De l’Amour comme enchantement du Verbe et de ses illusions

Introduction au désir de comprendre les faits humains, objet de ce site Internet

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    Dans l’approche et le désir de comprendre les phénomènes humains, on peut admettre deux perspectives qui sont en même temps deux niveaux de la connaissance.
D’une part, il y a ce qu’il est convenu d’appeler la vulgarisation ou le sens commun de la culture. Cette culture commune, mis à part tout jugement de valeur, est ce que nous avons tous, et d’emblée, en partage en raison de notre longue période de vie passée dans l’enfance. Nous nous mouvons donc dans des idées répandues par et à travers les sociétés et leur niveau culturel ; et même à travers les individus et les différentes occurrences que chacun de nous peut connaître au cours de sa vie depuis l’école primaire en passant par le collège, le lycée jusqu’à l’université. Et si nous n’avons pas assez de force pour nous libérer de la tutelle ou de l’influence de nos formateurs, ces préjugés dominent notre conscience, en s’y installant comme à demeure. Pire, ils nous font voir autrui à travers leurs prismes déformants que nous considérons comme nos propres pensées, alors qu’il n’en est rien. Nous saisissons au vol ces données de la vie courante, nous nous en approprions sans nous interroger sur la validité, la justesse, la solidité de ces idées communes.
C’est en raison du caractère commun et imprécis de ces savoirs que Descartes a entrepris, dans son Discours de la méthode, de les révoquer en doute pour aller chercher ce qui le constitue lui en tant que personne humaine singulière, authentique, et non pas le simple produit d’une culture, d’une famille, d’un milieu social etc. Etre cartésien consiste aussi à effectuer individuellement une telle démarche pour prendre possession de soi, comme lui-même l’a fait avec élégance. C’est aussi au sujet de cette culture commune aliénante et non fondée que Spinoza parle de connaissances « par-ouï-dire » (Ethique). En effet, les connaissances du premier genre correspondent à la perception sensible dont chacun de nous fait l’expérience au cours de sa vie (je vois, j’entends, je ressens), aux opinions courantes ou connaissances acquises par « ouï-dire », comme le reconnaît Spinoza. C’est le domaine de l’expérience sensible et irréfléchie. Ces connaissances sont partielles et douteuses car nos sens nous trompent souvent, les opinions sont diverses et contradictoires, et l’expérience de la vie est relative à chacun de nous.
D’ailleurs, avant Spinoza, Platon avait montré, dans son Protagoras, le caractère inconsistant des savoirs sensibles et l’erreur des Sophistes, qu’il a dénoncée avec vigueur, consiste à se fonder sur une telle expérience commune pour affirmer que « L’homme est la mesure de toute chose ». La vérité est donc relative à la perception de chaque individu ; et ceci de manière irréfutable. Ainsi, en matière de nourriture, ce qui est bon pour moi peut être amer pour toi.

Une telle connaissance ou pseudo-savoir nous donne une certaine vision du monde qui est, hélas, très souvent erronée, parce que qu’elle ne contient rien de profond, de solide et de réel. Malgré tout, c’est elle qui est la cause fondamentale des préjugés les plus répandus parmi les hommes, qui peuvent être indéracinables dans l’esprit d’un grand nombre d’individus. Et pourtant, ce sont de pures sottises humaines au sens où ces préjugés sont irréfléchis et relèvent de mouvements spontanés de l’esprit. C’est la part ombrageuse de la nature humaine. Et telle est, d’ailleurs, le sens de l’invitation que Platon adresse à chacun de nous de devoir sortir d’un tel niveau de vision du monde pour cheminer vers le monde éthéré de l’intelligence rationnelle. Dans La République (Livre VII, § « Allégorie de la caverne »), Platon remarque, à juste tire, ceci : « Maintenant… représente-toi notre nature, selon qu’elle est ou qu’elle n’est pas éclairée par l’éducation, d’après le tableau que voici. Figure-¬toi des hommes dans une demeure souterraine en forme de caverne, dont l’entrée, ouverte à la lumière, s’étend sur toute la longueur de la façade ; ils sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou pris dans des chaînes, en sorte qu’ils ne peuvent bouger de place, ni voir ailleurs que devant eux ; car des liens les empêchent de tourner la tête ; la lumière d’un feu allumé au loin sur une hauteur brille derrière eux ; entre le feu et les prisonniers, il y a une route élevée… Les ombres des passants, ainsi que les «ombres des sons» constituent, pour nos prisonniers, la base de la connaissance.
Qu’on le (l’un des prisonniers) tirait de là par force, qu’on lui fit gravir la montée rude et escarpée, et qu’on ne le lâchât pas avant de l’avoir traîné dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu’il souffrirait et se révolterait d’être ainsi traîné, et qu’une fois arrivé à la lumière, il aurait les yeux éblouis de son éclat, et ne pourrait voir aucun objet que nous appelons à présent véritables ? » La caverne dont parle Platon, c’est effectivement notre nature, héritière de notre histoire et de ses diverses influences obscures, mais bien enracinées dans l’esprit de beaucoup d’hommes qui ne parviennent plus à s’en libérer pour être eux-mêmes sans ces scories de la vie en société ; comme Descartes osa le faire de façon triomphale. C’est cette nature, symbolisée par la caverne et sa sous-culture, que Platon appelle, à juste titre, d’ailleurs, dans La République, Livre VI, « le gros Animal ». Selon cet éminent philosophe, vénérer le « gros Animal » revient à penser et à agir conformément aux préjugés, aux instincts, aux réflexes imbéciles, insensés de la foule en refusant le salutaire travail de recherche personnelle de la vérité et du bien. Ce n’est nullement une affaire de statut (agrégation) ou de diplôme (Doctorat), mais une qualité de l’esprit et/ou de l’intelligence personnelle.
De nos jours, il existe toute une littérature dite scientifique qui est en expansion dans tous les domaines des savoirs communs. C’est la vulgarisation. Celle-ci a un avantage et un inconvénient. Dans le premier sens, elle apporte « à boire et à manger », comme on dit vulgairement, à tous ceux qui désirent connaître et comprendre les choses. Elle se met à leur niveau d’intelligibilité. Elle ne cherche pas à les pousser plus en avant, c’est-à-dire dans le sens du progrès de leur esprit, de la qualité de leur intelligence. Elle instaure ainsi une vision claire – obscure des phénomènes. Mais l’inconvénient tient au mépris que certains intellectuels témoignent par rapport à la vulgarisation : ils la regardent volontiers comme une culture populaire, constituée d’un ensemble de pseudo-savoirs ou connaissances de masse. Du haut de leur piédestal, ils jettent un regard condescendant sur elle ; et ils ne manquent de se gausser d’elle à loisir.

