LA POLITIQUE COMME JE LA VOIS
Ces dernières années s’est opérée en Europe et particulièrement en France un certain désespoir dans la classe politique, largement alimentée par certaines élites et l’opprobre dont elles se couvrent par leurs mensonges. La politique paraît perdre son essence dans la poursuite des intérêts particuliers et ne plus avoir d’autre but que l’accession au pouvoir, entraînant la perte de crédibilité et même de légitimité de la classe politique auprès de son peuple ainsi que la désespérance de ce dernier en un avenir meilleur.
Pourtant la politique, en tant qu’activité humaine, peut et même doit être perfectionnée et, si les élites ne souhaitent pas aller en ce sens, il est du devoir du citoyen de remplir ce rôle, de remettre en question le gouvernement de son pays. De cette critique découle un nouvel idéal donnant un but à toutes les actions pouvant améliorer une politique. Au cours de cet article, je tâcherai d’appréhender ce qui peut rendre meilleure une politique, de redonner un sens à celle-ci en déterminant les modalités me paraissant la rendre idéale, mais aussi de restaurer l’espoir en ce qui a trop souvent été bafoué sur le terrain des intérêts personnels.
Le terme « politique » dérive du grec « politikos », désignant originellement le gouvernement d’une cité, peut s’étendre dans le contexte contemporain à l’ensemble des décisions relatives à la gestion d’une société.
A priori, la politique est en charge d’une société, comme une seule et unique entité ; elle serait toujours la garante du bien du groupe, conformément à la satisfaction de l’intérêt général, quand bien même cela se fait aux dépens des volontés individuelles. La politique jugerait celles-ci comme néfastes à la cohésion sociale, et jouerait un rôle de régulation des hommes et de leurs pulsions égoïstes les poussant à agir envers et contre la volonté générale.
Dans quelle mesure la politique doit-elle se porter garante du bien de tous et comment peut-elle outrepasser les intérêts particuliers déstructurant la société ? Tout d’abord, nous analyserons en quoi la politique doit se mettre au service du groupe comme entité unique, ensuite nous montrerons les limites de cette théorie de la politique comme garante du bien du plus grand nombre. Enfin, nous tâcherons de déterminer par quel moyen parvenir à cette cohésion sociale, but ultime de la politique.
1) La politique, comme garante du bien de tous
Conformément à sa définition, la politique est essentiellement responsable d‘une société et de l’ensemble de ses membres constituants. Celle-ci se place comme entité supérieure, presque céleste, considérant chacun également, détachée des intérêts particuliers et vils des individus. La politique consiste en l’action désintéressée au profit de la société et de sa cohésion : elle trouve sa légitimité dans l’aspiration au bien de tous, ou lorsque les volontés individuelles divergent trop, dans le bien du plus grand nombre.
Dès les premières sociétés, s’est organisée une certaine hiérarchie sociale conférant à une minorité une existence supérieure, donnant droit à un meilleur état matériel. Cette caste supérieure pouvait, grâce à la division du travail inhérente à la société, occuper des postes de direction ou s’exercer à des tâches intellectuelles, plus gratifiantes, en laissant les travaux physiques, éreintants et ingrats à d’autres, considérés comme des hommes de seconde classe pour qui la misère et le dénuement paraissent comme des conditions inhérentes à leur existence.
L’esclavage pousse cette idéologie à agir de manière l’extrême en réduisant au strict minimum les biens conférés à l’esclave afin d’offrir la quasi-intégralité du fruit de son travail à une caste sociale considérée comme naturellement supérieure. L’idéologie a été poussée à l’extrême de sorte qu’aux XVIII-XIXème siècle, l’esclave pouvait mourir de chaleur sous le soleil de Cuba pour que la société européenne mondaine puisse sucrer son thé.
Il n’existe certainement pas de loi céleste, donnant à la naissance à un individu une supériorité devant un autre et surtout, il n’en existe certainement pas qui condamne un autre au désespoir et à l’indigence, qui plus est lorsque la majorité connaît son sort.
La politique consiste avant tout en la satisfaction de la majorité des hommes dans laquelle elle trouve sa légitimité dans la réalisation de la Justice. Jérémy Bentham, philosophe utilitariste du XVIIIème siècle posait le nouveau principe moral du « plus grand bonheur du plus grand nombre », et cette maxime me paraît être le plus admirable des programmes politiques.
