« Amour mystique » et sensualité triviale : une interprétation de l’expérience spirituelle de sainte Thérèse d’Avila et de saint Jean de la Croix, mystiques espagnols selon la philosophie nietzschéenne

« Amour mystique » et sensualité triviale : une interprétation de l’expérience spirituelle de sainte Thérèse d’Avila et de saint Jean de la Croix, mystiques espagnols selon la philosophie nietzschéenne

« Mystical love » and trivial sensuality: an interpretation of the spiritual experience of Spanish mystics, Saint Teresa of Avila and Saint John of the Cross, according to Nietzschean philosophy

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 Il existe des gens éprises de pureté ou de respect des phénomènes religieux et/ou spirituels. Nonobstant ce, cette posture mentale, en apparence pieuse, a, au fond, quelque chose d’hypocrite puisque toute religion, par définition, dérive du latin religare. En d’autres termes, la religion est ce qui fait lien, d’abord, entre les croyants et leur Dieu (lien vertical), ensuite, lien entre ces derniers eux-mêmes dès lors qu’ils partagent la même foi (lien horizontal). En ce sens, aucune religion ne descend directement des cieux : elle est inhérente à la conscience humaine. En effet, la religion, pour les personnes soi-disant pieuses, doit toujours rester dans un halo d’inconscience et d’innocence. De cette manière, elle gardera sa pureté, son élévation, voire ses mystères à la seule condition qu’une sorte d’enveloppe nébuleuse fasse barrière à son voile d’illusions. En ce sens, parler de la sensualité dans ce qu’il y a de plus divin, à savoir l’amour mystique, peut paraître étrange et même scandaleux.

Heureusement et, à l’inverse de ce genre d’êtres humains, il existe aussi des gens qui ont du respect pour les choses religieuses, mais qui pensent que toute religion est faite par les hommes. Tel est la thèse de Feuerbach, dans L’essence du christianisme. Dieu est un artéfact de l’idéat, c’est-à-dire l’une des productions de l’esprit humain selon le Monisme idéaliste.

Sans mettre en cause l’existence de Dieu, cette dernière perspective philosophique juge qu’il y a encore beaucoup d’investissement humain dans tout ce qui peut être considéré comme sacré, comme divin ou mystique. Notre analyse s’inscrit dans la perspective nietzschéenne, suivant sa vision des faits religieux à travers l’expérience de deux saints catholiques.

English

Some people have a great love of purity or a deep respect for religious and/or spiritual phenomena. Nevertheless this mental attitude, which looks pious, is somehow hypocritical since any religion is, by definition, derived from the Latin religare. In other words, religion is what bonds believers together: first the vertical link that bonds people to their God, then the horizontal link that bonds believers together since they share the same faith. Thus no religion stems directly from the heavens; it is inherent to human conscience. Indeed for so-called religious people, religion must always remain in a halo of unconsciousness and innocence. This is an indispensable condition for it to retain its purity, its elevation, or even its mysteries only and only if a sort of nebulous screen overshadows the veil of its illusions. This way, dealing with sensuality in what is mostly divine, that is to say mystical love, may look weird and even outrageous.

Fortunately, and unlike this kind of human beings, there are also people who respect religious matters, but who think that all religions are created by men. Such is Feuerbach’s thesis in The Essence of Christianity. God is one of the productions of the human mind according to idealistic monism.

Without questioning the existence of God, the latter philosophical perspective considers that there is still a lot of human influence in all that may be regarded as sacred, divine or mystical. Our analysis lies within the Nietzschean perspective, following the philosopher’s vision of religious facts through the experience of two Catholic saints.

Traduction Odile Gouget, Professeur d’anglais


I- Sens de l’expérience mystique selon Nietzsche

Nietzsche est un philosophe qu’on a voulu parfois qualifier de mystique, en raison du caractère qui reflète bien ce genre d’écrit dans certains de ses textes. A cet effet, il écrit notamment : « La spiritualisation de la sensualité s’appelle amour… » [1974 : 83]. Et dans La Volonté de puissance, tome I, il remarque qu’il y a une réelle satisfaction sensible dans l’extase : « Cette satisfaction même n’en est pas seulement une apparente : elle s’effectue chez les extatiques de l’ « unio mystica » si indépendamment que ce puisse être de leur vouloir et de leur « entendement » non sans les symptômes physiologiques concomitants de la satisfaction sexuelle la plus sensuelle et la plus conforme à la nature » [1976 : 130]. Nous verrons ultérieurement la pertinence de ces analyses qui s’accordent parfaitement avec l’expérience mystique que ces deux saints en question ont vécue.

Qu’est-ce que la mystique en dehors du sens nietzschéen ? Il y a dans toute expérience mystique, l’union intime de l’homme avec Dieu. Et cette union passe par un lien privilégié et profondément humain qui s’appelle amour. C’est même un grand amour par son caractère entier. En effet, cette expérience se manifeste parfois par un don de soi-même à Dieu, un don si total et même si inconditionnel que le moi s’évanouit en Dieu par son haut degré de communion. On devient une espèce de réceptacle où la présence divine vient, en de rares instants et des moments exceptionnels, se recueillir. C’est un peu comme une bouteille vide qui recueille une fumée qu’on y souffle.

Dans la pensée hindoue, certaines philosophies mystiques utilisent le symbole de l’Océan et des fleuves : Brahmâ est l’Océan, le réceptacle par excellence, les yogin (ou yogi en Français) qui ont atteint une certaine perfection au point de parvenir à la communion avec l’Absolu, sont comparés aux fleuves. Ils s’écoulent éternellement en lui mais ils ne grossissent ni ne diminuent l’immensité de ses eaux. Chaque eau émanant de ces fleuves divers et multiples, trouve une place adéquate au sein de l’Océan. Différent de chacune d’elles, Brahmâ contient en lui l’immensité et l’infinité des molécules qui constituent les eaux des fleuves. On trouve de telles métaphores divines dans l’ouvrage d’Olivier Lacombe, L’Absolu selon le Védânta.

L’expérience mystique exige, en général, une suprême union avec Dieu qui ne peut résulter que d’un amour qui aspire à dépasser tout égoïsme – du moins le voudrait-on -, et à une soumission du sujet humain à la volonté divine. Cette soumission doit être si parfaite que même les bonnes intentions, la recherche du mérite par de bonnes oeuvres ne peuvent la perturber dans sa sublime indifférence. La cime de cet amour est la perfection qui consiste en une contemplation si grande qu’elle s’achève dans l’extase. C’est l’état indicible qui unit mystérieusement l’âme à Dieu. L’extase peut être le résultat d’une grande dévotion, telle que la prière, ou d’une faveur particulière de la divinité, ou d’une recherche, par la méditation, de l’illumination intérieure.