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Un temple du savoir : la bibliothèque
D’autre part, il existe un niveau élevé de savoir qu’on nomme la culture savante. D’ailleurs, c’est celle-ci qui fait la différence qualitative entre les êtres humains ; laquelle est plus essentielle que la différence liée à notre habit physique, c’est-à-dire l’épiderme. En effet, cette culture savante dérive des exigences logiques et analytiques de la philosophie, science éminente et première par excellence. À son sujet Nietzsche écrit avec raison ceci : « Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement l’homme de demain ou d’après-demain, s’est de tout temps trouvé en contradiction avec le présent ; il a toujours eu pour ennemi l’idéal du jour… En présence d’un monde d’« idées modernes » qui voudrait confiner chacun de nous dans son coin et dans sa « spécialité », le philosophe, s’il en était encore de nos jours, se sentirait contraint de faire consister la grandeur de l’homme et la notion même de la « grandeur » dans l’étendue et la diversité des facultés, dans la totalité, qui réunit des traits multiples ; il déterminerait même la valeur et le rang de chacun d’après l’ampleur qu’il saurait donner à sa responsabilité » (Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 212).
Cependant, qu’on ne s’y trompe pas : la culture savante n’est pas orgueilleuse, contrairement à l’attitude mentale de certains détenteurs des connaissances par « ouï-dire », pour reprendre l’expression de Spinoza. Puisqu’elle exige d’analyser, de décortiquer, de fouiller, d’investiguer patiemment, longuement, méticuleusement à propos des faits humains à comprendre, à connaître, toutes ces procédures rationnelles aboutissent à mettre en évidence notre ignorance fondamentale. Aussi, la culture savante donne naissance à des savoirs mieux construits, plus éclairés, plus justes et plus précis que le premier niveau de culture commune. Et, dans cette démarche rigoureuse propre à l’esprit philosophique et, aujourd’hui, scientifique, autrefois, elle ambitionnait d’atteindre la vérité. Mais, celle-ci n’ayant aucune réalité en dehors de l’esprit logique humain, elle a toujours été problématique à définir et à instituer.
C’est pourquoi, selon Bernard, la vérité n’est pas inhérente à un système philosophique ni scientifique donné. Si elle existe, alors elle se tient devant chaque chercheur, chaque philosophe, chaque scientifique. Mieux, elle est spécifique à tous les systèmes comme il l’écrit avec raison dans son Introduction à l’étude la médecine expérimentale : « Il faut chercher à briser les entraves des systèmes philosophiques et scientifiques, comme on briserait les chaînes d’un esclavage intellectuel. La vérité, si on peut la trouver, est de tous les systèmes, et, pour la découvrir, l’expérimentateur a besoin de se mouvoir librement de tous les côtés sans se sentir arrêté par les barrières d’un système quelconque. La philosophie et la science ne doivent donc point être systématiques : elles doivent être unies sans vouloir se dominer l’une l’autre. Leur séparation ne pourrait être que nuisible aux progrès des connaissances humaines. La philosophie, tendant sans cesse à s’élever, fait remonter la science vers la cause ou vers la source des choses. Elle lui montre qu’en dehors d’elle il y a des questions qui tourmentent l’humanité, et qu’elle n’a pas encore résolues. Cette union solide de la science et de la philosophie est utile aux deux, elle élève l’une et contient l’autre ». C’est cette idée que reprendra plus tard, Max Planck, en démontrant que la vérité comme réalité ultime, métaphysique, est inaccessible. Cet auteur préfère parler de croyance du scientifique dans le possible accès à ce qui constitue la vérité ou la réalité ultime. Selon lui, « cette ferme croyance au réel absolu dans la nature est ce qui constitue pour lui les prémisses immédiates, évidentes de son travail ; elle fortifie à maintes reprises, son espoir d’approcher enfin d’encore un peu plus près l’essence de la nature objective et ainsi de pouvoir forcer davantage ses secrets.
[… ] Mais en même temps, nous saisissons ici un aperçu des frontières que les sciences exactes sont incapables de franchir. Si profonds que soient jamais leurs résultats, si loin qu’ils aillent, elles ne peuvent jamais réussir à faire le dernier pas qui les ferait entrer au royaume de la métaphysique. Le fait que – quoique – nous sentions inévitablement contraints de postuler l’existence d’un monde réel, au sens absolu – nous ne puissions jamais pleinement comprendre sa nature, constitue l’élément irrationnel dont la science ne peut jamais se défaire […] » (Autobiographie scientifique et derniers écrits (Trad. Par A. George, A. Michel, 1960, p.145).
On peut tout à fait comprendre cette nouvelle posture intellectuelle en philosophie et, notamment, en sciences. La physique quantique, par exemple, balaie l’idée ancienne issue de la logique aristotélicienne, fondée sur la recherche du vrai et du faux. Si la vérité est une construction de l’esprit humain, alors celui-ci peut la déconstruire. D’où la thèse séduisante de Karl Popper selon laquelle la science est définie comme ce qui est susceptible d’être réfutée par de nouveaux protocoles expérimentaux. A ce sujet, il écrit que « les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement (…) Toutefois j’admettrai certainement qu’un système n’est empirique ou scientifique que s’il est susceptible d’être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c’est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d’un système qu’il faut prendre comme critère de démarcation. En d’autres termes, je n’exigerai pas d’un système scientifique qu’il puisse être choisi une fois pour toutes, dans une acception positive mais j’exigerai que sa forme logique soit telle qu’il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience (La logique de la découverte scientifique, 1934).
La vérité n’est donc plus un dogme en philosophie ni en science, contrairement aux religions dites révélées. Avec la physique quantique, nous sommes entrés dans la quatrième dimension de la culture savante. On ne peut plus soutenir que ceci est vrai ou faux. À propos des phénomènes humains, on peut seulement dire : « c’est possible » et non pas « c’est vrai ou c’est faut ».
L’auteur de ces lignes partage tout à fait cette nouvelle conception des phénomènes matériels ou humains. Par les analyses présentes, je tâche de comprendre une part minime de la complexité des réalités humaines. Ainsi, par mes investigations, je m’instruis, d’abord, ensuite, j’ai l’humilité de penser que je partage une communauté de culture avec mes aimables lecteurs. Ainsi, nous partageons le même champ d’intellection des phénomènes humains, c’est-à-dire l’opération par laquelle notre intellect comprend ou conçoit ces phénomènes par des processus abstraits ou logiques au-delà de l’imagination ou des sens. Cette intellection ou mouvement ou champ mental ouvert peut se comprendre comme l’effort par lequel et dans lequel la simplicité des faits rayonne et épouse la forme de la complexité inhérente à ceux-ci. Certes, nous en sommes tous conscients : s’instruire, se cultiver rationnellement exige du temps, beaucoup de temps ; lire dans ce sens aussi. Mais, qu’importe le temps pourvu que je sois plus éclairé sur la nature des phénomènes qui était obscure auparavant.
C’est dans cet esprit d’humilité que je tente de comprendre l’un des phénomènes les plus complexes de l’humanité, en l’occurrence l’Amour, un sentiment que les hommes ont toujours magnifié comme étant l’une des singularités de l’espèce humaine. Pourtant, personne n’est d’accord sur la définition exacte d’un tel sentiment. Dès lors, l’amour existe-t-il réellement ? Et s’il n’existe pas, comment comprendre les désordres psychologiques ou, au contraire, le bien-être qu’il est susceptible de générer chez beaucoup d’êtres humains touchés par ce genre de sentiment ? En somme, l’amour n’est-il que l’effet du verbe séducteur ou bien l’un des mythes que l’Humaine se complait à inventer pour expliquer sa transcendance par rapport aux autres espèces vivantes ?

