Introduction : le mal ordinaire
D’où vient que l’espèce humaine aime tant à faire le mal à soi-même, à autrui et aux autres espèces vivantes comme le prouve l’exemple de Denis le tyran ? En effet, selon la légende qui nous est parvenue, Denys de Syracuse était un homme cruel et sans scrupule. Il aimait écouter, depuis sa belle demeure, les clameurs des prisonniers qu’il retenait dans ses caves. Il avait fait fabriquer un tube, long de plus d’une soixantaine de mètres, qui lui permettait d’espionner les cris de ses victimes. En collant son oreille à ce trou diabolique, les sons pouvaient lui parvenir amplifiés jusqu’à soixante fois. Ainsi, tous les projets d’évasion de ses prisonniers étaient éventés. Et il éprouvait une jouissance infinie de voir ses semblables dans cet état d’impuissance et de souffrances abominables. C’est pourquoi, l’inhumain a quelque chose à voir avec le terme de cruauté. Celui-ci dérive du latin crudelitas, qui signifie méchanceté, insensibilité, voire férocité de l’esprit. La cruauté, comme l’inhumanité, désigne tout acte qui génère de la douleur et de la souffrance chez autrui ou même chez un animal. En ce sens, la cruauté peut être commise par tout un chacun et à n’importe quel âge, y compris par des enfants dès lors qu’un tel acte peut nuire à toute créature douée de sensibilité.
Cet exemple montre, au moins, une triste banale réalité : la monstruosité est immanente à la nature humaine. C’est un legs encombrant et lourd à porter de nos ancêtres communs : l’espèce de vivants terribles qu’on appelle Homo sapiens . Aussi, quelle que soit l’époque, quelle que soit la société, la communauté humaine prise en compte, on est toujours en face de la même nature diabolique. Hormis les belles âmes parmi nous dont nous avons fait l’éloge dans un poème et dans un essai d’anthropologie et philosophie à paraître, nul ne peut être exempt d’un tel penchant à vouloir et à faire le mal à un autre être humain en lui infligeant des souffrances innommables. Sur ce point, l’espèce humaine n’a guère changé dans le temps malgré des mutations inessentielles comme les costumes, les technologies, la sophistication culturelle etc. Son changement et son supposé progrès ne sont rien d’autre que des vernis culturels vite dissipés devant l’intensité de l’émotion et du désordre mental. Il y a même une fascination du mal. Chez un grand nombre d’individus parmi notre espèce, en dehors des occupations ordinaires des activités vitales qui nous laissent peu de répit pour penser, il suffit, pour se convaincre de cette tension bestiale, inhérente en tout un chacun de nous, de s’observer attentivement soi-même. Une telle occurrence nous conduirait inévitablement à une évidence : ce que Jean Ferrat, dans l’une de ses chansons, appelle « la bête immonde» est tapie au fond de nous. Elle nous pénètre jusque dans nos entrailles et nous chevauche de l’intérieur de nous-mêmes. C’est ce qui prouve notre attrait pour la filmographie morbide comme les vampires, les crimes qui font couler le sang, la littérature des romans policiers, des fictions sanguinolentes etc. Même au quotidien, nous n’hésitons pas à nous abreuver des images de la télévision portant sur les crimes, les drames ; ou à lire des articles de journaux relatifs à de tels sujets.
Une jeune femme ordinaire, banale même qui, du jour au lendemain, endosse la cruauté à la Hitler ; encore que celui-ci ordonnait et ses sbires exécutaient sans concession.
Dès lors, à travers nos recherches, notre désir consiste à comprendre, de façon conceptuelle, entre autres, pourquoi nous sommes ainsi, de manière générale. Car la bonté, la Belle âme, le beau tempérament n’empêchent nullement qu’à travers certains heurts de la vie en communauté nous soyons sujets à faire montre d’une telle inclination à l’égard des uns et des autres : nos ennemis, ceux qui nous ont blessés ou humiliés. Notre intention ne consiste guère à accuser l’Humanité pour ses méfaits, sa cruauté permanente, mais à sonder sa barbarie, voire son inhumanité.
Pour peu que l’on s’intéresse à la vie des hommes en société, voire à leur histoire, on s’aperçoit, aussi loin que l’on peut remonter dans leur passé, qu’il y a une donnée inchangée : l’expérience de la violence sous toutes ses figures monstrueuses. À titre d’exemple, Charles Meyer rapporte l’exemple d’une « femme-masculin », selon notre expression forgée pour désigner les femmes que le goût du pouvoir ensorcelle au point de perdre leur âme de féminin authentique, dont le règne fut marqué par une tyrannie excessive. « Il s’agit de l’impératrice Lû, épouse de Liu Bang. En effet, en 202 avant J.C, elle aida son mari à fonder une grande et puissante dynastie han sous le nom de Gaosu. D’une part, par ses conseils avisés, elle lui permit de transformer son statut initial de chef de bande en devenant roi des Hans et en se proclamant fils du ciel. Comme Lü lui donna un héritier, elle acquit le titre d’impératrice principale. Cependant, le temps finit par flétrir la beauté de celle-ci et par effacer sa jeunesse. Son époux se tourna alors vers une autre favorite, Qi qui lui donna aussi un fils. Or, par amour pour cette dernière, l’empereur voulut faire de son fils l’unique héritier de son trône. Mais, l’impératrice Lû, honnie et humiliée, parvint à faire échouer le projet de son mari et à installer son propre fils sur le trône comme héritier légitime de l’empire à la mort de Gaosu en 195 avant notre ère. Dès lors, Lû ordonna l’enfermement de sa rivale Qi dans une prison où, enchaînée, elle était condamnée à piler du riz en parmanence. Comme cette punition ne semblait pas suffir à assouvir sa vengeance, elle lui fit subir un sort pire que le précédent. En effet, sur ses ordres, on lui arracha les yeux, on brûla ses oreilles, on lui coupa les pieds et les mains et on la contraignit à boire une drogue dont la vertu rendait muet. Pire, elle fut enfermée dans des latrines. Le fils de Lü, l’empereur Xiaolmi tomba gravement malade après avoir été contraint par sa mère de regarder l’infortunée ex-favorite de son père, dans cette situation abominable » .
Sous l’empire romain, on peut retenir deux événements monstrueux et/ou inhumains. D’abord, en 70 av. J.-C., Titus, après avoir détruit le temple de Jérusalem, ordonna la déportation des Juifs dans tout l’Empire ; ou de les vendre comme esclaves ou, comme Damas, de les livrer aux fauves dans les théâtres etc. Ensuite, en 64 après J.-C., Néron accusa les chrétiens d’avoir incendié la ville de Rome alors qu’il en était l’unique auteur. Ceci lui servit de prétexte pour livrer les chrétiens aux pires abominations et les persécuter de manière tout aussi effroyable. Ce même Néron était capable des pires cruautés que l’imagination humaine en délire puisse concevoir. C’est ainsi qu’il élimina Brutus, l’héritier légitime de l’Empire de Rome, en lui tendant un piège. Au cours d’un festin qu’il avait organisé, il le fit empoisonner. Mais, comme le poison n’avait pas eu un effet immédiat, il l’acheva lui-même d’un coup d’épée.
