Mythes et légendes des Amazones : des guerrières mythiques à l’histoire des farouches et impitoyables amazones du royaume du Dahomey (Afrique de l’Ouest)

TROISIEME PARTIE : SIMILITUDES MULTIMILLENAIRES ENTRE AMAZONES DANS LE TEMPS ET L’ESPACE

Amazones-ob_610316_amazones-fleches

Amazones – archères et combattantes du royaume du Dahomey

IV- Vertus spartiates, endurances et triomphe des Amazones face aux épreuves de la guerre

  1. A) Les préparations aux endurances militaires

       A propos des entraînements des Amazones du royaume du Dahomey, Alpern cite l’un des observateurs européens qui en avait été lui-même témoin : « Dalzel confirma leurs observations {celles de ces prédécesseurs des années 1760, comme Pruneau de Pommegorge} en ses termes : « Pluiseurs centaines de ces {femmes du palais} sont préparées à l’usage des armes {…}. Ces guerrières s’entraînent régulièrement et s’adonnent à leurs exercices militaires avec autant d’habilité que les soldats de l’autre sexe » (p.104). Lors des attaques simulées d’ennemis, elles devaient affronter de redoutables plantes et arbustes épineux pour les préparer aux combats réels. Elles devaient apprendre, ainsi, à accepter, de manière stoïque, la souffrance physique (blessures du corps) quelle que soit son intensité. Et, en dépit du caractère périlleux d’un obstacle, comme par exemple l’imitation d’un château fort de 2,74 m de haut, entouré de tous côtés d’un tas de ronces à croissance rapide, elles devaient l’affronter. Alors, elles bondissaient sur l’obstacle en question en brandissant leurs armes et en poussant en même temps des cris de guerre sans se préoccuper, le moins du monde, de la barricade épineuse ; même si elles se déchiraient la chair en traversant cet obstacle couvert d’épines.

 

     Pour ériger des immenses broussailles de ronces et d’épines solides, il fallait des jours. Elles mesuraient environ 21 m de large, 2,5 m de haut, et s’étendaient sur une rangée de 366 m de long. En observant ces barrières, un voyageur britannique que cite Alpern, ne put s’empêcher de remarquer : « Je ne pouvais concevoir qu’un être humain quel qu’il soit, sans bottes ni chaussures, pût, en quelques circonstances que ce soit, essayer de franchir une collection aussi dangereuse de plantes les plus efficacement armées {d’épines} qu’il m’ait jamais été de voir ». Pourtant, en dépit de ces obstacles, il remarqua un « régiment féminin se rassembler à environ 180 m de la rangée d’épines. Elles portaient des armes à l’épaule pour affronter la difficulté avec célérité. D’où son étonnement : « En quelque secondes, le mot d’ordre fut donné et l’avancée vers le tas se fit à une vitesse dépassant l’entendement ; en moins d’une minute, l’ensemble du corps {d’Amazones} avait traversé cet immense tas et avaient pris la prétendue ville » (p. 105). Toutes les vingt minutes, d’autres régiments de ces guerrières franchirent, à leur tour, le tas de ronces et d’épines avec la même vitesse.

     Ce genre d’entraînement militaire se répétait régulièrement. Chaque détail de ces mises en scène signifiait bien qu’il s’agissait de réelles préparations au combat c’est-à-dire le résultat d’une préparation rigoureuse et militaire. Dès lors, on ne pouvait soupçonner le moindre indice d’improvisations destinées au divertissement des voyageurs ou des visiteurs européens. Selon leurs témoignages recueillis par Alpern dans sou ouvrage déjà cité, la compagnie d’Amazones s’entraînant devant le roi, répondait au signal de celui-ci avec promptitude, précision et rigueur. Suivant les lieux de ce genre d’exhibitions militaires, couvertes de longues herbes, les Amazones se couchèrent dans la pleine et s’avançaient en rampant vers la première palissade, en tirant à plein vendre et en répondant au feu bien nourri des assiégés. Au second signal du roi {Guézo, vers 1851}, la compagnie des Amazones se leva comme une seule femme tout à coup pour se précipiter en courant et en criant vers la palissade faisant barrière qu’elle franchit promptement pour en déloger l’ennemi.

     Le visiteur de cette occasion se nommait Auguste Bouët. Il fut tellement impressionné, écrit Alpern, qu’il ne s’empêcha pas de féliciter Guézo pour la rigueur des manœuvres de la compagnie de ces femmes guerrières. Car tout ceci « …s’était véritablement exécuté avec ensemble et vigueur, et ses ordres toujours portés avec une étonnante célérité par des messagers partant continuellement de sa tente. Je fus réellement frappé de la promptitude merveilleuse avec laquelle ses ordres étaient exécutés, sans qu’il se dérangeât, et surtout de l’espèce tactique qui présidait aux mouvements {des amazones}. Puis il ajouta : « Je fus très surpris de voir une si parfaite analogie entre les mouvements de cette armée et ceux d’une armée européenne : éclaireurs, avant-garde, musique, clairons, tambours etc., {…} Tout s’y trouvait »[1].

       Il y avait des compagnies d’Amazones, très jeunes ; des filles de 13 ou de 14 ans. Elles étaient rattachées à celles des plus âgées qui les instruisaient et les préparaient à leur dur métier de femmes guerrières. Ces fillettes dansaient et vivaient avec leurs aînées. Cependant, elles ne les accompagnaient pas encore à la guerre : elles devaient attendre d’avoir un certain âge, c’est-à-dire d’être physiquement capables de se servir d’un mousquet. D’autant plus que le roi veillait lui-même à l’excellente éducation militaire des Amazones. Selon certains des visiteurs européens du royaume fon du Dahomey, les entraînements se passaient du matin au soir ; notamment ceux qui étaient liés au maniement des armes. Ces exercices, fatigants et exigeants, conféraient aux armées féminines et masculines du roi du Dahomey une précision réellement redoutable. Tel est, du moins, le témoignage de l’un d’entre ces visiteurs européens, en l’occurrence, Duncan, qui écrit : « Je fus indubitablement très surpris de constater la précision mortelle avec laquelle elles visaient {…} {P}eu d’entre elles rataient leur objectif ; et {si elles avaient visé un homme} je n’en vis pas une seule dont la balle se serait perdue ». Il en était de même des hommes conclut Duncan : « Je pense qu’ils étaient tous des tireurs accomplis ; cela étant, leur exploit fut néanmoins moins étonnant et aurait fait honneur à nos meilleurs fusiliers » (p.110).

fig-2-lavaud

  1. B) Education physique et préparation à l’insensibilité de la nature guerrière des Amazones

1- Formation physique

   En dehors du maniement aux diverses armes dont le tir à l’arc et l’escrime, d’après des témoignages des voyageurs européens, ce qui dominait dans les rangs ou les régiments des Amazones se résumait en quelques mots : la discipline, qui n’est pas une faculté innée en l’être humain, mais une vertu inculquée, la régularité exemplaire, la rectitude des conduites etc. Toutes ces vertus tenaient au fait que les Amazones ne bénéficiaient pas seulement d’un entraînement militaire quotidien exigeant, mais aussi d’une éducation physique rigoureuse. Car divers observateurs européens avaient estimé leur vitesse lors des attaques simulées. Outre la vélocité dont elles faisaient preuve en permanence, elles prouvaient aussi manifester une grande aptitude à la souplesse, à la dextérité, à l’endurance, à l’agilité etc. Donc, les Amazones étaient soumises à un entraînement permanent afin qu’elles puissent, à tout moment, faire même preuve de la force de leurs bras et de l’agilité de leur corps. De telles aptitudes physiques avaient conduit le Britannique Wilmot à écrire que les Amazones « seraient capables de courir aux côtés des meilleurs athlètes en Angleterre » c’est-à-dire des athlètes masculins. En effet, la course figurait parmi les divers genres d’entraînement auxquels elles étaient soumises.

