
Introduction
Le bonheur, de par sa définition étymologique même, est un leurre. En effet, si l’on s’attache à son étymologie, on s’aperçoit qu’il est lié au hasard, à la chance. Bonheur, sous cet angle, signifie « bon heur » du latin bonum augurum ou quelque chose qui annonce ou présage un événement favorable. Le bonheur, même si on consent à le définir comme un état de satisfaction suprême, qui dépasse le plaisir résultant de la simple possession des objets désirés, il est ce qui nous advient, ce qui nous échoit. Et quand bien même il est indépendant de mon désir, de ma volonté, il n’en demeure pas moins qu’il se présente comme une fin universelle. En effet, le bonheur est recherché par tout le monde car tous les hommes, sans exception, désirent être heureux. Mais peut-on jamais être heureux au regard des scories de la vie qui troublent continûment notre existence, notre sérénité ? En ce sens, tout indique, au fond, que c’est l’homme lui-même qui est inaccessible au bonheur. Certes, toute circonstance de la vie donnerait à chacun une chance de bonheur, à condition d’en être, hic et nunc, conscient et de savoir l’accueillir et le vivre pleinement.
Une autre difficulté aporétique de cette notion réside dans le fait de lui donner un contenu spécifique. Car le bonheur, en fonction du mode d’être de chacun de nous, véhicule des représentations différentes, des choix divers et variés comme si chacun avait le sien et que les formes de bonheur des autres ne s’accorderaient pas avec le nôtre : son sens est relatif aux modes de vie et même aux préférences sexuelles. En outre, parfois, au moment précis où il nous est donné de connaître une figure de bonheur, nous n’en sommes pas nécessairement conscients et nous ne sommes capables de reconnaître notre bonheur qu’après coup. Mon bonheur, dans ce cas de figure, apparaît comme une idée fugace, parfois frivole, donc insaisissable. D’où une forme de frustration existentielle. Au fond, le bonheur figure parmi ces notions absurdes que l’espèce humaine a inventées pour s’infliger une souffrance métaphysique dès lors qu’il s’agit de quelque chose de réellement impossible comme le prouvent les propos acerbes de ces passages de l’un des livres de Martin Winckler.
I- Le désastre de la vie humaine et sa souffrance rédhibitoire
« Dans un vieux cahier
La vie à deux, le plus souvent, ce n’est pas une vie de couple, mais une vie de coups, une vie de cons. J’ai vu tant de couples mal assortis, à la fois haineux et complaisants, pour lesquels le seul enjeu était le pouvoir – imposer la couleur du canapé et le carrelage de la salle de bains, choisir le nom des enfants et la façon de les habille, refuser le plaisir au nom du devoir ; voler des plaisirs au nom de la liberté individuelle, rejeter le désir de l’autre pour justifier ses propres frustrations, le laisser baiser à droite et à gauche pour ensuite, avec magnanimité et compréhension, mieux l’enchaîner en lui pardonnant.
Dans la mythologie commune, vivre en couple, se marier, avoir des enfants, c’est « créer la vraie famille dont on a rêvé et qu’on n’a jamais eue ». En réalité, c’est surtout reproduire la mauvaise famille dont on est issu, restaurer en plus caricatural la foutue famille sur laquelle on a craché jadis, donner un semblant de légitimité à une association équivoque, de circonstance ou de convenance.
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