Etude des formes de la pratique médicinale traditionnelle chez les Lyéla du Burkina Faso

Résumé 

   Les médecins traditionnels lyéla distinguent généralement deux genres de pathologies : les maladies dites naturelles et celles causées par l’action mortifère des membres sorciers des familles. Comme ces maladies ne sont pas de même nature, ils sérient les approches. Les dernières étant d’un genre particulier, elles nécessitent des cérémonies rituelles variées, exigeant même des sacrifices divers et, donc, des soins spécifiques. C’est ce sens que tout soignant est à la fois médecin, devin et prêtre quel que soit le niveau de ses connaissances qui l’autorisent à pratiquer ce type de métier

   Dès lors, les praticiens dits traditionnels doivent tenir compte des phénomènes complexes d’interactions dans les diagnostics et les traitements des pathologies. Traiter celles-ci consiste non seulement à soigner une maladie singulière et localisée dans le corps-peau, mais également à restaurer un état de perturbation vitale chez un malade.


Carte géographique de Lyolo
Les Lyéla constituent l’une des populations dites autochtones[1] du Burkina Faso, un petit pays enclavé dans la zone sahélienne de l’Afrique de l’Ouest. Avant sa rencontre avec le monde occidental (et malgré celle-ci), ce peuple avait, très tôt, développé la connaissance des plantes médicinales pour faire face aux diverses pathologies que ses membres contractent d’ordinaire. Des études récentes[2] ont montré que ce genre de savoir est plutôt répandu parmi les populations africaines, en général, et particulièrement celles du Burkina Faso[3].
    Mes études anthropologiques portant sur les Lyéla durent depuis plus de deux décennies. Et j’ai choisi, dans le cadre de cette présente enquête sur le terrain, d’analyser quelques modes traditionnels du traitement des maladies. A cet effet, j’ai parcouru la région des Lyéla pour étudier la pratique des soignants, plus généralement connus dans la littérature anthropologique sous le nom composé d’« hommes-médecines »[4]. Ce sont, la plupart du temps, des hommes, mais aussi des femmes. Ils sont présents non seulement dans les campagnes (villages) mais également (et de plus en plus) dans les villes comme Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya, Koudougou, Banfora etc. Certains praticiens de la médecine traditionnelle exercent à plein temps ; d’autres cumulent ce métier avec des professions salariées. Parmi eux, on trouve des infirmiers diplômés d’Etat, des enseignants, des comptables etc. L’âge moyen de ces soignants ou « tradipraticiens » varie entre trente et soixante-dix ans.
    La connaissance et la pratique de la médecine traditionnelle sont acquises de façons diverses : certains soignants m’ont affirmé avoir hérité cette science médicale de leurs ascendants, ou, du moins, ce fait s’est opéré sous forme de don naturel ; d’autres, par expérience, suite à de nombreuses années d’études auprès d’un « maître » ; d’autres encore par révélation. Dans le groupe que j’ai contacté, j’ai remarqué que l’ancienneté dans la pratique du métier de soignant varie de cinq à cinquante ans ; et pour la majeure partie d’entre eux, de dix à vingt ans.
    Sans préjuger de la qualité de l’approche des soignants auprès desquels j’ai conduit cette enquête, je pars de l’hypothèse qu’elle a de la valeur et de l’efficacité pour ceux qui la pratiquent en raison des résultats probants obtenus à partir non seulement du diagnostic, mais même des modes de traitement des maladies. Tel est l’objectif dans cette étude : montrer comment une population, les Lyéla du Burkina Faso, traite les maladies dites naturelles et celles qui sont causées par un agent humain, suivant des examens qui font intervenir l’influence des forces suprasensibles et des liens socio- anthropologiques, comme je me propose de le montrer dans l’économie de cette enquête.
 I – Recherche étiologique de la maladie et médecine naturelle : limite de la démarche empirique

     Chez les Lyéla, le thérapeute traditionnel a généralement recours à la divination pour tenter de trouver l’étiologie d’une maladie. Comme la sorcellerie est omniprésente, on rend responsable quelque membre de la famille et, quelquefois, un ami ; que cette responsabilité[5] soit réelle ou supposée, cette relation est indispensable pour appréhender l’essence- naturelle ou suprasensible- d’un phénomène pathologique et le traiter à la fois psychologiquement et médicalement. Une fois levée cette première obscurité, il tente de saisir la nature même du mal.

   Quand il s’agit d’un cas d’empoisonnement manifeste, il essayera d’endiguer l’effet par plusieurs médecines successives[6]. Or, comme le reconnaît Docteur Djierro Kadjidja, le mode courant d’utilisation médicale est la poudre obtenue à partir d’une transformation de diverses plantes et qui peut avoir des vertus diverses. La poudre est même « la forme la plus utilisée » en médecine traditionnelle selon ce médecin. En effet, « elle est généralement mélangée à la bouillie, au miel, au lait ou à l’eau pour la voie orale ou au contraire au beurre de karité pour l’application locale en dermatologie. La décoction est surtout utilisée pour les stades avancés.

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   Les plantes sont toujours utilisées en association entre elles et l’association dépend du stade de la maladie. Les remèdes utilisés  varient de un à trois en fonction des tradithérapeutes. En général, si après un certain nombre de jours de traitement l’état de santé du malade ne s’améliore pas, le tradithérapeute change de remède » [2002 : 48].

    Cependant, en dehors de ce cas particulier, il n’est pas rare de constater le tâtonnement des soignants. J’ai même remarqué que certains praticiens entreprennent un traitement quelque peu à l’aveuglette. En effet, si le patient explique au praticien qu’il a mal au ventre, par exemple, l’ignorance de ce dernier de l’anatomie humaine entraîne une médication incertaine. Pour l’homme du sens commun, un mal de ventre peut tout aussi bien désigner des troubles intestinaux, des algies à l’estomac que des douleurs de la rate, une inflammation de la hernie, des canaux urinaires, de la vessie etc. Dès lors, le soignant est obligé d’opérer sans connaissance exacte. Malgré, ces limites un soignant peut établir son diagnostic et, en conséquence, traiter un patient en fonction de la nature de ses douleurs, de la manière dont celui-ci les exprime.