Nonobstant ce, selon Nietzsche, l’extase dans l’expérience mystique n’est rien d’autre que l’extrême pulsion de la sensualité, voire de la sexualité. Lorsque les sens sont aiguisés par le désir sexuel, la vie est comme exaltée, prenant une dimension victorieuse sur la banalité du quotidien pour atteindre une force transfiguratrice des phénomènes, en raison de la plénitude qu’on est alors en état d’y projeter. Dans ce cas, la beauté devient plénitude, et « c’est pourquoi la sensualité et l’ivresse appartiennent à la félicité religieuse ». Chez Nietzsche, la sensualité exprime la pleine santé, la joie contrairement aux philosophes idéalistes et autres croyants/religieux qui sont des contempteurs des sens. Or, au fond, tout tend à l’ivresse de la beauté, comme dans l’amour sexuel, qui enrichit l’amant, le comble de telle manière qu’il perçoit toute chose sous l’angle du don, de la grâce, de l’éternité, de la divinité même. Car tout son être devient divin par sa plénitude absolue. En effet, l’ivresse dérive du mouvement intense de la passion qui force le rêve à devenir vision, quelle qu’elle soit ; et l’ivresse naturelle, c’est celle de la sexualité et de la volupté, qui est un « quantum de puissance » (Idem, Tome 2, p. 56) et de jouissance infinie de soi-même. C’est aussi « un quantum de « volonté de puissance » » qui aspire, par une vision exceptionnelle et spiritualisée, à atteindre un statut du divin. L’amoureux du divin, comme celui qui prend forme dans l’amour humain, par sa surabondance de forces sensuelles, est très vite gaspilleur d’énergie, car « la volonté de puissance est la forme primitive de l’affect, que tous les autres affects n’en sont que des développements » (p.90) en tant qu’ingrédients de plaisir puisqu’il y a toujours aspiration au plaisir sensuel ou spirituel. C’est en ce sens que Nietzsche remarque, à juste titre : « c’est l’amour qui donne le plus haut sentiment de puissance » (p. 100), que cet amour soit spirituel ou non comme nous le verrons à travers l’expérience des deux saints espagnols.

II- L’expérience mystique de Sainte Thérèse d’Avila et de Saint Jean de la Croix 

D’abord, Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix sont deux religieux espagnols du XVIe siècle qui ont marqué l’histoire de l’Eglise catholique par leur mystique et qui ont servi de modèles aux mystiques catholiques dans cette expérience de la vie religieuse.

Une brève biographie de Sainte Thérèse d’Avila et de Saint Jean de la Croix

1) Sainte Thérèse d’Avila

Thérèse d’Ávila ou Teresa Sánchez de Cepeda Dávila y Ahumada, baptisée Teresa de Jesús, née le 28 mars 1515 à Gotarrendura (Vieille-Castille) et morte le 4 octobre 1582 à Alba de Tormes, est une sainte catholique et une réformatrice monastique du XVIe siècle. Elle est connue pour ses réformes des couvents carmélites et considérée même comme une figure majeure de la spiritualité chrétienne, en plus d’avoir été la première femme reconnue comme docteur de l’Église catholique.

L’idéal pieux et l’exemple édifiant de la vie des saints et martyrs lui furent instillés dès son enfance par ses parents, le chevalier Alonso Sánchez de Cepeda et Beatriz d’Ávila y Ahumada. Sa famille paternelle était issue de Juifs séfarades convertis de Tolède. La branche maternelle était de la petite noblesse castillane. Elle est la troisième enfant d’une famille qui en compta douze.

Francisco de Rivera, dans on ouvrage, La Vida de Santa Teresa de Jesus, le confesseur de la sainte la décrivait ainsi : « Elle était de bonne stature, et au temps de sa jeunesse, belle, et encore au temps de sa vieillesse, elle supportait bien sa fatigue, le corps épais et très blanc, le visage rond et plein, de bonne taille et proportion ; le teint de couleur blanche et incarné, et lorsqu’elle était en prière, il s’enflammait et elle devenait très belle, tout ce teint clair et paisible ; la chevelure, noire et crépue, le front large, égal et beau ; les sourcils de couleur claire et tirant un peu sur le noir, grands et un peu épais, non en arc, mais un peu plats ».

2) Saint Jean de la Croix

Ensuite, Juan de Yepes Álvarez, baptisé Juan de la Cruz, soit Jean de la Croix en français, né à Fontiveros en 1542 et mort au couvent d’Ubeda en 1591, est un saint et mystique espagnol. Il est souvent appelé le « Saint du Carmel ».

Né dans une famille aristocrate espagnole, il fait ses études et devient carme. Voulant consacrer sa vie en devenant Chartreux, il fait la rencontre de Thérèse d’Avila, réformatrice de l’Ordre du Carmel, qui lui demande de prendre en charge l’ordre masculin du carmel, ce qu’il accepte. Il fonde l’ordre des Carmes Déchaussés. Il accompagne spirituellement les sœurs de l’Ordre du Carmel, avant d’être enfermé par les autorités de ce même ordre, qui refusent sa réforme. Jean de la Croix développe alors une forte expérience mystique, connue comme celle de la « nuit obscure », qu’il décrit et développe tout au long de sa vie à travers des traités tels La Montée du CarmelLa Nuit ObscureLa Vive Flamme d’Amour, ou encore Le Cantique spirituel, dans lesquels il cherche à décrire le chemin des âmes s’élevant vers Dieu. Après avoir été nommé prieur de divers couvents de carmes Déchaussés, il est à la fin de sa vie mis au ban de sa communauté, et meurt en décembre 1591.

Son père appartient à la noblesse espagnole, il est chevalier, mais il a été déshérité par sa famille du fait de son mariage avec Catalina Álvarez.

À l’âge de cinq ans, Jean, est envoyé à l’école. Il y aurait fait une expérience qui est souvent racontée : tombé dans une lagune, et commençant à se noyer, il y « vit une dame très belle qui lui demandait sa main et lui tendait la sienne, et lui qui ne voulait pas la donner pour ne pas salir celle de la dame, et, à cet instant critique, arriva un laboureur qui, avec une perche, le sortit de là ». D’ailleurs, les hagiographes de ce saint voient dans la dame en question, l’image de la Vierge Marie.

Venons-en à l’analyse :

Le Cantique Spirituel de Saint Jean de la Croix, Docteur de l’Eglise, et certains aspects de la vie de Sainte Thérèse d’Avila, montreront de manière patente, l’élément sensuel indéniable de leur vocation mystique.. Ils ont été tous les deux des réformateurs du Carmel, une congrégation religieuse dont la discipline et la règle de vie sont très dépouillées et extrêmement sévères. Tous deux, grands mystiques, ont connu beaucoup d’instants d’extase pendant leur vie. Il leur était même arrivé, au moins une fois, de connaître ensemble un moment d’extase. C’est, du moins, ce qui est rapporté dans la biographie de Sainte Thérèse d’Avila, cité ci-dessus : « Le guide spirituel du monastère, Saint Jean de la Croix, venait joindre quelquefois ses ardeurs à celles de Thérèse. Un jour, fête de la Très Sainte Trinité, ils s’entretenaient ensemble au parloir de ce grand mystère vers lequel ils étaient portés par les mêmes attraits… Au milieu de leurs discours, le ciel s’ouvre au-dessus de leurs têtes, et leurs deux âmes, unies dans une sublime contemplation, s’élancent vers le Bien suprême qu’il leur est donné d’entrevoir… Le Saint et la Sainte sont l’un et l’autre élevés au-dessus du sol dans la situation qu’ils occupaient : Jean de la Croix assis sur sa chaise qu’il a inutilement saisie de ses deux mains pour se retenir à terre et qu’il a au contraire emportée avec lui -; Thérèse toujours à genoux est soutenue en l’air » [1887 : 26]. L’extase apparaît ainsi comme une intime union entre un être humain et Dieu. C’est un mode de dialogue privilégié où la limite entre le fini et l’Infini s’estompe, s’efface même. On comprend, comme le Cantique ci-dessus le révèle, que tous les mystiques recherchent, avec conviction, ce lien qui symbolise l’achèvement de leur expérience religieuse.

