Le sens de la fin des temps modernes dans la pensée de Robert Jaulin

Présentation

    Depuis les années 1990, on entend régulièrement, dans les Médias, des experts en tout et en rien, agréés par les cours politiques, financières et économiques, gloser sur l’état de notre monde actuel. A propos des soi-disant crises économiques, qui ne sont rien d’autre que des occurrences pour les tenants de l’industrie financière internationale, sans visage spécifique, de s’enrichir sur le dos brisé des peuples, seuls producteurs de richesses réelles par leurs multiples activités. Dès lors, il n’y a que les imbéciles, les naïfs et les esprits creux pour croire aux discours mensongers et manipulateurs de ces fameux experts en tout et en rien. Quand ces derniers se trompent dans leurs analyses d’expertise ou de prévisions, ils ne sont pas, pour autant, récusés. Car la machine à broyer les peuples réels parvient toujours à les récupérer, à passer l’éponge sur leurs errements et, donc, à les recycler par le biais de nouveaux discours préparés à leur intention. Et ces experts en question sont de superbes courroies de « marketing » et de communication de la finance internationale. Or, la finalité de leurs discours consiste essentiellement à abuser de la crédulité de tous les peuples de notre commune Terre.

     C’est cette posture mentale aliénée, tout à fait impersonnelle, qui les incline fortement à se contenter de produire des théories creuses, partielles et partiales, voire répétitives sur les données du monde contemporain ; et les médias, dont ils sont aussi les valets, se chargent alors d’imposer aux imbéciles la nécessité de consommer leurs verbiages. Pourtant, d’ordinaire, ces théories fumeuses et fameuses manquent d’envergure du point de vue de la raison universelle. Elles sont tautologiques dès lors qu’elles prônent non des valeurs de l’excellence de l’esprit, de l’intelligence, de l’éthique et de la morale ; bien au contraire, elles se réduisent essentiellement, presque toutes, au statut de chantres de la technologie abrutissante, sans avenir ni lendemain, sans éclat ni lumière de la Raison. Car elles obligent les gens à consommer et, ainsi, à déchoir du statut d’êtres humains à celui de pauvres créatures et de bêtes stupides par le renoncement à l’usage de leur esprit critique, en somme, de leur raison. Ils sont aussi abrutis par l’empire de leurs gadgets technologiques sur leur conscience dénuée désormais d’autonomie, du sens profond de la liberté. Car les consommateurs de ces artéfacts donnent des signes visibles qu’ils sont fiers d’être des instruments de ce monde technologique. La technologie est excellente à la seule condition qu’elle concoure aux progrès de l’esprit, à la diffusion des idées éclairées par la Science, à la qualité de l’esprit humain.

    Au fond, les fameux experts en tout et en rien jouent exactement le rôle de la classe sacerdotale au cours des siècles antérieurs sur laquelle les empereurs, les rois, les princes et autres tyrans fondaient tout leur espoir pour soumettre, grâce à la main mise des religions et de leurs pouvoirs mystérieux sur les hommes, la conscience des peuples en vue de triompher des obstacles présents et régner en paix. Toute religion était, est et sera toujours l’instrument adéquat de tout pouvoir temporel. Comme autrefois, cette classe sacerdotale de l’économie et de la finance internationale est prête à frapper d’anathème, de « Fatwa » toute personne qui ose penser différemment d’elle. Car elle prétend détenir seule la Vérité, quelque chose comme la parole divine. En fait, elle n’a que le pouvoir de ses maîtres tutélaires pour agir à sa guise, condamner les esprits libres, les bannir s’il le faut, les réduire au silence, à défaut de les brûler sur le bûcher, comme autrefois. Tel est le cas de Giordano Bruno, brûlé vif par l’Inquisition catholique le 17 février 1600 à Rome, tout dominicain qu’il était, pour avoir soutenu la thèse d’un univers infini, qui n’a pas de centre et peuplé d’une quantité innombrable d’astres et de mondes semblables au nôtre. Car une telle démonstration mathématique allait à l’encontre de la croyance au géocentrisme imposée par la religion judéo-christiano-islamique.

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     Or, la myopie de la néo-classe sacerdotale contemporaine de la finance internationale réside dans son incapacité, à cause du formatage de sa conscience par la spécificité et la nature de ses études, à envisager le devenir du monde, avec ses mutations profondes, dans son ensemble ; voire en sa globalité. Sa boule de cristal, qui lui sert de repères de lecture des phénomènes présents ou futurs, imposée par ses Pères tutélaires, lui permet de voir uniquement l’immédiateté de ceux-ci. Car c’est dans cette immédiateté que ceux-ci construisent des scénarios ingénieux et perfides, voire mortifères pour pressurer les peuples, sucer leurs biens nécessaires et la richesse de l’économie réelle dont ils sont les seuls acteurs. Ce sont ces richesses qui permettent aux tenants de l’industrie financière internationale apatride de grossir plus que de raison ; à tel point qu’ils en deviennent des obèses monstrueux, difformes. Et cette difformité, par l’excès de chair insensible à tout ce qui est humain, concret, s’étale partout, couvre tout, étouffe tout. Dans ce monde satanique, l’économie réelle est transformée en une industrie financière, autant dire en une pure fiction, les peuples sont réduits au rang d’esclaves, tout juste bons à travailler inlassablement pour enrichir toujours plus la minorité détentrice de la puissance de la fiction financière ; l’agriculture est devenue le domaine privé et exclusif de l’industrie agro-alimentaire. Dans cette logique mortelle, aspirée et envoûtée par la fin des temps modernes, les Etats eux-mêmes ne sont plus rien d’autre que des Baronnies entre les mains de fer de cette puissance fictive du monde présent. Sur toute notre commune Terre, de nos jours, c’est le triomphe incontestable de la ploutocratie créée par et issue de la finance internationale.

   A titre d’exemple, au sujet de l’industrie agro-alimentaire, un récent article du « Canard enchaîné » s’intitule ainsi : «Les maîtres du grain ». De quoi s’agit-il ? Ce journal montre comment quatre firmes sont aujourd’hui, en spéculant sur les denrées alimentaires, capables d’affamer toute la planète, laquelle devient, de facto, comme leur propriété privée. Les données suivantes constitueraient une source d’angoisse absolue et d’inquiétude profonde si les êtres humains pouvaient en être réellement conscients : « COMMENT faire du blé avec la crise en Ukraine ? Depuis que Pou­tine a mis la main sur la Crimée, le cours des céréales flambe, à la Bourse de Chicago. Le prix du blé, notam­ment, a grimpé de 30 % en trois mois. On l’avait presque oublié, mais Kiev, 6° exportateur mondial de blé et 3e pour le maïs, est un grenier à cé­réales… Le port d’Odessa étant le principal lieu par où transi­tent les céréales ukrainiennes, et les mouvements des bateaux connais­sant des perturbations, les « ABCD », comme on appelle les géants du tra­ding de matières premières agricoles, s’en donnent à cœur joie…

   « A » pour Archer Daniels Mid­land, « B » pour Bunge, « C » pour Cargill, « D » pour Dreyfus, plus précisément Louis-Dreyfus Commodities… A lui seul, ce sympathique quatuor, composé de trois Améri­cains et d’un Français, contrôle près des trois quarts des échanges de blé, de maïs et de soja sur les marchés mondiaux.