    Les Lyéla considèrent les maladies dites naturelles comme des dysfonctionnements normaux de l’organisme. Elles ne se manifestent pas toujours dans le corps afin de le détruire. Elles sont de l’ordre des choses nécessaires. Mieux, hormis des cas majeurs qui peuvent dépasser la compétence des soignants-devins, les maladies naturelles sont assez facilement repérables, voire curables. Un bon praticien peut viser juste en appliquant au mal l’essence de la (ou des) plante(s) qui convient, à l’inverse de celui qui est moins capable, lequel tâtonnera avant de parvenir à sa fin : soigner. Il n’en demeure pas moins que, dans le traitement des maladies naturelles, la compétence des thérapeutes traditionnels est mise à rude épreuve. En effet, tous n’ont pas une égale connaissance de l’efficience des plantes médicinales.

    Quoiqu’il en soit, les maladies naturelles ne sont pas, finalement, à craindre. Dans un contexte culturel voisin de celui des Lyéla, les Winyé, étudiés par Jean-Pierre Jacob, considèrent les maladies comme  » envoyées par Dieu  » en ce que leur cause n’est pas assignable à un agent humain ou, généralement, à un quelconque être vivant comme le souligne à juste titre l’auteur de cette thèse : «  Ce sont les maladies qui n’ont pas d’origine ou celles qui se produisent par hasard, qui ne font pas sens dans l’ordre social ou individuel, à l’inverse des [vogé] qui sont à la base de la constitution de la personne ou de la reproduction de l’ordre social ou religieux » [1988 : 40].

    Dès lors qu’un soignant est souvent aussi un devin, il suit une démarche appropriée, comme l’usage des objets de divination l’exige, pour s’assurer qu’il s’agit d’une potentielle maladie naturelle ou surnaturelle[7]. Ce procédé est d’autant plus nécessaire que la perception, la causalité, voire la dénomination de la maladie, chez les peuples subsahariens, comme l’a fort bien remarqué Michèle Dacher, fait appel à un ensemble complexe de phénomènes psychologiques. Se fondant, en effet, sur les catégories proposées en 1981 par deux auteurs, N. Sindzin et A. Zempléni, elle reprend à leur suite l’analyse suivante : « si l’on rassemble tous les cas de figure, le diagnostic de la maladie comporte au plus quatre opérations : la reconnaissance de l’état de maladie et son éventuelle nomination : de quelle maladie s’agit-il ? La perception ou seulement la représentation de sa cause instrumentale : comment est-elle survenue ? L’identification de l’agent qui en est responsable : qui ou quoi l’a produite ? La reconstitution de son origine : pourquoi est-elle survenue en ce moment et chez cet individu ? Dans notre terminologie, la cause est donc le moyen ou le mécanisme-empirique ou non- de l’engendrement de la maladie. L’agent est ce qui détient la force efficace qui la produit. L’origine est la conjoncture ou l’événement dont la constatation ou la reconstitution rendent intelligible l’irruption de la maladie dans la vie des individus » [1992 : 121]. En réalité, une telle interrogation complexe n’a pas lieu d’être, du moins, si le malade n’a pas toujours le loisir d’opérer cette analyse, on peut toutefois admettre que ce dernier prend position par rapport à « l’identification de l’agent qui est responsable : qui ou quoi l’a produite ? » dans le cas d’une maladie non naturelle. Si le malade ne sait lui-même que confusément les raisons de son mal, la mission du devin-soignant qu’il va consulter consiste à l’aider dans cette quête.

    En dernier ressort, au cours de mes observations sur le terrain, j’ai quelquefois constaté une incertitude au niveau des dosages des médicaments prescrits. En effet, tous les pouvoirs des guérisseurs, quelles que soient leur étendue, la différence de leur nature et de leur « étrangeté », proviennent des plantes, comme je l’ai montré ci-dessus. Il en est de même de tous les médicaments quels que soient leur couleur, les cérémonies et les mystères qui les entourent. Ce sont des extraits de plantes, d’arbres, de racines, de feuilles[8]. Cette méconnaissance du dosage des médicaments pose un réel problème. Car il advient, de temps à autre, qu’au lieu de provoquer l’effet escompté, par exemple, la guérison ou, tout au moins, l’atténuation du mal, le médicament censé soigner rend malade ou tue. Ces erreurs montrent qu’en dépit de connaissances précises de l’efficience des plantes, voire de certaines maladies qui sont le fait de quelques soignants, le traitement traditionnel des maladies dites naturelles rencontre des limites. Celles-ci sont dues essentiellement au diagnostic empirique des soignants eux-mêmes, à l’inverse de leur approche des pathologies suprasensibles.

II –Une conception suprasensible de la douleur

     Suivant mes diverses observations sur le terrain, tout se passe, chez les Lyéla, en particulier, comme chez d’autres peuples noirs de l’Afrique de l’Ouest, en général, comme si le problème fondamental du mal n’est pas tant la mort elle-même perçue sous la figure normale du terme mis à la vie terrestre, que la souffrance sous toutes ses formes liées au sensible immanent. Ce mal est triplement envisageable : d’abord, comme mal physique, douleur du corps ; ensuite, moral mais dans sa dimension également physique car le mal moral n’a de sens qu’autant qu’il a des incidences douloureuses sur le corps physique ; enfin, le mal métaphysique, puisque la personne humaine, comme je l’ai montré dans ma thèse de doctorat d’anthropologie sociale et d’ethnologie[9], est intrinsèquement corps-peau et âme (yala, ywala)[10]. Mieux, on pourrait dire : tant que l’âme va bien, le corps se réjouit comme un organe, un appendice du sujet humain en joie. Dès lors, et dans cette perspective, tout se passe comme si la finalité du sensible n’était rien d’autre que de nous procurer du plaisir, d’être source unique de joie. Plus encore : notre destination sur terre est la jouissance absolue des choses, essentiellement par la manducation, que le créateur, par l’intermédiaire de la vie, met à notre disposition, et non la souffrance. Celle-ci advient toujours comme un accident contraire au bien-vivre qui est une nécessité.

    Cette exigence que les Lyéla demandent à la vie les incline fortement à croire que la maladie naturelle est de l’ordre des accidents. En revanche, en raison de l’omniprésence d’autrui, un regard inquisiteur des autres et de la jalousie tueuse (bwen dur) qu’elle génère au coeur de certains membres de la communauté, les maladies s’enracinent fondamentalement dans la dimension métaphysique de l’homme, comme je vais m’employer à le montrer ci-dessous.