En enjambant l’histoire, on retrouve les mêmes formes de cruauté au XXe siècle, comme si le temps n’avait point barre sur la nature humaine et comme si celle-ci n’est aucunement capable de connaître d’heureuses mutations ou d’être mieux éclairée par le triomphe de la raison en elle. Car le XXe siècle s’est gravé dans le marbre de l’histoire comme l’une des pires épisodes que les hommes aient jamais connue. En effet, une certaine humanité occidentale s’est employée a tué méthodiquement le plus d’êtres humains possible par la volonté d’exterminer les Juifs et d’autres populations qui étaient considérées comme à la marge de l’humanité, tels que les homosexuels, les Roms et autres tziganes etc. En Côte d’Ivoire, durant la période de l’occupation française, les soldats aimaient exiber les têtes de leurs victimes ivoiriennes sur la pointe du canon de leurs fusils. De nos jours, les fanatiques musulmans commettent des attentats pour tuer le plus de gens possibles par l’envoûtement de la cruauté ou par le plaisir de tuer des supposés ennemis de leur religion etc.
Torture des prisonniers irakiens par l’électricité
I- Une tentative de conceptualisation de ce fléau proprement humain
On peut commencer par distinguer l’inhumain de trois concepts qui lui sont généralement associés, à savoir le non-humain, l’animal et le monstrueux. Dans le premier cas, cela va de soi, ce sont des objets, des corps ou des phénomènes naturels. Par définition, la qualité d’humanité ne s’y applique pas. Et si l’animal se rapproche davantage de l’humain en tant qu’il est, tel que le veut Aristote, et comme le prouvent les études neuro-scientifiques contemporaines sur le vivant, un corps animé, doué non seulement d’une âme sensitive, comme les végétaux, mais aussi d’une âme motrice, toutefois, il s’en distingue qualitativement par l’absence de la faculté rationnelle, que celle-ci soit en acte ou en puissance. Quant au terme monstrueux, certes, il côtoie l’inhumain au moins pour deux raisons principalement : d’une part, ce terme est ambivalent, parce qu’il est susceptible d’une acception théorique. C’est ce qu’explore la tératologie comme science des monstres en médecine. Mais il a également des connotations morales : on parlera volontiers d’un «monstre» d’orgueil ou de cruauté comme Néron ou Hitler ; ou encore le tueur en série pour lequel tuer d’autres êtres humains semble être une jouissance infinie, même si celle-ci est plutôt morbide aux yeux de l’individu normal. D’autre part, le monstrueux paraît, tout comme l’inhumain, contester la norme ; du moins, il se situer en marge d’elle.
Toutefois, comme l’a montré Georges Canguilhem, dans son ouvrage La connaissance de la vie (“Le monstrueux, mais aussi le normal et le pathologique), le monstre peut être défini de manière objective : il est un être généralement non viable, dans lequel coexistent des parties arrêtées à des stades différents de leur développement. Il apparaît même comme une aberration génétique par excellence. Il est donc renvoyé à cette norme absolue qu’est la vie elle-même, si étendues que soient les marges de tolérance offertes à chaque organisme. En revanche, dans le cas de l’inhumain, de telles normes objectives n’ont pas lieu d’être ; le concept en serait même la remise en cause. Par exemple, un excès de cruauté pourra, suivant les cas, nous paraître inhumain, s’il est gratuit, ou au contraire très humain, s’il s’agit d’une vengeance «à chaud», comme le montre par exemple comme la loi du talion. Alors, l’inhumain paraît tout aussi relatif que l’humain lui-même, et qui semble être dénué d’une définition scientifique.
Nonobstant ce, ces premières distinctions font apparaître d’emblée un paradoxe : il est vrai que le minéral, le végétal, l’animal ou le monstre ne sont pas humains ; mais, pour cette raison précisément, qu’ils ne sont pas non plus inhumains. L’inhumain n’a de sens pertinent et effectif qu’à partir d’une référence à l’humain, référence dont le propre tient au fait qu’elle s’effectue de manière interne. C’est ce que permet de confirmer l’étymologie de la notion, puisque le préfixe in marque, en latin, une agression, du moins quand il est suivi d’un accusatif. En d’autres termes, l’inhumain, c’est ce qui, dans l’humain, s’oppose à l’humain. En ce sens littéral, évoquer des actes inhumains (comme Auschwitz), ce n’est pas renvoyer ce désastre à l’action d’un animal ou d’une machine : bien au contraire, c’est chercher à définir un certain type d’actes, qui sont contraires aux normes de l’humain tout en demeurant, d’une certaine manière, humains. Tout comme l’obéissance à la loi morale chez Kant, dans sa Critique de la faculté de juger, l’inhumain semble engager à lui seul une définition de l’humanité dont il ne peut être compris comme la simple négation : il fait fondamentalement scandale dans la mesure où seul peut être nommé tel ce qui pourrait être humain, mais qui ne l’est pas. En ce sens, et de façon universelle, l’inhumain, c’est celui qui s’acharne à nier en l’autre, c’est-à-dire en sa victime éventuelle, l’humanité de celle-ci. Il tente par tous les moyens de faire déchoir autrui de son statut d’humain en niant en lui toute forme de conscience. Dès lors qu’on croit ou qu’on parvient à se convaincre soi-même qu’il n’est plus humain – ce qui est impossible, car la seule chose qu’on ne peut enlever à un être humain, c’est sa qualité innée, essentielle d’être humain – on en fait tout ce que l’on veut. Tel est le statut qu’on a réservé aux esclaves de toutes les civilisations et de toutes les époques historiques.
D’où l’émergence de plusieurs difficultés, dont la première est que le concept ne peut être abordé qu’à partir du discours d’un sujet lui-même humain. Mais comment reprendre en termes humains ce qui détruit l’humain, et semble, dès le départ, faire éclater l’univocité apparente de ce concept ? Comment même définir l’inhumain sans le réduire à de l’humain, notamment par le jeu d’une négation inversée ? A l’instar du «Grand Autre» pascalien (Pensées), l’inhumain serait ce dont on ne peut, en toute rigueur, rien dire … Et si, à l’inverse, le rapport entre humain et inhumain se définit dans la perspective dynamique d’une dialectique interne, comment éviter le mélange des déterminations ? L’humain ne risque-t-il pas quelque chose de lui-même à évoquer ou à côtoyer l’inhumain ? La seconde difficulté tient à cette référence interne de l’inhumain à l’humain ainsi qu’à la relativité de ce dernier. En effet, la notion peut être référée soit au plan du fait : sera alors dit «humain» tout ce qui est accompli par les hommes – par opposition au naturel, par exemple, sans connotation axiologique ; soit à celui du droit, perspective dans laquelle l’humain désignera, par opposition au mal cette fois-ci, la norme idéale à partir de laquelle on peut comprendre l’homme lui-même. Dans le premier cas, on définit l’humain a posteriori, à partir des hommes et de leurs comportements empiriques ; dans le second, on envisage au contraire l’homme à partir d’une détermination a priori de l’humain, qui fonctionne alors comme norme morale et paraît assimilé au bien ou, en tout cas, au bon.