     En fait, beaucoup de témoignages retenus par Alpern dans son ouvrage (Les Amazones la Sparte noire…), voire les analyses de Luc Garcia[2] vont dans le même sens : les Amazones pratiquaient tous les jeux qui existaient au Dahomey ; y compris la lutte. Ainsi, les nuits de pleine lune[3] permettaient aux lutteuses de valoriser leurs talents. Mais, quelles que soient les formes d’entraînement, elles étaient pratiquées en permanence, comme Alpern résume bien certains de ces témoignages : « Réveillées avant l’aube, elles revêtaient leur tenue de combat et se mettaient à marcher d’un bon pas, ou à parcourir de longues distances en courant, les bras levés. Elles étaient accompagnées par leurs officiers qui, dit-on, choisissaient les mousquetaires les plus rapides et les archères si elles augmentaient leur vitesse. Plus tard, dans la journée, elles se dirigeaient vers un parcours d’obstacles épineux, qu’elles franchissaient tantôt en rampant, tantôt en courant à toute vitesse, apprenant ainsi à endurer la souffrance. Les médecins royaux pansaient leurs plaies. On rapporte que Gbélé avait été impressionné par la capacité d’une amazone particulière à endurer la souffrance la plus intense qu’il en fit bel et bien sa femme » (p.113).

     Les officiers pouvaient varier les formes d’entraînement physique. En effet, et dans ce cas, les Amazone étaient envoyées dans des forêts touffues, sans provisions pendant des périodes de cinq à neuf jours. Le but de cet exercice ou entraînement était de les habituer à supporter la faim, la soif, les blessures, voire la présence des fauves à proximité sans crainte et avec une même et égale vertu de courage. En ces lieux, elles devaient apprendre aussi à éviter les embuscades. Donc, les divers genres d’entraînement des Amazones contribuaient essentiellement à développer leurs forces physiques et à renforcer leur endurance face à toutes sortes d’épreuves.

     C’était également l’objectif des danses militaires, puisque celles-ci étaient énergiques avec des gesticulations et des bonds tout en portant leur mousquet, leur épée et leur hache d’armes. En ce sens, les danses contribuaient autant à remonter le moral des guerrières qu’à fortifier leur corps. C’est pourquoi, elles égalaient parfois les hommes en force musculaire. En outre, et de façon générale, selon les témoins européens de ce royaume, bien que les entraînements militaires les avaient rendues athlétiques, il n’en demeure pas moins que c’étaient des femmes bien bâties, fort belles et en pleine forme. Tout semblait indiquer qu’elles avaient, sans doute, rompu avec la délicatesse propre aux femmes, comme le fit remarquer un missionnaire français, Jean Laffitte, alors en poste à Ouidah de 1861 à1864 : « … Elles reçoivent une éducation en rapport avec le genre de vie qui les attend. Leur corps rompu aux exercices les plus violents, acquièrent une souplesse, un force extraordinaires ; habituées dès leur jeune âge aux plus durables privations, elles supportent la faim, la soif, avec telle constance durable » (p.115).

amazones2

Une Amazone au repos

2- Art et vertu de l’insensibilité

     Comme leurs semblables de la plus Haute Antiquité, qui avaient façonné leur corps à toute épreuve, les Amazones du royaume du Dahomey, comme il été prouvé précédemment, n’avaient pas non plus craint de torturer leur corps pour développer une insensibilité inouïe. Ce genre de vertus guerrière et de recherche de surhumanité transcende l’espace et le temps et la diversité des Humains. C’est en ce sens qu’Alpern, au sujet des Amazones dahoméennes, écrit : « Si, durant leurs supplices au milieu des buissons épineux, les amazones apprenaient à ignorer la douleur physique, elles semblaient aussi avoir été préparées à ce qu’on pourrait appeler l’insensibilité psychique » (p.116).

   Ainsi, lorsque des Amazones étaient accusées d’adultère, voire de couardise, elles étaient jugées par leurs consoeurs. Elles pouvaient même être exécutées froidement si telle était la sentence ou la volonté du roi. Ce pouvait être aussi des prisonniers de guerre que les Amazones avaient capturés au cours d’une guerre. Dans un tel cas de figure, ceux-ci étaient destinés aux sacrifices humains qui se pratiquaient alors abondamment et couramment en ce royaume en vertu des croyances ancestrales qui les exigeaient quasi permanemment. Dans ce cas, les prisonniers étaient ligotés, bâillonnés et mis dans des petits paniers ou des petits canaux. Les Amazones les transportaient jusqu’à une plate-forme de 3,5 à 5 m de haut. Puis, elles les jetaient vivants en bas de celle-ci au milieu de la foule d’Abomey assoiffée de sang ennemi. Alors celle-ci se précipitait sur eux pour les massacrer et les écarteler avec colère, rage et sauvagerie.

     Certes, en cas de condamnation à mort d’Amazones, celles-ci étaient exécutées à l’intérieur du palais, loin du regard de la foule avide de sang humain. Toutefois, il n’était pas rare d’entendre des femmes officiers raconter comment elles avaient décapité des personnes, comme l’avait remarqué Edmond Chaudoin. Dans son ouvrage[4], celui-ci « déclara avec désinvolture que le meilleur exercice d’entraînement pour les soldats des deux sexes consistait à couper la tête des victimes sacrificielles d’un coup habile de machette ». Car la vie des ennemis valait, sans doute, moins que celle de n’importe quel animal. En décembre 1889, selon ce même auteur, une délégation française eu l’occasion d’assister à Abomey à l’initiation d’une recrue parmi les Amazones. Celle-ci n’avait pas encore tué un être humain. Les Français la trouvèrent « ravissante ». Une telle qualité physique ne préjugea en rien l’insensibilité psychique de cette jeune Amazone comme l’écrit Alpern : « la victime était un homme « vigoureux » ligoté, dans un premier temps, comme cela se faisait en préparation des sacrifices humains lors des coutumes royales. On rapporte que Nansica marcha lestement vers sa victime, qu’elle frappa trois fois de son épée, en se servant de ses deux mains, avant de trancher calmement la chair qui rattachait encore la tête au tronc. L’un des témoins avance qu’alors, elle nettoya le sang qui coulait de son arme et l’avala » (p.117).

  1. C) De l’imprécision des effectifs des Amazones du royaume du Dahomey

     Le fait que le royaume du Dahomey ne pouvait dénombrer avec exactitude et précision ses Amazones tenait, en fait, aux raisons suivantes. D’une part, c’était une société de traditions orales. Dès lors, on n’éprouvait pas la nécessité de compter le nombre exact des membres d’une famille ni, à plus forte raison, celui de tout le royaume lui-même. C’est, d’ailleurs, ce qui expliquait, jusque dans les temps présents, qu’on ne se préoccupait pas non plus de savoir l’exactitude de son âge. D’autre part, à cause des guerres permanentes du royaume du Dahomey contre les peuples voisins, les pertes étaient nombreuses dans les rangs des Amazones. Il paraissait alors vain de vouloir savoir leur nombre précis. Puis et, de ce fait, il était nécessaire de songer constamment plutôt au renouvellement de celles-ci, soit par l’intégration de prisonnières jugées aptes aux difficiles et pénibles conditions de vie des femmes guerrières, soit par le recrutement des toutes jeunes filles dont la formation devait prendre beaucoup d’années pour être achevée.

     Enfin, les Européens, les visiteurs, les aventuriers, les marchands d’esclaves, les diplomates, les missionnaires, les commerçants etc., même s’ils étaient désireux de connaître le nombre des Amazones, ne pouvaient, en aucune façon, satisfaire leur curiosité ; ni non plus atteindre leur but. Et ceci pour les raisons suivantes. D’abord, ils ne pouvaient pas entrer dans les palais du roi pour espérer accéder aux lieux de résidence des Amazones afin de les compter éventuellement. Même si cela avait été possible dans certaines villes royales, où le roi se rendait ponctuellement avec sa cour, un tel projet aurait été impossible à Abomey même. Le roi avait exclu de manière absolue, l’intrusion, sous peine de mort, d’un masculin, quel qu’il soit. Ensuite, ces visiteurs du royaume ne voyaient que les Amazones qui défilaient devant le roi ou qui étaient engagées dans des entraînements auxquels le roi les invitait. Autant dire que c’était toujours une partie des Amazones et non pas la totalité des femmes guerrières du royaume. D’où l’imprécision de leurs estimations du nombre des Amazones fons.

