UNE INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE EN CLASSE TERMINALE

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PROBLÉMATIQUE : La Philosophie a-t-elle un sens aujourd’hui ?

Brève introduction : les deux enjeux de la Philosophie

     Le mot « Philosophie », comme on le sait, a au moins deux significations fondamentales. En son premier sens, c’est-à-dire la « sagesse », on peut dire que la Philosophie est aussi ancienne que l’humanité elle-même. Il faut entendre par là que depuis la prime jeunesse de l’homme, les communautés humaines ont eu, chacune, sa vision du monde, sa conception de la vie, ses idées et même sa croyance sur la place de l’Homme dans le Cosmos (l’Univers considéré comme un système bien ordonné). Selon ce premier sens, on peut dire qu’il n’y a point de peuples, donc de cultures ou de civilisations qui n’aient une Philosophie spécifique.

     Mais, dans un autre sens, la Philosophie est une réflexion critique sur tous les problèmes, tous les sujets qui concernent l’Homme ; et sur les solutions qui leur ont été apportées. Cette critique porte également sur l’esprit lui-même qui a conçu ces solutions. En ce second sens, la Philosophie a une origine beaucoup plus récente : environ trois mille ans. Elle implique une prise de conscience des problèmes, et à ce titre, elle est loin d’être un mouvement spontané de l’esprit. Bien au contraire, elle exige une préparation, une culture qui est l’objet même de l’enseignement philosophique.

 Première interrogation : Peut-on définir la Philosophie ?

A- L’objet de la recherche philosophique et la limite de l’esprit humain

     Pour comprendre ce questionnement, on peut se référer à l’étymologie même du mot « Philosophie » qui signifie littéralement : amour de la sagesse. En fait, selon une tradition qui nous est parvenue par certains écrits, ce terme aurait été inventé par Pythagore au VI° siècle avant J.C. En réalité, admit-il, le nom de sage ne convient qu’à Dieu seul ; et l’homme ne peut ambitionner que le titre plus modeste de zélateur (partisan ou défenseur zélé, en l’occurrence, de la sagesse).

     Cependant, on peut se poser des questions sur le terme de Sagesse. D’abord, on remarque que le mot savoir en français dérive du latin SAPIENTIA, qui désigne la science, ou, plus concrètement, selon Cicéron (Philosophe Latin) : « la connaissance des choses divines et humaines, de leurs principes et de leur cause »(Principia=archè : ce qui est à l’origine des choses). Il s’agit de s’interroger sur le fondement des phénomènes, le « pourquoi des choses ». C’est pourquoi, conformément à cette ambition, les premiers philosophes furent de grands savants dont les Présocratiques comme Pythagore, Thalès, Démocrite, Empédocle, etc. Parmi les Socratiques, les plus brillants furent notamment Platon et Aristote. L’histoire de Thalès nous montre qu’il fut à la fois géomètre, astronome, mathématicien(il s’occupait même de météorologie). De ce point de vue, la sagesse apparaît donc comme le savoir universel.

     Conscient des limites intrinsèques de l’homme, à la fois dans sa nature et dans sa raison, la Philosophie a été conduite, depuis l’Antiquité, à limiter ses horizons trop vastes. En outre, dans le cours de l’histoire(en particulier à partir du XVII° siècle), elle a été confrontée aux résultats concrets de la science qu’elle a elle-même générée. En effet, la science des matières(Physique, Chimie, Biologie etc) qui s’occupe de l’étude des objets particuliers semble réussir à trouver des vérités, dans le domaine matériel, par ses recherches et ses exigences propres.

     Dès lors, de nos jours, lorsqu’il s’agit de connaître le monde extérieur, c’est à la science et non à la Philosophie que l’on s’adresse. Faut-il pour autant dire qu’il ne subsiste plus de problèmes proprement philosophiques dans le champ de la connaissance ? On ne peut répondre à cette question par la négative pour les raisons suivantes :

-Dès l’Antiquité grecque, un nouveau problème a surgi qui a conduit la Philosophie à s’interroger elle-même, notamment à l’époque des Sophistes Grecs (VI-V° siècle av. J. C.). Le conflit des doctrines, voire des théories a amené les grands esprits de l’époque au scepticisme : une doctrine selon laquelle l’esprit humain est incapable de connaître avec certitude et qui conduit à la suspension du jugement, voire à la nécessité du doute universel et permanent. Son fondateur est Pyrrhon.