Or, cette ambivalence a trois conséquences paradoxales, qu’il convient d’explorer dans l’économie de cette analyse : en premier lieu, si l’inhumain a une acception éthique prononcée, comment le distinguer du mal, lui aussi fortement péjoré ? Y a-t il des degrés dans l’inhumain, comme dans le mal ? Ou bien est-il de nature différente ? Ou encore, faut-il voir dans l’inhumain une transposition non théologique et non métaphysique du mal, une hypostase «laïcisée», pourrait-on dire, du négatif ? En second lieu, il ne suffira pas de naître homme pour être humain – ce que montre, a contrario, l’exemple des enfants sauvages (Voir Lucien Malson : Les enfants sauvages, surtout le cas du petit Victor de l’Aveyron) -, de sorte qu’on doit dénoncer toute confusion entre le plan biologique, c’est-à-dire l’appartenance à l’espèce humaine, et le plan éthique, qui fait intervenir une auto-interprétation de soi comme être humain. Mais si ni l’humain ni l’inhumain ne sont un donné, qu’en est-il de la «nature humaine» ? Faut-il abandonner la notion en défendant son caractère obsolète ? Peut-on penser l’homme dans la perspective d’un devenir qui ne se satisferait pas de la simple appartenance au genre humain, et se jouerait au contraire précisément dans la marge qui sépare l’humain comme fait de l’humain comme norme ? Mais si l’humanité est un acquis, comment comprendre l’inhumain ? Comme un devenir humain avorté, à l’instar les enfants sauvages, ou bien comme une régression volontaire en deçà de ce qui fait l’humanité, comme dans le cas du tortionnaire nazi ou de la cruelle tortionnaire américaine dans la prison Abou Ghraib en Irak, entre autres ?
La troisième conséquence, quant à elle, concerne la possibilité d’une définition univoque et immuable des normes de l’humain et de l’inhumain elles mêmes : si elles ne peuvent être pensées en référence ni à des critères biologiques, ni à une hypothétique nature humaine, doit-on pour autant les renvoyer du côté de la pure convention ? Faut-il sacrifier au relativisme culturel qui voudrait que certaines pratiques rejetées par une culture, le sacrifice humain, par exemple, puissent être justifiées par d’autres ? Ou bien doit on, au contraire, affirmer l’existence de normes transculturelles, voire universelles qu’il ne serait jamais légitime de transgresser ? Que penser, dans cette perspective, de la notion de «crime contre l’humanité» ? Dès lors, comment définir ces normes sans revenir à l’idée en elle-même contestable d’une «nature», c’est-à-dire à une définition essentialiste de l’humain ?
II- L’INHUMAIN PEUT-IL ETRE IDENTIFIE AU MAL MORAL ?
A première vue, l’inhumain semble s’apparenter au mal moral, au moins pour trois raisons : tout comme le mal, il implique une transgression des normes ou des lois humaines. Qu’il suffise de citer un passage du compte rendu de lecture réalisé par Nicolas Bonhomme du volumineux ouvrage de Naomi Klein (In La stratégie du choc : La montée d’un capitalisme du désastre (Leméac/Actes Sud 2007) pour se rendre à l’évidence que seul un être humain est capable d’un acte inhumain hors norme. En effet, l’auteur de cet article rapporte ceci à propos des méthodes inhumaines du Docteur Ewen Cameron : « Dans les années 1950, le Dr Ewen Cameron de l’université McGill à Montréal accueille des patients atteints de troubles mentaux mineurs. Ces troubles sont de l’ordre des dépression post-partum, des angoisses ou des difficultés conjugales. Cameron, sans le consentement des patients, à leur insu, les a utilisés comme cobayes humains afin d’étancher la soif de connaissances de la CIA quant à la possibilité de contrôler l’esprit humain.
D’après Cameron, la seule façon d’inculquer à des patients un comportement plus sain, c’est d’entrer dans leur esprit afin de briser les anciennes habitudes. La première étape était donc de déstructurer l’esprit. Il fallait partir « d’une page blanche », faire régresser l’esprit jusqu’à faire « table rase ». Pour cela rien de plus simple. Il suffisait d’attaquer le cerveau par tous les moyens possibles. En même temps. À savoir des électrochocs et des prises de drogues dures comme le LSD ou la poussière d’ange.
Il utilisait un appareil capable d’envoyer jusqu’à 6 chocs consécutifs. Les inventeurs de la machine préconisaient 4 traitements par patient pour un maximum de 24 électrochocs. Cameron a traité ses patients 2 fois par jour pendant 30 jours. Soit la somme de 360 électrochocs… Mais comme les patients s’accrochaient à leur ancienne personnalité, il avait recours à des tranquillisants, des stimulants, des hallucinogènes : chloropromazine, barbituriques, sodium amytal, oxyde nitreux, Desoxyn, Seconal, Nembutal, Veronal, Melicone, Thorazine, Largactil et insuline. Pour faire le vide dans la tête de ses patients, il n’hésita pas non plus à avoir recours à la privation sensorielle et au sommeil prolongé.
Il fit mettre en place des chambres d’isolement insonorisées dans lesquelles les lumières étaient éteintes. Il fit porter aux patients lunettes noires, bouchons de caoutchouc dans les oreilles et des tubes en cartons sur les mains et les bras pour qu’ils évitent de se « toucher et court-circuiter l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes ». Le temps passé dans ces chambres ? Jusqu’à 35 jours. On peut également parler des « chambres du sommeil » où les cobayes humains étaient maintenus dans un état de rêverie pendant des périodes de 20 et 22h par jour. Là ça pouvait durer 65 jours chez papa Cameron.
Et cette première étape est un succès : les patients régressent comme il l’écrit dans un article de 1962. « On assiste non seulement à la perte de l’image espace-temps, mais aussi à l’effacement de la conscience de son existence. À ce stade, on observe parfois d’autres phénomènes, par exemple la perte d’une langue seconde ou l’ignorance de son état civil. À un stade plus avancé, il arrive que le patient ne soit plus en mesure de marcher ni de courir ni de se nourrir sans aide. Il souffre parfois de double incontinence. Tous les aspects de la fonction mnésique sont gravement perturbés. » On applaudit bien fort le docteur qui est parti d’une personne en difficulté conjugale pour arriver à un légume qui ne sait plus ni parler, ni marcher et qui se défèque dessus comme un enfant de moins d’un an.
Qu’ensuite vient la reconstruction. Sauf que la partie 2 n’a jamais fonctionné. Ce fut un échec total. Pourtant Cameron n’a pas lésiné sur les moyens. Voyez plutôt : « Sous l’effet combiné des électrochocs et des médicaments, les patients, réduits à un état quasi végétatif, n’avaient d’autre choix que d’écouter les messages qui passaient en boucle – de seize à vingt heures par jour, pendant des semaines. Un cas eut même le droit à un message pendant 101 jours d’affilée. Ces messages étaient du genre : « Vous êtes une bonne mère et une bonne épouse et les autres se plaisent en votre compagnie. »Peu importe l’état de régression auquel furent réduits les patients. Ils n’acceptèrent jamais les messages que les bandes répétaient inlassablement. Maigre consolation pour Gail dont la mémoire est en lambeau et la colonne vertébrale parsemée de fractures ». (In http://www.yololacrise.fr/index.php/author/lepistolero/). Une telle atrocité n’appelle aucun autre contraire, mais impose le silence face à la monstruosité inhumaine.