 III- Le traitement des maladies causées par l’action de la sorcellerie : interprétation suprasensible de certaines pathologies       

    Dans le contexte social des Lyéla, ce ne sont donc pas les maladies naturelles qui causent la mobilisation de beaucoup d’énergie, le concours de plusieurs thérapeutes dans certains cas et, subséquemment, d’énormes dépenses. Ce sont les pathologies qu’on peut appeler suprasensibles en raison de la participation de l’âme (ywolo) à la dimension immatérielle, incorporelle de la réalité humaine. Dès lors, traiter la maladie revient à soigner l’âme (ywolo). Certes, j’ai déjà montré les limites de certaines pratiques thérapeutiques, les errements, les faux diagnostics des soignants. Car la formation de ces derniers auprès des maîtres, même pendant de longues années, ne les dispose pas toujours à une lecture transparente des dysfonctionnements physiques de l’être humain. D’où l’imprécision du diagnostic des maladies établi par certains d’entre eux peu versés dans la connaissance des vertus des plantes et dans la para-science[11].

    Hormis ces limites réelles, le thérapeute, considéré par ses patients comme bon, cherche d’emblée à lire dans l’âme de son patient. C’est après avoir saisi les causes des perturbations immanentes du patient qu’il peut proposer une thérapie appropriée. La raison en est simple, comme l’affirme Gabriel Kouadio Tiacoh : «  Le fait capital de tout ce système de conception est que l’homme ne devient jamais malade sans que son âme ait été préalablement touchée » [1950 : 29]. En effet, les attaques en sorcellerie, sous les diverses formes de celle-ci, sont multiples. Citons-en quelques unes : jets de mauvais sort, empoisonnements par le biais de la boisson ou de la nourriture ; pièges invisibles aux sens ordinaires destinés à frapper les pieds des victimes désignées, les djinnas[12] de certaines théurgies maléfiques téléguidés psychiquement pour nuire à la santé mentale de quelqu’un etc. Cette dernière forme de perturbation pathologique suprasensible renvoie à la manipulation des âmes par le pouvoir des sorciers d’après mes divers informateurs du Burkina Faso, du Ghana ou de la Côte d’Ivoire, zones de mes recherches.

   Mais un trouble de ce genre peut être généré par l’action combinée de plusieurs agents de natures différentes même si, dans certains cas, les symptômes renvoient à une même étiologie, par exemple, la folie en son sens générique. Selon que la pathologie est due à l’action d’une âme ensorcellante, à celle, passagère ou durable, de bons génies sylvestres[13] ; à celle résultant d’une transgression de leur bien par un sujet humain, dans le règne général du vivant, voire dans le champ des vies silencieuses[14]. En effet, certains animaux tués en brousse sans permission des êtres sylvestres ou d’autres entités invisibles, sont susceptibles de causer des perturbations psychiques ; du moins, selon la croyance ordinaire des Lyéla. De même, les défunts qui n’ont pas eu droit, de la part des vivants, à des cérémonies funéraires se vengent sous diverses manières. Mais la majeure partie des malheurs des individus, c’est-à-dire leur affliction, leurs maladies, leur misère, est causée par le pouvoir mortifère des membres sorciers de leur famille même.

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     Dès lors, la finalité de la thérapie traditionnelle, une fois le diagnostic établi, est de permettre à l’âme, dans son monde suprasensible, de recouvrer la santé. Dès que celle-ci est rétablie dans l’harmonie des choses, elle induit dans le corps une santé équivalente. Il s’agit toujours, dans le cadre précis de cette conception du sujet humain, de soigner moins le corps que l’esprit ou l’âme[15] (ywolo). A cet effet, le soignant, qui est à la fois un prêtre théurgique, doit employer les moyens adéquats pour réinsérer l’âme (ywolo) dans son univers de fonctionnement, en l’occurrence, le choix des sacrifices, soit de réparations, soit de compensations dont Albert de Surgy a bien analysé le sens, dans le contexte des religions africaines traditionnelles, celles du Togo, en particulier : « Le sacrifice nous apparaît ainsi comme une réaction obligatoire, sous peine de dysfonctionnement de la machine cosmique se traduisant par des souffrances pouvant conduire à la mort, à des modifications, ardemment espérées par l’homme, du système naturel de programmation des événements » [1988 : 35]. En d’autres termes, la fonction du sacrifice consiste à rétablir de l’ordre là où règnent le chaos, le désordre provoqués par la violence d’un acte humain.

      En définitive, la perspicacité du thérapeute, sa clairvoyance, voire son efficacité vont consister, avant tout, à apporter à son patient la santé escomptée, non seulement par la nature ou le mode du sacrifice, mais aussi par la désignation des bêtes à immoler.

IV –Divination et fonction du sacrifice dans le traitement des pathologies suprasensibles

   Comme je l’ai fait remarquer plus haut, l’acte médical traditionnel, chez les Lyéla, comme chez beaucoup de peuples subsahariens, commence toujours par une divination, même parfois, dans le cas des maladies d’ordre naturel. On peut retenir deux étapes à ce niveau.

    D’abord, la première approche de la pathologie du patient par la divination permet au thérapeute de prendre connaissance d’un certain nombre de faits sur ce dernier qu’il ignore autrement.