Ce cantique est un dialogue entre l’Epoux, Jésus Christ, et son Epouse, l’âme. A titre d’exemple, les Strophes trente-une à trente-six montrent, de façon évidente, cette union de l’un et de l’autre :

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« 31 L’Epouse : Oh ! nymphe de Judée,

tandis que dans les fleurs et les rosiers

l’ambre exhale son parfum,

restez dans les faubourgs,

et ne touchez pas à nos seuils.

32 Cache-toi, mon Bien-Aimé,

que ta face contemple les montagnes,

mais n’en dis rien ;

et contemple encore les campagnes

de celle qui va par les îles extraordinaires.

33 L’Epoux : La blanche colombe

est entrée dans l’arche avec son rameau ;

c’est fait, la tourterelle

a trouvé son cher compagnon

sur les rives verdoyantes.

34 Dans la solitude elle vivait,

et dans la solitude, elle a maintenu fixé

son nid,

et dans la solitude la guide

tout seul son Bien-Aimé,

lui aussi, dans la solitude, blessé d’amour.

35 L’Epouse : Réjouissons-nous, mon Bien-Aimé,

allons-nous voir en ta beauté

sur la montagne ou la colline

d’où s’écoule l’eau pure ;

enfonçons-nous dans l’épaisseur.

36 Aussitôt nous aurons accès

aux sublimes cavernes de la pierre

qui demeurent bien cachées ;

et nous y entrerons,

et nous pourrons goûter la liqueur des

grenades ». [1933 : 12]

Ces strophes expriment la solitude de l’amour divin et de son exclusivité comme deux personnes qui sont sous l’empire d’une grande passion amoureuse. Sous l’influence de l’amour divin, l’âme semble oublier le monde. Sa substance elle-même et ses facultés ont tout délaissé pour qu’elle puisse être entièrement aux soins exclusifs et au plaisir de son Bien-Aimé. Ce qui est tendre et exceptionnel dans cet amour, c’est de voir comment l’Aimé apporte à l’âme son coeur et ses secrets ; en retour, l’âme livre à l’Aimé absolument tout ce qu’elle est. Elle dépense toutes ses forces pour Dieu. Son activité n’a plus qu’un but : l’amour.

D’abord, il y a une dimension fort importante dans l’extase mystique qu’il convient de souligner : la solitude de l’amour divin.

Le sens de la solitude de l’âme par rapport au monde réside en ceci : en ignorant tout le créé, elle peut ainsi collaborer avec le Bien-Aimé, en tressant à deux les guirlandes que l’amour seul tient et retient. Cet amour est si pur qu’il peut rendre Dieu lui-même prisonnier, synonyme du premier amour. En ce sens, ce poème n’est plus rien d’autre que l’Esprit d’amour, l’âme implorant l’Esprit Saint au nom même de l’Epoux dont il est l’intendant, l’envoyé. Ainsi invoqué, L’Esprit Saint accorde la récompense de l’amour divin qui est l’union transfiguratrice ou l’union du mariage spirituel de laquelle découle une très vive intelligence des fruits du mystère de la Croix. Celle-ci symbolise, à tout le moins chez les catholiques, la vie divine et l’apaisement total de toutes les énergies douloureuses de l’âme.

L’Epouse goûte alors la paix. La condition de la possession de l’Epoux a lieu dans le grand silence. Comme elle le souhaite, l’Epoux accorde la possession désirée, mais à condition qu’elle consente, comme il le lui demande, à se laisser pénétrer de plus en plus profondément dans son secret : « que nous nous possédions, voici ce qui me fait plaisir », tel est l’acquiescement final de l’Epoux, si l’âme ou l’épouse accepte la situation de sa solitude. Désormais, ils jouiront l’un de l’autre, ils se verront mieux et se possèderont de façon plénière.

III- L’excitation sensuelle, l’amour spirituel et le phénomène de l’extase érotico-spirituelle

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    Certes, selon Nietzsche, l’amour spirituel n’élimine pas totalement la dimension trop humaine qui semble en être le fondement même, voire la condition première. En effet, là où l’élément humain, c’est-à-dire le corporel est évident dans l’amour mystique, c’est justement la contemplation extatique. Celle-ci est le summum de cet amour. Pour mieux saisir le sens de mon propos, il me semble éclairant de me référer, encore une fois, à Nietzsche, qui voit d’une autre façon les manifestations extatiques chez les mystiques, telles que les expériences vivantes de Sainte Thérèse d’Avila et de Saint Jean de la Croix le révèlent manifestement comme des manifestations érotico-sexuelles inabouties, mais qui se spiritualisent.

En effet, Nietzsche, dans La Volonté de Puissance (tome 2), écrit ceci : « les grands érotiques de l’idéal, les saints de la sensualité transfigurée et mésentendue, les apôtres de l' »amour » (tels Jésus de Nazareth, Saint François d’Assise, Saint François de Paule) : chez eux l’impulsion sexuelle se méprenant par ignorance pour ainsi dire se fourvoie jusqu’à ce qu’enfin il lui faille se satisfaire de fantômes : de « Dieu », de l’ « homme », de la « nature » [1976 : 130].