La jouissance infinie de l’humiliation d’autrui (Prisonniers d’Irak)
Une telle cruauté contredit donc le sentiment que Kant nomme moral par excellence, et qui est le respect. Précisons ici le sens de la notion de respect suivant le sens commun et selon Kant. D’ordinaire, le respect renvoie au fait de prendre en considération quelque chose ; plus précisément, c’est le sentiment qui incite à traiter quelqu’un avec égards, c’est-à-dire une considération en raison de son âge, de son rang et/ou de sa position sociale ; de sa valeur ou de son mérite. Et de manière générale, on entend par respect le sentiment de vénération, l’attitude de révérence envers la sacralité, divine ou humaine de quelqu’un. En revanche, Kant s’oppose à cette conception qui a une connotation d’humilité, d’abaissement de soi dans le respect d’autrui. Bien au contraire, Kant considère considère le respect comme le sentiment moral spécifique, distinct de la crainte, de l’inclination et des autres sentiments qui proviennent comme de la sensibilité. A l’inverse, le respect est un produit de la raison pratique et de la conscience de la nécessité qu’impose la loi morale. L’une des toutes premières raisons significatives du terme de respect fonctionne en référence à la notion même de la dignité de la personne humaine. Le respect ne s’adresse donc jamais qu’à la personne humaine en tant que telle. Dès lors, Kant reconnaît de fait le caractère sublime de la notion de respect : « je crois tout englober si je dis que c’est le sentiment de la beauté et de la dignité de la personne humaine » (In Observations sur le sentiment du beau et du sublime) en tant que sentiment originaire et universel dans l’être humain. Ce sentiment s’articule deux manières : comme sentiment de la beauté et dans ce cas, il est le fondement de la bienveillance ; comme sentiment de la dignité, et dans cette perspective, il est le fondement du respect. Donc, bienveillance respect constituent la vraie vertu selon Emmanuel Kant dans la notion de respect.
De façon plus précise, l’inhumain refuse de se soumettre à l’obligation éthique fondamentale manifestée par la troisième formulation de l’impératif catégorique dans les Fondements de la métaphysique des mœurs : ne jamais traiter l’humanité en autrui et dans sa propre personne comme un moyen, mais toujours comme une fin. De façon intéressante, la maxime du bien comporte en elle même une référence à l’humain comme principe et comme norme à préserver – par contraposition, le mal pourra donc se définir comme le non respect de ce principe et, donc, comme une forme d’inhumanité. Toutefois, ces rapprochements présupposent entre le mal et l’inhumain un sol commun plus fondamental, qui est la possibilité d’assigner une responsabilité à l’agent, et donc l’affirmation implicite de l’existence de la liberté humaine – que ce soit sous sa forme la plus haute : la Wille en tant qu’elle se détermine exclusivement par la forme de la loi ; ou la moins affirmée : la Willkür comme «arbitre» cartésien, simple principe de choix partiellement déterminé par les inclinations de la sensibilité. Toute mauvaise action et tout acte inhumain doivent pouvoir être châtiés, et donc attribués à celui qui l’a perpétré. De même qu’il faut être humain pour pouvoir agir de façon inhumaine, de même il faut avoir en soi la possibilité d’agir librement, et bien, pour pouvoir mal se comporter.
Pourtant, il ne semble pas pertinent, voire justifier d’assimiler l’inhumain au mal, pour plusieurs raisons dont la plus évidente est sans doute que la plupart des réflexions sur le mal convoquent un arrière-plan métaphysico-théologique implicite mais fortement présent. C’est bien sûr le cas dans la pensée classique du mal, chez Descartes, Malebranche ou Leibniz, chez lequel la définition des trois formes du mal est inspirée par le souci apologétique d’en innocenter Dieu. Le simple fait que cette caractérisation du mal figure dans une «théodicée» en constitue un témoignage suffisant. Même la pensée kantienne, qui entend fonder la morale en raison, et non sur les prescriptions issues des codes religieux, rejoint le plus souvent les enseignements du christianisme : en atteste par exemple l’idée développée dans la Critique de la raison pratique, selon laquelle la moralité d’une action est souvent inversement proportionnelle à l’inclinaison sensible qui nous pousse à l’effectuer ; ce qui revient à faire l’apologie du sacrifice. De même, la définition de la loi morale comme «fait de la raison» impossible à fonder en droit requiert de la part du sujet une acceptation qui elle-même s’apparente fort à la foi, thème que La religion dans les limites de la simple raison développe également. Au contraire, l’inhumain ne se comprend pas nécessairement de façon religieuse, et ne fait guère intervenir, comme le mal moral, l’hypothèse d’une transcendance. Bien au contraire, il semble justifier de manière immanente une réprobation dont l’humanité est censée dépasser par définition les limites propres à chaque religion et, donc, convoquer de manière laïque l’universalité autrefois revendiquée par la loi morale kantienne. Est-ce à dire qu’il faille, du coup, réduire l’inhumain à une version séculaire du mal religieux ?
Même à ce niveau de notre analyse, la réponse paraît négative ; ce que suggère, d’ailleurs et au premier abord, les exemples du sens commun : ainsi, voler son voisin n’est certainement pas bien, mais ce n’est pas inhumain ; de même, le crime passionnel, pour répréhensible qu’il soit, n’est pas non plus considéré comme inhumain. On pourrait même arguer qu’il s’agit ici de deux exemples différents, le second convoquant implicitement une définition de (cf. Critique de la raison pratique, 1ère partie, ou Fondements de la métaphysique des moeurs, section II.), l’humain comme fait. Ainsi, le crime n’est pas inhumain parce que l’expérience nous montre que les hommes s’y livrent souvent, tandis que le premier le caractérise comme norme ; ce que présuppose la position axiologique adoptée, l’humain s’identifiant alors au bien en tant que valeur à défendre et à promouvoir. Pour que la distinction entre le mal et l’inhumain ait une quelconque pertinence, il conviendrait alors de s’en tenir à la première acception. Toutefois, et même dans cette perspective, on pourrait encore dire que l’inhumain se distingue du mal en tant qu’il présente la radicalité que Kant refuse à ce dernier lorsqu’il rejette l’idée d’une volonté diabolique : celle qui prendrait pour maxime l’inversion des injonctions de la loi morale, et donc la désobéissance à la loi elle-même. Il refuse donc l’hypothèse d’un mal absolu. Ainsi, il y a des degrés dans le mal au sens par exemple de la contrefaçon qui est certainement moins répréhensible que l’assassinat : au contraire, l’inhumain se présente de façon massive, comme un absolu. Ce qui s’offre à – ou plutôt défie – la pensée dans l’inhumain, ce n’est pas simplement un mal plus grand. Le génocide du peuple Juif, ce ne sont pas six millions de meurtres qui s’additionneraient : le tout excède sinistrement la somme de ses parties. En tant qu’il rend sensible, lui aussi, le paradoxe d’une grandeur absolue, l’inhumain constitue une inversion du sublime tel qu’il est défini par Kant, c’est-à-dire ce par rapport à quoi tout le reste est petit, une sorte de «sublime négatif »,en quelque sorte. En témoigne, d’ailleurs, le fait qu’il ne se soumette pas à l’économie morale du châtiment, laquelle repose, comme l’a montré Michel Foucault dans Surveiller et punir, sur la possibilité de proportionner la peine au délit ; mais l’inhumain présente dans sa dimension sublime une figure de l’incommensurable, à laquelle nul châtiment n’est susceptible d’être proportionnelle. En ce sens, il atteste donc d’un passage du quantitatif au qualitatif, le point où la quantité s’inverse en qualité.