   D’une part, en consultant, les djinnas de sa théurgie ou fétiche[16] l’informeront sur deux aspects de la réalité suprasensible du patient : en premier lieu, il peut ainsi savoir si la substance vitale est déjà appréhendée et annihilée par les sorciers. Dans cet état, il avoue son impuissance à traiter le mourant en sursis. Telle est la conduite d’un thérapeute honnête[17]. En effet, dans le cas de figure d’une âme déjà détruite[18], un prêtre théurgique-exorciste[19], grâce à sa propre substance sorcellaire positive ou à sa voyance[20], est capable de percevoir immédiatement la fin prochaine du malade, et d’informer ses disciples sur le temps qu’il lui reste à vivre. En second lieu, quand la substance vitale du patient est seulement appréhendée par les sorciers et non encore annihilée par ceux-ci, on assiste à deux approches différentes en vue de préserver sa vie : d’abord, lorsqu’il s’agit d’un bon thérapeute, il va déployer un certain nombres de forces pour tenter d’arracher l’âme aux griffes des sorciers. A cet effet, il peut être aidé par sa propre théurgie. Il advient qu’on immole un chien qui permet aux djinnas de sa théurgie d’opérer une substitution suprasensible d’entité. En d’autres termes, les djinnas échangent la substance vitale de l’animal contre celle de l’homme (ywolo). Cependant, il peut arriver que l’un des membres de la société secrète des sorciers, responsable de la préhension sorcellaire de l’âme de la victime, soit capturé par les djinnas d’une théurgie (ou fétiche) censés protégés l’âme humaine (ywolo). Dans ce cas, ces derniers contraignent le sorcier coupable d’effectuer lui-même, et en accord avec ses partenaires, la restitution de l’âme, ou sa réparation quand elle a déjà été blessée[21] au niveau des réalités suprasensibles. Ensuite, tout ce processus, qui peut paraître long, est évité lorsqu’il s’agit d’un puissant prêtre théurgique-exorciste : grâce à l’énergie des djinnas de ses propres théurgies, il opère immédiatement l’acte de libération de l’âme (ywolo) victime en allant la chercher au lieu précis où les sorciers l’auraient cachée. Auparavant, il dénonce publiquement les auteurs du délit, qui sont généralement des membres de la famille de la victime.

    D’autre part, quand il s’agit d’un empoisonnement, quel que soit le degré de gravité de celui-ci, l’acte divinatoire permet aussi d’indiquer précisément la nature des sacrifices propitiatoires. Ceux-ci sont indispensables à un double titre : ils permettent de se concilier la grâce des vertus énergétiques de l’ensemble des objets (éléments vivants ou simple matière qui « vit » par le rayonnement de son énergie intrinsèque) en obtenant l’atténuation de leur effet négatif ou maléfique ; ils constituent également une médiation qui sollicite l’intervention de l’ensemble des divinités du Kwala (ou autel du clan chez les Lyéla) du patient afin d’aider à sa guérison. S’ils ne sont pas accomplis, l’efficacité du traitement pourrait être plus lent ou plus long. C’est pourquoi, le devin doit être toujours doué de la prescience ; et quand il ne l’est pas, on peut lui conférer le don voyance, s’il le désire et s’il est prêt à en payer le prix, par exemple, le fait d’offrir l’âme de son proche préféré à la société des gens de la nuit, comme le reconnaissent, d’ailleurs, J. Kerharo et A. Bosquet à propos des travaux de Dim Delobson chez les Moosè. Selon ces auteurs : « Dim Delobson rapporte que chez les Mossi, l’élève se lave la figure pendant plusieurs jours, selon des rites bien déterminés, avec une macération de plantes d’yeux d’animaux ayant la réputation de voir les choses cachées (caïman, cheval, âne, chat). Pourvu alors de la double vue, il subit l’initiation et peut ensuite dire l’avenir » [1950 : 29]. Dès lors, ceux qui exercent le métier de thérapeute traditionnel sans le pouvoir de voyance sont moins nombreux que les autres. Néanmoins, ils connaissent bien la vertu des plantes grâce à l’inspiration des djinnas de leur théurgie.

    Concernant les sacrifices eux-mêmes, j’ai remarqué qu’ils comportent un genre et un mode qu’on peut classer en deux catégories : les simples et les graves. Concernant la première catégorie, les choses se passent ainsi : le devin recommande d’arracher les plumes de telles volailles particulières (un coq, une poule, noirs, rouges, blancs, polycolores, une pintade etc.) de couper les poils d’un animal donné (une chèvre allaitante ou non, un chien etc.). Muni de ces éléments, on s’isole pour prier en s’adressant à la divinité, à la théurgie à laquelle ils sont destinés ; ce peut être également à l’esprit (ou mânes) de ses ancêtres. Quand ce genre de sacrifice comporte soit les poils, soit quelques morceaux d’un animal sauvage, on peut les acquérir au marché[22]. Ce mode de sacrifice consiste, dans la sincérité de son coeur, l’acte de foi ou la conviction, à unir l’efficience de la parole qui circule comme des ondes dans la Nature en transmettant des messages, à l’efficacité des éléments indiqués pour obtenir un résultat.

    Quant aux sacrifices d’une certaine gravité et fort importants en raison de leur destination spécifique, ils nécessitent toujours un déplacement sur les autels des théurgies ou des divinités indiquées parce qu’il y a immolation de volailles ou de quadrupèdes par des sacrificateurs patentés. Les autels[23] que j’ai pu visiter sont de deux genres : ceux des lieux sacrés que vénèrent les membres d’un Kwala ou de tout un village, et où résident des entités immatérielles que j’ai choisie d’appeler djinnas pour plus de clarté et de simplicité. Ce peut être une étendue d’eau, un bosquet, un arbre particulier, une colline etc. ; voire en cas de gravissime situation, l’autel de terre, lieu sacré par excellence chez les populations de l’Afrique de l’Ouest notamment. Outre ce type d’autels, il y a ceux des théurgies qui sont quasi innombrables comme le « Djandjou », le « Tougali », le « Ganzourgou », des noms qu’elles tiennent de leur mode de fonctionnement et de leur puissance immanente.

    Enfin, la cérémonie d’un sacrifice propitiatoire ou non se déroule de la manière suivante : on apporte au sacrifiant soit une simple eau, soit, selon la singularité du sacrifice, du muné[24], soit, enfin, de la boisson alcoolisée (bière de mil, gin, alcool de canne à sucre etc.) ; ce qui lui permet de procéder à une longue libation qui change selon la nature de l’autel et du sacrifice. Mais, quels qu’ils soient, le nom de Dieu (Yi ) est toujours invoqué en premier lieu sous la dimension duquel tout se tient et les phénomènes se déroulent ; puis, ceux de toutes les entités immatérielles (esprits des ancêtres, diverses figures de divinités ou de théurgies) dont l’essence est d’être des puissances intermédiaires entre les entités invisibles et les êtres humains. Elles tiennent leur efficace de la suprême efficience de Dieu lui-même. Lors de ces occurrences de communion sociale, les prières accompagnées du versement d’eau sont dites à haute voix par l’officiant de manière à rendre transparent l’objet du sacrifice et sa finalité qu’Albert de Surgy, dans le contexte culturel Mwaba-Gurma et Ewhé du Nord et du Sud du Togo, analyse de la manière suivante : « Cette eau, qui emporte symboliquement à destination les paroles de la prière (au point qu’il n’est pas de prière sans versement d’eau), a pour fonction de rafraîchir toutes les entités qui sont trouvées excitées ou mal à leur aise en raison de la violation des dispositions divines dont le sacrifice célèbre la réparation » [1988 : 46].