   Cargill, le plus gros des quatre, avec un budget de 136,7 milliards de dollars, aligne 500 navires de fret qui sillonnent en permanence les mers du globe. Pendant les trajets, les car­gaisons peuvent changer plusieurs fois de propriétaire en fonction des fluctuations des cours de la Bourse, du prix du fioul, des taux de change… Au fil des ans, les quatre sœurs ont mis la main sur toute la chaîne d’approvisionnement en cé­réales de la planète.

   Et profitent au maximum des ca­tastrophes climatiques ou des crises internationales. Il y a quatre ans, le pédégé de Bunge a ainsi fait chauf­fer le cours de Faction de 30 %, en spéculant de main de maître sur les sécheresses inédites en Argentine et en Russie. De son côté, Cargill a vu ses bénéfices grossir de 69 % en 2008, l’année des « émeutes de la faim » provoquées par la hausse bru­tale du prix des céréales. » (« Le Canard enchaîné » – mercredi 14 mais 2014)

     C’est cette logique mortifère, devenue le danger par excellence des temps modernes, qui conduirait, un jour prochain, notre commune Terre à sa perte et condamnerait ainsi la vie humaine à une mort certaine, bien plus rapidement que les processus naturels d’eschatologie, que Robert Jaulin avait perçu depuis au moins les années 1970. Bien qu’authentique anthropologue, sa pensée a atteint, par son concept opératoire d’Hébreu-Pharaon, les sommets de la Raison philosophique.

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   D’une part, il a montré l’étroitesse de vue de ceux qui pensent avec leur cerveau entérique (ou « cerveau du bas ») avec ses pauvres 500 millions de neurones, si l’on compte la totalité de ce système nerveux entérique qui part de l’œsophage jusqu’à l’orifice anal. Ce sont des penseurs de l’immédiat, du nécessaire et de l’utile. Car tels sont les impératifs du bas ventre et de ses divers besoins. Leurs concepts triomphent de par le monde, quelle que soit la durée qu’ils mettent pour arriver à leur fin. Tel est l’exemple du concept débile du « libéralisme », inventé par des économistes américains de l’Ecole de Chicago. Ce concept, issu directement du cerveau entérique, répond bien aux attentes, à la volonté d’impérialisme des maîtres de l’industrie financière internationale et, de ce fait même, maîtres du monde contemporain.

     D’autre part, Robert Jaulin, membre d’une puissance militaire dominante d’alors, en l’occurrence, la France, a agi à l’encontre de ses collègues anthropologues qui avaient bien accepté d’être des courroies de transmission des volontés de la puissance occupante des pays africains et de ceux de l’Amérique du sud ; en somme, d’être indirectement considérés comme des « espions ». Cet anthropologue singulier, engagé et courageux a prôné une autre approche de l’étude des peuples différents de ceux de l’Europe et/ou de l’Occident. Il a envisagé comme méthode novatrice l’immersion (il l’a expérimenté lui-même dans La mort sara) dans les réalités culturelles, sociales des populations étudiées ; au lieu de s’en tenir à une anthropologie descriptive, observatrice ou ethnographie, qui produit essentiellement des préjugés sur les peuples autochtones. Mieux encore, il a recommandé le respect absolu de la diversité et de la différence des peuples de la terre, image même de la nature qui nous a couverts de formes si variées, singulières et irréductibles à tout autre réalité humaine.

     Enfin, loin des préoccupations des cerveaux entériques emportés par le magma, le désordre et le bouillonnements des instincts et de leurs figures extérieures violentes, agressives et aveugles[1], Robert Jaulin, comme les philosophes des siècles précédents (on dit bien que ceux du XXe et du XXIe siècle sont des « nains de la pensée », des intellectuels bien plus que des philosophes au sens absolu du terme), a eu pour finalité d’éclairer l’Humanité sur son devenir proche et lointain afin de lui éviter d’aller dans l’impasse. Le concept d’Hébreu-Pharaon, s’il avait été adopté, compris et appliqué par l’Humanité moderne, aurait évité à celle-ci sa situation mortifère présente ; et ses mutations scabreuses sans lendemain.

[1] Depuis les années 1980, en Europe, il est de bon ton, lors des campagnes électorales, quelles qu’elles soient, de désigner l’ennemi (bouc-émissaire) d’un peuple donné, en l’occurrence, l’étranger ou l’immigré. Il ne s’agit même plus d’avoir un programme politique pour résoudre les problèmes des citoyens. A la limite, ceux-ci peuvent mourir ; les élites politiques n’en ont rien à faire. Il leur suffit de brandir le drapeau de la menace de l’immigré pour avoir le plus de voix possibles ; comme s’il n’y avait pas d’Européens qui vivent confortablement dans des pays hors de l’Europe. Elles prêtes à tous les abus de langage, à s’emporter dans leur délire contre les immigrés. Leurs discours haineux ou démagogiques se font entendre comme les borborygmes de leur cerveau entérique. Les peuples sont si abrutis aujourd’hui qu’ils pourraient encore voter pour une personne qui aurait la figure d’Hitler. Ces pauvres créatures ne sont plus capables d’exercer leur esprit critique. Elles voteraient même pour quelqu’un qui serait prêt à détruire l’Europe ; du moins à faire une propagande dans ce sens, alors qu’il s’agit d’individus et de boutiques (les partie politiques) qui ne cherchent qu’une chose : leur intérêt privé comme le gros salaire des parlementaires européens. De leurs électeurs, ces élites démagogues n’en ont cure. Tel est le visage des politiciens d’aujourd’hui.

Extraits de livre

(In To Eskhaton, le triangle de la mort, Grenoble, Thot 2000, 559 p. En vente chez Amazon)

 « Première Partie L’Usure à l’œuvre dans la nature des choses, la vie et les créations humaines

 Chapitre II La Mort comme essence première : tout ce qui existe est dans la mort ou Néantité

2- L’habitacle de la mort

     L’examen du monde, des êtres enseigne que la vie apparaît comme environnée de partout par la mort. La vie n’a d’existence qu’au sein de la mort et c’est de la mort qu’elle émerge. La destruction de la vie (jusqu’ici partielle, mais qui sait si un jour elle ne sera pas totale ?) vient de l’intérieur comme elle peut provenir de l’extérieur : elle se détruit du dedans comme du dehors. Dès lors, la peur de la mort, inscrite au fond du psychisme humain, triviale et atavique, n’est rien d’autre qu’un fantasme. Pour se faire peur à lui-même, l’Homme met à distance de soi quelque chose qui est en soi. Le cancer par exemple, ne survient pas du dehors comme un inconnu, un étranger dont la présence en face de moi me causerait un terrible effroi. Il est l’œuvre du fonctionnement de mon propre organisme. Si je consens aux plaisirs de celui-ci, plaisirs qui sont permanents chez le sujet humain, comme ordre harmonieux, il n’y a pas lieu que je sois terrifié par son désordre, la maladie, la douleur, sous prétexte qu’il est virtuellement porteur de la mort. Si je comprends les choses sous cet angle, et si je consens à la mort, non comme idée effroyable, mais néant constitutif de mon être, je serai, du même coup, débarrassé de mes fantasmes et de mes vaines angoisses devant ma mort. Ai-je peur de ma vie, de mon existence ? Alors pourquoi aurais-je peur de ma mort ? Aimer sa vie, c’est aimer sa mort. S’attacher à sa vie, jusqu’à l’aveuglement dans ses douceurs, c’est s’attacher à sa mort comme on consent à ses plaisirs. S’il y a lieu d’avoir peur de quoi que ce soit, c’est bien plutôt du poids des problèmes inhérents à notre existence hic et nunc.