C’est la raison pour laquelle, à la différence du mal qui, sous ses formes atténuées, comme le mensonge, par exemple, est souvent répréhensible mais tolérable, l’inhumain relève toujours de l’intolérable. Ainsi, de nos jours, tout le monde se soucie, avec raison, de l’écocide généralement provoqué par le discours lénifiant des vendeurs des industriels de la chimie (engrais, pesticides etc.) De par le monde, beaucoup de paysans souffrent et meurent de plus en plus de diverses formes de cancers, dans l’indifférence totale des politiques qui, étant de connivence avec eux, ont autorisé l’usage massif de ces poisons. Il est question de mettre en accusation Monsanto, ses OGM et ses mensonges sur les pesticides déclarés non dangereux pour la santé humaine au Tribunal de La Haye. Malheureusement, écrit le Journal « Libération » (Samedi 15 et Dimanche 16 octobre 2016), « les victimes de multinationales ne peuvent espérer que des actions au civil afin d’obtenir au mieux une indemnisation- et encore, au prix d’un long parcours d’obstacles. « Aucun outil juridique ne permet de poursuivre au pénal une entreprise telle que Monsanto, ni ses dirigeants, qui sont responsables de crimes contre l’intégrité de l’environnement », déplorent les porteurs du Tribunal Monsanto, dont l’objectif central est de « contribuer à la reconnaissance du crime d’écocide par le droit pénal international ». L’écocide « est le fait de détruire notre maison, la seule que nous ayons : la Terre ». Mais, l’inhumain n’en a cure, pourvu qu’on périsse tous, un jour prochain.
Il y a une troisième raison pour laquelle l’inhumain se distingue du mal, qui est le rapport particulier qu’il entretient avec la norme. Selon Kant, en effet, la loi morale fournit un critère de distinction absolu qui permet de décider infailliblement de la moralité d’une action, à moins d’être accomplie par respect pour la loi, elle est immorale. Entre le bien et le mal, il ne peut donc y avoir qu’un rapport d’exclusion par lequel se trouvent réaffirmés à la fois l’intangibilité de la loi et son pouvoir normatif. L’action mauvaise contredit la loi, mais elle se soumet toujours au verdict qu’elle rend rétrospectivement. Car le châtiment est précisément le moyen, comme l’a montré Hegel, de réaffirmer l’existence et le pouvoir de la norme contre le transgresseur. Au contraire, le propre de l’inhumain est qu’il n’exclut pas l’humain : contrairement au mal, il ne laisse pas la loi indemne, ne se soumet pas à son jugement a priori. Comme l’indique Adorno en réfutant les thèses heideggériennes sur l’être-pour-la-mort dans la Dialectique négative, il est impossible, après Auschwitz, de penser l’humain – et même de penser tout court – comme on le faisait auparavant.
S’il peut faire scandale, c’est donc que loin de convoquer une norme immuable de l’humanité, l’inhumain remet en question ce qui fait l’humain dans son essence propre. A la différence des considérations portant sur le mal, qui peuvent s’appuyer sur l’autorité intangible de la loi, les normes de l’humain paraissent dès lors mouvantes, et sont remises en cause dans leur intégrité même par l’existence de l’inhumain. Ce paradoxe fondamental s’explique en bonne partie par le fait que ce dernier soit référé à la fois à l’ordre du fait et à celui du droit, la possibilité (empirique) d’accomplir des actions jugées moralement inhumaines contredisant alors l’idéal d’humanité impliqué par de tels jugements. Ainsi, le génocide des Juifs relève bien de l’humain au sens où il a été perpétré par des hommes ; pourtant, l’on s’accorde à voir en lui une dimension inhumaine qu’est venue sanctionner après coup, à l’issue des procès de Nüremberg, l’invention de la notion de «crime contre l’humanité». Toutefois, on notera à ce propos un point capital : alors même que le génocide nazi repousse les limites de l’humain en montrant que l’homme est de fait capable de ce que la perspective du droit devrait lui faire refuser absolument, le concept juridique de «crime contre l’humanité» réaffirme indirectement l’idéal d’une humanité susceptible d’une définition a priori : celle «contre» laquelle s’effectuent de tels crimes, et que ne remet pas en cause, par exemple, le crime dit «de guerre». Il y a donc ici un second paradoxe, qui tient au fait qu’alors même qu’il fait apparaître la mouvance constitutive des critères de l’humain, l’inhumain rétablit implicitement, pour être jugé tel, l’exigence d’une norme absolue dont la définition pose des problèmes.
En tout état de cause, il apparaît donc que ce n’est pas à partir d’une définition du mal qu’on peut chercher à caractériser l’inhumain : faut-il le penser du côté de l’excès et de la transgression ?

In this April 19, 1943 file photo, a group of Jews, including a small boy, is escorted from the Warsaw Ghetto by German soldiers.
D’un autre côté, certaines images de l’inhumain semblent, en effet, se prêter à une telle démarche. Ainsi, la tragédie est le théâtre d’une indifférence des Dieux à toutes les valeurs et à toutes les souffrances humaines, indifférence que traduit l’idée d’un destin, la «moira implacable» évoquée par Schopenhauer (In Le monde comme volonté et comme représentation), qui fait qu’à chacun se trouve dès l’origine assigné un lot d’épreuves et de chagrins immuables. A cette inhumanité par défaut, voire par insensibilité, s’oppose la figure symétrique de l’ire du Dieu vengeur de l’Ancien Testament : la destruction massive de Sodome et Gomorrhe atteste d’un gigantisme dans la vengeance qui se soustrait à toute échelle humaine. Il s’agirait alors d’une inhumanité par excès, si l’on peut dire, la divinité faisant passer à la limite – et donc hors du registre de l’humanité – des sentiments et des affects eux-mêmes humains, en l’occurrence la colère. Toutefois, on remarquera que ce type d’approche paraît immédiatement tomber sous le coup de la critique du préjugé anthropocentriste effectuée par Spinoza dans l’Appendice au livre I de l’Ethique : dans les exemples précédents, on ne peut parler d’inhumanité que par le biais d’une projection inversée des caractères de l’humain sur le divin lui-même. C’est seulement parce qu’il a été préalablement – et implicitement – humanisé que le Dieu de la Bible peut paraître inhumain. L’inhumanité ne peut être attribuée au divin que métaphoriquement.