L’extase, forme suprême de l’amour mystique, considérée sous cet aspect, devient un refuge délicieux dans la mesure où la nature peut émouvoir les sens et l’imagination. Ayant le sensible comme fondement, elle relève du même phénomène que celui de l’esthétique. Car, dans l’un et l’autre, les phénomènes se passent de la manière suivante : les images de la vie sensuelle sont exaltées et la force intra-humaine qui les exalte est, en elle-même, transfiguratrice. Ainsi, une certaine plénitude est mise dans toutes les choses. Dès lors, la beauté et le sentiment de plénitude ne sont rien d’autre qu’une excitation de la sensualité qui fait jaillir l’ivresse ou l’extase : « La sensualité et l’ivresse appartiennent à la félicité religieuse » précise Nietzsche dans ce même passage. Ce qui est beau agit donc comme un embrasement sur le sentiment du plaisir, tout comme l’amour dans la passion contient en lui-même une force transfiguratrice. Ces dispositions signifient une surabondance de forces sensuelles chez les personnes qui connaissent aisément l’extase. Il y a même des conditions physiologiques qui favorisent cet état de transfiguration qu’il appelle états esthétiques en tant qu’ils sont fondamentalement sensuels : « les états où nous mettons une transfiguration et une plénitude dans les choses et les élaborons imaginativement jusqu’à ce qu’elles réfléchissent notre propre plénitude et notre propre plaisir de vivre » (La Volonté de Puissance (Tome 1, p. 61). On compte au nombre de ces conditions trivialement naturelles, « l’impulsion sexuelle », « l’extase du sentiment religieux » etc., par l’excitation du « vigor coroprel » en tant qu’il est le premier mobile de changement d’état, de toute plénitude transfiguratrice, de toute ivresse sensuelle et animalité plénière. On comprend alors que Nietzsche puisse écrire : « La spiritualisation de la sensualité s’appelle amour : c’est un grand triomphe sur le christianisme » parce que la doctrine chrétienne a toujours combattu la sexualité comme le mal radical ; même si les défenseurs de cette thèse, dans leur conduite réelle, n’ont pas vraiment ou jamais renoncé à l’expression de leur vie sexuelle. Dans cette même perspective, un auteur suédois, Dr Lars Ullerstam dont un ouvrage a fait scandale dans le monde entier chrétien, partage tout à fait une conception similaire à celle de Nietzsche. L’ouvrage en question traite globalement des déviations sexuelles considérées comme des perversions abominables au nom de la sacro-sainte morale judéo-chrétienne. Certes, on a coutume, depuis la prégnance sur les esprits de la morale chrétienne, de qualifier de « pervers » tout individu qui a des sources de jouissances dans certaines conditions, c’est-à-dire non conformes aux postures hétérosexuelles classiques. On occulte ainsi le fait  que, comme tout vivant, chaque être humain est assigné au plaisir sexuel en tant que besoin vital. Or, selon Dr Lars Ullerstam, quoi qu’en dise la morale judéo-chrétienne, voire toutes les religions dites révélées et moralistes, qui ont situé leur Dieu en dehors du monde terrestre, en présentant l’expression du sensible, c’est-à-dire de la nature, tel que l’instinct sexuel, comme le mal, en soi, même absolu « la faculté de jouir, d’éprouver de la jouissance, est commune à tous les hommes. Ascète ou sybarite, nous n’avons de cesse de nous procurer de petites doses de jouissance. De même, nous avons tous des besoins. La satisfaction d’un besoin donne lieu à des sensations de jouissance… » (p.36). En revanche, si un besoin intense n’est pas satisfait, il génère un malaise, ce qui a pour effet de conduire à un acte égoïste, voire à une satisfaction perverse de ce besoin. Nonbstant ce, le désir de satisfaire des besoins sexuels peut, quant il est contrarié, conduire à un processus de sublimation prenant la figure d’extase spirituelle ; ce qui, au fond, revient au même que dans l’acte sexuel normal, à savoir, jouir. Mais la perversité n’est point condamnée par l’église quand ce sont ses propres membres qui s’adonnent aux mêmes genres de pratiques sexuelles, comme le sadisme, le masochisme, le voyeurisme, la pédérastie etc. D’autant plus que « dans la mystique des souffrances chrétiennes, il y a un côté fortement sexuel-masochiste… Certaines sectes ont interprété les Ecritures pour donner prétexte à des orgies sadiques et masochistes. Les flagellations de la fin du Moyen-âge sont parmi les plus connues » (p.147).

C’est en ce sens que, selon ce médecin suédois, les religions moralistes, comme l’église judéo-chrétienne, font preuve d’une hypocrisie scandaleuse. En effet, elle condamne sévèrement les actes sexuels « anormaux », c’est-à-dire tous ceux qui s’accomplissent en dehors du cadre strict du mariage hétérosexuel en vue de procréer. Mais elle ne veut pas reconnaître, par exemple, que la satisfaction des actions altruistes procure souvent de plus grandes sensations de jouissance. D’ailleurs, on peut se demander pourquoi les foudres de ces moralistes religieux ou de certaines écoles de philosophie ne sanctionnent pas les besoins et jouissances culinaires. Pourtant, selon Ullerstam, ils doivent savoir pertinemment que si ces hommes consentent à endurer leur sort en ce bas monde, c’est parce qu’ils s’accordent le droit d’éprouver de temps en temps de fortes sensations de jouissance ; que ces dernières soient physiques ou spirituelles comme le prouve l’expérience de Sainte Thérèse d’Avila et de Saint Jean de la Croix.

On comprend alors que Nietzsche ait pu condamner la morale judéo-chrétienne avec une sévérité sans concession comme une morale contre nature dans sa lutte effrénée contre les instincts de la vie car « en disant « Dieu sonde les cœurs », elle dit « non » aux convoitises les plus basses comme aux aspirations les plus élevées de la vie, et pose Dieu en ennemi de la vie… Le saint agréable à Dieu est le castrat idéal… C’en est fait de la vie, là où commence « le royaume de Dieu » (p. 85). Pourtant, dans l’expérience mystique de Sainte Thérèse d’Avila et de Saint Jean de la Croix, c’est la sensualité dans sa plénitude qui s’exprime comme l’état que Nietzsche considère comme purement dionysiaque. En ces saints, « c’est l’ensemble de la sensibilité qui est excité et exacerbé… » comme le montre l’expérience de Thérèse d’Avila.

En effet, selon l’un des biographes de Sainte Thérès d’Avila, Pierre Boudot, il est manifeste que : « dans toutes les pages {du livre de sa vie} se voient les marques d’une passion vive, d’une franchise absolue et d’un illuminisme de la foi des fidèles. Toutes ses révélations témoignent de sa croyance profonde en une union spirituelle entre elle et le Christ. Elle voyait Dieu, la Vierge, les saints et les anges dans toute leur splendeur et elle recevait d’en-haut des inspirations mises à profit pour discipliner sa vie intérieure. Dans sa jeunesse, ses aspirations furent peu nombreuses et semblent confuses ; ce fut seulement en plein âge mûr qu’elles devinrent plus précises, plus fréquentes et aussi plus extraordinaires. Elle avait plus de quarante trois ans quand elle vécut sa première extase. Ses visions se succédèrent sans interruption pendant deux ans et demi (15591561). Soit par méfiance, soit pour la mettre à l’épreuve, ses supérieurs lui interdirent de s’abandonner à cet ardent penchant pour les dévotions mystiques, qui étaient pour elle comme une seconde vie, et lui ordonnèrent de résister à ces extases, dans lesquelles se consumait sa santé. Elle obéit, mais en dépit de ses efforts, sa prière était si continue que même le sommeil ne parvenait à en arrêter le cours. Simultanément, embrasée d’un violent désir de voir Dieu, elle se sentait mourir. Cet état singulier déclencha à plusieurs reprises la vision qui serait à l’origine d’une fête particulière dans l’ordre du Carmel ». (Vie de Sainte Thérèse, chap. XXIX).

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     En réalité, les causes sensuelles de l’excitation qui conduisent à l’état d’extase comme leur achèvement, sont multiples et diverses : la première et la plus fondamentale est l’excitation sexuelle, selon Nietzsche. Mais, toutes les émotions fortes et toutes les grandes convoitises de nature sensuelle expliquent également cet état particulier du sujet aimant. En effet, l’extase ou l’ivresse n’advient que lorsque la sensibilité est si exacerbée qu’elle décharge d’un seul coup et avec une certaine violence toute la tension et l’intensité de l’énergie qu’elle a accumulées. Un tel phénomène se manifeste concrètement par un pouvoir de représentation ou d’imagination qui transfigure et métamorphose toutes choses. Toutefois, ces manifestations sont habillées par un extraordinaire nom, en l’occurrence, l’amour. C’est en ce sens que Nietzsche écrit : « l’amour est l’état où l’homme voit le plus les choses comme elles ne sont pas. C’est là que la faculté de s’illusionner atteint des sommets ; mais également la faculté d’édulcorer, de transfigurer  » [1974 : 181].