    C’est en ce sens qu’Alpern écrit : « Pruneau de Pommegorge fut le premier à les compter (pas de manière très précise toutefois) dans les années 1760, alors qu’elles défilaient devant lui à Abomey. Il aperçut cinq ou six contingents, comprenant chacun quatre-vingts à cent jeunes filles, toutes armées de mousquetons et d’épée, constituant donc un total de 400 à 600 guerrières. Quelques années plus tard, Norris compta quatorze unités comprenant 860 femmes en tout, au cours d’une parade {…}. Mais le total correspond approximativement au nombre de 800 femmes qui participa à la campagne militaire de 1781 avancé par Dalzel, et à l’effectif de plus de 800 femmes qui, selon Pires, constituaient l’« escadron de la garde royale » en 1797. Un demi-siècle plus tard, en 1843, Brue estima lui aussi l’effectif des femmes soldats exactement à 800 » (p.89). D’autres, comme Freeman, n’ont pu apercevoir qu’une brigade composée de plusieurs centaines d’Amazones.

       Jusqu’à l’accession de Guézo au pouvoir en 1818, les rois du Dahomey s’étaient contentés d’un contingent, somme toute modeste, de femmes guerrières. L’éveil vint avec la naissance à 160 km, à l’est d’Abomey, d’un nouveau pouvoir. C’étai un groupe de Yoruba, connu sous le nom d’Egba, qui fonda Abeokuta en 1830. Ils avaient rapidement transformé leur cité en ville forteresse par son mode de fortification quasi à l’européenne, de telle sorte qu’elle devint imprenable comme les Fons en feraient l’amère expérience pendant des décennies de guerre contre Abeokuta. Ce nouveau pouvoir, qui devint très vite un adversaire redoutable – Guézo lui-même échappa de peu à la capture par l’ennemi ; mai il y perdit une partie de ses insignes royaux dont son siège et son précieux parasol -, le royaume fon procéda à un recrutement militaire massif d’Amazones. Car, selon les observateurs du royaume fon, avant Guézo, il ne comptait deux compagnies d’Amazones. Très vite, ce dernier en créa six nouvelles.

     Alpern résume la nouvelle donne de ce royaume, en ces termes : « Lors d’un passage en revue des troupes par le roi, en 1845, Duncan estima à environ 6000 le nombre d’Amazones en train de défiler ; lors d’un défilé ultérieur, son estimation s’éleva à 8000. En1847, alors que Winniet pensait avoir vu défiler 8000 amazones, Ridway qui l’accompagnait fit montre de plus précaution, en avançant le nombre approximatif de 4000 à 5000 gardes royales. Forbes compta 2408 amazones, lors d’une parade, en 1850, et estima qu’un nombre équivalent d’entre elles étaient de garde aux frontières, si bien que leur effectif total, selon lui, s’élevait à environ 5000. A propos de la même parade, Beecroft avança le chiffre rond de 3000 » (p.90). Il semblerait que, selon les témoignages des uns et des autres, les estimations, les calculs d’un grand nombre d’entre eux autour des années 1850, le nombre des Amazones du royaume fon et/ou du Dahomey s’établit entre 4000 et 6000 femmes guerrières. Cependant, quelle que soit la nature de la précision ou de l’imprécision de ces chiffres, les guerres contre la cité forteresse d’Abeokuta des Edga, puis contre les Français un peu plus tard, finirent par décimer les Amazones du royaume fon.

amazones

Un groupe d’Amazones

   Tel est le sens des analyses que Alpern donne sur ce point après avoir fait croiser un certain nombre de témoignages des Européens. Ainsi, écrit-il : « A partir de ce moment-là et jusqu’à la conquête française, les estimations de l’effectif des amazones oscillèrent entre 500 et 5000 ; il semblerait qu’en réalité, il en soit resté entre 1000 et 3000. L’un des nombres le moins souvent remis en question est celui de 2000 femmes soldats dahoméennes qui, selon un calcul français officiel, auraient pris part à la Bataille d’Atchoupa, non loin de la cité-Etat côtière (souvent appelée « royaume ») de Porto-Novo, le 20 avril 1890 ». Au cours de cette bataille, les historiens, tout comme les témoins – c’est le cas de Henri Morienval[5]– reconnaissent que les troupes fons, notamment les Amazones, ont porté un sérieux coup aux troupes françaises. En effet, il est reconnu que les forces de Porto-Novo et de Kinto et un groupe de tirailleurs sénégalais, comme on dit couramment, agissant comme écran ont pu sauver les forces françaises. Toute compte fait, les Fons, sous l’audace des Amazones et leur attaque puissante, purent les vaincre et triompher dans cette bataille. Cependant, le reste des Français eut le temps d’établir une solide position défensive qui résista deux heures durant à plusieurs assauts des femmes guerrières. Finalement, les Français reculèrent et les soldats du Dahomey se retirèrent sans avoir pris la cité.

     Mais, la deuxième guerre contre les Français fut désastreuse pour le roi Béhanzin et ses vaillantes Amazones. Celles-ci n’ont pu le sauver comme elles le chantaient fièrement pendant leur heure de gloire. Car « Au lendemain de la campagne finale (de septembre à novembre 1892), Frédéric Schelameur, un vétérinaire attaché à l’unité de cavalerie, demanda au principal délégué à la paix du Dahomey combien il restait d’amazones. Ce dernier répondit qu’il en restait environ cinquante ou soixante sur les 1200 qui s’étaient trouvées sur le champ de bataille au début d’un combat de quarante – sept jours » (p.91-92). On apprendra, selon les témoignages du Capitaine Jouvelet en 1894, que le groupe le plus redouté par les troupes françaises, en particulier les fantassins, qui était considéré comme un véritable commando d’élite, est celui des chasseresses, qu’il appelle « des tueuses sélectionnées » parmi les plus fortes et les plus corpulentes. C’étaient ces milliers de femmes guerrières entraînées et conditionnées à «vaincre ou mourir» et, selon les dires des légionnaires, enivrées au gin, que les hommes de Dodds voyaient surgir face à eux ce jour-là. Au mépris de la supériorité du feu français, elles se ruèrent à l’assaut. Certaines passaient les lignes en rampant par terre sous les tirs pour chercher le corps-à-corps dans lequel elles excellaient. «Ces amazones sont des prodiges de valeur, elles viennent se faire tuer à 30 mètres de nos carrés», reconnaît le capitaine Jouvelet dans ses mémoires. Comme lui, tous les hommes qui les avaient combattues, ayant été impressionnés par leur force et leur vigueur au combat, saluèrent «l’extrême vaillance», «l’indomptable audace» de ces guerrières.

       Malgré leur défaite finale, les Amazones du royaume du Dahomey avaient fait montre de leur courage et de leur volonté de défendre farouchement l’intégrité du territoire c’est-à-dire royaume du Dahomey. Puisque, sans les Amazones, le royaume fon n’aurait, sans doute, guère brillé comme il l’avait été grâce à ces femmes guerrières. Les Amazones avaient sauvé l’honneur et même leur royaume pendant des siècles par rapport à toutes les autres royautés des pays africains de l’Ouest. Mieux, alors que tout le monde avait baissé pavillon devant l’arrivée des Français, elles avaient résisté aussi longtemps que possible. Les Amazones ont été décimées au combat, dans des affrontements redoutables, terrifiants même sans égard pour la supposée fragilité de leur féminité, la tête haute. Elles l’ont été en combattantes libres, les armes à la main, fières et indépendantes de toute autorité étrangère, fût-ce celle de la France.