     En effet, tout ce que l’homme fait devient un piège, de quelque façon que ce soit, pour sa vie. En ce sens, l’homme échappe et échappera toujours à l’homme ? Nous savons que ses problèmes sont infinis comme le sont également ses besoins. A peine trouve-t-on des solutions à certains problèmes que d’autres surgissent, d’ailleurs, ou s’engendrent même au sein de cette solution. Les exemples sont immenses qui illustrent fort bien cet état d’insatisfaction permanent de l’absence du pouvoir des hommes sur les choses. Si, par exemple, l’on détruisait un jour tous les rats des villes comme menace de mort, il va se passer l’excès inverse ou l’effet inverse : l’amoncellement des déchets sera tel que leur putréfaction engendrera des gaz qui risqueraient, à leur tour, de nuire à la vie humaine. Toute création humaine (surtout technique) tend à prendre que leur putréfaction engendrera des gaz qui risqueraient à leur tour de une ampleur telle que son prendre une ampleur telle que son contrôle réel semble échapper à son créateur. C’est pourquoi, aujourd’hui, on assiste à l’autonomie des artefacts, dangers mortels potentiels de la vie des hommes sur terre.

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     Dès lors, malgré les efforts des hommes visant à supprimer les phénomènes mortifères, la mort est néanmoins omniprésente. Elle est inscrite dans les alvéoles de l’univers, dans tous les interstices de la terre. Il n’y a rien qui existe matériellement qui ne puisse donner la mort. Tout tue ou peut éliminer la vie. La remarquable fragilité du macro-vivant se tient dans le fait que, même la plus infime bactérie, le plus insignifiant des virus, le plus petit microbe, est capable de l’emporter en peu de temps, suite à une infection quelconque. Tout rend vains les efforts des scientifiques pour réduire la masse, la proximité, l’importance des êtres mortifères dans la Nature. L’air que nous respirons n’est pas sain ; la fleur que nous aimons peut être porteuse de poison ou d’allergie ; le légume, la viande que nous mangeons deviennent, parfois, des aliments mortels au lieu de régénérer notre organisme : le serpent, l’eau, la montagne, les gouffres sous la terre, le feu etc., peuvent causer la mort aussi. Il est un fait remarquable auquel on ne fait pratiquement jamais attention et qui montre fort bien l’omniprésence de la Néantité ou de la mort : il est souvent écrit dans l’espace humain, sur les poteaux électriques, par exemple : « danger de mort » ; et jamais, nulle part, on a pu lire sur un panneau quelconque « danger de vie ». N’est-ce pas là l’évidence que la seule réalité fondamentale est celle de la prééminence de la mort (ou du Non-Etre) au sein de laquelle la vie n’est qu’une étincelle ?

     Par ailleurs, la violence inscrite dans la nature humaine se manifeste, aujourd’hui, sous diverses formes agressives, dans les villes en particulier. Certes, en dépit de l’éclairage dû au développement de l’électricité dans les agglomérations urbaines, éclairage qui vise, notamment, à chasser la peur que l’homme a toujours éprouvée dans la nuit, le danger semble quitter la nature, le bois, la forêt pour se faire menaçant, voire angoissant dans les villes. Il n’y a plus de méchant loup ou quelques autres bêtes féroces qui rôdent le soir aux environs des cités, mais le méchant prochain, le voisin. Comme le montre l’étude de Jean Delumeau[1], ce n’est plus le lointain qui est le danger pressenti, mais l’étranger qu’on côtoie dans l’univers quotidien de sa vie.

     Le danger, en tant que menace de mort, ne se loge plus dans un quelconque espace environnant ou lointain de la terre : il a fait jour même dans la vie quotidienne des gens. Il ne se dresse plus comme un rempart ou comme une menace localisable, il s’est civilisé, au sens d’urbanisation ; il s’est intériorisé dans les villes elles-mêmes, dans les coins de rues, voire sur le palier de la porte. Autrefois, l’on devait battre sur deux fronts les dangers ou les menaces de mort : d’abord, le danger de mort intérieur aux cités, aux hommes, qui risquait, au moindre mécontentement des individus, de dissoudre la cohésion du groupe et l’équilibre social ; puis, le danger extérieur qui peut être les ennemis sous les diverses figures : brigands, rivaux, voleurs, pilleurs etc.

     Aujourd’hui, la situation est plus simplifiée, mais elle est aussi plus incontrôlable, parce que plus intérieure et plus anonyme avec l’urbanisation excessive, la concentration démesurée d’hommes et la soi-disant domestication de leurs penchants bruts. Tout individu qu’on rencontre dans la vie ne présente, apparemment, pour soi-même aucune menace. Pourtant, avec la structure des cités modernes et toutes les formes d’agression, de violence et plus encore de troubles psychiques, tout individu, présente potentiellement une menace de mort. Ainsi, la psychose de la peur gagne les habitants des mégalopoles avec la multiplication des moyens de mort. Bien des psycho­sociologues décrivent un tableau absolument sombre des sociétés d’aujourd’hui : la non-assistance à quelqu’un qui serait en situation de danger et la passivité des hommes devant le massacre d’un individu, le danger permanent des voitures ; la commercialisation prodigieuse et l’abondante consommation des films de violence qui incitent souvent des individus à imiter leurs héros ; l’agressivité dans les rues, dans les métros, en voiture, dans les bus ; les coups de téléphone anonymes accompagnés parfois d’une menace de mise à exécution par après ; les dangers venant de la part de tous les déséquilibrés psychopathologiques qui ne présentent aucun signe apparent de morbidité.

     L’un des derniers livres de Louis-Vincent Thomas[2] est une peinture très pessimiste des sociétés contemporaines, notamment, les villes telles qu’elles sont décrites par les auteurs des romans de science-fiction. Ces romans sont-ils effectivement de la science-fiction pure n’ayant de réalité que dans le seul imaginaire humain ? Toutefois, il résulte de l’analyse de L.V. Thomas qu’un certain nombre de ces romans-fiction décrivent une situation de ce vers quoi s’acheminent inéluctablement les grandes métropoles de ce début du XXI° siècle ; situation qui est en passe de devenir une réalité concrète. Aussi, le méchant loup, disions-nous, est à la ville et non à la campagne ou dans le bois. Les hommes pensent l’avoir supprimé, mais, en fait, il demeure sous d’autres formes de violence ou de tendances mortifères ; il est tapis au fond de nous-mêmes, de nos villes, prêt à happer la première victime qui gène ou qui ne plaît pas.