De plus, toute pensée de la transgression et de l’excès n’engagent pas nécessairement le concept d’inhumain, comme l’attestent ces deux exemples privilégiés que sont le «supra-humain» chez Kant, et le «surhumain» chez Nietzsche. La meilleure figure du supra-humain dans la pensée kantienne est, sans doute, le sublime tel qu’il est analysé dans la Critique de la faculté de juger, entre autres ouvrages : il s’y montre comme le caractère de ce qui excède le pouvoir synthétique de l’imagination, comme une grandeur ou une force absolues, selon qu’il s’agit du sublime «mathématique» ou «dynamique», et lui interdit donc l’appréhension sensible d’une totalité. A partir d’un certain moment, la capacité schématisante de l’imagination s’avère saturée, ce qui fait perdre à cette dernière «en arrière», comme le dit Kant, ce qu’elle gagne «en avant». Contrairement au beau, qui sollicite harmonieusement le jeu des facultés, le sublime a donc ceci de spécifique qu’il fait passer à la limite l’aptitude de l’imagination à la synthèse, et la prend en défaut en raison du caractère excessif des impressions reçues. Toutefois, le paradoxe est que c’est justement cette logique de l’excès propre au sublime qui révèle au sujet sa destination supra-sensible et sa nature morale, en lui faisant sentir la présence en lui de la raison en tant qu’elle aspire à l’inconditionné. En ce sens, le dépassement des limites de l’imagination, loin de s’identifier à l’inhumain, dévoile ce qu’il y a de plus humain en l’homme en permettant que soit pensée la spécificité de la personne en tant qu’être raisonnable par rapport à tous les êtres doués de sensibilité comme les animaux. La mise en excès de l’imagination révèle donc à l’homme la part d’humanité inaliénable qui est la sienne en l’assimilant à une nature rationnelle.
La gravité et/ou lourdeur du monde humain : le mal incurable
III- INHUMAIN ET TRANSGRESSION DANS LA PENSÉE DE NIETZSCHE
Bien que de façon différente, le surhumain présente également chez Nietzsche les caractères d’une transgression positive par laquelle l’humain se trouve conduit à ses limites. Ainsi, la Généalogie de la morale permet à son auteur de caractériser l’humain comme un type réactif, maladif, issu d’une longue histoire, celle des idéaux ascétiques, par laquelle s’est trouvée pervertie la volonté de puissance. De même, le Gai savoir retrace la généalogie de la «volonté de vérité» sous l’emprise de laquelle s’est trouvée placée l’humanité, reprenant en cela l’écho de l’assimilation opérée par la Naissance de la tragédie entre la naissance de la pensée occidentale et celle de ce type d’homme «dégénéré» qu’est «l’homme théorique» et dont la figure première est Socrate. A l’époque moderne, l’humain n’est plus qu’un type dénaturé, privé des instincts dominateurs des Grecs archaïques et donc livré à une hystérisation romantique des affects qui ne parvient pas à compenser l’affaiblissement général propre à l’humanité décadente. De cette image réactive de l’humain, le surhumain se présentera donc à la fois comme la transgression et comme le contre-pied : comme l’indique Par delà le bien et le mal, il faut que l’homme meure pour que se produise l’avènement d’une «race de seigneurs» par laquelle l’humanité sera reconduite à ses limites.
Toutefois, si le surhumain a ceci de commun avec l’inhumain qu’il implique une contestation de la norme de l’humanité, il s’en distingue radicalement en tant qu’il la rend caduque. Car l’inhumain ne prend sens que dans la mesure où il déplace scandaleusement les limites de l’humain tout en se situant à l’intérieur d’elles ; au contraire, le surhumain implique leur abandon total. En termes nietzschéens, l’inhumain conteste les «anciennes tables» évoquées par Zarathoustra, mais sans les dépasser : de façon typiquement nihiliste, il effrite et ronge de l’intérieur les valeurs humanistes mais sans en proposer d’autres. Au contraire, la pensée du surhumain implique par définition la «création des valeurs» sans cesse appelée par Nietzsche, et donc le dépassement définitif du nihilisme lui-même. De la possibilité de ce dépassement, la «pensée la plus lourde» du Gai savoir – celle de l’Éternel Retour – sera l’épreuve ; mais l’important est qu’elle ne conserve rien du «vieil homme» lui-même, engageant au contraire une transfiguration dont l’instauration des valeurs nouvelles est le signe. Comme le symbolise l’expression «l’homme qui veut périr» d’Ainsi parlait Zarathoustra, celui qui, par opposition au «dernier homme», veut activement sa propre destruction pour que renaisse à partir d’elle un nouveau type d’humanité, le surhumain se donne comme l’achèvement volontaire des possibilités humaines ; l’inhumain, quant à lui, en est la négation interne. Une fois de plus, il ne prend son sens qu’au coeur de l’humain lui même, et non dans la perspective d’un dépassement qui, en le soustrayant au champ de l’humain, lui ferait du même coup perdre toute pertinence.
Les analyses du supra-humain et du surhumain montrent donc qu’il ne suffit pas qu’il y ait transgression pour qu’il y ait de l’inhumain. Dès lors, il paraît urgent de radicaliser la perspective en se demandant si l’inhumain, n’étant assimilable ni au mal ni à la transgression, peut avoir une existence autre que nominale : y a-t-il vraiment de l’inhumain ? Ou faut-il au contraire relativiser tant les normes de l’humain que la notion elle-même ?
Comment la torture transforme un être humain en monstre !
IV- L’INHUMAIN, UN CONCEPT RELATIF ?
Par certains côtés, les travaux des anthropologues et des ethnologues montrent la nécessité d’une telle relativisation. Ainsi, Jacques de Soustelle (La vie quotidienne des Aztèques a la veille de la conquête espagnole) montre que le sacrifice humain constitue chez les Aztèques une marque suprême d’humanité, le sang de la victime étant offert à la divinité solaire pour éviter la mort du «cinquième soleil» et donc le naufrage du monde tout entier. De même, Marcel Mauss (In Essai sur le don) fait apparaître que le repas cannibale rituel propre à certaines tribus a pour fonction d’aider l’âme du mort à se détacher de son corps et, donc, de réduire la durée pendant laquelle, du fait de la décomposition du cadavre, le double du défunt pourrait mettre en danger la communauté. Plus généralement, Levi-Strauss a stigmatisé le préjugé «ethnocentriste» qui fait juger inhumaines à l’Occident des pratiques à partir de normes qui sont extérieures et étrangères à leur culture d’origine. «Le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie», affirme dans cet esprit le chapitre 3 de Race et histoire : il n’y aurait donc pas de point de vue objectif à partir duquel l’humanité puisse être évaluée et, le cas échéant, jugée défaillante.
Mais est-ce à dire pour autant que, somme toute, l’inhumain relève purement d’un conventionnalisme, et peut varier indéfiniment en fonction des époques et des lieux ? La réponse est négative : quelles que soient les normes adoptées, le massacre de tout un peuple ne semble pas pouvoir être justifié. Sans évoquer les exemples plus récents, le génocide des péruviens (les neuf dixième de la population ont été exterminés par les Espagnols, soit par les armes, soit dans les mines d’argent), bien qu’il remonte à plusieurs siècles, demeure tout aussi intolérable qu’à l’époque des Conquistadores. Mais alors comment penser l’inhumain, s’il n’est pas relatif ? Peut-on, si désuète que puisse paraître la question, revenir en deçà du relativisme culturel, et définir de manière universelle ce qu’il y a de proprement humain dans l’homme ?