    Suite aux libations orantes dont la durée dépend également de la nature du sacrifice et de l’autel, le sacrifiant procède à l’immolation de la victime désignée (volaille ou quadrupède) directement soit sur les représentations plastiques de la théurgie, soit sur la pierre symbolique de l’autel de la divinité (terre, eau, bois, arbre etc.), dans l’intention d’abreuver l’entité immatérielle, en tout premier lieu, qui se nourrit, avant les hommes, de la substance vitale de l’animal (ywolo) par le biais de son sang selon l’essence de la théurgie[25]. Une telle conception de la fonction du sang dans le sacrifice est également partagée par les Lobi dont Michèle Cros a donné une ample analyse dans sa thèse de Doctorat d’Anthropologie. Comme chez les Lyéla, les Lobi ont aussi recours aux sacrifices sanglants, la plupart du temps, quelle que soit la nature de ceux-ci. Car les entités immatérielles ou  » chila  » auxquelles ils s’adressent  » ne se nourrissent pas de viande, ils ne font que sucer le sang  » [1987 : 463]. Ainsi, les divinités tout autant que les djinnas des théurgies boivent le sang des victimes immolées sur leurs représentations plastiques comme on donne le sein à un bébé.

    Les animaux dont on se sert le plus couramment dans les sacrifices sanglants sont les suivants : la chèvre, la brebis, le bouc, le bélier blanc à collier noir, le bélier noir, le chien, quelle que soit la couleur de ses poils (exceptionnellement, dans un but précis, on peut rechercher un chien noir), le chat. Il est rare, quelle que soit la nature du sacrifice, qu’on ait recours à un boeuf[26]. En revanche, comme la volaille est accessible à tout un chacun, l’usage de celle-ci dans les sacrifices sanglants est ordinaire. Suivant la nature des maux, il est exigé une volaille particulière : quand ce n’est pas la pintade (sacrifice peu ordinaire), ce sont les coqs et les poulets. S’agissant du coq, il faut distinguer deux aspects : soit le nombre et la formation particulière de ses pattes, soit la forme de sa crête, plate ou non. Quant au poulet, on tient compte de la couleur et de l’aspect particulier de son plumage, de ses singularités corporelles (les pattes, la queue etc.) ; voire, dans certains cas, de son mode d’obtention (don d’un neveu du Kwala ou autel du clan chez les Lyéla, achat à un commerçant borgne au marché ou auprès d’un vendeur en route vers le marché ; le moment de la journée est aussi important etc. Il y a des sacrifices qui ne peuvent se faire qu’avec des poulets nains ou des poulets balais en raison de leurs plumes en forme de brosse ou de balai traditionnel ; parfois, il est nécessaire de recourir à un poussin qui vient d’éclore. Celui-ci entre même dans la confection que quelques théurgies. Il doit être enveloppé vivant. Quelques sacrifices sont accompagnés d’autres espèces vivantes : le crapaud, le caméléon, la sauterelle, entre autres.

   Néanmoins, quelle que soit la nature du sacrifice, le foie de la victime est cuit[27] sur place. L’officiant dépose une partie sur l’autel de la théurgie ou de la divinité. Quand il s’agit d’un jeune officiant, il donne le reste au plus âgé des participants qui le partage ou non avec de petits enfants ; dans le cas contraire, s’il est lui-même d’un certain âge, il peut le consommer seul. En fait, l’acte d’oblation du foie d’un animal immolé à la théurgie ou à ses djinnas n’est pas anodin ; il renvoie à la manière dont les Lyéla conçoivent les énergies motrices de la vie : celle-ci siège dans le foie et elle se vivifie par le sang. C’est en ce sens que la divinité ou le djinna d’une théurgie ingère toujours les deux à la fois. Mais l’absorption de ces deux substances matérielles, le sang qui vivifie et le foie qui contient l’essence de toute substance vitale, se fait comme l’injection d’une énergie réelle mais invisible. Car il s’agit bien d’une opération immatérielle consistant à capter le fluide incorporel dont la vertu est transfiguratrice et doublement convertible : physiquement, dans le cas d’une manducation ordinaire et, substantiellement, quand il s’agit d’une manducation mystique.

    On retrouve également ce rôle du foie dans les sacrifices chez les Lobi comme par Michèle Cros l’a analysé  : « Pour certains guérisseurs, aujourd’hui encore, ce principe vital « siège dans le foie » et par suite, c’est sans doute pour cette raison qu’un morceau de cet organe est toujours offert aux dieux lors des sacrifices, et qu’on fait absorber en diverses circonstances des morceaux de foie humain à certaines personnes notamment pour la purification du meurtrier » [1987 : 284].

    Ensuite, c’est donc après cet ensemble d’opérations sacrificielles que le prêtre théurgique donne à son patient quelque traitement. Il est rare que l’argent entre en jeu dans l’acquisition d’un médicament. Fondamentalement, celui-ci n’a pas de prix dans la mesure où c’est la Nature qui l’a inspiré à un homme, en l’occurrence, le thérapeute qui a lui-même reçu un enseignement gratuit chez un maître. Si la Nature offre avec prodigalité quelque chose pour le bien-être de l’homme, il ne peut être acheté. Les éléments en nature exigés comme la volaille ou les quadrupèdes ont une double raison : d’une part, ce « prix » est fixé, dès le départ, par la théurgie, grâce à laquelle le médicament a été trouvé, par un génie sylvestre qui instruit un élu de tout son art médical ; il ne peut outrepasser cette donnée sous peine de se voir retirer l’efficacité du médicament. D’autre part, le « prix » en nature, par l’intermédiaire d’un vivant immolé (volaille, quadrupède) entre dans un processus complexe d’échanges, d’harmonisation, d’équilibre, de réparation, comme Albert de Surgy l’a fort bien montré, entre l’univers humain et les Réalités immatérielles saturées d’entités de figures, d’essence, d’efficience, de modes d’action infiniment variés. Cet ensemble de transmissions physiques et invisibles manifeste le lien de l’homme avec le reste de la Nature dont la partie visible n’en est qu’une parmi ses multiples dimensions. Mais cette dernière est loin, elle-même, de lever le voile sur les aspects invisibles ou inexplorés de la Nature, avec les seuls moyens de nos cinq sens.