     Tout ceci montre à quel point l’homme est l‘être pour la mort. C’est ce que désigne bien le mot latin mortalis. Le mortalis ou l’être pour la mort, ou sujet à la mort, traduit la force d’usure à laquelle est soumise toute existence. Tout ce qui vit subit l’action du temps dont le caractère corrosif conduit à la mort inéluctable, au Non-Etre. La mort advient au vivant, en général, et à l’homme, en particulier, par le concours de circonstances fortuites. Parce qu’elle fait irruption dans la vie brutalement, en tranchant le déploiement de la vie comme existence singulière avant son terme, c’est-à-dire par le processus d’usure naturel, on peut appeler l’être vivant, notamment, l’individu humain, le mourant en sursis. L’homme est un être perpétuellement en sursis par rapport à l’être de la mort. Dans cet état sursitaire, il sent constamment le poids de la mort comme s’il était attiré toujours vers le bas, comme s’il était toujours penché sur sa tombe. Un exemple illustre cet état de lourdeur tombale dès sa vie : le sommeil est l’image lointaine et inadéquate de la mort.

     Le sommeil dissout donc le corps et lui ôte son énergie ; il le plonge dans un état proche de la mort, l’état d’inconscient absolu que seule la concentration de l’énergie vitale dans sa résistance préserve de la dissolution totale ou définitive. L’homme qui est un mourant en sursis et qui est animé par la volonté de la mort, tout au long de son sursis ou du déploiement de sa vie qu’est l’existence, recherche souvent cet état proche de la mort. Or, il ne peut bien dormir qu’à l’ombre de la nuit ou dans une obscurité ; le jour, il doit fuir la lumière pour retrouver le sommeil. Aussi, il tire le rideau ou il ferme les volets de sa chambre pour pouvoir se plonger dans cet état voisin de la mort. La mort est aussi la dissolution d’un être vivant dans un état de non-être, de non-conscience, c’est-à-dire dans un état de ténèbres perpétuelles. Cet état de ténèbres n’est rien d’autre que le passage de la lumière (les yeux ouverts voient) à la nuit (les yeux fermés naturellement ne voient plus). Vivre c’est mourir. Cette expression n’a-t-elle pas aussi le sens de l’analogie du sommeil et de la mort ? D’ailleurs, c’est de la mort et par rapport à elle seule que toutes les cultures humaines tirent leurs origines et leur sens profond. C’est ce que l’on apprend dans la lecture des mythes suméro-akkadiens, grecs, ceux de l’Inde, de l’Egypte, de l’Afrique. L’anthropologie, en particulier, donne un large éventail de cette attestation.

       Dès lors, c’est la conscience de la mort qui donne naissance à la culture et non la vie elle-même. Car vivre ne nécessite pas une prise de conscience en tant que tel. Ce n’est pas dans la simple libido vivendi qu’il y a une conscience, mais dans son échec, dans sa finitude. L’enfant ou l’animal sont certainement des exemples du vivre simplement qui ne nécessite aucune prise de conscience dans leur exister fondamental. Celle-ci provient plutôt du mourir qui met un terme à cet exister. La peur chez l’enfant ou le pressentiment du danger, de la menace chez l’animal sont le fait, non de la conscience, mais de l’intuition et de l’instinct, chez l’un et l’autre. Pour le mourant en sursis, c’est donc la mort qui est à l’origine des cultures humaines. L’idée de Paradis, de ciel ou d’âme, de l’univers des ancêtres, relève de cette peur fondamentale de l’Inconnu qu’est la mort. Elle vise à nier à sa façon la mort définitive des hommes et à instaurer un au-delà de la vie, une survie au-delà de la mort. Une telle erreur résulte de ce qu’on a toujours pensé la Vie, celle des hommes, surtout comme quelque chose de fondamental, l’inessentiel étant la mort. Celle-ci apparaît comme un kyste de celle-là ; on a grossi la vie au point de faire surgir la mort d’elle, comme une sorte d’accident. Cette conscience de la Vie comme phénomène fondamental, originel même explique que l’homme se projette au-delà du grand inconnu qu’est la mort ; ce qu’il ne fait pas pour les petits inconnus durant sa vie ; tout inconnu (l’ensemble des petits inconnus) dans l’espace et dans le temps du mourant en sursis est susceptible un jour ou l’autre d’être connu. De nos jours, les hommes disposent de moyens techniques nécessaires pour réduire les distances (avions, bateaux, voitures, trains et même fusées) et, par conséquent, pour rendre tout inconnu connu ou susceptible de l’être un jour. En est-il ainsi de ce grand inconnu qu’est la mort ?

   La mort signe l’échec des pouvoirs de l’homme. En ce sens, le problème humain, l’être vivant, n’a pas de solution à ce niveau. Ce qui revient à dire que chercher le sens de la vie hors de la mort est un non-sens. La vie n’a de sens que parce qu’elle émane d’un néant et s’oriente vers une destination unique ayant une seule issue : la mort. Mais l’entre-deux du passage, la vie, offre une gamme de possibilités, une variété infinie de sens que l’être humain, en particulier, peut exploiter.

     Toutefois, en dépit du néant de la vie par rapport à l’être de la mort, on peut souligner l’importance et le prix de cette extraordinaire chose qu’est la vie. Car elle ne cesse d’inciter les hommes, qui en jouissent momentanément, à élever des remparts pour la protéger. Malheureusement, ils font advenir la mort par cet acte même. Plus elle se sent protégée, plus la vie s’échappe dans son essence même et dans sa réalité. Elle ne cesse de fuir tandis que la mort n’arrête de l’envahir, d’être omniprésente, omniréelle. Cependant, c’est au cœur de la fragilité de la vie, de sa fuite, de son évanescence perpétuelle, que se trouvent sa grandeur et sa beauté, sa valeur et son intensité. Respecter la vie, n’est-ce pas la faire perdurer ? (p.p.65 à 70)

« Troisième partie Déploiement de l’Usure-Temporalité sous forme de la dynamique Hébreu-Pharaon

Chapitre II Genèse et devenir de l’Occident : la civilisation occidentale et l’idée d’occidentalité

« 2- Le dévoilement de l’Usure-Temporalité

La perspective jaulinienne d’Hébreu-Pharaon. Hypothèse anthropologique ou concept opérant ?

