qui, après midi d’été, s’abandonne à suivre le profil d’un horizon de montagnes ou la ligne d’une branche qui jette sur lui son ombre – cet homme respire l’aura de ces montagnes , de cette branche »(Ibidem, page 144).
Tout est-il de l’art ?
Dans le cas de l’œuvre d’art, cette aura est liée à sa fonction rituelle originelle: de ce caractère de soutien magique, toute oeuvre conservant une trace, même dans le « culte profane » de la beauté, et dans la » théologie négative de Mallarmé, qui refuse toute fonction utilitaire à l’art.
D’où une dénonciation du modernisme en art, du cinéma et de la photographie, avec en arrière plan implicite un paradigme: la peinture. L’original est une oeuvre d’art, mais pas sa reproduction.
Benjamin articule une double critique: d’une partie, une dénonciation de la production de masse comme ce qui tend à s’approprier l’objet, à déprécier sa singularité: prédomine alors une perception « dans le sens du semblable », uniformisante du monde , qui correspond au passage à une ère de grande distribution, à la mise au premier plan de l ‘ »exposition » de l’oeuvre, quel que soit le lieu d’exposition, c’est toujours une action négative des masses sur l’ art. D’autre part, le caractère rituel de l’œuvre d’art est remplacé par un autre soutien, en l’occurrence, la politique, et plus précisément la politique des masses et le totalitarisme, au sens où à travers ces dernières se joue un nouveau type de rapport à l’art, comme la distraction, la consommation,
A l’inverse, on trouve chez Benjamin une apologie de l’œuvre d’art comme création originale, fruit d’un déssein singulier, et qui a un rôle particulier dans les circonstances particulières. L’aura, c’est le caractère de l’oeuvre sélectionnée, en sorte sorte. Dans la reproductibilité joue le passage de la création d’une oeuvre à sa production en masse, qui n’est pas l’être même de la reproduction choisie.
B- La dénonciation du paradigme de la création artistique
Les mystères de la créativité
On peut, néanmoins, repenser deux paradigmes opposés pour désigner les dangers de la création artistique, comme Frankenstein, le Créateur détruit par sa créature, et Pygmalion, le Créateur qui tombent sous l’empire de sa créature. D’où la dénonciation du risque de l’ubris, comme on trouve un écho dans l’œuvre de Dürer, qui invite à ne pas rivaliser avec Dieu. Il en est de même dans l’idée F. Mauriac s’inscrit dans une perspective semblable: «L’humilité n’est pas la vertu dominante des romanciers. Ils ne craignent pas de prétendre au titre de créateurs. Des créateurs! Les émules de Dieu! A la vérité, ils sont les singes. Les personnages inventeurs ne sont nullement créés, mais la création consiste à faire quelque chose de rien. Nos revendications créatures sont formées d’éléments pris au réel; nous combinons,
D’où une dénonciation, cette fois-ci, le modèle de la création, chez Freud. Ainsi, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci remet en cause l’hypothèse d’un processus ex nihilo : la création est, au même titre que le rêve, la sublimation symbolique d’un contenu inconscient. Selon Sarah Kofman, dans L’enfance de l’art , on trouve chez Freud une dénonciation du thème de la création et du don: l’artiste doit renoncer à être un créateur; Ce qui est une dernière forme du meurtre du père: il n’y a pas de paternité de l’artiste par rapport à son œuvre, il faut se délivrer de cette illusion d’origine théologique.
En fait, selon Freud, il n’y a pas de «génie», ni d’inspiration. Il n’y a pas de forces qui agitent le psyché de l’artiste, et la sublimation par l’œuvre, et l’interprétation par la psychanalyse: «L’artiste ne crée pas, il n’invente pas, il recompose, bien que ce soit à l’aide d’une écriture spécifique et originale. L’imagination « créatrice » est incapable d’inventer quoi que ce soit, elle se contente de réunir des éléments séparés des autres. (Dans Introduction à la psychanalyse, Payot, p.152).