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Une épreuve de philosophie au Bac

     De nos jours, cette forme de pensée trouve des résonances dans la théorie de la relativité de la connaissance, c’est-à-dire l’impossibilité pour l’homme d’atteindre la connaissance absolue, d’une part ; et d’autre part, il n’ y a pas de SCIENCE UNE , mais des sciences infiniment multiples et variées qui se valent. Voilà pourquoi, on se demande, à juste titre, si l’homme n’est pas, en dernier lieu, « la mesure de toutes choses » selon la célèbre formule de Protagoras, un des plus grands sceptiques de l’époque de Socrate. Tout est fonction de la manière personnelle de concevoir les choses. Dès lors, l’esprit humain cesse de se tourner exclusivement vers l’extérieur pour se replier sur soi-même afin d’examiner les conditions de la connaissance vraie. Au milieu du devenir perpétuel des phénomènes ou des choses, la pensée peut-elle saisir l’essence du réel, du vrai ? Si cela est possible, alors comment puis-je atteindre la connaissance, la vérité ? Quelles sont les conditions d’une assertion (affirmation catégorique), tels étaient les problèmes qui secouaient les grands penseurs et qui se posent d’une autre manière à nous aussi.

     Au 18ème siècle, ces problèmes devaient préoccuper les philosophes avec notamment l’avènement de la philosophie critique de Kant. Devant les progrès de la science de Newton, ce philosophe a dû être amené à s’interroger sur ce qui fonde la science et, du même coup, chercher à comprendre pourquoi elle seule peut atteindre des propositions universellement reconnues comme vraies. Autrement dit, la philosophie ne cherche plus à connaître le monde, c’est-à-dire les réalités matérielles à l’intérieur desquelles l’homme se meut. En ce sens, elle confie cette mission à la science qui, d’un certain point de vue, s’en acquitte fort heureusement. La philosophie n’est plus la connaissance du monde mais de plus en plus la réflexion sur la connaissance de ce monde. En d’autres termes, c’est la connaissance elle-même en tant que telle, et notamment celle de la science qui devient pour elle matière à réflexion.

     La notion de sagesse évoque encore à notre esprit une idée morale. A titre d’exemple, on peut penser à des grands hommes, et aux personnages presque légendaires, à savoir les « sages » de la Grèce (VII av. J.C). Ces hommes ne furent pas seulement, ni même surtout des savants ; c’étaient des hommes d’une grande moralité toute particulière que l’on consultait dans les difficultés relatives à la vie des hommes et de la cité. C’étaient aussi des législateurs (ex : Solon qui a donné à la ville d’Athènes sa constitution qui était le fondement de sa démocratie) ; ou bien encore des juges d’une grande intégrité morale. On n’est donc pas étonné de la place fort importante que tous les philosophes ont réservé à la morale ou à l’éthique dans leur système. Définie comme sagesse, la philosophie se réfère naturellement aux problèmes de l’action humaine.

     En définitive, de même que, par ailleurs, elle s’interroge sur les conditions de la connaissance valable, elle doit examiner celle de l’action droite, c’est-à-dire ce qui définit et fonde le bien, la justice, la vertu et toutes les valeurs de l’action humaine. On comprend, dès lors, que dans ses Principes de philosophie, Descartes accorde au mot Philosophie une définition plus complète et universelle, voire une dimension de nécessité tant pour l’individu que pour toute la communauté. Il écrit ceci : « Le mot philosophie signifie l’étude de la sagesse… et par la sagesse on n’entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut avoir tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé et l’invention de tous les arts ». Ce terme signifie, dans le contexte de Descartes, les techniques.