S’il doit y avoir une norme de l’humain, on pourrait être tenté de la comprendre en référence à un état primitif où elle apparaîtrait plus clairement. C’est ce que fait Rousseau à la fin de la première partie du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes en définissant l’amour de soi comme le sentiment naturel de l’homme sauvage, «adouci» et «tempéré» par la pitié, elle-même comprise comme une «répugnance innée à voir souffrir son semblable» (Pl. p. 154). «Pur mouvement de la nature», la pitié précède l’usage de toute réflexion et concourt à la préservation de toute l’espèce ». Rousseau en conclut donc de façon polémique que les injonctions qui proviennent d’elles sont tout autant fondamentales que les impératifs moraux et, sans doute, plus fortes, parce qu’elles ne dépendent pas du raisonnement. Ainsi, c’est le sentiment de la pitié qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : «Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse », inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais bien plus utile peut-être que la précédente : « fais ton bien avec le moins de mal d’autrui qu’il est possible » (p. 156).
La pitié est donc un sentiment primordial, qui tire sa force de la non réflexivité de l’homme sauvage. Loin de se définir de façon simplement psychologique, comme une forme d’empathie, elle n’est pas un simple sentiment subjectif, individuel. C’est l’une des deux dispositions fondamentales, archaïques, de l’homme, que Rousseau cherche à retrouver au moyen d’une généalogie qui permet de remonter de la civilisation à l’état de nature. C’est la raison pour laquelle la condamnation rousseauiste de l’homme civilisé est si forte : pour le sujet, étouffer en soi la «voix» de la pitié ne témoigne pas simplement d’un manque de coeur occasionnel, mais d’un dévoiement de sa nature propre. Ainsi, c’est la raison qui engendre l’amour-propre, et c’est la réflexion qui le fortifie ; c’est elle qui replie l’homme sur lui-même ; c’est elle qui le sépare de tout ce qui le gêne et qui l’afflige. C’est la philosophie qui l’isole ; c’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ; c’est elle qui, dans l’état de Nature, tient lieu de lois, de moeurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix. ( … ) ». : c’est par elle qu’il dit en secret à l’aspect d’un homme souffrant: «péris si tu veux, je suis en sûreté» ( … ) On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre ; il n’a qu’à mettre ses mains sur ses oreilles et s’argumenter un peu pour empêcher la nature qui se révolte en lui, de l’identifier avec celui qu’on assassine. L’homme sauvage n’a point cet admirable talent ; et faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer au premier sentiment de l’Humanité ». (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (Pléiade, Paris, 156).
Comment penser l’inhumain dans cette configuration ? Ce n’est pas par la simple négation de la pitié, en tout cas, puisque Rousseau affirme clairement que la pitié n’intervient que pour limiter l’amour de soi. Contrairement aux idées que développera Schopenhauer sur le même thème, Rousseau ne prône pas une éthique du sacrifice qui, elle aussi, serait pensée comme inhumaine, au sens où elle contredirait cet autre principe fondamental qu’est l’amour de soi. L’inhumain serait donc plutôt une négation volontaire de la pitié, que ce soit sous une forme minimale : faire son bien sans souci du mal fait aux autres ; ou maximale : faire son bien en causant le plus de tort possible aux autres. Dans cette perspective, l’inhumain serait alors à penser du côté de la perversion plutôt que de la transgression : en l’homme inhumain, la nature se serait, sinon fourvoyée, du moins dévoyée.
Pourtant, cette hypothèse se heurte, encore une fois de plus, à un paradoxe. En effet, comme telle, la pitié n’est pas le propre de l’homme, puisque «les Bêtes même en donnent quelquefois des signes sensibles» (p. 154), comme la tendresse des mères pour leurs petits ou la répugnance des chevaux à fouler aux pieds un animal. Comment alors penser l’inhumain en référence à la pitié, si la pitié est partagée par les animaux ? Une réponse paraît évidente : les animaux, qui agissent par instinct, seraient tout aussi incapables d’un comportement «inhumain» que d’une attitude humaine. C’est ce que semble attester la fin de la première partie du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes au moyen de l’analyse de la perfectibilité : c’est en définitive cette faculté qui s’avère proprement humaine, assurant à l’homme sauvage les possibilités de développement dont les «funestes progrès» seront décrits dans la Seconde Partie.
Mais il apparaît encore deux nouvelles difficultés : d’une part, cette réponse n’en est pas une au sens où elle ne fait que confirmer l’idée que ce n’est pas par la pitié que se définit la spécificité humaine ; d’autre part, la suite du Second Discours montre qu’en définitive, le propre de l’homme civilisé, c’est justement de désobéir aux injonctions de la pitié : c’est ainsi que les usurpations des Riches, les brigandages des pauvres, les passions effrénées de tous étouffant la pitié naturelle, et la voix encore faible de la justice, rendirent les hommes avares, ambitieux, et méchants ». Il paraît donc difficile de prendre comme point d’appui la pitié pour définir l’inhumain, au sens où le développement progressif des Lumières a engendré la production d’une nouvelle norme de l’humain. Comme le dira Schopenhauer dans la quatrième partie du Monde comme volonté et comme représentation, le comportement le plus banalement, le plus tristement humain, c’est l’égoïsme, lequel n’est pas non plus à comprendre, chez Schopenhauer, en un sens purement empirique et psychologique : c’est un égoïsme métaphysique, issu de l’affirmation singulière de chaque volonté qui croit résumer en elle l’essence du monde, et se croit donc autorisée à agir à son gré, sans préoccupation aucune pour les autres volontés. En définitive, ce qui apparaissait, en référence à la nature première de l’homme, comme inhumain (étouffer la pitié), s’est trouvé érigé en nouvelle nature dans le cas de l’homme civilité (cf référence dans la Préface à la statue de Glaucus, métaphore de «l’âme humaine altérée au sein de la société») : par une sorte de perversion civile, l’inhumain apparent est devenu la norme de l’humain.
Toutefois, il semble possible de dégager de l’approche rousseauiste un fil directeur : l’inhumain se joue clairement non pas dans une simple définition de la nature humaine, mais dans un rapport spécifique à autrui, qui ne se réduit pas au simple fait de lui faire du mal, puisque selon la logique rousseauiste, on peut faire du mal à quelqu’un en cherchant à se préserver soi-même, par exemple piétiner quelqu’un dans une foule en fuyant un incendie. Peut-être n’est-ce qu’en pensant ce rapport spécifique à autrui qu’on pourra préciser et fonder le paradoxe premièrement énoncé d’un inhumain au coeur de l’humain ?
Il semble que les analyses d’Emmanuel Lévinas du visage puissent nous y aider : dans Totalité et infini, le visage apparaît, en effet, comme l’épiphanie d’une individualité saisie au sommet de sa valeur expressive ; il est à la fois présentation et présence d’une personne. Il «porte témoignage de soi », «déchire le sensible». Le visage est donc une métonymie de ce qu’il y a de plus humain en l’homme : hors discours, plus profondément que le langage, et antérieurement à lui, il rassemble dans l’expression silencieuse d’une individualité l’humanité tout entière. Pourtant, le visage n’est pas clos sur lui-même : s’il concentre en lui l’humanité tout entière, il est aussi constitutivement ouvert sur la dimension de l’intersubjectivité : tout visage appelle le regard, et, en droit du moins, tout contact avec un visage est reconnaissance d’une humanité commune et partagée. Sur le plan éthique, le visage est donc une donation non dialectique de soi, qui engage la nécessité absolue d’une reconnaissance, mais sans conflit et ouvre une relation éthique marquée par l’interdit de la violence. Physiquement vulnérable, le visage se présente comme moralement inviolable : il a la résistance impalpable, mais réelle de «ce qui n’a pas de résistance».