Béhanzin-ob_5492a9_20190429-165238

Le roi Behanzin et une partie de sa cour de servantes

V- Une synthèse des guerres des Amazones du royaume du Dahomey

 1- Des prouesses des Amazones

     Si l’on s’en tient aux remarques suivantes des différents voyageurs et visiteurs européens, hôtes du royaume du Dahomey, tout le monde est presque unanime pour admettre la valeur militaire exceptionnelle des Amazones Fons. Alpern rapporte l’essentiel de ces divers témoignages dans son ouvrage fort bien documenté et que je citerai longuement ci-dessous. Au regard de ces données, on ne peut comprendre l’échec du royaume fon face aux Français et à leurs alliés africains (Spahis sénégalais, les mercenaires gabonnais ou même des troupes du territoire dahoméen). J’examinerai quelques aspects de la débâcle fon. Mais, commençons par prendre connaissance de l’admiration que des Européens avaient éprouvée par rapport à la puissance exceptionnelle de ce royaume. En effet, Alpern écrit : « Un certain nombre d’observateurs furent si impressionnés par les troupes régulières du Dahomey, masculines et féminines, qu’ils les considèrent comme les meilleures de l’Afrique tropicale. Au début du dix-neuvième siècle, un britannique, Georges A. Robertson, assista à un défilé de 5000 soldats à l’extérieur de Ouidah et considéra que « leur système de discipline militaire » était « meilleur que tout autre {qu’on pouvait voir} en Afrique ». Pour Duncan, les femmes soldats dépassaient leurs homologues masculins ; il déclare d’ailleurs : « De tout ce que j’ai pu voir en Afrique, je pense que le roi du Dahomey possède une armée supérieure à celle de tout souverain à l’Ouest {au sud ?} du grand désert ». Forbes croyait que les troupes du Dahomey avait fait du royaume « la monarchie la plus puissante de l’Afrique occidentale ». Bouët pensait que, si des officiers français étaient envoyés sur place pour entraîner l’armée de Guézo » à l’européenne, on pourr{ait}, avec un peuple aussi guerrier que celui du Dahomey, conquérir toute l’Afrique, et renouveler, je peux presque le garantir », souligna-t-il, « l’histoire d’Alexandre le Grand » (p.p.117-118).

     Au moment où les puissances européennes étaient en train de se partager le continent africain, J. Bern reconnut que le conflit qui opposait la France aux Fons, en l’occurrence, le Dahomey, était le premier au cours duquel la France avait rencontré une telle résistance contre un royaume noir. C’est en ce sens qu’il écrit : « La raison en est que l’armée du roi du Dahomey, du moins la partie permanente de cette armée, est depuis longtemps entraînée aux plus rudes labeurs, familiarisée avec toutes les souffrances, prête à toutes les audaces. Ce dressage spécial est certainement une exception en Afrique, où aucune autre armée des monarques noirs peuvent avoir à combattre les Européens, n’est ainsi préparée à la guerre »[6].

     En raison de la reconnaissance quasi unanime de la puissance du royaume du Dahomey, comment admettre qu’en moins de deux ans, l’armée française avec quelques contingents de soldats africains (Sénégalais, Gabonais, voire Dahoméens) ait pu vaincre la plus puissante armée de l’Afrique de l’Ouest du XIXe siècle ? Une armée si bien entraînée, si aguerrie ? En outre, laquelle armée française n’avait pas forcément une bonne connaissance du terrain ?

     Certes, selon Alpern, quand le roi planifiait une campagne militaire majeure, il le faisait annoncer à tout le royaume en lui donnant l’ordre de la mobilisation des troupes. A cet effet, on faisait résonner le grand tambour au palais de Singbodji par lequel un message était relayé de proche en proche, par de petits mais retentissants tambours à travers tout le pays. Aussitôt, les chefs de guerre locaux, les ahwangan, rassemblaient leurs hommes. D’après les écrits de Burton, figuraient parmi les ahwangan « tous les officiers capables d’emmener dix à cent personnes à charge ou esclaves au champ de bataille » (p.155). Le nombre minimal par troupe s’élevait à vingt hommes. Les hommes de chaque ahwangan servaient de réservistes à tous ceux qui en avaient besoin. Toutefois, ces hommes, ainsi mobilisés, n’avaient pas bénéficié d’un bon entraînement militaire.

     Au cours de ces mobilisations, les chefs locaux n’hésitaient pas à faire appel à des femmes en civil. Elles se joignaient aux convois des porteurs de bagages qui contenaient essentiellement des vivres et des munitions. Pour certains observateurs européens de ces événements, comme Borghero[7], ces femmes transportaient aussi des massues dont elles se servaient, en cas de besoin ou de nécessité pour terrasser et capturer des soldats ennemis. En revanche, Laffitte écrit que des femmes armées, au lieu d’accompagner les hommes à la guerre, faisaient office de gardiennes des villes et des villages en leur absence. Quant à Jacques Lombard[8], il admet qu’une « compagnie de réserve » d’Amazones restait, entre autres, à Abomey pour garder le palais pendant la durée d’une guerre. Alpern remarque qu’une fois l’immobilisation est faite, le roi prenait l’habitude de haranguer la foule c’est-à-dire tout son peuple réunit. C’est en ce sens qu’il écrit : « A la veille d’une campagne, l’armée se regroupait autour d’un tertre artificiel à Abomey, appelé « le Tumulus du courage » ou « le Tertre des Serments ». On raconte que Guézo l’avait fait ériger avant le début d’une de ses campagnes contre les Yoruba ; selon Edouard Dunglas[9], Gblélé en aurait fait ériger un autre ailleurs, avant de se diriger vers Abeokuta en 1864. Le tertre servait de plateforme, du haut de laquelle le roi prononçait un discours destiné à attiser l’esprit guerrier de ses gens. En réponse, des orateurs militaires juraient de se surpasser en se battant contre l’ennemi et de rapporter de nombreuses têtes. « C’est l’une des occasions », nous apprend Deglelo[10], « où éclatait ouvertement la rivalité entre les guerriers et les amazones toujours désireuses de les surpasser : leurs déclarations appuyées de démonstrations théâtrales, étaient presque toujours plus hardies et plus radicales que celles de leurs homologues mâles » (p.156)

     Etait-ce seulement des monstrations vaniteuses ou des préludes à des combats féroces où elles prenaient des risques inconsidérés même au prix de leur vie ? Au sujet des Amazones, Alpern fait remarquer : « S’il est un fait indéniable à propos des Amazones, c’est leur extraordinaire et continuelle performance au combat » (p.167). Ce fait initial incroyable pour les Européens, visiteurs ou hôtes du royaume du Dahomey, a fini par s’imposer comme indéniable. Frederick E. Forbes, qui les nommait « dames d’ébène », reconnaissait qu’elles faisaient preuve de « prodigieux courage »[11] au combat. Tout indique qu’elles en étaient venues à « mépriser les charmes les plus doux de leur nature » au point d’être transformées en des hommes ; plutôt en des surhumains puisqu’elles surpassaient leurs homologues masculins en cruauté et dans les manifestations des passions les plus vives et les plus aveugles autant que possible. Comme il l’avait déjà écrit, il attribuait à la chasteté forcée le développement des tendances des Amazones à la cruauté, à l’insensibilité, à l’horreur même : « L’exercice extrême d’une passion oblitérera généralement le sens même des autres. En se livrant à celui effréné et excitant, des cruautés les plus effrayantes, les Amazones oublient les autres désirs de notre nature déchue ». Telle est, selon lui, la raison pour laquelle on les considérait comme « la terreur des tribus environnantes ».

Combat_de_Dogba-1892

La charge des Amazones dahoménnes contre les troupes françaises

  1. Répin[12] ne dit pas autre chose au sujet de la répression de la sexualité des Amazones et, inversement de la cure par la furie, voire du développement de leur extrême violence sur le champ de bataille. C’est en ce sens qu’il écrit : « Leur férocité égale leur courage : indomptables pendant le combat, elles sont sans pitié après leur victoire. Il semble qu’en se dépouillant des douces qualités qui font l’ornement de leur sexe, les femmes, extrêmes en tout, ne conservent plus rien d’humain ». La complaisance dans l’effusion du sang humain était-elle une manière d’exprimer leur désir sexuel inassouvi ? Dans tous les cas, au combat, elles étaient si enflammées qu’elles étaient parfois éclaboussées du sang des soldats qu’elles massacraient aveuglément. Parfois aussi, elles portaient les têtes sanguinolentes des victimes décapitées. Selon Alpern, les divers auteurs de l’histoire contemporaine de ce royaume tout autant que les visiteurs étaient unanimes pour les décrire de la même manière et suivant les mêmes qualificatifs décennies après décennies. En effet, dans un même sens, ils reconnaissaient que les Amazones étaient « braves, courageuses, valeureuses, vaillantes, sans peur, intrépides, cruelles, impitoyables, audacieuses, impétueuses, ardentes, fanatiques, vigoureuses, dévouées (au roi), indomptables, redoutables, formidables, tenaces, résolues, déterminées, persévérantes » (p.170) etc. Il n’en demeure pas moins que leur vie, au quotidien, était hautement disciplinée, indépendante, c’est-à-dire essentiellement centrée sur des objectifs précis, en l’occurrence, développer leurs qualités ou vertus de combattantes au-dessus de tout.