     Si la philosophie a pour fonction, selon Descartes, d’éclairer à la fois notre conduite au point de vue de la morale tant personnelle que sociale, et l’invention des arts qui améliorent les conditions de notre vie, on conçoit que l’auteur puisse ajouter la réflexion suivante : « C’est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir que de vivre sans philosopher… Cette étude est plus nécessaire pour régler nos moeurs et notre conduite en cette vie que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas ». Selon Descartes, la philosophie s’étend donc à tout ce que l’esprit humain peut savoir. On comprend ainsi l’ambition démesurée des philosophes anciens, d’aspirer à un savoir universel. Cette ambition était à juste titre une tendance très noble, à savoir le désir de connaître, de comprendre et de vivre non pas dans l’illusion mais selon la vérité conçue comme la voie du bonheur. Comme l’écrit Henri Gouhier, dans La vocation de Malebranche, « La philosophie est la recherche de la vérité, de toute la vérité et elle doit abriter toutes les vérités qui sont à notre portée. D’ailleurs il n’y a de vérité qu’aux yeux des hommes et justement le rôle de la philosophie est d’essayer d’atteindre à travers ses vérités une représentation de la vérité une et immuable dont elles sont le reflet ».

     D’une façon générale, le philosophe demande au savoir d’éclairer la conduite. Vivre en philosophe, selon Socrate, c’est vivre selon son âme raisonnable, c’est-à-dire, sa dimension spirituelle. Tout philosophe veut parvenir à une estimation exacte des biens et des maux, à une conception du bonheur qui ne trompe point. Et la philosophie ainsi comprise est une attitude devant la vie ; et à ce titre, elle a un pouvoir de conversion. Par la philosophie, tout être humain est en mesure d’atteindre la liberté intérieure, la paix de l’âme, bref la sérénité.

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B- La philosophie en question : Science et Philosophie

(Fondateurs de la science nouvelle, Copernic, Kepler, Galilée, Descartes, Pascal, Newton au XVIIe siècle, selon l’histoire des sciences modernes).

   La science moderne est née avec les astronomes. Les temps modernes, notamment le 17e Siècle, sont marqués par le développement de la pensée scientifique. Celle-ci a établi des méthodes spécifiques d’observation et de vérification. Elle s’est donné ainsi les moyens techniques d’investigation de plus en plus sophistiqués.

   Ses conclusions expérimentalement établies qui sont devenues les bases d’application fécondes opératoires, inventives, s’imposent à tous les esprits. Aussi, la science apparaît au regard du plus grand nombre d’hommes comme le type même de la connaissance fondée.

     En revanche, de nos jours, la philosophie semble avoir perdu beaucoup de son prestige et on se demande alors quel est exactement son objet. Cependant, cette vision des choses est plutôt sommaire. En effet, comme l’écrit Karl Marx : « La philosophie conçue dans son développement systématique est impopulaire ; son activité mystérieuse paraît au regard des profanes comme une agitation aussi extravagante que vaine… Mais les philosophes ne sortent pas de terre comme des champignons, ils sont les fruits de leur époque, de leur peuple dont les énergies les plus subtiles, les plus précieuses et les moins visibles s’expriment dans les idées philosophiques » (Thèses sur Feuerbach).

     En dehors de cette prise de position qui enseigne la permanente actualité de la philosophie en tant qu’elle est une attitude de l’esprit rationnelle, il y a des questions qui demeurent et qui ne sont guère du ressort de la science. En effet, l’activité de la pensée ne peut s’épuiser dans la seule science. Elle est aussi réflexion, interrogation portant sur l’avenir, sur le but à atteindre, le sens des situations individuelles ou sociales… les conséquences de décisions (politiques), la valeur des actions entre autres éthiques : le bien, le mal, le droit, la justice. Un des objets privilégiés de la pensée philosophique reste naturellement l’homme, sa personne, son destin. En quoi consiste le bonheur ? Peut-on l’atteindre ? Pourquoi la vie ? Pourquoi la mort ? Qu’est-ce donc que l’homme ? D’où vient-il ? Où va-t-il ? Nous n’échapperons jamais à ces questions. La dignité humaine consiste à poser ces questions. Mais, ce qui a le plus nui à l’image de la philosophie, c’est justement les grands systèmes. Claude Bernard écrit justement dans son Introduction… : « Il faut chercher à briser les entraves des systèmes philosophiques et scientifiques comme on briserait les chaînes d’un esclavage intellectuel. La vérité, si on peut la trouver, est de tous les systèmes… La philosophie et la science ne doivent donc pas être systématiques » (p. 309)