La Transverbération de Sainte Thérèse (celle-ci est un terme théologique  désignant la blessure au cœur de Sainte Thérèse d’Avila ou de Padre Pio sans conséquences mortelles)  est, ainsi, évoquée dans sa biographie en français de 1559 : « Je vis un ange proche de moi du côté gauche… Il n’était pas grand mais plutôt petit, très beau, avec un visage si empourpré, qu’il ressemblait à ces anges aux couleurs si vives qu’ils semblent s’enflammer …  Je voyais dans ses mains une lame d’or, et au bout, il semblait y avoir une flamme. Il me semblait l’enfoncer plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu’il le retirait, il me semblait les emporter avec lui, et me laissait toute embrasée d’un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu’elle m’arrachait des soupirs, et la suavité que me donnait cette très grande douleur, était si excessive qu’on ne pouvait que désirer qu’elle se poursuive, et que l’âme ne se contente de moins que Dieu. Ce n’est pas une douleur corporelle, mais spirituelle, même si le corps y participe un peu, et même très fort. C’est un échange d’amour si suave qui se passe entre l’âme et Dieu, que moi je supplie sa bonté de le révéler à ceux qui penseraient que je mens… Les jours où je vivais cela, j’allais comme abasourdie, je souhaitais ni voir ni parler avec personne, mais m’embraser dans ma peine, qui pour moi était une des plus grandes gloires, de celles qu’ont connues ses serviteurs » (Vie de Sainte Thérèse, chap. XXIX).

La dimension sexuelle de cette transverbération est manifestement exprimée par par le peintre italien du XVIIe siècle, Gian Lorenzo Bernini, et qu’analyse, de manière substile Odile Besson, sexologue : « Mais, revenons à cet orgasme féminin si mal connu et dont la quête n’a cessé d’être poursuivie. La description de l’orgasme a souvent été évoquée dans une perspective littéraire ou artistique comme un phénomène subjectif fait de suprême extase et de perte de contrôle (petite mort). Cela donne à cette expérience un caractère étrange, insaisissable et mystérieux, d’où les abondantes descriptions litté­raires allant du réalisme le plus cru au romantisme le plus éthéré. La Transverbération de Sainte Thérèse d’Avila sculptée par Gian Lorenzo Bernini dit le Bernin et achevée en 1652 en est un rapproche­ment saisissant. Thérèse en pâmoison a la tête renversée en arrière, dirigée de trois quarts vers nous, ses yeux sont clos, sa bouche est entrouverte et en raison même de la renverse de la tête, on imagine entendre la raucité d’un souffle. Thérèse est dans une absence, elle a une légère expression de souf­france un peu contredite par les traits lisses de son front sculptés dans le marbre blanc. Sa main droite est crispée et son bras gauche est atone, sa jambe gauche est relâchée et tombante si bien qu’on envi­sage l’écartement de la cuisse. Les plis et surplis de sa robe de bure en désordre laissent deviner le chavi­rement des phénomènes du corps. Thérèse est traversée, littéralement pénétrée par une entité qui lui fait perdre le contrôle de l’esprit et rend ses gestes incohérents (main gauche crispée, main droite atone). Le Bernin, grand sculpteur de l’époque baroque, semble davantage montrer un orgasme qu’une crise mystique, mais l’ange à côté de Thérèse nous rappelle à la religion, question de contexte. L’ange n’est cependant pas très catholique : il incline un peu sa tête sur son épaule gauche et sourit, tout empli de contentement joyeux, comme un amant le ferait au moment de l’orgasme de sa compagne, sa main gauche prend un pli de tissu sur le sein droit de Thérèse et sa main droite dirige un dard incan­descent sur le bas-ventre de celle-ci. Crise mystique où la sexualité exsude de partout. La sexualité et l’Église ? Vieille exécration passionnelle venant encore nous hanter par-delà les siècles… »

Dès lors, on comprend que Nietzsche mette au centre de toute création sublime, éminente même de l’esprit humain comme la philosophie, clef de voûte de toute science, l’énergie sexuelle, laquelle tient celle des espèces vivantes en laisse ; comme si rien, en ce monde, n’aurait de sens réel si ce rien n’était soutenu par l’activité sexuelle. Même s’il s’agit d’une lecture tout à fait personnelle du cas de Platon, l’un des plus grands spiritutalistes de la philosphie occidentale, Nietzsche met dans la bouche de ce dernier l’aveu  de la dimension majeure de la sexualité dans l’émergence de la philosophie grecque.  Selon lui, « Platon va plus loin. Il dit, avec une candeur dont seul un Grec est capable (et jamais un « chrétien ») qu’il n’y aurait pas de philosophie platonicienne s’il n’y avait à Athènes de si beaux adolescents : leur vue seule peut plonger l’âme du philosophe dans un vertige érotique qui ne lui laisse de répit qu’elle n’ait semé sur un terrain d’une telle beauté la graine de toutes les grandes choses » (p. 121). Dans sa conception de l’art, il n’hésite pas à soutenir que le sexe était, pour les Grecs anciens, le sens voilé de toute la piété antique, le symbole vénérable en tout un chacun. Par la sexualité ou les mystères de celle-ci, ils acquiesçaient totalement à l’affirmation de la vie, la vie triomphante, glorieuse. Le « vouloir vivre » perpétuel est en même temps un vouloir être soi-même qui s’exprime par et dans la volupté, la joie, la douleur dionysiaques.