Le « don créateur », s’il vous plaît être expliqué, est le résultat d’un double déterminisme:
1 °) un jeu de forces psychiques, quantité particulièrement affectueuse chez les artistes, qui a une libido très forte, prédisposition à la sublimation. C’est ce que Freud montre dans Malaise dans la civilisation : mise en place du concept de « quantité de sublimation pulsionnelle»,variable selon les individus, à partir d’une même intensité dans la vie psychique, tel homme deviendra un artiste, tel autre un névrosé. La sublimation permet le détournement des pulsions sexuelles vers l’art: elle est donc l’énergie motrice de la production de l’œuvre. C’est en ce sens qu’il écrit: «Cest parce que la pulsion ne peut jamais atteindre la satisfaction totale que s’installe un investissement objectal et une tendance durable donnant l’illusion d’une disposition spéciale et des dons innés».
2 °) le hasard des rencontres et des expériences de la vie de l’artiste.
La violence dans l’art
CONCLUSION
Cependant, cette remise en cause ne permet pas de rendre compte de l’ensemble de l’œuvre, ni de sa genèse. En effet, il convient de poser la question de savoir pourquoi des contenus inconscients analogues seront-ils sublimés sous une forme esthétique chez certains hommes, et pas chez d’autres? Pourquoi des artistes? L’explication psychanalytique est par trop réductrice.
A l’inverse, la philosophie nietzschéenne offre une possibilité de revenir sur le modèle de création pour penser l’activité philosophique elle-même, dans le nouant à la thématique esthétique esquissée ci-dessus. Dans cette perspective, il importe de renoncer à tout héritage judéo – chrétien, et penser la création comme le processus se fait advenir lui-même comme sujet affirmatif. La création relève d’une intensification affirmative de la puissance. Ainsi, la forme la plus élevée de la puissance, c’est la «relation du créateur et de la matière qu’il travaille» ( Volonté de puissance, I, p.210) – this substance pouvant être constituée, dans l’ordre éthique, par sa propre personne.
D’où, une double extension du paradigme de la création:
1 °) champ éthique: dans le Ainsi parlait Zarathoustra, notamment le prologue: « j’aime celui qui OEUVRE ». Zarathoustra cherche des « compagnons de fête », des « créateurs » qui s’iscrivent comme tels « inscrivent de nouvelles valeurs sur de nouvelles tables », en renonçant aux tableaux de la loi à Moïse, et à la passivité qu’implique cette réception. Le créateur, c’est celui qui « se costume lui-même ». Mais ceci n’implique nullement une licence effrénée. D’où également la nécessité pour le créateur d’être « dur comme le diamant », avec lui-même comme avec les autres. Telle est la thématique de la création comme grand style et comme mise en forme de soi par soi.
En ce sens, Deleuze fait la découverte de l’équation dionysiaque: vouloir = créer. C’est ce qu’exprime, d’ailleurs, Nietzsche lui-même: «Créer, c’est-à-dire choisir et parachever ce que l’on a choisi (c’est l’essentiel de tout acte volontaire)» (VP, I, page 209).
2 °) Champ de la création artistique: deux états:
- a) ivresse: sensation d’exaltation de la puissance, obligation de «faire des choses le reflet de notre plénitude intérieure» ( Volonté de puissance, 331).
- b) acuité des sens, qui permet la création comme expression chiffrée d’un état explosif.
– Critique de l’esthétique « de femme » contemporaine, comme l’esthétique du spectateur, de la passivité, par opposition à une esthétique virile, celle de la création dans sa violence affirmatrice.
– Mieux, il ne faut pas penser à la création et à la destruction comme antithétiques: la création passe par la destruction: elle est la destruction. «Dionysos: sensualité et cruauté. L’instabilité des choses pourrait être interprétée comme la jouissance d’une force qui engendre et détruit, comme une création perpétuelle ». ( Volonté de puissance, II, Livre IV, 540, p. 368).