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Le baiser de Rodin

I- La démystification de l’amour comme un noble sentiment de l’Humanité par la biologie

a) les différentes approches communes de ce sentiment

      D’ordinaire, on a coutume de considérer l’amour comme un sentiment d’attachement qui conduit un être humain à éprouver de l’affection pour un autre quelles que soient la figure des genres sexuels. Un tel attachement peut être éprouvé à l’égard d’un animal, un chat ou un chien, par exemple. La preuve : un grand nombre d’êtres humains préfèrent infiniment ce type d’attachement par rapport à celui qu’on peut témoigner vis-à-vis d’un être humain. En effet, le lien, même s’il a quelque chose de réciproque, va toujours dans le même sens ; de l’être humain à l’animal. En réalité, l’échange n’est pas toujours réciproque, hormis l’interprétation ou la projection à l’égard de l’état de l’animal. Celui-ci, contrairement à l’être humain, n’est presque jamais désagréable : il n’y a aucune cause de conflit verbal avec lui ; on lui commande et il obéit souvent. Il est soumis aux désirs et aux intentions de son maître etc. Mais, peut-on réellement « aimer » son chien, son chat comme on aime, par exemple, sa mère ou son père, son frère ou sa sœur, voire son ami ou son aimant ?
Toutefois, l’enthousiasme qu’on ressent quand on rencontre quelqu’un avec lequel une histoire d’amour peut être inaugurée n’est pas de même de même nature que ce genre d’effectivité que éprouve par rapport à l’animal. En effet, une telle histoire d’amour, en ses débuts, peut se vivre sous le mode de la magie, de l’enchantement au point de croire – ceci est une inclination naturelle chez l’être humain – qu’elle est unique, mystérieuse. Car elle est source de tous les troubles et/ou espoirs possibles. Tous les moments prennent la couleur de l’ensoleillement : on n’hésite pas à chanter pour exprimer sa joie ; on pense à l’être aimé continûment, aux faits physiques, spirituels ou intellectuels qui ont retenu notre attention, comme les beaux yeux de l’aimant, sa bouche, son sourire, ses cheveux ; ou bien encore, son intelligence vive, son niveau élevé de culture (savante entre autres), son beau tempérament, la qualité de ses conversations, son bel esprit etc. Tout devient douce attente de se retrouver, délices de partager des moments qui, par leurs qualités, s’étirent densément et rapidement.
Les autres réalités de la vie quotidiennes comptent peu parce qu’ils deviennent fades. On focalise toute son attention sur l’unique objet de son amour, dans le champ du temps présent. L’absence de l’un ou de l’autre, quand cet amour est réciproque, devient un calvaire : on voudrait le retenir à tout prix parce qu’on est tout entier dans l’esprit ou la pensée de l’autre. Même dans une activité quelconque, comme le travail, ses pensées s’en volent vers lui ou elle au point d’exécuter machinalement ce que l’on est en train de faire. Plus rien d’autre n’a d’importance. Ainsi, on en vient à penser qu’on est fait l’un pour l’autre ; il ne saurait en être autrement puisque les doux moments d’être ensemble le prouvent manifestement. On cherche même à constituer avec l’autre une sorte d’état de fusion. On connaît un état d’exaltation, on déborde d’énergie et, comme le remarque Nietzsche dans un tel état, on jette sur la vie une sorte de bénédiction en raison de la grandeur démesurée de ses sentiments ; toutes choses s’affirment d’elles-mêmes. Ainsi, l’état amoureux apparaît comme un état de transe, d’extase même. L’être aimé est idéalisé comme s’il accédait, tout un coup, au statut du divin : comme il est paré de toutes les qualités et que les points positifs sont sur-valorisés, ses défauts sont, dès lors, gommés. Le sens commun ne dit-t-il pas que « l’amour rend aveugle » et qui a, sans doute, conduit les philosophes à rejeter ce sentiment d’enthousiasme qui peut faire perdre la raison ?
Aimer, c’est, comme on dit couramment, c’est voir la vie en rose, parce que l’imagination en exaltation, émanant de tout l’être, fait voir toutes choses sous l’angle du bonheur. Sous l’impulsion de l’énergie tournée vers l’autre, dans ce rapport singulier à deux, on recrée toute la vitalité de son être. En son absence, on s’installe dans l’attente interminable, on voudrait forcer son portable et autres smartphone à dire quelque chose, on ne le quitte plus des yeux comme si quelque divinité avait greffé celui-ci dans son cerveau. Entre les doigts ou dans sa paume, il démange comme les prurits dans le cuir chevelu. L’absence devient insupportable ; d ‘autant plus tout autre chose n’a plus d’importance à ses yeux. On ne désire plus rien d’autre que l’amour éternel que l’on est entrain de vivre avec ses baisers profonds, ses caresses et ses tendresses. On ose même faire des projets à deux tant l’on est totalement plein de l’instant présent, signe de la négation de tout passé.
Mais qu’aime-t-on ainsi dans l’autre ? C’est une question difficile à laquelle on ne peut donner une réponse satisfaisante en raison de la multiplicité des expériences, de la singularité des natures humaines etc. Toutefois, si l’amour est un mouvement spontané ou calculé vers l’autre, plein d’émotion, d’agitation et d’affectivité, celui-ci est souvent déclenché par quelque chose de particulier. Ce peut être la beauté plastique, la noblesse de l’intelligence, l’admiration, le rêve d’une vie à deux, voire le désir sexuel qui se cache derrière toutes ses manifestations grandioses. Peut-on aimer quelqu’un si on est dénué d’un sentiment d’admiration pour sa personne ? Peut-on être attiré par quelqu’un si on n’a pas un intérêt quelconque pour elle ou pour lui ? Les analyses de Blaise Pascal sur la nature de qu’on appelle le « moi » trouvent un écho dans les enquêtes présentes sur le sentiment d’amour. Selon, il y a toujours un fait dans la personne aimée qui fait qu’on aime cette personne en tant que telle. Ce peut être une qualité physique, intellectuelle ou spirituelle. Ce peut être un fait lié à l’aisance matérielle d’un individu, à une charge qui est susceptible de conduire à un avantage pour soi. Tel est le sens de ses interrogations dans ses Pensées : « Celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté l’aime-t-il ? Non, car la petite vérole qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps ni dans l’âme ? Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le Moi, puisqu’elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne abstraitement et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. » Pascal pose donc qu’on ne peut aimer « la substance de l’âme d’une personne abstraitement ». En d’autres termes, il faut toujours chercher, sous la figure d’un amour quelconque, une raison cachée qui a déclenché ce phénomène. Selon le sens commun, qui confirme, d’ailleurs, la pensée de Pascal, l’amour est fondé sur une attirance physique, comme le désir sexuel ; d’autant plus qu’on reconnaît que l’acte d’amour désigne les relations sexuelles et l’on parle volontiers de « faire l’amour ». Mais, si tel est le cas, n’est-on pas en droit de se demander si la perde de la libido, suite à un accident quelconque, par exemple chez le masculin, ne signifie pas aussi la perte de l’amour en question ? Comme le dit Pascal, peut-on encore aimer quelqu’un si l’objet de cet amour s’éteint ? Peut-on l’aimer « abstraitement » pour la beauté de son âme, de son intelligence, la bonté de son cœur, même si la personne procure encore d’autres sources de satisfaction que sexuelle ? Et si l’amour n’est rien d’autre que la réaction au fait d’obtenir la satisfaction d’une attente, d’une « nourriture » affective, voire la satisfaction sexuelle que l’on cherche dans une relation à deux ?