    Dans le cadre des soins thérapeutiques, le sens des sacrifices est donc double chez les Lyéla : d’abord, solliciter des divinités ou l’esprit d’une théurgie, pour obtenir la guérison d’un patient, blessé notamment par des sorciers. Les thérapeutes n’agissent pas directement dans l’âme de l’individu, mais toujours par des médiats : la vertu des plantes inhérente aux médicaments à prescrire, et la vie d’une substance animale. Car celle-ci instaure, de façon immédiate, une communication entre les mondes supra et infrasensibles et la communauté des hommes. Ce lien, réel mais invisible, tissé collectivement dans la transparence et la publicité, a d’heureuses incidences sur la communauté elle-même : par l’acte public, commun de la manducation sous sa double dimension mystique et physique, elle se reconstitue dans le partage. Car manger ensemble signifie manifestement qu’on n’est pas ennemi. C’est à cette réconciliation de la communauté que le sacrifice est destiné, même dans le cas d’une maladie. Dans l’acte sacrificiel, les hommes autant que les dieux consomment ensemble l’animal-occasion : le sang et le foie pour ces derniers, le partage de la viande cuite sur place ou fraîche de la victime, pour l’ensemble des participants.

            C’est en ce sens que nous partageons les remarques suivantes d’Albert de Surgy : « Les foies grillés des poulets et les foies bouillis des quadrupèdes, devenus, après cuisson, le symbole des paroles créatrices elles-mêmes, acheminées jusqu’au monde visible sous l’effet de la chaleur génératrice, sont déposés partiellement sur l’autel de l’entité destinataire et consommés pour la plus grande part par le (ou les) sujet(s) bénéficiaire(s) du sacrifice, mais aussi par le sacrifiant et l’officiant qui ont agi en son (ou leur) nom. Quant au reste des entrailles, symboles de ce qui a été associé à la constitution et au dévidement de telles paroles, il est distribué à tous ceux qui sont venus appuyer de leur présence le déroulement de la cérémonie, montrant par là que nul ne saurait jouir de la grâce obtenue pour lui sans l’assentiment et à fortiori au détriment du groupe dont il fait partie » [1988 : 50]. Chez les Lyéla, ce ne sont pas seulement les entrailles de la bête sacrifiée qui sont partagées, mais tout l’animal, quelle que soit sa taille, avec l’ensemble de la communauté participative. Quand elle n’est pas cuite sur place lors d’une célébration, la chair fraîche, hormis le foie qui doit être très souvent cuit sur le champ pour achever l’office religieux, est partagée de la même manière entre tous.

    Finalement, chez les Lyéla, les thérapeutes ou médecins traditionnels ont une double approche des pathologies : les maladies dites naturelles et celles qui sont regardées comme suprasensibles en tant qu’elles résultent de l’action mortifère d’un sorcier, membre (s) de la famille du patient. Aussi, pour les distinguer les unes des autres, ils procèdent par divination, acte qui apparaît comme un diagnostic des maladies. C’est après avoir établi la nature particulière des maux qu’ils proposent une médication subséquente.

    En dernier ressort, soigner consiste, pour ces médecins, à rétablir une forme d’harmonie dans l’âme humaine qui souffre de dysfonctionnement tant sur le plan suprasensible que sur celui de la réalité physique, c’est-à-dire du corps-peau.

 Références Bibliographiques

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-Bamony, Pierre, Structure apparente, structure invisible : l’ambivalence des pouvoirs chez les Lyéla du Burkina Faso (Thèse de doctorat, nouveau régime, sous la Direction de Madame Suzanne Lallemend, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, Décembre 2001)

 -Cros Michèle, Anthropologie du sang chez les Lobi – Burkina Faso-Côte d’Ivoire (Thèse de Doctorat sous la direction de L.V. Thomas, Avril 1987, Université Paris-V René Descartes-Sciences Sorbonne ; 1987).

-Dacher Michèle (avec la collaboration de Suzanne Lallemand), Prix des épouses, valeurs des sœurs, suivi de Représentation de la maladie. Paris : L’Harmattan, coll. « Connaissance des Hommes » ; 1992 )

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-Zahan Dominique, Religion, spiritualité et pensée africaines. Paris : Payot ; 1970)


[1] Cette thèse renvoie à celle de Guilhem Marcel, Toé Sylvain, Hébert Jean (1960) dans leur ouvrage : Histoire de la Haute Volta-L’Afrique, le Monde-, Ligel, Paris .

[2]Tels sont les travaux en médecine et en pharmacie de Kadidja Djierro : contribution à la connssance des plantesmédicinales utilisées par les tradipraticiens pour la prise en charge des personnes vivant avec le VIH/SIDA  dans la ville de Ouagadougou ; ou encore Yé Téné Raïssa Traoré : Etude pharmacologique chez l’animal de l’extrait aqueux de Topinanthus Dodoneifoleus DC Danser (loranthacea utilisé en tradithérapie anti asthmatique au Burkina Faso.

[3] Telle est la recherche menée par Monsieur Issiaka Sombié : Etude des connaissances pratiques des tradipraticiens en matière de paludisme dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso).

[4]Les auteurs africains, qu’il s’agisse de thèses de médecine, de pharmacie ou autres ont retenu le néologisme « tradipraticien », terme que je considère comme d’usage plutôt incommode et flou. Je préfère le mot de « soignant » à la place de « guérisseur » en raison de sa simplicité et de sa finalité. En effet, « soigner » ne signifie pas forcément « guérir ». En général, les soignants sont supposés avoir des dons de voyance qui est une dispostion nécessaire à l’efficacité de la prtaique médicinale, et en ce sens, ils occupent aussi une fonction de religieux.

[5]Cela ne signifie pas pour autant que chez les Lyéla, il n’y ait pas de maladies naturelles. Celles-ci ne supposent aucune responsabilité : elles demandent à être simplement soignées sans autre forme de procès.