       Lors de l’une de leurs premières batailles à Atakpamé, elles surent mettre en valeur ces qualités pour sauver l’armée dahoméenne d’une déroute et d’une destruction inéluctable par des forces ennemies. Car elles avaient reconquis le terrain perdu et elles avaient, ainsi, « sauvé la guerre » à la suite de la fuite des troupes masculines conduit par le Gau. Ce fut à cette occasion qu’elles entonnèrent leur chant de guerrières indomptées et sans peur dont les paroles disaient ceci : les Amazones pensaient qu’elles se dirigeaient vers des hommes, mais elles avaient trouvé qu’ils n’étaient rien d’autre que des femmes. Au cours de ces combats, elles avaient fait au moins 346 prisonniers et avaient apporté à leur roi trente-deux têtes d’ennemis. Or, bien qu’elles avaient été privées d’armes, elles avaient, néanmoins, réussi à s’emparer des armures de leurs ennemis. Trois d’entre elles eurent des honneurs spéciaux du roi. C’est ce courage exceptionnel des Amazones que Brown, repris par Alpern, décrit en affirmant que durant « vingt-cinq ans, quasiment la moitié de l’armée » régulière du Dahomey était « composée de femmes qui s’entraînaient dès l’enfance » et qu’elle « avait été le fléau et la terreur de tous les pays environnant, car elle était toujours en guerre et en ressortait généralement victorieuse » (p.184). Et ce fut le cas jusqu’à l’affrontement contre les Français et leurs alliés africains.

2- Les causes de la décadence du royaume du Dahomey

Trône du roi-ob_f5745a_20190429-165132

       Puisque toute chose est, en soi-même, complexe – le réductionnisme au simple soi-disant matériel est un procédé scientifique frauduleux et trompeur -, à plus forte raison un événement humain, il serait prétentieux de vouloir en donner une explication exhaustive. On peut seulement, à partir de faits saillants et manifestes en tirer quelques déductions qui soient, autant faire que possible, le reflet du réel. Dans cette perspective d’analyse, on peut avancer trois raisons majeures qui rendent compte de la décadence du royaume du Dahomey.

  1. a) L’absurdité et l’inefficacité des croyances traditionnelles

     D’abord, l’empire des croyances traditionnelles est, de manière incontestable, voire évidente pour tous, une forme majeure de l’aliénation des mentalités des peuples de l’Afrique subsaharienne. Une telle posture de la conscience apparaît comme un véritable obscurantisme dans lequel baigne toutes les perceptions culturelles et, donc, la vision du monde de l’ensemble de ces peuples. En effet, la croyance aveugle aux pouvoirs supposés des idoles ou fétiches, selon leur nom commun, fait perdre pied par rapport au principe de la réalité. Ainsi, le roi du Dahomey, autant que les Amazones dans leur ensemble, devaient recourir à la prescience de ces idoles avant d’entreprendre n’importe quelle initiative, d’une part, et d’autre part, l’un comme ses femmes guerrières croyaient que ces entités étaient capables de leur conférer des pouvoirs exceptionnels qui venaient renforcer leurs propres forces ou énergie naturelle[13]. Concernant le cas du roi lui-même, les témoignages des Européens le prouvent, comme Alpern le résume : « Le roi ne faisait jamais rien, observa Wilmot, avant que le devin n’ait au préalable consulté le « fétiche », pour savoir si l’issue en serait favorable ou non ». Dans ce cas particulier, le fétiche était Fa, une divinité – un oracle qui s’exprimait à travers un système hautement complexe de géomancie, introduit au Dahomey, pensait-on du temps d’Agadja par les Yotuba. Ces derniers l’appelaient IFa et l’avaient probablement eux-mêmes emprunté au monde arabe. Fa était la manifestation de la Destinée à travers des signes déchiffrés par les prêtres (les bokono), lors d’une manipulation de noix de palme. Le chef des bokono informait le roi de ce que Fa avait à dire à propos d’une campagne projetée. Le bokono transmettrait vraisemblablement le message de l’oracle en termes suffisamment ambigus, pour pouvoir se tirer d’affaire, au cas où le conseil serait mal venu[14]… On sait que les devins accompagnaient le roi sur le champ de bataille, afin que Fa puisse être consulté en cas de besoin » (p. 153).

       Puisque les Amazones elles-mêmes étaient sous l’emprise de ce système de croyance, elles n’hésitaient pas non plus à recourir aux prédictions des bokono. Entre autres attentes, elles désiraient s’assurer comment elles s’en sortiraient individuellement de l’engagement d’une bataille. Malgré leur immense bravoure, leur courage, leur audace, leur ténacité, la crainte individuelle de la mort faisait ployer leur genou face à l’incertitude ou l’effroi par rapport au néant absolu que représente la mort. Ceci montrait qu’elles demeuraient, au fond, des êtres humains malgré leur surhumanité guerrière. Elles se procuraient aussi auprès des bokono des charmes, des fétiches destinés à les protéger individuellement contre les armures des ennemis. C’est en ce sens qu’Alpern écrit : « Les « charmes », désignés dans les textes par des termes divers tels qu’« amulettes », « talismans », « fétiches », « gris-gris » ou « reliques magiques » étaient de formes variées, souvent non spécifiées, et on les confondait apparemment parfois avec de simples ornements ou insignes. Foà avance que le roi récompensait les amazones pour leur héroïsme, en leur offrant des amulettes destinées à les rendre invulnérables au combat » (p.77).

     Les Amazones ne dédaignaient pas, pour conjuguer les forces supposées de ces charmes, de porter aussi des bagues, des cordes, des perles voire des cartouchières en peau de chacal, toutes imbibées de sang humain. A cet effet, et le roi et les hauts dignitaires du palais et du pays et les Amazones elles-mêmes, n’hésitaient à pas à procéder à des sacrifices humains fréquents et abondants en vue d’assurer leur protection quasi totale contre des coups fatals de leurs ennemis. Même leurs idoles étaient couverts de sang humain et de morceaux de chair, voire de têtes des victimes humaines fraichement immolées. Malgré tout cela, c’est-à-dire ces sacrifices humains abondants et fréquents sur les fétiches ou idoles, la défaite humiliante et écrasante du royaume du Dahomey face aux Français n’avait pu être empêchée. Ceci démontrait, manifestement, l’inefficacité de ces cultes et de ces croyances traditionnelles. Ces pratiques inhumaines en guise d’adoration de divinités ancestrales semblaient une pure aberration, voire une abomination.

     Toutefois, les Fons n’étaient pas le seul peuple à s’adonner aux sacrifices humains sur leurs idoles ou sur les tombes de leurs rois. En effet, le sacrifice humain, comme les paléo-historiens et les historiens l’attestent[15], est un rite religieux  qui a été pratiqué dans la plupart des civilisations, notamment au Néolithique  et durant l’Antiquité. Il s’agissait, comme chez les Fons, d’effecteur de tels sacrifices le plus souvent pour s’attirer les faveurs des dieux, par exemple pour conjurer la sécheresse, ou pour que les personnages importants tels que les souverains soient accompagnés dans l’au-delà par les sacrifiés. C’était aussi pour assurer le triomphe d’un roi dans son combat contre ses ennemis, tel que l’exemple des Dahoméens l’a manifestement montré.  