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b) Des expériences biologiques lèvent le voile sur l’instinct animal à l’oeuvre dans le phénomène de l’amour

     Les sciences biologiques, comme les neurosciences, par exemple, démontrent par des expériences effectuées en laboratoire que les formes d’amour, par lesquelles l’être humain veut se distinguer de l’animal, relèvent d’une même pulsion de la vie, la libido. Certes, chez l’espèce humaine, l’amour peut s’investir dans des formes différentes suivant ses objets spécifiques tel un parent, un amant ou une amante etc. Il connaît des moments de mutation et/ou évolution comme, de son côté, Freud l’a montré (stade buccal, anal, génital). Mais les sciences biologiques ne se donnent même pas la peine de concevoir des singularités de l’amour, tel que l’attachement, le désir sexuel, l’amour proprement dit. Son objet est la connaissance du vivant. Entre autres études sur les comportements sexuels de l’animal, je retiens celle de du Professeur Jean-Didier Vincent, ex-directeur de l’unité de neurobiologie des comportements à l’INSERM. Dans son ouvrage, Biologie des passions (O. Jacob, Paris 1986, p.p. 77 à 80), il montre qu’en fait, selon les expériences sur le cerveau animal en laboratoire, grâce à un substrat chimique, on peut provoquer le désir sexuel. Il suffit d’injecter une substance chimique, la lulibérine, dans une zone de l’hypothalamus du rat pour provoquer tous les comportements sexuels de cet animal « depuis les travaux d’approche jusqu’à la consommation de l’acte ». Mieux, il ajoute que des « dosages ont montré que l’explosion finale du coït s’accompagnait d’une libération massive d’endorphine ». Cette dernière substance est, en fait, sécrétée par l’organisme lui-même en cas de besoin. Une telle expérience prouve, en effet, que les peptides agissent directement sur les cellules nerveuses de l’hypothalamus. Ils sont la cause effective « de la satiété sexuelle ».

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Donc, la biologie achève d’ôter la magie de l’amour en démontrant que celui-ci obéit aux besoins instinctuels de l’animal. Le biologiste apparaît ainsi comme un dieu qui comprend le fonctionnement du vivant et qui peut gouverner, fondamentalement, ses conduites puisqu’il est capable de provoquer, chez un être vivant, même des conduites pathologiques comme l’anorexie. Ainsi, même du haut de sa culture, qui l’élève au-dessus de l’animal, l’être humain ne peut guère échapper, du moins sur le plan sexuel, à son animalité. Il est entièrement soumis au «sexe du cerveau » ; ou presque. En d’autres termes, les sentiments amoureux ne peuvent s’affranchir de leur fonction biologique : outre le plaisir sexuel personnel qu’il tire des relations sexuelles, ces dernières le soumettent au principe atavique de la nécessité de procréer. Elles le leurrent et l’enferment dans sa dimension animale à laquelle il ne peut échapper que s’il prend de la distance par rapport à cette réalité qui le conforme à la nature de tout autre vivant.
Car d’autres études neurobiologiques ont montré que lorsque la lulibérine est sécrétée au niveau de l’hypothalamus, nous nous mettons en quête d’un objet à aimer ou à désirer ; du moins, notre organisme se prépare à l’amour. Ou bien, lorsque nous sommes amoureux, notre hypothalamus sécrète de la lulibérine qui nous prédispose à l’acte sexuel. Ainsi, selon une étude faite par la Revue « Cerveau et Pyscho » (N° -Trimestriel juin-août 2003), la dopamine ou hormone du plaisir est l’acteur clé de nos comportements sexuels. Autant dire que chacun est sous l’empire de son cerveau, quoiqu’il fasse. A cet effet, cette revue pose les questions suivantes : « quelles sont les relations entre l’amour et les fonctions cérébrales ? Existe-t-il des centres cérébraux du plaisir ou des neuromédiateurs du coup de foudre ? » Suite à diverses expériences sur l’animal en laboratoire « on en déduisit que la dopamine est le neuromédiateur du plaisir. De fait, lorsque les animaux consomment un aliment qu’ils apprécient, qu’ils copulent ou qu’ils sont sous l’effet de drogues… la dopamine est libérée en grande quantité dans leur cerveau ».
Certes, selon la thèse de Jean-Didier Vincent, l’homme n’est pas seulement biologique. Même s’il y a de l’animalité en lui, même s’il est soumis aux conditionnements hormonaux, ce qui permet de l’étude de manière mécanique, il est toujours capable de prendre de la distance par rapport à ces conditionnements. A titre d’exemple, il existe bien des êtres humains qui refusent vigoureusement la procréation ou qui refusent même l’acte sexuel comme une manière de mettre à distance leur part d’animalité. Beaucoup de religions comptent parmi leurs adeptes des gens de cette trempe : par l’amour de Dieu, qu’ils mettent au-dessus de tout, au point de se libérer des charmes de la chair. Ils transcendent leur animalité. Ils élèvent, ainsi, leur humanité au rang du divin. Dès lors, même si on est tous conditionné par les gènes, on dispose toujours d’une capacité intrinsèque à être libre ou à se libérer, totalement ou partiellement, de la tutelle que ce que le sens commun appelle un acte naturel, en l’occurrence, la copulation. Certes, même si un sujet humain peut tomber follement amoureux si on injecte une hormone commandant les comportements sexuels, ou une autre de ce genre pour qu’il soit absolument heureux, on doit reconnaître qu’il s’agit d’expériences mécaniques qui laissent intacte sa capacité à se hisser au-dessus de cette réalité biologique qu’il a en partage avec tous les vivants.
C’est pourquoi, ce neurobiologique revient à la philosophie en reconnaissant, après Descartes, que l’Homme est un être de désir. Il est doué de conscience grâce à laquelle il peut réfléchir sur son émotion, sur ce qu’il éprouve lui-même. Il peut refuser d’accéder à la fête, à la joie, à la jouissance ou au plaisir sexuel en vertu de la force d’autres sentiments qui l’animent. Par conséquent, l’étude des comportements mécaniques de l’être humain, en matière sexuelle, n’a pas tout à fait résolu, pour autant, le problème de l’amour. Car l’approche biologique de ce sentiment est plutôt réductrice.
Donc, il doit exister des « lois » d’attraction qui suscitent la séduction. Même si le sens commun admet volontiers que pour être aimé, il faut être jeune, beau, intelligent et en bonne santé, l’art de séduire est propre à tout âge puisqu’il semble qu’il existe dans le fait d’aimer, sous toutes ses formes, quelque chose qui est de l’ordre de l’ineffable. L’Homme est un être de désir ; ce qui lui permet de faire voler en éclats toutes les barrières construites par les sociétés humaines pour nuire à cette inclination de rechercher la compagnie de l’autre, quelle que soit la différence de génération, de culture, de religion, d’épiderme etc.

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II- La puissance du verbe dans l’acte d’aimer

a) La démagogie

      Certes, les neurosciences, en particulier, et les sciences du vivant, en général, ambitionnent de comprendre, entre autres objets, l’être humain en sa totalité ; mieux, peut-être, que la philosophie ne l’a fait. Ce serait à démontrer puisque les théories biologiques recourent à celles de beaucoup de philosophes et actualisent ainsi la pensée de ces pionniers de l’Humanité. Car l’expérience en elle-même n’instruit pas toujours si une lecture théorique et/ou interprétation n’en rend compte. C’est elle qui donne à penser, à comprendre, à conceptualiser en science. Or, concernant l’être humain, pendant plus de quatre mille ans, les philosophes n’ont eu de cesse d’explorer toutes les dimensions de sa nature et des conduites conséquentes de celle-ci. Certes, comme toute science, certaines de leurs théories, de leurs conceptions de la nature humaine comportent parfois des erreurs au regard de l’éclairage des sciences contemporaines, notamment biologiques.
Parmi celles-ci, il semble qu’une zone d’ombre demeure ; du moins, à ma connaissance. Quel est le lien intime entre le verbe et la réaction qu’il provoque dans le sujet humain auquel il s’adresse ? Il y a ce qu’on appelle la synesthésie (du grec syn, avec ou union, et de aesthésis ou sensation). C’est aussi un fait neurobiologique qui explique que deux ou plusieurs sens sont associés. Ce peut être au niveau de l’alphabet, des nombres, du langage, des couleurs etc. Cependant, la synesthésie n’est pas universelle puisque, selon certaines études, elle compte quelques 152 formes différentes. ; ce qui revient à dire qu’elle ne concernerait qu’une personne sur 2000. Or, les conduites induites par la force verbe sont propres à tout un chacun. Personne n’y échappe. Donc, c’est une donnée irréfutable.