A l’inverse, il considère que les philosophes idéalistes autant que leurs disciples sont un genre d’ « homme… émasculé » (p. 127). Car ils consument ou subliment toute la puissance de leur énergie sexuelle dans l’activité permanente, exigeante même de la pensée philosophique. C’est pourquoi, il les qualifie de « décadents » par rapport à leur renoncement inconscient à la vie effective de leur sexualité. En effet, y compris Nietzsche lui-même, les philosophes, dans leur ensemble, sont mal à l’aise avec leur sexualité, comme si celle-ci était plutôt une gêne qu’autre chose. En revanche, ils se sentent très à l’aise dans la production des œuvres de l’esprit qu’ils ont tous magnifiée et placée infiniment au-dessus du corps et de ses besoins naturels comme l’activité sexuelle. Telle est la thèse défendue par Platon dans son Phédon, entre autres ouvrages. Dans ce livre, Platon invite les « amis de la science », en l’occurrence, les philosophes, à vivre comme s’ils étaient morts ; c’est-à-dire morts au corps. Celui- est l’ennemi absolu de l’âme en tant que, par ses besoins indéfinis, il nuit sa tranquillité, à sa sérénité dans son désir de connaître la nature des phénomènes par soi-même, sans devoir passer par la médiation du corps qui l’induit en erreur et la maintient dans les illusions de toutes sortes. Le corps, objet méprisable par excellence, n’est rien d’autre qu’un tombeau de l’âme. Il ne vaut pas la peine qu’on s’y arrête, qu’on lui accorde quelque égard. Ses plaisirs ne sont pas aussi louables ni nobles que ceux de l’esprit. On comprend alors que des philosophes comme Kant en ont éprouvé de l’horreur presque. Même Rousseau, avant lui, se sentait toujours maladroit et malaisé par rapport à l’acte sexuel, entre autres satisfactions des besoins du corps : il lui témoignait une pudeur maladive. A titre d’exemple, dans ses Confessions, il rapporte son grand malaise à Venise quand il s’avisa de faire comme tout le monde en fréquentant les prostituées ; mais il échoua d’après ce fait : « ayant fait un tour de chambre et passé devant son miroir, elle comprit, et mes yeux lui confirmèrent que le dégoût n’avait point de part à ce rat. Il ne lui fut pas difficile de m’en guérir et d’effacer cette petite honte. Mais, au moment que j’étais prêt à me pâmer sur une gorge qui semblait pour la première fois souffrir la bouche et la main d’un homme, je m’aperçus qu’elle avait un téton borgne. Je me frappe, j’examine, je crois voir que ce téton n’est pas conformé comme l’autre. Me voilà cherchant dans ma tête comment on peut avoir un téton borgne ; et, persuadé que cela tenait à quelque notable vice naturel, à force de tourner et retourner cette idée, je vis clair comme le jour que dans la plus char­mante personne dont je pusse me former l’image, je ne tenais dans mes bras qu’une espèce de monstre, le rebut de la nature, des hommes et de l’amour. Je poussai la stupidité jusqu’à lui parler de ce téton borgne. Elle prit d’abord la chose en plaisantant, et, dans son humeur folâtre, dit et fit des choses à me faire mourir d’amour. Mais gardant un fond d’inquiétude que je ne pus lui cacher, je la vis enfin rougir, se rajuster, se redresser, et, sans dire un seul mot, s’aller mettre à sa fenêtre. Je vou­lus m’y mettre à côté d’elle ; elle s’en ôta, fut s’asseoir sur un lit de repos, se leva le moment d’après, et se promenant par la chambre en s’éventant, me dit d’un ton froid et dédaigneux : Zanetto, lascia le donne, e studia la matamatica [sic] ». Quand il émit le souhait de la revoir ultérieurement en vue de la connaître au sens biblique du terme, il apprit avec beaucoup de regret et de tristesse qu’elle avait quitté la ville, comme il l’écrit à juste titre : « Si je n’avais pas senti tout mon amour en la possédant, je le sentis bien cruellement en la perdant. Mon regret insensé ne m’a point quitté. Tout aimable, toute charmante qu’elle était à mes yeux, je pouvais me consoler de la perdre ; mais de quoi je n’ai pu me consoler, je l’avoue, c’est qu’elle n’ait emporté de moi qu’un souvenir méprisant » (p. 66)

Quant à Thérèse d’Avila, et contrairement aux philosophes « décadents » qui renoncent à la sexualité et fuient comme la peste toute forme de sensualité, elle vécut son amour divin sensuel jusque dans la souffrance la plus sublime et connut des moments d’extase extrême. Car l’extase contient, comme élément intrinsèque, une autre réalité profonde : la douleur ou les souffrances. En effet, l’extase naît ou d’une suprême force de l’imagination à la suite d’une grande intensité du désir (sensuel ou sexuel) ou d’une cuisante douleur. Dans le premier cas, on peut dire, en termes religieux, qu’il s’agit d’une sublime aspiration à la présence du Dieu aimé dans son absence même. Le deuxième cas relève de la dimension cruelle de l’homme. Selon Nietzsche, il s’agit d’un reste, d’un souvenir vivace des âges primordiaux de l’humanité. En ce sens, l’amour dissimule quelque chose de plus macabre : la soif de sang, l’ivresse des foules en délire. Dans le caractère tragique de la cruauté, on tire une jouissance personnelle qui est pleine de transports. Le coeur de l’homme se conduit comme s’il était assoiffé de volupté, mais d’une volupté dans la cruauté ; en d’autres termes, il est assoiffé de sensations extrêmement fortes.

 

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IV- L’exaltation de la souffrance du corps comme le suprême degré de volupté

Analysons davantage ce phénomène :

Le fait de vouloir la souffrance même la plus atroce comme doyen de purification, le fait d’aspirer à se faire volontairement mal, relèvent d’un véritable plaisir qu’engendre la douleur. Selon Nietzsche, en dépit de ce que ce sentiment soit appelé amour de façon pudique, ou avec la volonté de s’illusionner, il n’y a pas de doute que la réalité cachée et fondamentale du grand amour mystique est la volupté, même sensuelle. Quand les grands mystiques se mortifient dans l’intention de se purifier, comme le principe de flagellation hebdomadaire institué dans les couvents des Carmels Déchaussés depuis les réformes de Sainte Thérèse d’Avila et de Saint Jean de la Croix, de se rendre dignes aux yeux de leur divinité aimée, c’est encore la volupté de ce qui est douloureux, comme il l’écrit à juste titre « Moi, je dis : la volupté unique et suprême de l’amour gît dans la certitude de faire le mal. Et l’homme et la femme savent, de naissance, que dans le mal se trouve toute volupté » [1976 : 268].

Tel est le cas de  Jean de la Croix qui tombe malade le 10 août 1591, victime d’une érysipèle. Il est porteur d’une fièvre qui ne le quitte plus et il ne peut pas rester dans le petit couvent de La Peñuela. Le médecin coupe les morceaux de chairs infectés. La maladie empire et les soins du médecin sont très douloureux : coups de bistouris, incisions du talon, le long du tibia, cautérisation au fer rouge se succèdent. Ils ne permettent cependant pas de limiter les abcès et Jean de la Croix affirme au père Antoine qui l’accompagne être submergé par la souffrance.

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    Dès lors, la joie de la souffrance est plus sûre et même plus méritoire que celle de la jouissance et de l’action. En effet, dans la souffrance, l’âme reçoit un secours de la force divine qui lui renforce son pouvoir de résistance. A l’inverse, dans la jouissance et l’action, l’âme semble être abandonnée à elle-même avec ses faiblesses et ses imperfections. En outre, dans la souffrance, elle requiert, par une constante pratique des bonnes oeuvres, des vertus qui la purifient en la rendant  plus sage et plus prudente. L’Ecclésiastique ne dit-il pas « Celui qui n’a pas été éprouvé, que sait-il ? » (XXXIV, 9). C’est pourquoi, l’âme qui n’a jamais subi l’épreuve des tentations et des souffrances, ne saurait élever son sens spirituel au niveau de la vraie sagesse, la divine. En d’autres termes, plus la souffrance est pure et plus elle favorise et développe la pure intelligence du divin.

« Qui n’a pas l’expérience des peines

En l’amère vallée des douleurs,

n’a pas l’expérience des bonnes choses

et n’a pas goûté à l’amour ;

les peines sont la mise de ce qui aime ».

Ce poème est le chant des religieuses d’un couvent dont Saint Jean de la Croix était le guide spirituel. Chanté avec un accent gracieux et convaincu, le Saint sentit monter en lui l’extase, comme s’il y a comme un danger de toucher à l’intimité de l’union mystique dans la souffrance. Puisqu’il était obligé d’entendre ce chant douloureux, même s’il ne le souhaitait pas, pendant une heure, le Saint fut saisi d’un transport si violent que son corps, accroché à la grille de deux mains, demeura soulevé de terre en présence des religieuses fort émerveillées. Quand il revint à lui, il dit à la Prieure et à ses filles de ne point s’étonner, car « Dieu, durant ces dernières épreuves, lui avait accordé de telles lumières sur le prix des souffrances, qu’à leur seul nom son âme entrait en oraison profonde ».