Si le bonheur tient le plus souvent à des circonstances relatives à l’individu qui ne sont pas du ressort de la politique, celle-ci a le pouvoir, si ce n’est le devoir de satisfaire les besoins matériels immédiats de l’individu, condition inhérente à son accession au bonheur.
La politique doit sortir des limites individuelles, et tendre vers l’impartialité, le désintéressement, permettant seuls la satisfaction générale dans laquelle pourraient se perdre les tensions au sein de la société. Ce bien de tous entraîne la forme aboutie de la cohésion sociale, une certaine harmonie suprême, l’intelligence supérieure des hommes, but ultime de la politique.
2) Des limites du « bonheur du plus grand nombre
Néanmoins, cette théorie de la satisfaction de la majorité trouve rapidement ses limites, et une perception de la politique visant à l’accomplissement du bien de tous aboutit à une impasse. Une politique prête à sacrifier les libertés et les droits individuels au profit de la majorité ne peut être légitime. Qui voudrait d’une politique tuant dix hommes pour le bien-être de onze ?
Cette vision de la politique comme bien de la majorité aux dépens de la minorité a entraîné dans l’histoire de nombreuses atrocités. Le stalinisme, et par extension la plupart des régimes communistes, envisageaient sous cet angle la gestion d’un Etat et poussaient l’idéologie à l’extrême. Le meurtre de vingt millions d’hommes dans les goulags ne tourmentait pas Staline, car il croyait heureux les dizaines de millions restants. Tant que le peuple était satisfait, tous les massacres et toute la violence imaginables que nous connaissons aujourd’hui grâce à l’Histoire, étaient justifiés. Durant le régime stalinien et dans une moindre mesure jusqu’en 1991, la réalisation de l’idéologie prévalait toujours : le bien du plus grand nombre valait largement la mort d’un nombre inférieur d’individus.
En ce qu’elle peut avoir de totalitariste, la politique du « bonheur du plus grand nombre » n’est pas acceptable et il s’agit de fixer des limites à celle-ci. Le bien de la société s’arrête où le droit de l’individu commence. « La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 » affirmait justement les libertés individuelles sur les droits naturels de l’être humain et, par ceux-ci fixait les limites du pouvoir politique.
« La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » posait ces droits, dont le premier est la liberté, comme inaliénables car inhérents à la condition naturelle d’être humain. En tant que perfectionnement de l’Homme, la société doit conserver les acquis de l’individu à l’état de nature et ne peut le réduire à une condition inférieure à celle qu’il occupe en dehors de l’état social.
Il existe alors des limites au concept de la politique comme satisfaction du plus grand nombre. L’individu doit conserver une place au sein de la société et même le bien du plus grand nombre ne peut aliéner certains de ses droits les plus naturels. Une société reste composée d’unités différentes, et la politique a pour tâche de les concilier en assurant le bien de chaque minorité dont l’ensemble représente une part de la société qui ne peut être négligée. La politique a presque autant pour tâche de veiller au bien de chacun qu’à celui de tous ; elle se doit d’assumer ce rôle avant même de tendre vers la satisfaction du plus grand nombre. On ne peut tendre vers le bien de tous, vers une union des hommes, lorsque la satisfaction de chacun n’est pas préalablement garantie.
3) De l’égalité comme fondement de la société
Si l’on demande à un homme : « Veux-tu que les biens soient réparties de façon absolument égale ou en fonction des mérites de chacun ? », celui-ci répondra presque toujours par la seconde proposition. Autour de cette question s’est construite toute la distribution des biens telle que nous la connaissons. Celui qui a le courage d’entreprendre se trouve récompensé par une condition matérielle et sociale supérieure, tandis que celui qui n’a pas d’aspiration particulière au pouvoir ou à la domination, se trouve relégué à un état inférieur.
Cependant, qui peut prétendre que les ressources sont réellement distribuées selon le mérite ? En effet, l’expérience nous apprend au contraire que les biens sont rarement répartis en fonction d’une quelconque forme de qualités individuelles, mais bien plutôt sous une loi déraisonnable. Il ne s’agit pour démontrer ceci que de citer l’exemple évident des célébrités ayant connu le succès par la télévision. Il serait difficile de leur attribuer la moindre forme de mérites portant au respect, la moindre qualité particulière, intellectuelle ou humaine.
De plus, comment peut-on déterminer ce que sont les « qualités de chacun » ? Qu’est-ce que ce terme signifie ? A la fois tout et rien, ou plutôt tout et donc rien.