[6]Ceci s’explique par le fait que, s’il y a tel extrait de plante qui soigne telle maladie, il y en a également qui soigne plusieurs maux. Le soignant ou thérapeute traditionnel est obligé d’opérer empiriquement dans la mesure où il ne sait pas toujours avec exactitude quelle est la nature exacte du poison. Lorsqu’il s’agit d’un homme honnête, dès lors qu’il constate que son traitement n’a pas d’effet efficace sur la maladie, il reconnaît ses limites et congédie le malade. Mais, dans la plupart des cas, même après plusieurs mois de traitement, on le garde encore dans l’espoir qu’il guérirait un jour.

[7] Il s’agit de maux causés par les maléfices du sorcier, du jeteur de mauvais sort, du marabout officiant dans le sens du mal, du prêtre théurgique. Michèle Dacher montre ainsi que « les Goins dinstinguent les maladies naturelles provoquées par une simple cause mécanique, de celles dues à un agent identifiable par le devin et que l’on pourrait qualifier de maladie à étilogie socio-religieuse » [1992 : 123]. On trouve également cette distinction chez des auteurs africains de thèses de médecine contemporaine. A titre d’exemple, Docteur Djierro Kadidja reconnaît que « pour la plupart des tradipraticiens interoogés, le SIDA est une maladie naturelle dont les causes sont connues ».[2002 : 43]

[8] Docteur Traoré Yé Téné Raïssa, dans sa thèse de pharmacie a beaucoup insisté sur l’usage constant des plantes dans la pharmacie traditionnelle. Concernant le tapinanthus, (loranthaceae), on sait que les médecins traditionnels en font un usage varié ; c’est, du moins, ce qu’elle écrit : « Cette plante est utilisée seule ou en association avec d’autres palntes dans le traitement de plusieurs pathologies » [2000 : 22].

[9] Structure apparente, structure invisible : l’ambivalence des pouvoirs chez les Lyéla du Burkina Faso (soutenu le 20 décembre 2001 sous la Direction de Madame Suzanne Lallemand, Université Blaise Pascal Clermont-Ferrand).

[10] Ywala et Ywolo se dinstinguent Chez les Lyéla : le premier terme est identifiable à l’âme immortelle telle que la religion judéo-chrétienne, par exemple, la conçoit ; le second s’apparente au corps-peau. C’est la substance vitale, porteuse de vie animale et destructible par le pouvoir de sorciers ou prédateurs de la nuit. Cette opération consiste à appréhender ce genre d’âme et à l’annihiler, ce qui a pour effet de générer la mort physique, effective de l’individu..

[11] Dans mon manuscrit (Sorcellerie et violence en Afrique noire), j’ai déjà abordé les limites de ce genre d’individus qui pullulent aujourd’hui dans tous les pays africains, motivés seulement par l’acquisition aisée de l’argent à partir de la crédulité des malades, en raison de la fragilité psychologique dans laquelle la maldie plonge tout individu ; ou pour d’autres finalités, comme la volonté de prestige ou l’avididité du pouvoir.

[12] Le Dictionnaire de la langue française –Bordas- donne la définition suivante du terme d’origine arabe djuinna (singilier) ou djnoun (pluriel: « Dans la tradition musulmane, chacun des démons, faits de feu, qui constituent l’armée d’Iblis (le diable)…Le plus souvent ils sont représentés comme des être malfaisants ou malicieux, parfois aussi comme des esprits capables de secourir les hommes ». C’est le sens d’esprits considérés comme « des êtres malfaisants ou malicieux, parfois aussi comme des esprits capables de secourir les hommes » que j’ai retenu dans mes recherches pour qualifier la puissance efficiente contenue dans la confection des théurgies ou fétiches selon le terme consacré de l’anthropologie afrianaiste.

[13]Ce cas de figure est fréquent chez les Lyéla. Les génies en question qui élisent quelqu’un et qui voudraient l’initier à leur science, peuvent perturber son esprit de manière à obliger sa famille à en chercher la cause. Dès qu’elle est trouvée, des cérémonies sacrificielles sont nécessaires pour inaugurer et installer le culte. Aussitôt la personne retrouve tous « ses esprits » sans aucun traitement. Ma propre petite soeur, que je voulais enfermer dans un hôpital psychiatrique à Koudougou, est un exemple vivant de ce genre de situation étrange. Si j’avais continué à suivre la logique de la raison occidentale matérialiste que j’ai en partage, cette pauvre jeune femme serait encore aujourd’hui dans un lieu d’enfermement. Le vur  autant que le gnomo (masques) dont les cultes sont initiatiques, génèrent aussi de telles perturbations psychiques pour arriver à leur fin : faire initier un élu qui ignorait qu’il était élu par de telles divinités.

[14] J’ai ainsi appelé, suivant la tradition des Lyéla, les défunts.

[15] Aujourd’hui, la découverte des pratiques médicales orientales révèlent (chinoises ou indiennes), dans les grandes lignes, une approche semblable de la maladie. Il s’agit moins de soigner une douleur précise et localisées dans le corps que la totalité de l’être, dans son corps et dans son âme. L’équilibre des energies ou de la circulation de celles-ci dans le composé humain apparaît comme une analogie traduisant le souci de ces thérapies visant à soigner tout l’être en tant que tel.

[16] Selon la croyance des Lyéla, enre autre autres peuples africains sub-sahariens, le pouvoir inhérent au fétiche et qui le fait agir est considéré comme un djinna. Celui-ci n’est pas censé résider dans l’objet lui-même. Ce dernier est le point de contact entre le psychisme humain et cette entité invisible appelée ordinairement djinna

[17] Toutefois, quand il ne l’est pas, il va néanmoins entreprendre des soins vains juste pour le bénéfice matériel des frais médicaux, volailles ou animaux à quatre pattes qui doivent être immolés sur l’autel de la théurgie avant de commencer les soins

[18]L’ensemble des prêtres théurgiques qui m’ont instruit dans le domaine de la dimension suprasensible de l’être humain, tout autant que la conception courante et unanime sur le procédé de l’annihilation de l’âme humaine par les sorciers, reconnaît que l’être physique dépouillé de son essence vitale immatérielle (ywolo) continue de vivre. Si, pour les yeux ordinaires il vit, même s’il n’est pas malade, pour les yeux « nyctosophes » selon le mot de Dominique Zahan [1970 : 158], il survit seulement. Car ce qui le maintient encore en l’existence est la préservation de son foie. Dès que celui-ci est annihilé ou ingéré par les sorciers dont il est victime, il meurt aussitôt après. C’est l’état de substance vitale (ywolo) transparente que voient immédiatement et clairement sorciers et prêtres théurgiques-exorcistes dont les âmes sorcellaires sont seulement d’essence et de pouvoir différents.