Dans le même sens de l’effet de la sublime souffrance, de la douleur atroce, il disait que tous les chemins ne mènent pas nécessairement à Dieu et le seul et ultime moyen est le « rien » : Jean de la Croix prône un détachement intégral de tout, et, au bas d’un croquis, il écrit un poème dans lequel il affirme : « Pour parvenir à être tout, Ne cherche à être quelque chose en rien ». Ce dessin de Jean de la Croix devient plus tard un ouvrage célèbre : La Montée du Carmel.

En effet, dans cet ouvrage,  il développe son dessin à propos de sa montée du Mont Carmel dans lequel il montre que les différents chemins qui mènent à Dieu sont : l’intelligence, l’imagination, la volonté, etc. « Dieu meut tous les êtres selon le mode de leur nature », Dieu élève l’âme « en l’instruisant des formes, des images et des moyens sensibles et selon son mode de comprendre, par des voies naturelles et surnaturelles, puis par des méditations discursives jusqu’à la souveraine grandeur de son esprit ». Cependant, l’âme doit se détacher de tout pour parvenir à la véritable union à Dieu : « En cette nudité l’esprit trouve son repos, car ne désirant rien, rien ne le fatigue vers le haut, rien ne l’opprime vers le bas, puisqu’il est dans le centre de lui même qui est Dieu ».

Donc, avant d’atteindre et de connaître cette paix, l’âme est, auparavant, d’autant plus tourmentée que l’appétit sensuel est intense. Et elle peut être soumise à de grandes souffrances si ses appétits sont nombreux. Car les désirs autres que celui de l’amour exclusif de Dieu, rendent l’union mystique extrêmement difficile ; et l’impossibilité de cette union génère également les souffrances de l’âme.

Ainsi, la réforme de Ste Thérèse d’Avila change le nom du Carmel où elle vivait : il devient le « Carmel Déchaussé » (le nom « déchaussé » vient du fait que les carmélites ne portent plus de chaussures) avec une discipline sévère. Jugez-en :

– trois disciplines de cérémonie (flagellation) pour les messes hebdomadaires

– le déchaussement des carmes

– ou la substitution des chaussures par des sandales.

Il en était de même de la réforme du Carmel pour hommes entreprise par Saint Jean de la Croix. Les premières années à Duruelo sont marquées par une radicalité importante : Jean de la Croix part évangéliser pieds nus, et parfois malgré la neige. Il prêche et prie la nuit, en dormant très peu et dans des conditions très précaires, la maison n’étant pas très bien isolée du froid. De plus, Jean de la Croix pratique une intense vie de mortification : il porte le cilice et s’impose différents types de mortifications, comme le jeûne. Il justifie cette mortification par la nécessité de rétablir en lui l’ordre détruit par le péché, mais aussi afin de faire réparation pour les autres. Cependant, Thérèse d’Avila va s’employer à modérer ce qu’elle considère comme un excès de pénitence de Jean de la Croix, et qu’elle juge comme trop lourd à porter.

Dieu parle à l’âme dans le silence éternel ; et c’est dans le silence que celle-ci entend le sens du verbe divin, son époux. Par amour pour cet époux, l’âme consent librement, au prix de beaucoup de sacrifices, à se mettre en quête d’une vie supérieure de grande austérité, faite surtout de misère et de souffrance absolues. C’est même dans la douleur la plus profonde qu’elle connaîtra l’extase. Ainsi, selon Saint Jean de la Croix, l’âme ne peut entrer en extase qu’en reniant sa propre volonté, qui consisterait, par exemple, à refuser le dur chemin de l’ascèse, et en ne faisant que celle de Dieu. « L’extase n’est autre chose que l’acte par lequel l’âme sort d’elle-même pour se jeter en Dieu ». Elle est alors comparable à une fumée qui s’exhale dans le souffle divin proche d’elle. Dès lors, en vue de cet état d’union, l’âme doit ignorer toutes les opérations naturelles inhérentes à la chair où elle est prisonnière. Mais un tel détachement, une telle abnégation ne peut se réaliser, selon la parole du prophète Osée ( II, 16), qu’au moment où, suivant ses forces, l’âme se rend dans le désert pour que Dieu lui parle au cœur (« C’est pourquoi voici, je veux l’attirer et la conduire au désert, et je parlerai à son cœur. /En ce jour-là, dit l’Eternel, tu m’appelleras : Mon mari ! et tu ne m’appelleras plus : Mon maître. / Je serai ton fiancé pour toujours… » [ 16 à 21])

C’est pourquoi, pour aller à Dieu, elle doit se mortifier et, pour ainsi dire, se purifier de tout ce qui n’est pas son Dieu. Car l’espérance mystique est en proportion du dépouillement le plus pur considéré comme la frontière qui donne la perfection, c’est-à-dire la possession de Dieu dans l’union extatique. Lorsque cet état est atteint, toutes les oeuvres de l’aimant deviennent non seulement bonnes mais même pures parce qu’elles sont réalisées avec l’amour parfait de Dieu, autant qu’un sujet puisse le vivre. Car celles-ci  ne sont plus faites dans le but de chercher une complaisance narcissique, ni une joie, ni un agrément, ni une consolation, ni même une louange. La seule joie doit consister, pour l’âme amoureuse de Dieu qui agit de la sorte, à servir ce dernier, parce qu’elle ne veut rien pour elle-même. L’excellence des choses réside dans leur jouissance désintéressée ; et l’âme, qui se tient dans l’obscurité ou la discrétion, connaît le bonheur parce qu’elle agit suivant la seule fin de glorifier et d’honorer uniquement Dieu.

Ainsi, dans son expérience mystique, Saint Jean de la Croix conseille-t-il de suivre la voie qui conduit à ce qu’il appelle « la nuit obscure des sens » comme seul moyen de l’union de l’âme avec Dieu. Cependant, selon ce Saint, cette expression symbolise, paradoxalement, l’élimination des appétits sensitifs ou, en d’autres termes, la purification des sens. La nuit obscure apparaît comme une sorte d’univers neutre et aseptisé de toute souillure dans lequel l’âme, attirée par Dieu et toute embrasée de son seul amour, est pure et  privée de tous les appétits sensitifs. Ceux-ci se résument dans les attraits du monde, extérieurs à l’âme, les concupiscences de la chair et les voluptés de toutes sortes. Saint Jean de la Croix écrit :

« En une nuit obscure,

Dans l’ardeur d’un amour plein d’angoisse,

Oh ! l’heureuse destinée !

Je me suis évadée sans être vue,

De ma maison où régnait la paix ».

C’est même cette souffrance, ce dénuement total qui permettent d’avoir aisément accès à Dieu. En effet, dans la biographie de la Sainte d’Avila, on décrit la manière dont elle avait instauré une certaine familiarité avec son époux, en l’occurrence, Jésus Christ. C’est ainsi qu’un jour, alors qu’elle se laisse absorber par le recueillement de l’oraison, Jésus lui apparaît ; il lui présente ses mains adorables ; leur éclat joint à leur état céleste laisse la Sainte éblouie et ravie. Peu après, c’est le visage du Sauveur qui se dévoile, sur lequel Thérèse attache un long regard d’amour, comme une jeune fille innocente et amoureuse dévore du regard son bien-aimé.