   Qu’est-ce que l’Occident selon l’anthropologue Jaulin ? Il s’agit d’un esprit. D’où vient-il ? D’ailleurs. Il a son origine, non pas en Europe, mais ailleurs, au Proche-Orient. Cependant, il est essentiellement enraciné en Occident. Il a fait de l’Occident sa véritable substance. En ce sens, l’Occident n’est plus tout à fait lui-même puisqu’il absorbe cette substance spirituelle qui est devenue son être. Comment cela s’est-il fait et qu’est-ce donc que cet esprit ? Tel est le sens de la démarche de Robert Jaulin dans le dévoilement de ce phénomène. En effet, dans deux de ses ouvrages, La Paix blanche et, en particulier, Les chemins du Vide, il démontre, d’une façon tout à fait originale, la nature de cet esprit. Effectivement, l’analyse qu’il en fait par après, et, par ailleurs, un certain nombre de recherches que nous avons pu effectuer à ce propos, corroborent non seulement la validité de sa théorie, mais aussi sa vérité essentielle en tant que dynamique historique expliquant adéquatement la figure de l’Occident d’aujourd’hui.

   Toutefois, avant de discuter cette conception et/ou thèse de Jaulin, nous allons tâcher, d’abord, de montrer la genèse de cet esprit, son essence spécifique et son enracinement en Occident.

     En effet, tout commence en terre africaine, ou plus exactement, en Egypte vers 1375 avant J.C., c’est-à-dire à l’époque où l’Egypte était un empire mondial sous le règne de la dynastie la plus glorieuse, la XVIIIe. Face aux illustres pharaons, il y a, comme une antithèse, le peuple Hébreu. Précisons, au passage, qu’il ne s’agit pas de rechercher, à travers ces pages, l’histoire effective des peuples d’Israël. La Bible elle-même, du moins l’Ancien Testament, où cette histoire est supposée être consignée, ne permet aucune datation ni ne propose non plus un moyen d’en élaborer une trame qui obéisse aux rigueurs et aux normes scientifiques qu’exige la construction historique aujourd’hui. D’ailleurs, ce n’est pas tout à fait le but recherché dans le cadre de cette entreprise. Qu’on me pardonne de m’en tenir seulement à l’aspect spéculatif de la longue histoire de ces peuples.

     L’histoire de la Haute Antiquité et celle de la Bible elle-même témoigne du fait que, vers 1800, un Sémite du nom d’Abraham quitta le pays de Chaldée, passa en Egypte pour aller s’installer en Canaan avec l’ensemble de son clan. Selon Gilbert Lafforgue, les peuples sémites étaient surtout des pasteurs. Et pour faire paître leurs bêtes, ils ne cessaient de se déplacer dans cette région du Moyen et du Proche-Orient. L’installation des Judéens (ou Juifs) en Egypte doit dater de 1800 jusqu’en 1230, date éventuelle de leur exode de ce pays. Joseph, l’un des fils de Jacob (ou Israël), fut conseiller d’un pharaon. Ce fut, à sa suite, que beaucoup de Juifs vinrent s’installer en Egypte.

   Ainsi, des pharaons d’origine juive ou hittite purent accéder au trône d’Egypte, et ils régnèrent environ cent cinquante ans, c’est-à-dire à peu près de 1600 à 1450. Ils purent, de la sorte, favoriser l’installation de nombreux judéens en Egypte, voire leur accroissement. La mise en esclavage des Judéens eut lieu seulement à la suite de la reconquête du pouvoir pharaonique par les Egyptiens, par les rois de Thèbes. Cet esclavage qui dura plusieurs siècles dut prendre fin vers 1230, date éventuelle de l’exode d’un certain nombre de Judéens. Mais, d’où vint à ce peuple l’idée de ce Dieu qui a conquis la quasi totalité du monde aujourd’hui ?

     Si l’on en croit les analyses psychanalytiques de Freud[3], les Judéens doivent à un Egyptien leur religion, notamment l’idée de leur Dieu : le Dieu unique et omnipotent. En effet, on sait que grâce à ses conquêtes, la puissante et glorieuse XVIIIe dynastie égyptienne[4], surtout sous le règne de Ramsès II, devint une puissance mondiale. C’est, du moins, ce que confirment les travaux de Christiane Desroches-Noblecourt consacrés à Ramsès II. Concernant l’ « opulence de l’Egypte » qui confère à ce pharaon une gloire exceptionnelle et une aura « mondiale », elle écrit : « … En revanche, nombreuses sont les preuves de l’opulence répandue dans le pays, sans parler des richesses qui s’accumulaient particulièrement dans le temple d’Amon à Thèbes. Les chefs les plus brillants du trésor de Sa Majesté, affectés à la collecte des impôts, mais aussi, en contrepartie, à la distribution aux fonctionnaires innombrables d’une juste rétribution, furent, sous le règne du grand pharaon, Panéhésy puis Souty »[5].

     Le caractère nouveau de cette puissance en tant qu’impérialisme, avait même modifié les conceptions religieuses, avant l’avènement de Ramsès II, du moins, dans les milieux intellectuels de la haute classe sociale. Puisque l’empire était mondial, il était ouvert à toutes sortes de moeurs et se laissait pénétrer par des conceptions religieuses diverses. C’est ainsi que les prêtres du Dieu solaire d’On (Héliopolis), grâce aux influences des idées venues probablement d’Asie, imposèrent leur Dieu comme l’unique Dieu d’un même peuple et d’un seul pays. Cette nouvelle conception divine fut renforcée lorsque Amenhotep IV, un jeune pharaon Egyptien, monta sur le trône. La religion d’Aton devint la religion officielle et le Dieu Aton l’unique Dieu, comme le confirme également ce passage de la Chronique du l’humanité : « Héritier d’Aménophis III, Aménophis IV et un roi idéaliste qui réussit à imposer pendant les vingt années de son règne une nouvelle religion, une nouvelle politique et une nouvelle forme d’art. Depuis deux siècles, l’Etat Egyptien s’était profondément transformé, l’Egypte ayant intégré de nombreux étrangers. L’exemple l’Aménophis III et de sa princesse mésopotamienne en est une preuve. Le culte d’Amon était trop exclusivement égyptien ; une religion plus universelle était nécessaire à ce mélange racial : le culte solaire atteignait cette universalité ; Aménophis IV adopta alors Aton… Il abandonna son nom qui voulait dire « Amon est satisfait » et se fit appeler Akhnaton (« celui qui est agréable à Aton »). La nouvelle religion est une religion de vie, de liberté et d’amour de la nature ; elle semble avoir été soutenue par les prêtres d’Héliopolis qui vénéraient le dieu solaire Rê ».

   Cependant, les Egyptiens, dont la mentalité était favorable à la multiplicité des Dieux et, donc, des croyances, abolirent cette religion unitaire sous le règne des incapables successeurs d’Akhnaton. On détruisit et on pilla même la résidence de ce fameux pharaon dont la croyance, considérée comme impie, faisait injure à celles des Egyptiens, traditionnellement reconnues.