En effet, appréhender les aptitudes de chacun implique de se placer en juge et de considérer notre prochain à travers nous-mêmes et nos propres qualités personnelles. Ce qui est considéré comme « qualité » pour l’un le sera moins pour l’autre, le mérite reste un concept subjectif. L’attribution des biens selon la valeur de chacun est non seulement irréalisable, mais insensée, et source d’injustices endommageant la cohésion sociale.
A contrario, de l’égalité entre les individus découle une meilleure intelligence entre les hommes, assurément bénéfique à la société. Dans cette forme d’harmonie se confondent la volonté générale et les volontés particulières, anéantissant les conflits d’intérêts.
Il y a quelques mois en France, une loi concernant la transparence des revenus des députés avait été débattue au Parlement. Il me paraît des plus aberrants que des hommes doivent voter une loi concernant uniquement leurs propres intérêts. Au nom du désintéressement nécessaire à une bonne politique, cette question doit au contraire être traitée par un tiers.
J’imagine mal comment l’on pourrait accepter, à moins d’être le plus vertueux des hommes (ce qui n’était malheureusement pas le cas) une obligation nous importunant personnellement, quand bien même cela se fait pour le bien de tous. Il était prévisible que le projet soit rejeté.
L’homme cherchera toujours à privilégier avant tout ses intérêts personnels, c’est d’ailleurs ce que nous a appris l’expérience à propos des responsables politiques. Ainsi, le seul moyen pour que que le citoyen décide véritablement pour le bien de tous consiste en ce que cette décision le touche autant lui-même que chacun. Somme toute, il prendra sa décision pour son intérêt personnel qui se trouve aussi être celui de tous. Les intérêts particuliers ne peuvent ici plus empiéter sur le bien de tous et les individus en viendraient à s’expriment d’une seule voix.
Si l’on vient m’opposer que l’égalité est inenvisageable, car la nature ne fait pas des hommes égaux, je répondrai tout d’abord que l’homme n’a pas à se soumettre à la nature et que sa socialisation dont dépend la politique découle même d’une opposition à celle-ci.
J’ajouterai ensuite que je ne parle pas d’égalité en termes d’aptitudes individuelles, ce qui est plutôt du ressort à la fois de la Nature et de l’individu lui-même, mais d’égalité en ce que peut procurer une politique, c’est-à-dire en droits et en biens.
Enfin, j’avancerai que l’égalité n’implique pas une conformation des individus, deux hommes peuvent être essentiellement différents, mais la valeur de chacun aux yeux de la société restera identique et cela transparaîtra sur une condition matérielle équivalente.
S’il paraît utopique, et même peut-être naïf, d’atteindre une égalité stricte dans les prochaines années, car de trop nombreux obstacles liés à la volonté individuelle de domination l’en empêchent, la politique doit préparer l’individu à vivre cette transition marquante de l’Histoire de l’Humanité, sans toutefois l’effectuer de manière précipitée, comme cela a trop souvent été le cas.
Il n’existe pas d’homme providentiel capable de se détacher tout à fait de ses intérêts personnels à qui l’on pourrait confier sans crainte la politique d’un état, ou s’il existait, cela ne serait pas longtemps le cas, l’exercice du pouvoir rendant presque toujours les hommes imbus d’eux-mêmes et égoïstes. Les volontés individuelles doivent se conformer au bien de tous et cela ne peut se faire sans égalité entre les hommes.
Finalement, l’enjeu majeur de la politique actuelle se trouve être la conciliation du bien de tous et de celui de chacun. La recherche de la satisfaction de la société comme entité unique est en effet le but essentiel de la politique, mais celle-ci ne doit se faire aux dépens des individus et de leurs droits naturels, occupant une place prépondérante au sein d’une société. A l’issu de notre analyse, nous avons démontré que la conciliation des intérêts à priori contradictoires ne peut se faire sans l’application d’une certaine égalité entre les hommes.
Cependant, la politique ne paraît guère se diriger en ce sens mais bien, au contraire, à son opposé. Les intérêts personnels n’ont jamais pris une telle place en politique et les affaires judiciaires portées sur les responsables politiques sont plus nombreuses que jamais. Enfin, la politique, toujours dominée par la démagogie dans toute l’Europe, ne paraît plus aujourd’hui envisagée en vue d’une cohésion, mais semble au contraire vouloir amplifier les tensions en ranimant la haine chez des hommes trop jeunes pour se souvenir ce à quoi mène l’aversion envers un peuple.
Bernard Melvin TS 6 Saint-Marc 2013-2014