Hermes

Hermès
Puisqu’on ignore toujours ce quelque chose qui nous rend sensible à la force du verbe, on peut admettre, par hypothèse, l’existence de d’ondes-messagères qui permettent la liaison instantanée, la communication invisible entre l’un et l’autre. Une telle hypothèse, en soi, n’est si absurde que cela en a l’air. Car nous vivons, nous nous mouvons dans l’Energie du Cosmos composée d’une infinité d’ondes et de particules. Aussi, nommons ces ondes-messagères des ondes hermaïques du nom du dieu grec Hermès, le messager des dieux chargé de toutes les missions entre les dieux de l’Olympe et les Humains. Ainsi, même s’ils ignoraient comment le verbe a une si grande incidence sur l’esprit des Humains, les démagogues, de tous les temps, ne s’en sont pas privés pour abuser de la croyance des gens auxquels ils s’adressaient. La démagogie ou demagôgia (du grec demos, « le peuple », et de agô «conduire ») est l’art de mener le peuple par le bout du nez. A cet effet, tout homme politique cisèle le verbe comme l’art par excellence de flatter les aspirations des auditeurs qui inclinent à la facilité ; voire les passions des masses populaires pour obtenir le pouvoir, ou pour accroître sa popularité.
Les Sophistes ont consacré le plus clair de leur existence à peaufiner la rhétorique dont toute la force de persuasion consiste à se mettre hors du champ de la raison par l’usage de verbes qui manipulent le peuple pour s’attirer ses faveurs. A cet effet, ce discours, même s’il est logiquement bien construit, rigoureux, se moque totalement de quelque forme de la vérité. Il vise essentiellement les pulsions, les frustrations, les craintes des électeurs, de la multitude. Il insiste sur la satisfaction immédiate de celui-ci puisqu’il en appelle à ses passions, à ses attentes, à ses souhaits, voire à ses haines de l’étranger ou de quelque autre humain qu’il ne supporte pas. D’où l’apparence simple, et même simpliste du verbe, sa forme fondée sur la flatterie pour mieux toucher le public visé. Il faut que ce discours soit bien compris et repris par le peuple qu’il confine, ainsi, à la paresse intellectuelle. Le peuple veut des solutions à ses problèmes, il lui en donne par des analyses évidentes en frappant son imagination. On dit au peuple ce qu’il veut entendre et non pas ce qui est conforme à l’intérêt général de tous.
Ainsi, et de façon générale, les individus et les peuples préfèrent être flattés que d’entendre la vérité. L’on préfère l’apparence au réel, le mensonge au vrai. D’où le lien intime entre la puissance du verbe, en bien ou en mal, et nos sentiments, nos émotions, nos attentes et l’inclination de nos désirs dont les ondes hermaïques sont les causes effectives. C’est à ce genre de phénomènes qu’on assiste dans l’art de séduire ou d’aimer.

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Le dieu Hermès

b) La puissance du verbe dans la rencontre dite amoureuse

     Pour illustrer ces analyses, commençons par une référence à l’art de séduire les femmes. Il s’agit du poète Ovide (L’art d’aimer, Préface de Hubert juin, Folio, Paris). Celui-ci s’adresse à ses contemporains et compatriotes romains en leur faisant comprendre que ses vers servent à triompher de tous les obstacles dans l’art d’aimer ou de la séduction : « Si parmi vous, Romains, quelqu’un ignore l’art d’aimer, qu’il lise mes vers ; qu’il s’instruise en les lisant, et qu’il aime. Aidé de la voile et de la rame, l’art fait voguer la nef agile ; l’art guide les chars légers : l’art doit aussi guider l’amour » (Préambule). Tout l’ouvrage donne des recettes aux séducteurs, aux timides, aux pèlerins du plaisir pour venir à bout de la résistance des femmes. Selon lui, une femme est comme un enfant symbolisant l’amour qui est très sensible au beau discours qui l’encense, la magnifie au-delà de toute réalité. Car « l’amour est de nature traitable ; souvent même il me résiste ; mais c’est un enfant ; cet âge est souple et facile à diriger. Chiron élevé le jeune Achille aux sons de la lyre, et, par cet art, paisible, dompta son naturel sauvage ». A l’instar de Chiron, Ovide entend dompter l’Amour par la puissance et même la douceur du verbe. Les mots doivent enflammer les cœurs tendres ou durs comme une torche, secouer l’être entier d’une femme au point de la faire chavirer de plaisir ou de bonheur, ou qui, quelle que soit la force de sa résistance, doivent l’asservirent au désir de l’aimant.
Pour arriver à ses fins, il recommande au séducteur d’avoir confiance en soi-même : « Sois d’abord bien persuadé qu’il n’est point de femmes qu’on ne puisse vaincre, et tu seras vainqueur ; tends seulement tes filets… Celle que tu croiras peut-être ne pas vouloir se rendre le voudra secrètement ». Le poète romain donne l’impression de bien connaître la nature de la femme comme s’il a passé beaucoup de temps à étudier ses fantaisies, ses comportements amoureux. Il analyse divers aspects des modalités d’amour entre hommes et femmes, comme il l’écrit : « L’amour furtif n’a pas moins d’attraits pour les femmes que pour nous. L’homme sait mal déguiser, et la femme dissimule mieux ses désirs. Si les hommes s’entendaient pour ne plus faire les premières avances, bientôt nous verrons à nos pieds les femmes vaincues et suppliantes. Dans les molles prairies, la génisse mugit d’amour pour le taureau ; la cavale hennit à l’approche de l’étalon. Chez nous, l’amour a plus de retenue, et la passion est moins furieuse. Le feu qui nous brûle ne s’écarte jamais des lois de la nature ». C’est pourquoi, dans ces affaires d’amour, l’audace seule paie. Puisqu’il ne sert à rien d’être sincère, d’être soi-même ou d’être un honnête homme, Ovide conseille à ses lecteurs ne pas hésiter à faire des promesses inconsidérées à l’objet des conquêtes amoureuses ; même s’ils savent pertinemment qu’ils ne les tiendraient pas. C’est ainsi, d’ailleurs, que les politiques agissent toujours à l’égard de leurs électeurs qu’ils se plaisent à berner par de beaux discours creux, dénués de sincèrité et flatteurs.
Comme les femmes désirent entendre un certain discours qui trouve en elles des échos adéquats ou enchanteurs, il faut aller dans le sens de leurs attentes. S’il faut mentir, s’il faut être hypocrite pour arriver à ses fins, alors pourquoi se priver de toutes les figures de simulation ? Il faut aller dans le sens de leurs de leur désir, de leurs attentes. Parfois, ils donnent l’impression de trouver normal le fait que les femmes soient trompées dans les rapports autour du désir sexuel, puisqu’elles sont elles-mêmes les causes de cet état des choses ; du moins, c’est ce qu’il écrit dans ces vers : « Ne sois pas timide dans tes promesses, ce sont les promesses qui entraînent les femmes. Prends tous les dieux à témoin de ta sincérité. Jupiter du haut des cieux, rit des parjures d’un amant, et les livre, comme un jouet, aux vents d’Eole pour les emporter. Que de fois, il jura faussement par le Styx d’être fidèle à Junon ! Son exemple nous rassure et nous encourage… Trompez les trompeuses. Les femmes, pour la plupart, sont une race perfide ; qu’elles tombent dans les pièges qu’elles-mêmes ont dressés ».
Dans certaines situations de séduction, lorsqu’une femme se montre par trop résistance, et quand le verbe seul n’a pas suffi pour la faire céder, Ovide conseille à ses lecteurs de feindre de verve des larmes de douleur. Celles-ci sont fort utiles dans la chasse ou l’amour. Car une maîtresse peut se laisser attendrir en voyant des larmes perler sur les joues de l’amant. Faute de larmes, il sied, dans ce cas, de mouiller les yeux avec la main de manière furtive. Ce sera le même effet d’attendrissement. Parfois, devant un échec prévisible, Ovide recommande de recourir à la ruse de la force puisqu’il s’agit d’un jeu hypocrite : « Quel amant expérimenté ignore combien les baisers donnent de poids aux douces paroles ? Ta belle s’y refuse ; prends-les malgré ses refus. Elle commencera peut-être par résister : « Méchant ! » dira-t-elle, mais tout en résistant, elle désire succomber… Toute femme, prise de force dans l’emportement de la passion, se réjouit de ce larcin : nul présent n’est plus doux au cœur… Phoebé fut violée ; Itaire, sa sœur, le fut aussi ; cependant l’une et l’autre n’en aimèrent pas moins leurs ravisseurs (…). Bien des femmes désirent ce qui leur échappe, et détestent ce qu’on leur donne avec insistance… Il ne faut pas manifester l’espoir d’un prochain triomphe ; que l’Amour s’introduise auprès d’elle sous le voile de l’amitié. J’ai vu plus d’une beauté être dupe de ce manège et son ami devenir son amant ». Car les désirs des femmes, même sexuels, sont souvent versatiles, fugaces. Si elle désire quelque à un moment précis, l’instant d’après elle peut ne plus être la même personne et renoncer cette aventure qu’elle-même avait initiée par des comportements suggestifs. Il faut donc la prendre quand il est encore temps, lui donner ce qu’elle désirait sans autre forme de procès. Autrement, on perd ainsi beaucoup d’occasions de satisfaire leurs désirs.
Cette puissance du verbe, qui rend compte de certaines amours, ce qui montre manifestement que l’être humain, même s’il essentiellement conditionné aussi par l’empire de sa nature biochimique, de ses hormones et autres phéromones sexuelles, est bien rendu dans les « Chansons Belle Hélène de Jacques Offenbach (Acte II : Duo : « C’est le Ciel qui m’envoie »). L’amour qui rayonne sur la rencontre de Pâris et d’Hélène le couvre d’une sorte de gloire en les ravissant au monde humain. Ils sont si élevés que, par la force et la douceur de leurs sentiments, ils croient partager une part de l’Olympe, séjour des dieux bienheureux. Ils sont tellement exaltés que la beauté de leurs sentiments réciproques les incline à exprimer de manière sublime leur état amoureux, comme on peut le lire dans ce passage de Jacques Offenbach :
« [ Hélène]
C’est le ciel qui m’envoie
Ce beau rêve amoureux…
Quel bonheur ! Quelle joie !
Un rayon de soleil a charmé mon sommeil.