Des cadavres d’une guerre
Qu’est-ce alors que l’inhumain ? Symboliquement, frapper un visage offert. Nier l’humanité qui s’y montre en y appelant la reconnaissance d’une communauté d’essence et d’affect. Avoir un comportement inhumain, ce sera alors nier le lien éthique qui relie immédiatement mon propre visage à celui que je frappe. Plus précisément, l’inhumain semble se jouer dans un double mouvement : reconnaître qu’en tout visage s’exprime un appel constitutif à la reconnaissance, et vouloir, délibérément, nier cet appel. Apparaît alors plus clairement la différence entre un acte inhumain et un comportement sadique : dans le cas du sadisme, en effet, et si ambigu que soit le rapport qui lie le bourreau à sa victime, il s’agit d’une relation individuelle dans laquelle l’un fait souffrir l’autre. Mais l’acte inhumain, quant à lui, engage une négation de l’humanité tout entière dans la personne qui souffre : si le visage concentre sur une individualité singulière et unique la quintessence même de l’humanité, frapper un visage, c’est atteindre, dans et par delà la personne, cette humanité elle-même. Trois termes sont donc nécessaires pour penser l’inhumain, et non deux, comme dans le cas du sadisme, le bourreau, la victime, mais aussi cette dimension plus vaste qui est niée en elle, à savoir son humanité.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi l’inhumain n’est pas une simple question d’échelle et n’admet pas de degrés. Ce qui distingue un crime contre l’humanité d’un crime de guerre, par exemple, ce n’est pas le nombre des victimes : c’est le fait que dans le cas du premier, il y ait eu volonté délibérée de nier les personnes dans leur humanité et pas simplement de tuer des civils afin de gagner la guerre, par exemple. Les atrocités commises participent d’une négation de l’humanité des victimes envisagée comme une fin en soi, et ne sont pas simplement les conséquences ou les moyens répréhensibles de la poursuite de fins autres.
Victime d’une torture
Finalement, il est donc vain de vouloir penser l’inhumain en le renvoyant aux catégories traditionnelles du mal, de la transgression, de l’excès ou du défaut. L’inhumain ne relève pas seulement du jugement moral, ne peut se définir comme simple transgression, et s’assimile ni à un moins ni à un plus dans la possession de certaines qualités censées définir l’humanité : le manque d’intelligence ou le crime passionnel ne sont en rien inhumains. Si l’inhumain fait entrer en jeu l’affectivité, ce n’est pas au sens du sentiment individuel. Il ne se confond pas avec la cruauté au sens où dans et à travers la victime, il engage une relation à l’humanité tout entière qu’il met en péril. C’est précisément pour cette raison qu’il n’est pas purement subjectif, et dépasse le cadre d’une relation duelle entre deux individus.
L’inhumain atteste d’un rendez-vous manqué avec une humanité perçue non seulement comme une réalité absente, mais comme un devoir-être nié par le ou les sujets concernés. Toutefois, le propre de l’inhumain est qu’il se donne sur un mode plus paradoxal encore : nier l’exigence d’humanité coextensive au visage d’autrui en le maltraitant, c’est en même temps affirmer son existence sur un mode passif, c’est-à-dire comme victime. Ne plus lui laisser comme mode d’être que la résistance. C’est donc à la fois le nier dans sa dignité d’être humain, mais en même temps lui laisser suffisamment d’humanité pour que cette dépossession même ait un sens, car s’il ne reste qu’un cadavre, le mouvement de la négation perd son sens). Tout acte inhumain se tient dès lors sur une frontière fragile et ambiguë, entre un maximum de négation et un minimum d’affirmation de l’humanité d’autrui. Si l’inhumain paraît terrible, au sens étymologique, c’est qu’il semble y avoir une marge infinie entre cette négation et cette affirmation, et que la limite paraît indéfinissable. Si grande soit la négation de l’exigence d’humanité du visage, il en reste toujours assez pour que le mouvement qui la nie soit prolongé, et que l’horreur se perpétue. C’est la raison pour laquelle, par essence, l’inhumain ne vient pas d’ailleurs, mais ouvre une faille au coeur de l’humain, c’est-à-dire dans son être profond.
La guerre, jeu de prédilection des descendants d’Homo sapiens
Franz Peter-Rochard
19:54 (Il y a 2 heures)
À moi
salut Pierre
toujours des sujets passionants, et contrairt aux autres emails, je ne réponds jamais à tes emails après la première lecture. et pourtant parfois, ma réponse ne tient qu’en 2-3mots. c’est une façon commode pour s’échapper de sujets que je trouve très très difficiles.
je crains que mon débats sur ton sujet du jour ne s’arrête encore à un commentaire presque stérile !
Mais peut-être que ce Cameron n’était pas un sadique, ni même un passionné égoiste, mais seulement un déterminé qui croyait réellement au bienfait de ces recherches. Voilà, je cherhe juste à positiver ce jour.
Comme trop de gens j’aimerais parfois effacer mon caractère parfois difficile pour moi et les autres, mais je reconnais que je ne me sens jamais dans une détresse telle que la méthode de Cameron puisse me tenter…
Toutefois je connais qq en chaire et en os qui a été relevé de problème psychiatrique grace aux électrochocs, alors qu’aucune thérapie douce ou chimique ne donnait des résultats contrustifs. Les sismothérapies n’étaient bien entendu pas aussi fréquentes que le protocol de Cameron, et bien sur cette méthode n’était pas sans inconvénient ni même 100% miraculeuse…
bonnes vacances
Franz
Salut Franck,
Les échanges d’ordre intellectuel ne sont jamais stériles, comme tu le penses. Nous n’avons pas la même manière de penser ni de considérer les choses. Quoi qu’il en soit, on apprend toujours des autres au sujet des thématiques humaines aussi compliquées que cette dernière.
En fait, ce qui est inhumain dans le comportement de ce médecin, ce n’est pas tellement sa foi au fait que ses thérapies guériraient qui ce soit. C’est le fait d’utiliser des êtres humains à leur insu pour des expériences techno-scientifiques entièrement payés par la CIA et pour le compte exclusif de la CIA. Celle-ci, si l’expérience avait réussi, entendait les utiliser comme des espions dans les camps ennemis. Il ne serais pas condamnable si son intention était thérapeutique. En fait, il agissait comme les médecins nazis qui faisaient leurs expériences sur des sujets vivants sans égard pour leurs souffrances vives. C’est en cela qu’il y a une monstruosité, une inhumanité, peut-être en chacun de nous. Nous ne nous connaissons pas assez pour soutenir que nous sommes comparables à des anges, si de tels êtres purs existent effectivement.
Sur tout sujet touchant à l’humain, les débats sont toujours ouverts.
Belle nuit et bonnes vacances.