 Conclusion partielle de cette interrogation

     L’objet essentiel de la philosophie est naturellement l’homme lui-même. Quant à la science, elle travaille sur des objets particuliers qui sont observables et que l’on peut étudier en détails. Ainsi, selon Claude Bernard, les questions philosophique apparaissent, pour les sciences de la matière dans leur ensemble, comme un questionnement situé au-delà de l’horizon de ces sciences elles-mêmes. Telle est par exemple la question métaphysique de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». A cette question fondamentale qui engage toute la raison humaine, la science, quels que soient ses progrès, ne peut répondre. En définitive, on peut concevoir la philosophie comme une réflexion critique sur les problèmes humains relatifs à la science et à l’action. C’est dans ce sens que le philosophe Alain dira : « La philosophie est une bonne police de l’esprit ». Toutefois, il reste à se demander si cette organisation rationnelle de l’esprit ne le limite pas seulement dans la théorie et si elle tourne aussi vers le réel concret.

 Deuxième interrogation : La philosophie nous éloigne-t-elle du réel ?

Introduction

       Karl Marx, dans son ouvrage Thèses sur Feuerbach, écrit ceci : « Le même esprit construit les systèmes philosophiques dans le cerveau des philosophes qui construit les chemins de fer avec les mains des ouvriers. La philosophie n’est pas extérieure au monde… Parce que toute philosophie véritable est la quintessence spirituelle de son temps, le temps doit venir où la philosophie aura un contact, une relation réciproque avec le monde réel de son temps. La philosophie cessera alors d’être une opposition de systèmes pour devenir la philosophie en face du monde, la philosophie du monde existant… ».

     Cette réflexion de Karl Marx nuance le reproche généralement adressé à la philosophie c’est-à-dire le fait qu’elle loin de la réalité, du concret, de l’action pratique humaine. Certes, la métaphysique s’intéresse par choix aux réalités qui ne sont pas de l’ordre des choses matérielles et qui ne sont compréhensibles que par l’intelligence, à savoir : le vrai, le bien, Dieu, l’âme, la vie, la mort, la vérité, la liberté etc. qui sont des thèmes proprement métaphysiques. Mais la métaphysique, en soi, n’est qu’une partie et non toute la philosophie. Elle ne saurait donc se substituer à la totalité de ce savoir complexe.

A- Socrate et la réflexion philosophique : éthique et praxis

     Le modèle de la réflexion que l’histoire philosophique a retenu est incontestablement l’ironie socratique et sa manière d’interroger les esprits, voire l’acte de mise en question. Socrate lui-même aimait à dire : « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ». En son temps, Socrate n’enseignait rien ; il se contentait d’ « accoucher » des esprits c’est-à-dire de les aider à mettre au jour les problèmes et les difficultés qu’ils portent en eux-mêmes. De ce point de vue, il demeure le philosophe par excellence dans la mesure où il nous fait réfléchir. Cet art d’accoucher des esprits est ce que l’on a appelé la « Maïeutique socratique ».

     Socrate réfléchissait sur les problèmes de la vie quotidienne, sur les techniques des artisans, sur l’art des politiques. Certes, de nos jours, l’univers intellectuel individuel dans lequel nous vivons est infiniment plus complexe que le monde des contemporains de Socrate. Mais, ni l’esprit ni la réflexion philosophique n’a fondamentalement changé, bien que sa matière s’est grandement enrichie. Le philosophe ne saurait en particulier ignorer aujourd’hui le développement des sciences et des techniques qui sont à ses yeux les éléments les plus précieux de sa réflexion. D’où la nécessité de la spécialisation en philosophie aussi comme : la philosophie des sciences, de l’histoire, de la biologie, du droit etc. C’est pourquoi, le philosophe Alain a raison de dire, dans ce sens, que toute matière est bonne à la réflexion philosophique.