[Hélène & Pâris]
Oui, c’est un rêve, un doux rêve d’amour !
La nuit lui prête son mystère,
Il doit finir avec le jour.
Goûtons sa douceur passagère…
Ce n’est qu’un rêve, un doux rêve d’amour ! »

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Hélène et Pâris

C) Amour et rêve romantique

     Même si, dans les amours humaines, la copulation paraît un ingrédient nécessaire, il n’en demeure pas moins que des individus sont capables de se laisser séduire uniquement par la puissance du verbe. Ils trouvent en celui-ci la seule figure d’amour humain qui puisse se concevoir. Dans ce cas, qu’importe, à vrai l’acte sexuel comme tel. Est beau seulement la magie des mots qui fait miroiter la magie de l’amour sous une forme éthérée. Alors, on peut se poser, à nouveau, la question : qu’est-ce que l’amour ? Est-il uniquement réductible à la banale consommation du sexe comme le conçoivent certaines populations arabes ? En effet, d’après Martine Gozlan (Le sexe d’Allah, Grasset, Paris 2004), la chose ne fait pas de doute. Au sujet de la sexualité, elle montre que les gens manquent de pudeur parfois dans le langage quand ils en parlent au quotidien. Ainsi, à propos du mariage, elle écrit : « L’Islam parle de sexe dans les termes les plus crus. Le mariage n’est ni plus ni moins qu’« un contrat » par lequel on acquiert le vagin de la femme pour en jouir » (p. 55). Il n’est pas certain que la femme consente vraiment, mais avec raison, à n’être qu’un objet de pur jouissance pour son mari si ne vient s’y ajouter quelque sentiment de respect, d’amour quelle que soit sa figure. Il s’agit là des fantasmes du masculin de tous les temps qui voudrait réduire la femme à une fonction uniquement sexuelle.
Dans tous les cas, la littérature est riche d’exemples qui prouvent que les êtres humains ont des comportements extrêmement complexes par rapport au sexe. Sur le plan de la culture, ils semblent se rebeller contre une telle perception. Si le sexe conditionne ou définit chaque être humain, il est aussi tout autre chose qu’un simple sexe. Et si la femme désire être séduite au lieu d’être prise uniquement pour un sexe, il y va de l’idée qu’elle se fait de sa personne, n’en déplaise à Ovide qui, par moment, regarde ce jeu des êtres humains autour des rapports sexuels comme une espèce d’hypocrisie. Tout le monde ou presque se désire sexuellement et, pourtant, il faut passer par la magie du verbe enchanteur pour obtenir gain de cause ; ou pour accéder à ce point de jonction du plaisir caractéristique de tout vivant.
Dans la littérature fort riche concernant les modalités d’amour, je retiendrai le cas d’Emma Bovary de Gustave Flaubert (Madame Bovary, Classiques Français, Paris 1993). Au-delà du plaisir du sexe, Emma Bovary recherche l’amour romantique qui serait synonyme de bonheur. Le monde romanesque de ses lectures lui a tellement façonné l’esprit qu’elle en est fortement marquée. C’est ce qui l’amène à vivre pleinement sur le mode de la nature du désir, à savoir la nostalgie d’une étoile quasi inatteignable. Elle a recours à la séduction et à l’érotisme pour se faire désirer des hommes. Elle cherche l’amour vrai, grand, beau à travers ses aventures érotiques avec les hommes. Mais elle échoue chaque fois en raison de la banalité de l’acte sexuel par rapport à la beauté éthérée du verbe poétique et romantique : elle voudrait entendre un tel discours enchanteur de la bouche d’un homme qui entreprendrait de la séduire. Car lui seul est capable de l’enchanter, de la faire chavirer de bonheur, même si c’est souvent sous l’angle de l’imagination. Elle ne peut se contenter de la vie banale avec son mari qu’elle consent à tromper dans sa quête d’un amour romantique, d’une vie dionysiaque selon l’idée que s’en fait Nietzsche, à savoir une vie savoureuse, extatique, délicieuse et orgiaque. Elle se délecte à l’idée d’avoir un amant qui la conduise hors du réel trivial, banal, décevant et plat.
Puisqu’elle est tout entière dans l’attente d’un amour qui passe par l’expression de la beauté du verbe enchanteur, romantique et poétique, doux et plein d’émerveillement, Emma Bovary ne manque de tomber sous le charme de son voisin Rodolphe Boulanger. Celui-ci a vite compris le sens de ses attentes. Et il a investi toute son ingéniosité dans l’art d’écrire des lettres enflammées pour la séduire. Ses lettres s’accordaient tout à fait à ce qu’elle attendait de la vie ; même s’il n’y avait en celles-ci aucune once de sincérité. Rodolphe Boulanger connaît les canons raffinés de la séduction et de la galanterie. C’est ce qu’illustrent les passages suivants de cette œuvre :
« Il se rencontre un jour, répéta Rodolphe, un jour,
tout à coup, et quand on en désespérait. Alors des
horizons s’entrouvrent, c’est comme une voix qui crie :
« Le voilà! » Vous sentez le besoin de faire à cette
personne la confidence de votre vie, de lui donner tout,
de lui sacrifier tout ! On ne s’explique pas, on se devine.
On s’est entrevu dans ses rêves. (Et il la regardait.)
Enfin, il est là, ce trésor que l’on a tant cherché, là,
devant vous ; il brille, il étincelle. Cependant on en
doute encore, on n’ose y croire ; on en reste ébloui ;
comme si l’on sortait des ténèbres à la lumière.
Et, en achevant ces mots, Rodolphe ajouta la pantomime à sa phrase. Il se passa la main sur le visage, tel
qu’un homme pris d’étourdissement ; puis il la laissa
retomber sur celle d’Emma. Elle retira la sienne…(p.155).
« Oui, je pense à vous continuellement!… Votre
souvenir me désespère! Ah! Pardon !… Je vous quitte…
Adieu !… J’irai loin…, si loin, que vous n’entendrez plus
parler de moi !… Et cependant…, aujourd’hui…, je ne
sais quelle force encore m’a poussé vers vous ! Car on ne
lutte pas contre le ciel, on ne résiste point au sourire des
anges ! on se laisse entraîner par ce qui est beau,
charmant, adorable !
C’était la première fois qu’Emma s’entendait dire ces
choses ; et son orgueil, comme quelqu’un qui se délasse
dans une étuve, s’étirait mollement et tout entier à la
chaleur de ce langage.
« Mais, si je ne suis pas venu, continua-t-il, si je n’ai
pu vous voir, ah ! du moins j’ai bien contemplé ce qui
vous entoure. La nuit, toutes les nuits, je me relevais,
j’arrivais jusqu’ici, je regardais votre maison, le toit qui
brillait sous la lune, les arbres du jardin qui se balançaient à votre fenêtre, et une petite lampe, une lueur,
qui brillait à travers les carreaux, dans l’ombre. Ah !
vous ne saviez guère qu’il y avait là, si près et si loin, un