   Freud pense que Moïse, un Egyptien de noble naissance, avait lui aussi cru en cette religion et sur laquelle il avait certainement fondé des espoirs. C’est, du moins, ce qu’il reconnaît explicitement : « pour cet homme, la mort d’Akhnaton et la chute de la nouvelle religion marquaient la fin de ses espérances. Aux yeux des Egyptiens, il n’était plus qu’un être méprisable, un renégat ». Il y a de fortes chances, d’ailleurs, que les Hébreux pratiquaient déjà leur religion avant que Moïse ne pense à l’institutionnaliser, à la systématiser. Il ne l’a pas inventée ex nihilo, mais bien, à partir dune réalité humaine concrète, effective. Toutefois, concernant cette zone opaque du passé lointain de l’Humanité en sa totalité, nous devons restés très prudents lorsque nous en traitons ou nous nous en référons. En effet, nous n’avons aucune science précise de l’histoire ancienne des Hommes, en général, voire de toute histoire humaine particulière. Car elle nous est toujours donnée de façon lacunaire, fragmentaire ; ou, à l’autre extrême, de manière monumentale, mythique, absurde, partiale, partielle et singulière. Dès lors, la seule approche qui nous est permise est celle de la libre lecture et de la seule interprétation dans les limites de l’exactitude de ce qui est déjà connu. Toute science, humaine ou non, n’est-elle autre chose qu’une interprétation convaincante et rationnelle des phénomènes, du fait justement de leur complexité incommensurable ? La raison humaine elle-même n’est-elle pas ridicule, voire absurde et insignifiante quand elle oublie sa vision particulière des choses, lesquelles la dépassent et la débordent infiniment ?

     Ainsi, pour nous en tenir à l’interprétation de Freud, cet homme, gouverneur d’une province frontalière, aurait probablement eu des contacts avec une tribu sémite dont l’installation dans cette région remonterait à plusieurs générations. Moïse, abandonné à lui-même, et voulant absolument réaliser son idéal, ou du moins, perpétuer la religion d’Akhnaton, s’empara de cette tribu d’étrangers pour en faire son peuple afin de pouvoir réaliser, enfin, toutes ses attentes et fonder la religion d’Aton. C’est donc Moïse qui fit de ce peuple un peuple élu, d’une part, et d’autre part, lui donna l’idée de son originalité par rapport aux autres peuples de ce temps en leur imposant la circoncision, acte qui était depuis fort longtemps pratiqué par les Egyptiens eux-mêmes, mais que les populations sémites ignoraient avant cet avènement. De ces caractéristiques spécifiques aux Judéens, Freud écrit : « Moïse voulait faire d’eux un « peuple saint », ainsi qu’il est textuellement dit dans la Bible. C’est en signe de cette consécration qu’il leur fit adopter la coutume qui les rendait au moins égaux des Egyptiens. En outre, il ne pouvait qu’être agréable à Moïse de les voir se distinguer par la circoncision des peuples étrangers chez qui leur exode devait les conduire. Les Juifs éviteraient ainsi de se mêler à ces peuples, semblables en cela aux Egyptiens eux-mêmes qui se différenciaient de tous les étrangers »[6].

     Quant à la profonde modification ultérieure de cette religion, elle est due à l’influence qu’exerça Babylone sur Israël, ou sur les Hébreux. C’est, du moins, ce qu’affirme Jaulin. En effet, la modification du caractère concret de leur Dieu en sa forme spéculative résulte de la longue période d’exil des Hébreux à Babylone, comme il l’écrit : « Bien que la religion Juive et son Dieu aient été depuis près d’un millénaire élaborés, l’influence de Babylone doit être soulignée, car le Dieu Juif s’en trouva sans doute modifié, ou plutôt, certains de ses caractères s’en trouvèrent accentués d’une façon telle qu’il devint plus apte à « l’universalisation », à l’insertion en des structures culturelles autres que celles l’ayant généré. Les Babyloniens étaient des sémites, avaient une origine proche de celle d’Israël, et durent faire partie des groupes d’éleveurs qui conquirent, bien des siècles plus tôt, le royaume de Sumer »[7].

   Cette analyse est aussi partagée par l’historien Gilbert Lafforgue. Le caractère pastoral des traditions babyloniennes et leurs réflexions sur la cité visaient, non pas l’enracinement, mais, en tentant de s’arracher de la terre, l’ascension, la verticalité. « La cité Babylonienne, affirme Jaulin, son génie de l’abstrait, sont à la terre (respectivement à l’espace, aux cieux) une liberté que les traditions pastorales, le nomadisme, expriment aussi, mais à un moindre degré ».

     Si la sensibilité profonde des Hébreux ainsi que leur goût pour la « spéculation » ou, du moins, pour la conception abstraite de la divinité leur vinrent de l’influence babylonienne, d’où tirent-ils le caractère particulier de leur Dieu ? Qu’est-ce qui confère à ce Dieu sa spécificité universaliste, omnipotente ?

   D’après Jaulin, dans un premier temps, c’est la personne même du pharaon en tant que personnalité conquérante, que les Hébreux ont adoptée comme nature de leur Dieu. Par ses conquêtes qui supposent l’adjonction sur un même territoire conquis, dans un même pays, d’une hétérogénéité de populations, le pharaon dressa une radicale séparation entre lui, ses sujets et le reste des hommes soumis. Quelles conséquences cet acte entraîne-t-il pour les Hébreux ? Ils opérèrent la « divinisation de pharaon », laquelle « ne fut pas seulement impliquée par l’homogénéité postulée de l’univers où Dieux et hommes se situaient, mais vraisemblablement par l’hétérogénéité des hommes, des groupes qui relevaient de l’Etat Egyptien. »

     A cette transmutation, il faut ajouter la suffisance du pharaon, celle de sa vie dans un univers clos dans la mesure où il épousait sa sœur et où le monde convergeait pour ainsi dire vers lui, c’est-à-dire sa personne hautement ascendante, voire divine. C’est cette « position » unique et particulière de pharaon, comme Dieu suffisant, fort, universaliste, unitaire et surtout dieu conquérant jaloux et guerrier, qui a été à l’origine de l’idée hébraïque de Dieu : elle l’a fécondée et lui a donné naissance.

   Si l’image de la personnalité pharaonique a été, dans un premier temps, nécessaire à la conception concrète de l’idée judéenne de Dieu, dans un second temps, l’influence babylonienne l’a abstrait de cette concrétude comme l’affirme Jaulin : « le caractère social de ce pouvoir divin et caché, put être inspiré du pouvoir pharaonique, mais il doit sans doute à Babylone d’avoir accentué et abstrait son être « au-delà », cet être inaccessible lors même qu’on veut l’atteindre ; c’est beaucoup plus tard, lorsqu’on le situera en intériorité et en « raison », puis en nature et passion, que l’on pourra imaginer en avoir eu l’idée « vécue », la sensation… »