     En Mésoamérique en particulier,  le sacrifice humain par cardiectomie  était pratiqué de manière très courante et parfois à très grande échelle. Ainsi, lors de certaines occasions exceptionnelles, les Aztèques  ont sacrifié jusqu’à des milliers de personnes en quelques jours. Ce type de pratique se retrouve dans d’autres civilisations comme celles de l’Antiquité méditerranéenne, dans les pays nordiques ou encore chez les Slaves orientaux avant l’implantation du christianisme. Ces rites sacrificiels d’humains se pratiquaient aussi dans la Chine archaïque jusqu’à la dynastie Shang, tout comme chez les Dogons  en Afrique noire (Mali et Burkina Faso) ; et même à l’époque contemporaine, dans le nord-est de l’Inde etc. De nos jours, dans divers pays de l’Afrique noire, on continue à sacrifier les albinos sur des idoles ou sur l’ordre de féticheurs ou de marabouts pour pouvoir conquérir la présidence d’un pays mais aussi des hauts postes politiques comme celui de ministre etc. Toutes ces données macabres montrent bien que des êtres humains étaient considérés par d’autres comme de la piétaille, des moins que rien, des subalternes auxquels on pouvait ôter la vie sans remords ni égard à la dignité de leur vie. En ce sens, l’avènement du christianisme a tâché de briller dans l’Humanité par ses valeurs spirituelles hautement humanistes.

Kodeks_tudela_21

Une rite de cardiectomie chez les Aztèques

800px-Aztec_sacrificial_knives

Et les instruments de tortures

  1. b) Absence de renouvellement de stratégies militaires

     Ensuite, abrutis par ces croyances vaines, voire insensées – tuer un ou des êtres humains pour espérer sauver sa propre vie au combat est, en soi, absurde –, le roi fon et ses amazones ont manqué de renouveler leurs stratégies militaires. D’une part, le succès du roi du Dahomey et des ses Amazones se fondait essentiellement sur l’attaque surprise de l’ennemi. Ces dernières étaient préparées militairement pour affronter le danger quel que soit son haut degré de risque pour leur vie. Elles ne devaient pas reculer devant quelque obstacle que ce soit en vue de parvenir à leur fin. Certes, il y avait des espions fon qui répandaient, parmi les ennemis, des nouvelles mensongères sur l’expédition afin de les conduire à baisser leur vigilance. D’où la remarque Beecroft, un hôte Britannique du royaume du Dahomey : « Il apparaît que le succès de leurs entreprises dépend dans une grande mesure de Stratagèmes et de superstition »[16].

   D’autre part, l’attaque de l’ennemi était la clef de voûte de la force et de la supériorité des Amazones. A ce sujet, les observations, les témoignages et les avis des Européens sont fort divers. Alpern les résume de la manière suivante : « Selon les uns, les Dahoméens attaquaient le point le plus faible des défenses ennemies ; selon les autres, ils attaquaient de front et par derrière, ou de front et des deux côtés, ou encore de tous les côtés à la fois. Dans le modèle proposé par Foà, les envahisseurs rampaient à plat ventre jusqu’au mur d’enceinte du village, leur épée entre les dents, et en poussant leur fusil chargé devant eux. Ils cherchaient un point d’entrée. Si les portes étaient ouvertes ou faciles à forcer, c’est par elles que les attaquants entraient ; sinon, ils choisissaient un endroit dans le mur qui paraissait mal soutenu et le traversaient » (p. 165). Dès lors, quand les Dahomey entrèrent en guerre contre les Français, qui savaient diversifier les stratégies suivant les circonstances, les situations, l’ennemi en présence, ils ont été désemparés, totalement déboussolés. Et les Amazones perdirent leurs vies en masse face à ces jeux de la guerre nouveaux pour elles et aussi pour leur roi.

  1. C) L’art de la guerre : inégalité en matière de sophistication des armes

       Les Dahomey eurent leur première surprise de l’art de la guerrière novateur et de l’inégalité des armes en présence lors de leur première guerrière contre les Français. A ce sujet, Alpern écrit : « Cette guerre dura deux mois et comprit deux engagements majeurs, au cours desquels les Amazones jouèrent un rôle essentiel. Ce qu’on appellera par la suite la bataille de Cotonou débuta le mois de mars avant l’aube. Au cours d’une nuit pluvieuse, une force dahoméenne, composée de plusieurs milliers de soldats et, en particulier, de ce que les Français découvrirent comme un « régiment » de femmes, se rapprocha en silence du périmètre français. Autour de 5 heures du matin, les amazones passèrent à l’offensive, en menant une charge contre une palissade de rondins. Certaines d’entre elles entrouvrirent de force les pieux, pour y introduire les canons de leurs mousquets et tirer sur les défenseurs. Au corps à corps, des femmes si firent empaler par des baïonnettes ; jusque là, les Fons ne s’étaient jamais retrouvés confronter à ce type d’armes » (p.199).

ob_46bbba_20190510-170613ob_fd1b7e_20190429-165443

       Face à cette nouvelle donne de la guerre, le roi Béhanzin lui-même n’était pas tout à fait naïf par rapport à l’inégalité des moyens de la guerre. Il était même conscient qu’il ne pouvait pas gagner la guerre contre les Français ; ni les contrer sans armes modernes comme leurs soldats en étaient équipés. En effet, quand la deuxième guerre commença, selon les estimations françaises, le royaume du Dahomey possédait environ 8OOO armes. Les Amazones, corps d’élite des armées fons, étaient équipées de carabins, de Mannlichers, de chassepots et, surtout, de carabines Winchester, qui étaient, sans doute, les meilleurs fusils de l’arsenal dahoméen. Ceux-ci étaient munis de chargeurs contenant huit ou quinze cartouches. Béhanzin avait acheté aussi quelques mitrailleuses et des canons krupp en vue de la confrontation prochaine avec ses ennemis, c’est-à-dire les Français. Mais, ceux-ci disposaient d’armes plus efficaces et plus destructrices selon les témoignages notamment des troupes françaises : « C’est au cours de la Bataille de Dogba qu’on commença à relever l’effet dévastateur des fusils de pointe Lebel, adoptés par l’armée française en 1886. Leur calibre particulièrement petit offrait aux balles une vélocité plus grande que les armes précédentes. Un officier français rapporta que les projectiles traversaient complètement les troncs des grands palmiers, ainsi que les soldats dahoméens qui cachaient derrière eux. Les balles ne laissaient qu’un petit trou à leur entrée dans le corps, mais, à leur sortie, la chair ayant été réduite à de la pulpe, elles laissaient une plaie aussi béante qu’un entonnoir » (p.205-206). Face à une telle capacité de destruction massive, comment aurait-on pu croire que des armes mystiques rendraient quelqu’un(e) invulnérable ?

         La charge des baïonnettes de l’armée française eurent raison des supposés pouvoirs d’invulnérabilité des fétiches fons, dont les idoles étaient baignés constamment de sang, de morceaux de chair humains, en laissant des centaines d’ennemis gisant sur le champ de bataille. Les Amazones audacieuses, confiant dans leur invulnérabilité, dont quelques-unes d’entre elles tentaient d’attaquer les Français furent anéanties par une section de la Légion d’un feu de salve. Les femmes soldats, même si leurs rangs étaient quasiment décimés, continuèrent de harceler les troupes françaises. Selon le témoignage de Morienval, les Amazones tentèrent encore deux contre attaques, « en poussant des cris terribles et en faisant siffler leurs grands coutelas », mais en vain. Les troupes dahoméennes, dont le restant des Amazones, réussirent à pénétrer dans le camp français. Elles furent aussitôt réduites à néant par une charge à la baïonnette sénégalaise. D’autres tentatives de ce genre furent, à leur tour, détruites d’un feu de salve. Dix femmes, qui étaient au premier rang, furent fauchées. Celles qui étaient à l’arrière rebroussèrent chemin, ayant, enfin, pris conscience que la partie était définitivement perdue ; donc qu’elles ne pouvaient pas vaincre l’armée française contrairement à leurs habitudes de triompher face aux ennemis de leur roi.