[19] C’est ainsi que j’ai choisi d’appeler les médecins ou soigants dits traditionnels des pays africains.

[20]Dans mon article  » Science et anthropologie… » , je faisais remarquer que chez les Lyéla, on distingue deux sortes d’individus : d’abord, les voyants qui regroupent les sorciers maléfiques ou bénéfiques, les prêtres théurgiques, les devins, car on ne peut exercer ce genre de métier si on n’a pas cette prédisposition. Si quelqu’un ose, par le moyen des plantes, accéder à un tel monde, sans en avoir la puissance, les autres devins l’éliminent ou le rendent aveugle définitivement, c’est-à-dire d’un point de vue physique. Ensuite, les non-voyants ou les « aveugles » désignent tous ceux qui sont privés d’une âme sorcellaire. Cependant, cette vision des choses n’est pas propre aux Lyéla seuls : les peuples noirs africains, en général, ont la même représentation. Ainsi en est-il du culte du Bwiti  chez les Fang étudié par André Mary. Dans son ouvrage, La naissance à l’envers, essai sur le rituel Bwiti Fang, il écrit : « La puissance de dévoilement de la vision d’eboga  non seulement nous fait « voir » ; entre autres les sorciers qui menacent notre vie ou celle de nos proches ; mais elle vous condamne à « être vu »… La donnée nouvelle c’est que « voir » c’est aussi s’exposer à « être vu ». Les initiés en témoignent : ils vivent depuis lors, où qu’ils soient, dans « la présence de Dieu »… comme nous le dit l’un d’eux :  » Bwiti habite nos yeux ; il nous permet de voir et il nous voit mais lui-même on ne le voit pas » . L’effet d’imposition d’un regard sur soi ou, selon l’expression des initiés, de la vision « du dedans » est peut-être le ressort décisif de l’efficacité de la nouvelle force de l’Eboga » [1983 : 218].

[21]Il s’agit du processus communément appelé adorcisme. Le Père Hebga Meinrad le définit ainsi : « On entend par adorcisme l’action par laquelle est restituée à quelqu’un sa force vitale ou plutôt l’instance de sa personnalité qui aurait été subtilisée ou du moins inhibée par sorcellerie » (Sorcellerie et prière de délivrance, Présence africaine, 1995, p.161, Paris).

[22] Des commerçants spécialisés dans ce type de produits en vendent sur tous les marchés de la région subsaharienne

[23] J’ai nommé ainsi les lieux de culte, quels qu’ils soient : culte des ancêtres, cérémonies rendues aux divinités, aux théurgies ou fétiches. Comme on le constate dans les religions dites révélées, il y a un espace réservé où se tient le prêtre pour officier pendant toute la durée de la cérémonie. Il en est de même dans les religions traditionnelles ou religions « naturelles » selon mon expression.

[24]Le muné accompagne tous les sacrifices chez les Lyéla. Il s’agit d’une  » eau dans laquelle on a dilué de la farine de mil (ou une autre variété de mil)  »  (Glossaire L’Ele-Français).

[25]Il y a des théurgies dont les djinnas sont allergiques au sang ; d’autres se contentent de boissons alcoolisées ; d’autres encore d’exécuter les volontés de leurs détenteurs par le seul pouvoir de la parole ou de la prière. Parmi le premier type de théurgie, il y en a qui ingère l’âme, par exemple de la poule, sans qu’il y ait besoin d’un instrument (couteau) pour l’immoler ni aspersion de sang. Le détenteur se contente de prier le djinna de sa théurgie qui étouffe de façon physique la volaille en l’espace de quelques minutes. J’ai moi-même, à maintes reprises (la dernière datant d’août 2003) assisté à de telles cérémonies sans pouvoir expliquer rationnellement ce phénomène de mort physique d’une bête vivante sans effusion de sang par couteau ni violence physique exercée sur celle-ci.

[26] Un tel animal intervient essentiellement quand il s’agit d’affaire concernant l’autel de terre. On peut trouver deux explications à cette rareté : d’abord, sacrifier un boeuf ne peut pas être le seul fait d’un individu : il engage toujours une communauté familiale, clanique ou encore villageoise. Le sacrifice d’un tel animal implique également son partage qui dépasse largement le cadre familial. Il faut chercher dans cette implication communautaire, le fait que même riche, un individu ne tue jamais un boeuf lors d’occurrences festives, sauf dans le cas du mariage catholique. Mais, même dans ce cas, c’est plutôt rare. En revanche, il est plus courant que les individus aisés, selon des circonstances singulières, tuent plusieurs quadrupèdes comme les porcs, les ovins, les caprins et, de surcroît, des volailles. Dès lors, le sacrifice d’un boeuf requiert une situation particulière, exceptionnelle même.

Ensuite, on peut penser que les bornes des moyens financiers, tant des individus que des familles, justifient, après coup, le recours rare à l’immolation d’un boeuf dans les sacrifices autant que dans les diverses formes de cérémonies festives. Si quelqu’un s’avise de le faire, il est vite taxé de faire montre de ses biens ; ce qui peut apparaître comme une provocation, voire une injure par rapport à la pauvreté de ses dabia (frères de kwala) et, du même coup, attirer leur jalousie tueuse (bwen dur). J’ai montré, dans mes travaux à quel point la richesse ostentatoire, chez les Lyéla, est une anomalie dans la mesure où elle distingue un individu du reste de la communauté, elle le singularise même.

[27] Toutefois, j’ai remarqué que chez certains prêtres théurgiques soignants, aussitôt après le consentement de son objet  cultuel pour procéder aux soins d’un patient-ce qui signifie que la volaille immolée meure sur le dos, les ailes entrecroisées au-dessus du jabot- l’officiant extrait le foie encore chaud qu’il dépose sur le corps de sa théurgie comme oblation à ses djinnas.

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