Dans l’expérience extatique de Thérèse, il y a une défaillance de l’âme qui se traduit par une joie très vive et très suave. Elle connaît une sorte d’évanouissement où « elle est incapable de former une parole et de la prononcer, car toutes les forces extérieures l’abandonnent et sentant par là croître les siennes, elle peut mieux jouir de sa gloire et de son bonheur ». La jouissance de la gloire de l’Epoux est au prix de la croissance de la force ou de la puissance de ce dernier au détriment de celles de l’Epouse.

Dans cette sorte d’amour mystique sensuel, l’âme qui connaît l’extase s’abîme essentiellement en Dieu, comme Thérèse le reconnaît explicitement : « Ce n’est plus elle qui vit, c’est lui qui vit en elle. Ses puissances, il est vrai, sont suspendues et perdent leur activité naturelle. Mais un sentiment délicieux, ineffable remplace tous les autres et l’absorbe tout entière ; c’est le sentiment de la présence divine ». Telle est la joie dominante de l’extase. Celle-ci inonde l’âme de plusieurs manières dont la plus évidente, celle des mystiques, est l’action directe de Dieu : l’effusion de l’amour divin submerge en l’envahissant toute âme ainsi privilégiée dans une joie indicible, une jouissance profonde et infiniment sublime.

Cependant, ce qui semble important dans une telle expérience est ceci : quelle que soit la couleur de l’amour, c’est-à-dire la manière dont il se manifeste, quelle que soit également la poésie qui l’exprime, l’exulte et l’habille, il demeure fondamentalement humain. Et ses racines sont comme profondément ancrées dans la puissance sensuelle du corps humain. A ce titre, Nietzsche écrit justement : « Cette preuve, c’est l’« amour », ce que l’on nomme amour dans toutes les langues, dans tous les mutismes du monde. L’ivresse vient ici à bout de la réalité, au point que l’on dirait, dans la conscience de l’amoureux, la cause première est estompée et que l’on trouve autre chose à la place – un frémissement, un scintillement de tous les miroirs magiques de Circé… L’amour, et même l’amour de Dieu, le saint amour des « âmes délivrées » reste fondamentalement une seule et même chose : comme une fièvre qui a des raisons de se transfigurer, une ivresse qui fait bien de mentir sur son propre compte… En tout cas, on ment bien quand on aime, on se ment, et l’on ment sur son compte : on s’imagine transfiguré, plus fort, plus riche, plus parfait, on est plus parfait » [1977 : 89-90].

Cette thèse de Nietzsche trouve une confirmation dans la vision juive du rapport entre Israël et son Dieu. D’abord, Tobie Nathan affirme bien que ce rapport consiste en une relation sexuelle. En effet, dans l’un de ses livres, il remarque que « les Juifs ont une relation avec la divinité marquée de sexualité. En cela ils sont semblables aux autres sémites et aux peuples au sud de la Méditerranée. Les divinités du Proche-Orient ancien, de Babylone, de Mésopotamie, d’Assyrie, d’Egypte étaient habitués au commerce sexuel avec les mortels… Le Proche-Orient a enfanté Adonis, Cybèle, Aphrodite, Astarté… toutes les divinités de l’amour, sans oublier Agdistis et Osiris ».

Ensuite, le plus beau poème d’amour de La Bible est, sans conteste, Le Cantique des Cantiques, qui célèbre à la fois l’amour de Salomon et de la Reine noire de Saba et de celui que Yahvé éprouve pour Israël. Il traduit, à chaque mot, la célébration de la sexualité. En les lisant, on entre dans un jardin paradisiaque plein de sensualité. Ce jardin excite et éveille tous les sens en raison des parfums des fragrances du pommier, du parfum de la myrrhe. On savoure des gâteaux de raisins, des dates, et on déguste les meilleurs vins et liqueurs qui soient. C’est, en somme, le paradis des amoureux où tous les délices du palais, du nez, de la bouche, de tous les sens symbolisent le désir et les plaisirs de l’amour sous leurs diverses formes. Tous les passages du Cantique éveillent et émoussent les sens ; d’où l’expression permanente de la sensualité. Il est question d’embrasser, de caresser, d’étreindre même qui appelle à l’assouvissement du désir, à la recherche du plaisir le plus délicat, comme la lune de miel aux premiers moments des amours humaines. Car il est aussi question de jouissance sexuelle. L’amour, la sensualité excitée, à l’instar du beau breuvage, comme un vin délicieux, produit l’exaltation, la joie, l’allégresse, l’ivresse même. Ainsi, désir et plaisir mutuels, dans ce jeu de mots et de comportement des amants se cherchant continûment, s’entrelacent pour faire se communier leurs beaux attraits physiques. Le bien-aimé n’hésite pas à faire l’éloge du corps de la femme ; ce corps qui le fascine et qu’il décrit avec passion comme on le voit clairement à travers ces quelques extraits significatifs.

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1 -1et 2 : « Qu’il me baise de baisers de sa bouche.

Tes amours sont plus délicieuses que le vin ;

L’arôme de tes parfums est exquis…

12 : « Tandis que le roi est en son enclos,

mon nard donne son parfum.

Mon bien-aimé est un sachet de myrrhe,

Qui repose entre mes seins.

4- 9 à 11 : « Tu me fais perdre le sens,

ma sœur, ô fiancée,

tu me fais perdre le sens

par un seul de tes regards,

par un anneau de ton collier !

Que ton amour a de charmes,

Ma sœur, ô fiancée.

Que ton amour est délicieux, plus que le vin !

Et l’arôme de tes parfums,

Plus que tous les beaumes !

Tes lèvres, ô fiancée,

Distillent le miel vierge.

Le miel et le lait

Sont sous ta langue ;

Et le parfum de tes vêtements

Est comme le parfum du Liban.

5-3-4 : « J’ai ôté ma tunique,

comment la remettrais-je ?

J’ai lavé mes pieds,

Comment les salirais-je ? »

Mon bien-aimé a passé la main par la fente,

Et pour lui mes entrailles ont frémi.

7-2 à 4 : « La courbe de tes flancs est comme un collier,

œuvre des mains d’un artiste.

Ton nombril forme une coupe,

Que les vins n’y manquent pas !

Ton ventre, un monceau de froment,

De lis environné.

Tes deux seins ressemblent à deux faons,

Jumeaux d’une gazelle.

8- 6-7 : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur,

comme un sceau sur tes bras.

Car l’amour est fort comme la Mort,

La passion inflexible comme Shéol.

Ses traits sont des traits de feu,

Une flamme de Yahvé.

Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour,

Ni les fleuves le submerger.

Qui offrirait toutes les richesses de sa maison

Pour acheter l’amour,

Ne recueillerait que mépris ».

En ce sens, l’amour mystique, comme union plénière dans l’extase, est semblable aux grandes amours chez les hommes où l’on peut aussi mourir d’aimer passionnément.

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Finalement, il demeure que cette première lecture de l’expérience mystique n’enlève rien à sa profondeur spirituelle. Dieu parle au coeur et à l’esprit des hommes, nous dit la Bible. Et pour se faire comprendre d’eux, il utilise un langage. La mystique décode ce langage divin humanisé en procédant à une deuxième lecture. Celle-ci révèle le lieu où Dieu se fait présence afin que soit possible l’union intime avec lui. C’est ainsi que l’expérience mystique, partant des choses humaines, acquiert tout son sens spirituel. Trouver Dieu au-delà du langage humain reste pour tous les mystiques, le plus beau et le plus important cheminement en ce monde.

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