     En somme, Alpern fait la synthèse suivante de la fin du royaume du Dahomey, sous le roi Béhanzin, dans la guerre contre les Français : «  Selon Dodds{celui qui commandait les troupes françaises}, le 4 novembre 1892, c’est-à-dire le dernier jour de combat, fut « l’un des plus meurtriers » de la campagne. Cette journée fut marquée, rapporte-t-il, par l’entrée en action des « dernières amazones {…} ainsi que {d}es chasseurs d’éléphants chargés spécialement de diriger leurs coups sur les officiers ». Le choix des mots et le recours à la forme masculine de « chasseurs », dans ce passage de Dodds, témoignent d’une certaine confusion des informations reçues. Certains historiens pensent que son auteur y faisait référence aux gbeto qui, dans ce cas, ne furent pas seulement les premières amazones, mais aussi les dernières.

     La bataille finale se déroula au village de Diokoué (ou Diohoué) qui est le site d’un palais royal à l’extérieur de Caux. Après une journée de combat, une charge à la baïonnette française prit d’assaut les défenses dahoméennes, ce qui marqua la fin effective de la guerre.

     Le jour suivant, une délégation fon chargée de négocier une trêve pénétra dans le camp français et, le 6 novembre, Cana fut occupée. Les négociations de paix ultérieures furent rompues, si bien que le 16, Dodds, qui venait d’être promu général, ordonna de se diriger vers Abomey. Béhanzin brûla et évacua sa capitale avant de prendre la fuite en direction du Nord. Le 17 novembre, les Français firent leur entrée à Abomey, hissèrent le drapeau tricolore au-dessus du palais de Singbodji, en grande parie intact, et établirent leur camp dans la cour principale » (p.p.209-210).

838_dodds_vainqueur

Dodds, vainqueur du royaume fon du Dahomey

Conclusion générale : La fin d’un symbole rémanent des pouvoirs féminins, figure du matriarcat, et l’avènement de l’ère de la domination masculine

   Dans le Premier Livre de la Genèse, relatif « Au commencement » de tous les phénomènes visibles et invisibles, il est écrit qu’après avoir créé tout ce qui est, « Dieu créa les êtres humains comme une image de lui-même ; il les créa homme et femme[17] » (Gn 1-27)[18]. Hormis la suite de ce récit mythique qui suppute que Adam aurait été la créature humaine première de Dieu dont il tira la femme de sa côte, après l’avoir plongé dans un sommeil profond, l’expression « il les créa homme et femme » signifie essentiellement l’égalité éminente, mathématique, absolue de l’un et de l’autres de ces deux êtres. Puisqu’ils son supposés être les premiers parents de l’Humanité entière, ceux-ci ont engendré une descendance égale en vertu de leurs supposés aïeux. La seule différence décelable entre « homme et femme » est une affaire génétique. C’est plus précisément une différence de genre sexuel qui rend possible la procréation.

     On comprend alors que l’Histoire des Humains n’ait été qu’une guerre perpétuelle de la recherche de la suprématie, de la domination de l’un sur l’autre, voire la supériorité de l’un et, inversement, de la soumission de l’autre. En un sens, cette guerre perpétuelle de l’un contre l’autre confirme bien la sentence de La Bible. Il s’agit d’un présupposé non seulement de leur égalité, mais aussi de leur liberté. Et c’est la confirmation, voire l’évidence de la liberté de l’un et de l’autre (« Homme et femme il les créa ») qui explique le moteur de la dialectique, voire de la confrontation féminine-masculine dans l’histoire. En effet, tout ce que le masculin a pu ou peut encore faire, le féminin a pu ou encore le faire comme le prouve, manifestement, l’exemple des Amazones du royaume du Dahomey, après leurs homologues de l’Antiquité sur toute la surface de la terre.

     De nos jours, les paléo-historiens, la paléo-histoire de la sexualité, une spécialité de quelques biologistes, voire les historiens s’accordent à reconnaître que les premières sociétés humaines ont été essentiellement matriarcales. Cela signifie-t-il pour autant que la suprématie féminine ait été terrifiante ? Brutale, violente, inégalitaire à l’image de toutes celles, présentes, qui vivent sous la domination patriarcale ? Comme ces premières sociétés furent de traditions orales, on dispose de peu de données sérieuses et concrètes sur leur mode de fonctionnement réel. Mais on peut retenir l’idée qu’elles avaient été ambivalentes, au cours de leur histoire : de l’étude des dernières sociétés matriarcales, comme les Na de Chine[19] ou les Moso, il en résulte que c’est une société pacifique, paisible, égalitaire au sens où les femmes ne veulent rien devoir aux hommes en matière d’échanges de cadeaux ou de biens quelconques. Elles ont institué la réciprocité absolue. Puisqu’il s’agit d’une société essentiellement de femmes (les familles sont composées des grands-mères, des mères, des tantes, des enfants, des neveux en bas âge, des nièces etc.), la présence masculine dans ces gynécées n’est pas tolérée. Si un masculin s’accroche par amour pour une amante ou, se sachant père des enfants de celle-ci, il ne compte nullement dans la reconnaissance des liens familiaux. Ses supposés « enfants » ne le reconnaissent pas comme leur père. Seules leurs mères et leurs tantes méritent leur amour filial. A la limite, il est juste utile pour exécuter certains travaux quotidiens qui incombent aux masculins. En revanche, quand il ne l’est plus, il est éjecté de la famille. En ce sens, on peut dire, en substance, que le masculin n’est rien dans ses sociétés.

     Dans l’autre cas de figure, les Amazones n’ont jamais été tendres vis-à-vis du masculin. D’une part, les premières Amazones faisaient la chasse au masculin pour copuler et uniquement pour procréer, même si elles choisissaient la vie du célibat. Mais, dans ce cas, la copulation était seulement une affaire occasionnelle de plaisir et jamais de vie en couple permanente[20]. En cas de naissance d’un ou des enfant(s), comme je l’ai déjà montré précédemment, elles préféraient les filles aux garçons. A l’inverse, ces derniers, sous le règne du patriarcat, sont préférés par les pères, les familles dans la quasi totalité des sociétés. Or, les garçons étaient, dans le meilleur des cas, rendus à leurs pères, et dans le pire, soit estropiés, soit destinés aux tâches subalternes, essentiellement domestiques. L’art de la guerre, considéré comme noble, était uniquement réservé aux femmes et à leurs filles qu’elles éduquaient avec dureté aux vertus guerrières. C’est exactement ce que les Amazones historiques, celles du royaume du Dahomey (du 17e au 19e siècle des temps modernes) ont prouvé. Elles s’étaient employées à démontrer au monde masculin de leur époque que, en matière de guerre ou de batailles rudes, elles n’avaient rien à envier aux masculins.

       Mieux, elles ont pu même surpasser les vertus masculines érigées au plus haut des valeurs humaines estimables, donc à rechercher. En fait, il en résulte que les préjugés masculins ont imposé de le regarder comme des vertus masculines. Ce sont plutôt des forces inhérentes à la nature de l’espèce humaine, quel que soit son genre sexuel. La preuve : les Amazones de l’Antiquité ou historiques comme celles du Dahomey avaient poussé la culture de ce genre de vertus mentales, physiques et guerrières prétendument masculines jusqu’à l’extrême. Dans certains, elles avaient été plus cruelles que les masculins dan l’exécution des ennemis. Dès lors, la délicatesse, la douceur, la tendresse, l’émotivité, l’instinct maternel, l’affectivité, l’inclination à l’amour etc., sont des qualités bonasses inventées par le masculin pour « féminiser » le Féminin afin de mieux l’enfermer dans sa soi-disant nature maternelle.