pauvre misérable… » (p.167)
Emma était conquise. Enfin, elle venait de trouver l’amour tant attendu, tant espéré. Aussi, elle ne cessait de se répété : « J’ai un amant ! un amant ! » se
délectant à cette idée comme à celle d’une autre
puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur
dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque
chose de merveilleux où tout serait passion, extase,
délire ; une immensité bleuâtre l’entourait, les sommets du sentiment étincelaient sous sa pensée, et l’existence ordinaire n’apparaissait qu’au loin, tout en bas,
dans l’ombre, entre les intervalles de ces hauteurs.
Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle
avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se
mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs
qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une
partie véritable de sa jeunesse, en se considérant dans
ce type d’amoureuse qu’elle avait tant envié. D’ailleurs,
Emma éprouvait une satisfaction de vengeance.
N’avait-elle pas assez souffert ! Mais elle triomphait
maintenant, et l’amour, si longtemps contenu, jaillissait tout entier avec des bouillonnements joyeux. Elle
le savourait sans remords, sans inquiétude, sans
trouble » (p.173).
Hélas ! C’était un leurre, le triomphe du verbe amoureux trompeur. Emma Bovary vacilla et céda. La preuve ; après l’avoir conquise, son soi-disant amant n’eut guère le courage de poursuivre l’aventure avec elle. Il l’abandonna lâchement. Cette déception conduisit Emma Bovary à sa perte. Car elle s’endetta pour entretenir ses ultimes liens d’amour avec Léon, un jeune homme rencontré à Rouen.
La puissance du verbe dans l’amour humain est bien manifeste en cette oeuvre de Flaubert : l’amour romantique apparaît ainsi comme une expérience différente de l’amour réel ou ordinaire. L’amour, c’est le bonheur ou le bien-être que l’aimé procure à son amante. Dans cette forme de relation, qui semble défier le conditionnement hormonal, l’important est le désir d’être aimé de l’autre pour ce qu’il est ; ce qui n’est pas forcément une affaire de sexe : je me complais dans son penchant pour ma personne ; aussi dans toutes ses attentions à mon égard : les beaux mots qu’il dit, les réactions fortes pour soi, les moindres signes de tendresse, le sentiment d’être toujours désirée, aimée. Le regard admiratif sur soi constitue l’essentiel de ce genre de relation amoureuse, qui dépasse infiniment le stade animal du conditionnement neurologique ou biochimique.
Un autre exemple qui montre comment le verbe agit par les ondes hermaïques sur le sentiment d’amour se trouve dans le film du réalisateur Michael Radford, « Il Postino/Le facteur », avec Philippe Noiret, Massimo Troisi et Maria Grazia Cucinotta. L’auteur analyse rapidement la fascination d’une jeune fille pour le poète de l’amour, Pablo Neruda, lors de son exil en Italie. Lorsque la mère de celle-ci lui demande les raisons de son amour pour le poète, elle lui répond : les mots qu’il dit « me font quelque chose » ; sans doute parce qu’ils contiennent quelque chose d’inexplicable. Elle est possédée par son verbe, malgré la différence de génération.

III- L’amour, un mélange de biochimie et d’enchantement verbal ?

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     Un grand nombre d’hommes de lettres du XVIII e siècle avait compris qu’il n’est pas aisé de séparer l’empire de la nature des conduites culturelles que les êtres humains ont inventées pour mettre à distance les impératifs de leur nature biochimique. Telle est, entre autres, le sens de la thèse du Marquis de Sade. Mise à part l’hypocrisie de la culture qui a corrompue la nature humaine, tous les vivants ne peuvent aucunement échapper aux lois de la nature. On ne peut empêcher les animaux de s’accoupler dès que les humeurs de leur corps exigent de se rencontrer à cet effet. Il en va de même chez les Humains, comme il l’écrit dans La Philosophie dans le boudoir, (P.68, Gallimard Pléiade) : « Deux bêtes, deux chiens, deux loups, deux renards, rôdent par les bois et se rencontrent. L’un est mâle, l’autre femelle. Ils s’accouplent par un instinct bestial qui les force à continuer la race. […] Toutes les bêtes en font autant, sans savoir pourquoi ! Nous aussi ». Il en vient, au regard de ces données biologiques, à magnifier les femmes qui font preuve d’un fort tempérament en vivant pleinement les attraits de leurs corps. Elles n’ont guère besoin des minauderies de quelques galants qui croient au discours courtois pour séduire une femme. Elles sont passionnées car rien n’autorise d’interdire l’expression la plus forte des passions. Il n’y a pas d’excès en celles-ci. Tout est naturel et légitime, selon lui : « notre constitution, nos organes, le cours des liqueurs, l’énergie des esprits animaux, voilà les causes physiques qui font, dans la même heure, ou des Titus ou des Néron, des Messaline ou des Chantal ; il ne faut pas non plus s’enorgueillir de la vertu que se repentir du vice, pas plus accuser la nature de nous avoir fait naître bon que de nous avoir créé scélérat», déclare Dolmancé, l’« instituteur immoral».
Dès lors, l’art de séduire une femme n’est rien d’autre que ce que ces libertins appellent « la décence » ou « la bienséance ». C’est une manière de cacher les besoins de la nature sous des formes culturelles hypocrites et qu’on appelle les règles de la galanterie. Mais, au fond, le résultat est le même : amener une femme à l’accomplissement des lois de la nature, comme le reconnaît Pierre Carlet de Chamblant de Marivaux (In Journaux, Garnier, 1969, P.337 ) : «Allez dire à une femme que vous trouvez aimable et pour qui vous sentez de l’amour : « Madame je vous désire beaucoup, vous me feriez grand plaisir de m’accorder vos faveurs ».Vous l’insulterez, écrit Marivaux : elle vous appellera brutal. Mais dites-lui tendrement : « Je vous aime, madame, vous avez mille charmes à mes yeux ». Elle vous écoute, vous la réjouissez, vous tenez le discours d’un homme galant. – C’est pourtant lui dire la même chose ; c’est précisément lui faire le même compliment : il n’y a que le tour de changé ; et elle le sait bien, qui pis est ». Dès lors, ils ne croient pas du tout à l’amour-passion qui est le fait de novices en amour ou de benêts. Ceux-ci rêvent ou croient encore que de tels sentiments forts existent effectivement, alors qu’il n’en est rien. En ce sens, l’amour est un sentiment qu’on feint d’éprouver par décence pour celle qui, dans l’espace du moment présent, nous attire.