     Réfléchir philosophiquement sur la science, c’est s’interroger sur ses résultats et ses méthodes : quelle est la nature de la connaissance scientifique ? Quelle est la valeur, voire la signification, des axiomes, des principes dont parle le mathématicien ? Toutefois, la réflexion philosophique va bien au-delà de la sphère épistémologique (scientifique et technique), dans la mesure où elle pose des problèmes que la science exclut de son champ d’investigation parce que ceux-ci sont par nature insaisissables matériellement. En effet, la science, sans prétendre atteindre la vérité en soi, s’efforce d’expliquer les phénomènes naturels en les rattachant les uns aux autres par des lois intelligibles, c’est-à-dire des formules ou fonctions mathématiques. Les interrogations philosophiques sont de l’ordre suivant : la conscience est-elle le but final du monde ou un accident transitoire ? L’homme est-il déterminé totalement ou possède-t-il un libre arbitre ?

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B- La réflexion philosophique et la vie : le modèle platonicien

On peut interroger la philosophie platonicienne selon quatre points essentiels :

Premièrement

   La réflexion philosophique s’applique à tous les problèmes que la vie nous pose. Au 18e siècle Emmanuel Kant résume tout le programme philosophique en une triple question : « Que pouvons-nous connaître ? Que devons-nous faire ? Que pouvons-nous espérer ? »

     La première de ces questions concerne la réflexion philosophique appliquée aux problèmes de la connaissance ; elle englobe à la fois la philosophie des sciences et la métaphysique définie comme recherche du sens profond de l’univers, de l’Etre et au-delà, du savoir scientifique. La seconde question définit la philosophie de l’action. Quant à la troisième, elle n’est que le prolongement métaphysique de l’action. En d’autres termes, la question « Que pouvons-nous espérer ? » renvoie aux autres questions fondamentales qui sont : l’homme est-il réellement le maître de la vie ou seulement le jouet de forces aveugles à l’oeuvre dans l’univers ? L’homme est-il réductible uniquement à sa dimension matérielle ou bien possède-t-il une âme immortelle ? Quelle est la vraie signification de sa présence en ce monde ? Quelle est la destinée humaine ?

Deuxièmement

     Si la réflexion philosophique se donne comme objet le monde à connaître et l’action à accomplir, elle suppose un certain recul, un certain détachement par rapport à ce monde. Souvent, l’homme d’action se moque du philosophe qui est perdu dans ses méditations et de ce fait étranger à la vie réelle. Platon, dans le Gorgias, entre autres Dialogues, fait l’écho de telles critiques. Contre ces critiques, il prend naturellement la défense du philosophe. Selon Platon, le point de vue de l’homme d’action est le suivant : le philosophe qui veut élever sa méditation aux dimensions de l’univers et qui, en même temps, s’interroge sur la condition humaine en général, est tout à fait désorienté, voire ridicule dans ses relations concrètes avec les individus. « Thalès était tombé dans un puits tant il était occupé d’astronomie. Une petite servante thrace, pleine de bonne humeur, se mit, dit-on, à le railler de mettre tant d’ardeur à savoir ce qui est au ciel alors qu’il ne s’apercevait même pas de ce qu’il avait devant et à ses pieds…

C’est que la réalité de l’homme qui est de cette dimension ignore de son voisin non seulement ce que fait celui-ci mais encore, ou peu s’en faut, si c’est un homme ou quelque autre créature. La terrible incongruité de son attitude lui vaut d’être pris pour un être stupide ».