     Depuis quelques millénaires (cinq ou six mil ans ?), avec le triomphe du patriarcat, c’est l’inversion des valeurs qui s’est opérée ; de manière continue. Selon ces pseudo-valeurs, le masculin seul détient la suprématie sur tout et sur sa domesticité. Tout se passe comme si le mariage signifie nécessairement la perte de l’existence du féminin comme personne autonome, libre et égale au masculin. Le mariage devient pour la femme, de fait, l’aliénation de ses valeurs intrinsèques en tant qu’être humain à part entière. C’est pourquoi, l’apanage des toutes premières figures du pouvoir réside désormais entre les mains du masculin. Et il en fait un usage exclusif. Aussi, dans le monde des hommes, au sens ordinaire du terme, il n’y a pas trop de place pour la femme. Dans certaines sociétés contemporaines, avec le triomphe des religions monothéistes masculines dites révélées – on peut, avec raison, les qualifier de religions monothéistes misogynes -, les femmes ne sont pas visibles dans l’espace public. Et on fait croire que cet ostracisme est une norme qu’un dieu aurait dictée aux Humains pour réprimer la femme. Celle-ci n’est-elle pas perverse et dangereuse en vertu même de la nature insondable de son sexe mystérieux ? Elles sont donc réduites au range d’objets de plaisir du masculin ; et au rang de maîtresses de la domesticité, vouées à materner les enfants qui ne leur appartiennent même pas. A travers ces comportements, on retrouve des figures de la manière dont les sociétés de femmes traitaient ou traitent encore (Les Na de Chine) le genre masculin. Toutefois, même si, sous le patriarcat, la femme a perdu sa liberté et son égalité par rapport au masculin, il n’en demeure pas qu’elle a un avantage sur lui : elle peut porter la vie et la donner avec la contribution du masculin et rendre ainsi, possible la perpétuation de l’espèce humaine à travers l’espace ; ce qui est impossible au masculin et qui l’une des raisons sous-jacentes de sa haine ou de sa jalousie.

[1] « Le royaume de Dahomey » – L’Illustration – Journal Universel (Paris), X, N°s 490-492 (17, 24 et 31 juil. 1852), pp. 39-42, 59-62 et 71-74)

[2] Le royaume du Dahomey face à la pénétration coloniale : affrontements et incompréhension (1857-1894) (karthala, Paris 1988)

[3] Dans les pays du Sahel où se pratiquaient la lutte comme sport de combat saisonnier, les jeunes gens des divers villages ou même de divers quartiers d’un même village, se rassemblaient pour s’affronter au moment de la pleine lune après la récolte des arachides. C’était justement dans les champs d’arachides qu’avaient lieu les créations saisonnières des espaces de lutte. Les jeunes gens se défiaient par génération. Les plus grands champions de lutte n’hésitaient pas à aller défier d’autres grands champions dans des contrées lointaines. Ces luttes ne duraient qu’un mois et qu’une saison dans l’année.

[4] Trois mois de captivité au Dahomey (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1891)

[5] La guerre du Dahomey. Journal de campagne d’un sous-lieutenant d’infanterie de marine (Librairie d’éducation Hatier, Paris 1893)

[6]L’expédition au Dahomey (août-décembre 1892) : notes éparses d’un volontaire (Sidi-Bel-Abbès, Algérie, Ch. Lavenue, 1893)

[7] Borghero Francesco Saverio (Alias François-Xavier) (Le Père), « Missions du Dahomey », Lettres au Père Augustin Planque de Ouidah, APF, XXXIV, N° 202 (mai 1862) et XXXV, N° 206 (janvier 1863)

[8] « Le royaume du Dahomey » dans Les royaumes de l’Afrique de l’Afrique de l’Ouest au XIXe siècle (Edit. Forde, Daryl et Kaberry, PM (Londres, 1967)

[9] « Contribution à l’histoire du Moyen-Dahomey (royaumes d’Abomey, de Kétou et de Ouidah) », Etudes dahoméennes (ci-après ED), 19 (1957), 159

[10] Degbelo Amélie : Les Amazones du Dahomey 1645-19000 (Mémoire de Maîtrise, Université nationale du Benin 1979)

[11] Dahomey and the Dahomans, being the journal of two missions to the king of Dahomey, and residence at his capital, in the years of 1849 and 1850 (Londres, Longman, Brown, Green, and longmans 1851, reimpr. Londres, Frank Cass, 1966)

[12] « Voyage au Dahomey, 1860 {i.e 1856} ».Le Tour du Monde (Paris), VII (1e sem. 1863, pp65-112. Extraits publiés dans ED, III (1950), pp. 89-95

[13] L’ouvrage de Marie-Madeleine Prévaudeau (Abomey-la-mystique, Edit. Albert, 1936), tout comme celui de Maximilien Quénum (Au pays des Fons, us et coutumes du Dahomey, (Librairie Larose, Paris 3me édit. 1983) insistent sur la prégnance des cultes Vaudou sous leurs multiples et diverses formes. Ce culte et bien d’autres de ce genre ne manque pas de susciter une sorte de peur panique psychique dans la population. Outre des rites quotidiens, on a recours très souvent aux forces de ces déités dans tout ce que l’on entreprend dans sa vie. Il y a donc toujours le meilleur (réussir une entreprise), mais aussi le pire tel le fait d’acquérir des moyens mystiques pour nuire à autrui : l’empoisonner, le blesser gravement ou le tuer même.

[14] Il semblerait que Béhanzin ignora la désapprobation de Fa lorsqu’il se mit en guerre contre les Français. En fait, tout se passe comme si le roi écoutait le devin ou suivait ses conseils lorsque cela l’arrangeait bien. Autrement, il suit ses caprices ou ce qu’il juge être conforme à sa volonté.

[15] Tel est, par exemple, le sens des travaux de Jean-Pierre Albert et de Béatrix Midant-Reynes dans leur ouvrage commun, Le sacrifice humain, en Egypte ancienne et ailleurs (Edit. Soleb, Paris 2005)

[16] Journal du consul John Beecroft sur sa mission au Dahomey, 1850 (Fontes Historiae Africanae), Edité par Robin Law mai 2019)

[17] C’est moi qui souligne ce passage.

[18] La Bible de Jérusalem (Desclee de Brouwer, Paris 1975)

[19] Par curiosité intellectuelle, il importe de lire l’extraordinaire livre de l’anthropologue chinois, Cai Hua. Son ouvrage s’intitule : Une société sans père ni mari- Les Na de Chine – (PUF, Paris 1998). Sans doute, avec l’impérialisme culturel et politique des Hans en Chine, une telle singularité parmi les peuples humains a peut-être déjà disparu ; ce que craignait aussi l’auteur de cet ouvrage. J’en ai moi-même tiré une étude anthropologique dont le titre est le suivant : (Pierre Bamony) « Hédonisme féminin et sexualité animale – Bio-anthropologie de l’hédonisme féminin : le passage de la polyandrie à la polyandrogynie universelle comme conformité aux lois de la vie » (In Hommes-et-Faits, Rubrique « Images et société-Carnets »-)

[20] Si le monde humain (la vie humaine sur terre) durait encore des siècles ou des millénaires, on pourrait supputer le retour d’un modèle de vie de ce genre dans lequel le masculin pourrait tout perdre. Déjà, de nos jours, au regard des contraintes de toutes sortes qu’impose la vie de couple, beaucoup de jeunes femmes, tant en Occident que dans un grand nombre des pays du Sud, conscientes de peu de gain personnel en matière de liberté, de plaisir de la vie etc., décident de plus en plus de vivre seules. Selon leur bon plaisir, elles invitent un amant d’un soir pour passer des moments très agréables ensemble en matière d’ambiance, de plaisirs du palais et de coït. Elles renoncent à s’encombrer chez soi avec un masculin qui est, dit-on généralement, source de déplaisir, de gène, de volonté de domination que de concordance et de respect de l’égalité et de la liberté de l’autre. Même s’il y a des enfants, ceux-ci ne sont plus un problème aujourd’hui : elles assument tout en raison de leur pouvoir d’achat.

   En outre, à la longue, hormis le plaisir sexuel partagé avec un masculin, dans peu d’années, elles n’auraient même plus besoin de lui pour se reproduire puisque l’insémination artificielle résout déjà ce problème. Donc, le féminin n’aura bientôt plus besoin du masculin pour assumer toutes les fonctions de sa vie sexuelle, sociale et économique. Ce serait alors le retour à l’état initial des sociétés humaines non plus sous la régence du féminin mais l’inauguration d’une ère nouvelle pour le féminin : celle de l’indépendance, de l’autonomie, de la liberté retrouvée etc.

Publicité