     Que l’idée du Dieu judéen fut, d’abord, concrète, avant d’accéder à une dimension de transcendance absolue, c’est aussi l’opinion de Freud, puisqu’il affirme que le Dieu des Hébreux a gardé le caractère du fondateur lui-même, Moïse en personne. Celui-ci semble avoir eu un caractère particulièrement irascible et violent. Ses excès de colère étaient pratiquement incontrôlables. Conquérant (on dit qu’il remporta des exploits guerriers en Ethiopie) et hautain, il ne put supporter, dit la Bible, de voir ce peuple qu’il tira de la misère et de l’esclavage en le conduisant hors d’Egypte, se laisser tenter par la représentation de son Dieu sous la forme d’un veau d’or. La Bible ne dit-elle pas qu’il brisa, de courroux, les tables de la Loi qu’il avait reçues au Mont Sinaï ? « Il est possible…-affirme Freud- que certains traits de caractère rajoutés par les Juifs à leur conception antérieure de Dieu, aient pu au fond être empruntés au souvenir, par exemple quand ils décrivent un Dieu jaloux, sévère et implacable. Au reste, n’était-ce pas Moïse et non point un Dieu invisible qui les avait tirés d’Egypte ? » Quant à l’essence de ce Dieu juif, Freud pousse l’ironie jusqu’à le décrire comme « un sinistre et sanguinaire démon qui rode pendant la nuit et redoute la lumière du jour ».Le jeu de mot est assez subtile : Dieu ou Démon, tout semble pareil pour Freud. En tant qu’athée, cet auteur n’accorde guère au divin de réalité transcendante. En effet, tout dieu, quelle que soit son origine culturelle, relève de la pure imagination infantile des Hommes.

       D’autres sources scientifiques montrent, contrairement à la tradition biblique, que la révélation de Yahvé n’a pas été aussi évidente. L’idée d’un Dieu unique n’a pas surgi de rien, comme par enchantement. Elle a subi plusieurs métamorphoses au cours du temps avant de s’imposer aux esprits et dans les cultes. C’est ce qu’écrivent les auteurs d’un article sur « la naissance de Dieu » : « Quoiqu’il en soit, malgré la réforme d’Ezéchias et de ses successeurs, Israël abrite encore, aux environs du Ve siècle avant J.C., certaines idoles des plus archaïques. Jérémie, un prophète biblique, se moque ainsi du culte de Jérusalem, tel qu’il était pratiqué à cette époque, car en plus de Yahvé on y vénère « la reine du ciel », peut-être Astarté et les « chevaux du (dieu) Soleil ». La naissance du monothéisme fut probablement plus longue et douloureuse que ne le laisse entendre la Bible ».[8]

     Mais, comment ce qui a été formé en terre d’Afrique, épanoui en Orient, devenu esprit et religion universelle, a-t-il pu prendre racine en Occident ? L’Empire Romain, à l’inverse de l’Empire Perse et, beaucoup plus tard, des Empires Islamiques, chrétiens, pratiquait sans doute, aux dires de beaucoup d’historiens, une réelle tolérance envers les populations subjuguées. Les Romains laissaient à chaque peuple ses mœurs propres et ses Dieux. Pouvait devenir citoyen Romain qui le voulait et sans exception d’origine, selon des conditions matérielles et militaires déterminées. C’est ainsi que devinrent citoyens Romains les parents du philosophe et théologien africain Saint Augustin et, par voie de droit naturel, Saint Augustin lui-même. Grâce à cette tolérance particulière des Romains, Juifs et Chrétiens purent s’installer dans l’empire et pratiquer librement leur religion respective. Néanmoins, les Romains exigeaient de la part de tous ceux qui étaient soumis à leur pouvoir, le respect de leurs Dieux et l’obéissance impérative à l’Empereur. Les problèmes sporadiques de persécution dans l’Empire naquirent du refus des Chrétiens et des Juifs de se plier aux cultes de leurs divinités.

   Or, les deux plus grands antagonistes de l’Empire Romain étaient les Chrétiens et les Juifs. En effet, après la destruction du temple et de la ville de Jérusalem en 70 après J.C. par Titus, symboles de l’unité du peuple d’Israël, les Juifs, comme les communautés chrétiennes, furent dispersés dans tout le Proche-Orient et jusqu’en Occident. Selon Stanislas Giet, Titus se montra particulièrement dur envers ceux qu’il vainquit, en l’occurrence, les Juifs, car « il distribua dans les provinces un grand nombre de captifs voués à mourir dans les amphithéâtres, par le fer ou la dent des fauves ; deux mille cinq cent juifs périrent à Antioche, dans les combats du cirque ou dans les flammes, et il en fut de même dans les autres villes de la Syrie »[9]. En outre, il y eut de la part des autres populations, une haine terrible contre Israël : « Les habitants d’Antioche, ajoute-t-il plus loin, demandèrent qu’on bannisse les Juifs de leur ville. Mais Titus répondit que leur patrie avait été détruite, et qu’aucun autre lieu ne pouvait les recevoir ».

     Cette douloureuse réalité amena les Juifs, partout où il en restait, à développer le sentiment de la communauté, l’esprit familial. L’hostilité des autres, au milieu desquels ils vivaient, les conduisit à une radicale fermeture sur eux-mêmes, à une solidarité croissante, voire au sentiment de rejet de tout ce qui est non Judéen. « Les Juifs, très nombreux à Rome au temps d’Horace, étaient connus pour se soutenir les uns et les autres et pour intervenir en groupe dans maintes affaires »,dit-on, en note dans l’œuvre d’Horace[10]. La fermeture sur eux-mêmes n’est-elle pas l’opposé de l’ouverture au monde romain des Chrétiens ? Cette ouverture chrétienne ne revêt-elle pas une forme de totalité à l’image du radicalisme Judéen ?

     Les Chrétiens ont une religion dont la nature est une et universelle. Cette religion universaliste est ouverte sur l’extérieur afin de pouvoir s’en approprier d’une manière exclusive. Mais, elle n’a pas d’enracinement précis, de pays déterminé. Son champ est l’ailleurs. C’est pourquoi, Celse, un polémiste païen radicalement opposé à l’idéal chrétien, traite les Chrétiens de parias ou, plus exactement, de « gens sans racines et sans patrie ». Les Chrétiens, répond Aristide, forment non seulement un peuple à part mais aussi « un peuple nouveau ». Ce peuple ainsi né, n’est-il pas le peuple d’Israël recréé ? Les Chrétiens ne revendiquent-ils pas la place d’Israël comme peuple élu et nouveau peuple de Dieu ? C’est pour les dissuader d’une telle prétention que les Juifs entreprirent de persécuter les Chrétiens. A Thessalonique, à Bérée, à Corinthe, ils restent au premier rang des persécuteurs. C’est, du moins, ce dont témoignent les Actes des Apôtres. « Vous êtes devenus frères, écrit Paul aux fidèles de Thessalonique, les émules des Eglises de Dieu qui sont en Judée, puisque vous avez enduré de la part de vos compatriotes les mêmes souffrances qu’elles de la part des Juifs : ces Juifs qui ont mis à mort le Seigneur Jésus et les prophètes, qui nous ont persécutés…, eux qui se font les ennemis du genre humain en nous empêchant de prêcher aux païens pour les sauver »[11].