Troisièmement

     Mais, selon Platon, cette maladresse du philosophe aux prises avec le réel concret est sans importance parce que le monde concret, celui des expériences quotidiennes, des phénomènes mobiles, n’est qu’un monde d’apparences fait d’illusions. Le vrai monde, c’est celui des idées, des vérités éternelles (êtres mathématiques) parmi lesquelles le philosophe vit et auxquelles il a accès. Dans le septième livre de La République, Platon expose, de façon claire, cette séparation des mondes ou des réalités. Selon lui, les hommes sont comme des prisonniers enchaînés dans une caverne le dos tourné vers l’ouverture mais les yeux fixés sur la paroi. Dans cette position, ils ne voient rien de ce qui se passe dehors ; et pour tout spectacle ils ont les images projetées sur le mur. Et comme ils ne peuvent rien voir d’autre, ils croient que ces ombres constituent la seule réalité.

   Ainsi, Platon reconnaît que ces hommes symbolisent tous ceux qui croient que le monde de l’expérience sensible, c’est-à-dire des événements concrets, est le seul monde, la seule réalité. Mais, supposons un instant que l’un de ces prisonniers soit brusquement obligé de sortir de la caverne et transporté à la lumière : d’abord, ébloui par la lumière, il s’y accoutumera peu à peu. Il s’apercevra alors que ce qu’il prenait naguère pour une réalité n’était qu’une image obscure. Selon Platon, cette habituation à la lumière symbolise l’initiation philosophique et le monde ensoleillé des idées éternelles, patrie des philosophes ou de tout être qui cherche la vérité. A l’inverse, si le philosophe abandonne les idées lumineuses et replonge dans la caverne, ses yeux qui ne sont plus accoutumés à l’obscurité, ne discerneront même plus les ombres mouvantes que les prisonniers prennent pour la réalité. Il sera alors le jouet des sarcasmes de ses compagnons qui le considéreront comme un aveugle. En réalité, les yeux du philosophe sont faits pour la lumière et ne sont aveugles qu’en apparence.

   Dès lors, selon Platon, le philosophe paraît justifié dans son ignorance des réalités matérielles, et dans son incompétence pratique ; il a donc le droit de mépriser le monde sensible, puisqu’il habite le monde vrai, le monde des idées éternelles.

     Cette conception idéaliste de la philosophie a, certes, été vivement critiquée par Karl Marx. Selon ce dernier, une telle philosophie est liée au mépris des réalités matérielles. Et l’on a tendance, à travers cette conception, à préjuger de la philosophie dans son ensemble. Bien au contraire, la philosophie authentique, loin d’ignorer le monde sensible, réfléchira à partir de ce monde lui-même qui conditionne toutes nos pensées. Faite pour élever l’esprit, la philosophie ne doit point nous exiler du monde ; du point de vue de la réflexion elle-même, elle ne peut être une évasion. Cependant, à la différence de l’homme d’action, le philosophe ne se contente point de vivre les événements dans le désordre, voire dans leur diversité. La démarche philosophique se propose donc de tirer la leçon des événements, de les rapprocher pour mieux les comprendre afin d’arriver à une vision systématique, c’est-à-dire intelligible de l’univers.

Conclusion générale

    L’enseignement de la philosophie en terminale, avant toute spécialisation universitaire, vise d’abord au développement, en chacun de nous, d’un esprit critique sur toutes les questions que nous sommes amenés à nous poser ; et, ensuite, sur les pratiques humaines en général. Cet esprit critique est nécessaire à la poursuite d’études supérieures quel qu’en soit le domaine mais aussi à la pratique de la citoyenneté.

   La philosophie nous révèle à nous-mêmes. Elle nous aide à abattre les cloisons de toutes sortes d’illusions liées à la vie en ce monde, et même de toute sortes de réalités qui nous modifient et nous élèvent ou au contraire aliènent notre conscience. La réflexion philosophique nous fait prendre conscience de cet état de réalité. En effet, le fait d’être conscient constitue pour l’homme un événement décisif qui l’installe au monde et lui permet d’y prendre position. Dans la mesure où l’homme est conscient, il n’est plus simplement une chose parmi tant d’autres ; il est, au contraire, devant le monde et dans ce face à face, le monde se constitue par lui comme phénomène à connaître, à comprendre, à juger et à transformer. Selon René Descartes, la conscience philosophique est ce qui me permet de devenir « Maître et possesseur« , non de la Nature mais de moi-même. Mais alors, qu’est-ce que la conscience ?

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