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      Finalement, faute de pouvoir démontrer ce qu’est réellement l’amour, au-delà de la biologie et des convenances sociales et culturelles, on peut voir comment les philosophes grecs dont notamment Platon ont distingué cinq genres de sentiments différents. Dans son Banquet, Platon montre que Eros, dieu de l’amour, possède une dimension physique et vulgaire sous la figure d’Aphrodite. C’est le culte populaire sous l’angle de l’amour le plus vil, l’amour du corps qui vise essentiellement à la satisfaction de la sexualité. Mais il a aussi un versant céleste qu’on s’est accoutumé à nommer l’amour « platonique ». Il s’agit d’amour chaste, qui se situe en dehors de toute sensualité sans pour autant exclure totalement la sexualité. Dans le lien adulte/adolescent, il a pour finalité d’élever l’intelligence de l’aimé par le progrès de l’esprit, par l’acquisition de la culture savante. Ce n’est nullement l’appropriation du corps de l’autre, ni de son sexe. Celui-ci est une affaire secondaire, qui se partage comme une grâce de la noblesse de ce sentiment qu’est l’amour ainsi conçu. Plus exactement, il s’agit d’un itinéraire de progrès mutuel dans le champ des savoirs. C’est pourquoi, il symbolise la perfection du lien ou de l’appariement de l’homme et de la femme.

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      Comme tel, il n’est pas exagéré de dire qu’un tel amour est considéré aussi comme le plus poétique et le plus puissant des figures d’amours, qui s’oppose, ainsi, à l’amour « vulgaire » dont la finalité concerne le destin de l’Humanité sur terre : il est destiné à la reproduction de l’espèce humaine. C’est en ce sens que certains que certains de ces pionniers de l’Humanité qu’on appelle philosophes, tel que Plotin ou encore le stoïcien Marc-Aurèle témoignaient du mépris par rapport à la sexualité. Ainsi, l’Empereur Marc-Marc, qui était pourtant marié décrit ainsi l’acte sexuel : « ce qui se passe dans l’accouplement, c’est friction de nerf et, accompagné d’un certain spasme, excrétion de glaire (Pensées, « Les Belles Lettres, Paris 1947, trad. Par A.I. Trannoy, p. 67)
Outre Eros, les philosophes grecs parlent aussi de « Philia » ou l’amitié, de « storge » ou l’affection, d’« agapè », qui signifie tout à la fois amour, tendresse, dévouement, voire fondamentalement l’amour du prochain ; enfin la « philanthrôpia » qui est l’amour de l’Humanité en tant que totalité, genre de vivants doués de raison. Ces diverses figures de l’amour humain correspondent à un engagement spécifique dans la vie de l’être humain. Ainsi, l’agapè suscite la charité, comme la philia peut conduire au sacrifice de soi. Cette typologie a l’avantage de bien spécifier la nature singulière de ce noble sentiment inscrit au cœur de l’Humain qu’est l’amour. Elle montre, contrairement aux contemporains, par sa clarté, qu’on ne peut bien distinguer l’affectivité, l’attachement par rapport à un animal de l’amour qui suppose souvent une réciprocité effective ou muette.
C’est en ce sens que le mathématicien contemporain Ludwig Josef Wittgenstein (In Tractatus logico-philosophicus (1921), trad. P. Klossowski, Gallimard, coll. «Tel») a raison de reconnaître que la philosophie a toujours eu le souci de rechercher la clarté dans le langage. Celui-ci manque souvent de précision en raison de l’usage commun des mots. La philosophie, par son exigence de conceptualisation, spécifie et clarifie le sens des mots et, du même coup, étend la lumière de l’intelligence humaine. Selon lui, « Le but de la philosophie est la clarification logique de la pensée. La philosophie n’est pas une doctrine mais une activité… La philosophie a pour but de rendre claires et de délimiter rigoureusement les pensées qui autrement, pour ainsi dire, sont troubles et floues ».

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4 réflexions sur “De l’Amour comme enchantement du Verbe et de ses illusions

  1. pierrebamony dit :

    Bonjour Pr. Je me suis mise à table à nouveau pour traiter le sujet. Oui, « il suffit dune injection……. », car l’amour est une sorte de sentiment abstrait qui peut s’imposer à nous et nous façonner ou nous troubler tel un volcan et de façon folle et démesurée. Tout comme en chimie, il suffit que certaines conditions soient réunies. Oui, car il semble qu’en amour, même l’eau peut rallumer le feu des sentiments éteins. Rires. Non, il ne « suffit pas dune injection….. », pour ce qui fait la différence entre l’homme et l’animal ou entre la capacité ou les facultés de gestion des sentiments amoureux par l’humain (la raison, la conscience, bon sens, le discernement, etc.), par rapport à l’incapacité d’influencer des résultats d’une manipulation chimique. Vous corrigerez et les 2 copies de dissertation quand vous viendrez. Je dormais. L’injection fera certainement plus d’effet après pour une belle synthèse et une conclusion plus cohérente.
    Merci Pr

    Julienne Gué-Traoré : guejulienne@yahoo.fr

  2. pierrebamony dit :

    Certes, (cette expérience biologique sur l’animal) n’est pas une nouveauté car c’est connu. (Docteur en Pharmacie et chercheure dans ce domaine pendant très longtemps). Il n’empêche que dans une relation amoureuse il n’y a pas d’injection de quelque substance chimique que ce soit mais c’est l’émotion, l’attirance, les odeurs, etc. qui ont cette propriété de déclencher in vivo les hormones et on connaît la suite.

    Danielle THOUVENOT : danielle.thouvenot@gmail.com

  3. pierrebamony dit :

    Que nos amours aient un support physicochimique, ce qui est une donnée incontournable de la biologie, ne nous impose en rien de les réduire à cela… D’ailleurs nous vivons ces expériences de bien des manières différentes selon notre histoire, notre culture, nos expériences. Il paraît évident que des mécanismes physicochimiques n’expliquent pas un poème d’amour d’Eluard ou d’Aragon… De même, le fait que la haine ait un support physicochimique ne nous empêche pas de condamner le terroriste qui tue des enfants….

    Michèle PICHON : michele-pichon@wanadoo.fr

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