   Comme la communauté chrétienne était plus ouverte, elle parvint à s’imposer aux autres peuples, voire aux Romains, contrairement à celle des Juifs beaucoup plus fermés et intraitables quant à la prétention des Chrétiens à prendre leur place de peuple élu de Dieu. Les Chrétiens, qui sont une substitution du peuple juif, conservent le caractère et la nature fondamentale de son Dieu. Ce Dieu lui-même, nous l’avons vu, est conçu à l’image de la personnalité pharaonique. En effet, la puissance du pharaon, qui s’étendait sur une grande partie du monde au Proche et au Moyen-Orient, est à l’image de celle du Dieu juif. L’invention de ce Dieu impérialiste par les Judéens est l’image même du pouvoir impérialiste du pharaon. « Cet impérialisme se manifestait, écrit Freud, dès lors, dans la religion sous les formes d’universalisme et de monothéisme. Comme le pouvoir du pharaon ne s’exerçait plus seulement sur l’Egypte mais aussi sur la Nubie et la Syrie, la divinité, elle aussi, devait cesser d’être uniquement nationale. Le pharaon étant devenu le maître unique, aux pouvoirs illimités, de tout l’univers connu des Egyptiens, le nouveau Dieu de ceux-ci devait lui aussi être unique et tout puissant »[12].

     C’est pourquoi, la chrétienté, substitut dans sa substance même, en tant que religion, du Judaïsme ou du peuple d’Israël, proclame dans l’Empire Romain l’impossibilité, selon le mot même du Christ, de servir deux maîtres à la fois. Dès lors, un dilemme s’imposait : ou bien servir les Dieux romains ou bien le Christ. En d’autres mots, il fallait choisir entre Rome et la Judée. Toutefois, poser ce dilemme ne revient-il pas, en définitive, à lancer un acte de rébellion contre l’empire romain ? Le royaume du Dieu des Chrétiens est, en fait, le centre de gravité de la prédication évangélique, c’est-à-dire fondamentalement un état d’esprit constitué qui s’installe et s’insère comme un levain de décomposition, une force de destruction de tout royaume terrestre. Mais, Rome ne pouvait guère soupçonner à quel point, malgré les persécutions, cette nouvelle secte universaliste la pénétrait de toutes parts et prenait insidieusement, lentement sa propre entité. C’est en ce sens que Van Der Leeuw affirme que « …le génie politique romain, s’il pouvait pardonner aux Juifs leurs idiosyncrasies et leur entêtement, n’avait aucune possibilité d’étendre sa tolérance au prosélytisme et aux chrétiens revendiquant un royaume placé au-dessus de tout royaume et une loi indépendante de la loi romaine comme toute autre loi »[13].

   Néanmoins, la Judée n’a-t-elle pas triomphé, en définitive, de Rome en dépit des nombreuses persécutions ? Nietzsche, qui a fait preuve d’une obsession inouïe à l’égard du christianisme, dans l’ensemble de son œuvre, et qui s’est nommé lui-même l’Anté-Christ, c’est-à-dire la figure de la vie (lui) contre le symbole de la mort et de la décadence (le christianisme), décrit comment la Judée, par le biais du Christianisme, a vaincu Rome : « le christianisme a été le vampire de l’imperium romanum, il a défait du jour au lendemain ce que les Romains avaient fait de prodigieux, défricher le sol où édifier une grande civilisation qui avait le temps pour elle… »[14]

   En effet, on sait qu’à l’avènement de l’Empereur Constantin, la religion chrétienne fut imposée à tout l’empire romain comme l’une des religions officielles et/ou d’Etat. On sait également qu’avant la chute de Rome, les Chrétiens avaient procédé à la destruction des Dieux romains. Ainsi, avec le Christianisme, on assiste à la mort des Dieux romains et aussi à la chute de Rome. Puis, il y a eu l’érection du Dieu Judéo-Chrétien à la place de ceux-ci ou, plus exactement, le triomphe du Dieu Hébraïque sur les Dieux romains. Rome ou la civilisation occidentale qui en a résulté est le produit de la digestion ou, en d’autres termes, la mutation substantielle de l’Asie Judéo-Chrétienne. Donc, l’esprit de cette production est venu d’ailleurs, c’est-à-dire de l’Asie proche-orientale comme le conçoit Jaulin.

     Ainsi, nous pouvons résumer la genèse de cet esprit dont il va être bientôt question. A la suite de la conception de l’idée d’un Dieu unique, l’histoire hébraïque comporte deux moments importants : d’abord, l’invention de l’ailleurs, la terre promise. Cette terre était en principe appelée à se réaliser en ce monde. Malheureusement, cette promesse ou cette recherche de l’ailleurs meilleur fut un échec. Du fait de son originalité, de l’idée de son élection et aussi de sa quasi fermeture sur soi-même, ce peuple connut un destin fait d’épreuves douloureuses et dures ; souvent cruelles et inhumaines de la part des autres peuples. Le deuxième moment est la spiritualisation de cette réalité étatique, empirique et concrète. La terre promise devient le ciel, l’au-delà. Car les Juifs ont fini par perdre leurs illusions au sujet du fondement de cette idée, d’une part, et d’autre part, de la possibilité de son éventuelle réalisation concrète. Freud n’en pensait pas autrement non plus quand il écrit que « les Juifs seraient le peuple élu dont les obligations spéciales devraient un jour trouver leur récompense spéciale aussi. Certes, le peuple dut avoir quelque peine à concevoir comment l’idée de la préférence que lui accordait son Dieu pouvait se concilier avec les tristes expériences auxquelles le soumettait un malheureux sort »[15].

     Le Christianisme, qui est une continuation logique ou, plus exactement, la substitution substantielle de cette dynamique, en vient en général à représenter les personnages de la Bible comme sans patrie (la Palestine) et sans peuple (les Judéens). Ce sont, à la limite, des personnages intemporels. De l’idée d’un peuple concret (les Judéens) dit élu, on en a fait l’idée d’un peuple céleste (le ciel, le Paradis). De l’idée d’une ville concrète (Jérusalem), on en a fait une ville céleste. Les anges et toute l’imagerie chrétienne procèdent de la même démarche intellectuelle et spirituelle. La tradition concrète des Judéens s’est substituée en une tradition chrétienne abstraite avec l’invention de l’au-delà et le mythe de l’ailleurs. Ce mythe n’a-t-il pas fonctionné depuis des millénaires au point d’envahir le monde entier ? La recherche indéfinie du ciel ou de l’ailleurs ne se poursuit-elle pas encore sous d’autres formes dynamiques ?

     Ces   données   permettent   de   mieux   comprendre   la conception Jaulinienne de l’Occident sous la figure d’Hébreu-Pharaon. Qu’est-ce donc qu’Hébreu-Pharaon ? Hébreu-Pharaon est la substantialité de la réalité idéelle, ou l’essence de l’esprit de l’Occident, lequel est né de la conjonction du fait Hébreu et du fait Pharaon.   Dans   cette   union   substantielle,   totalité   désormais indivisible, Pharaon est la réalité symbolique, en tant qu’elle est l’au-delà, ou plus exactement, l’objectif de la projection de l’idée dynamique d’un « royaume de terre » à conquérir selon l’expression de Jaulin. Hébreu est l’image symbolique du mouvement en tant que réalité concrète qui invente ou projette l’objectif en la nature même de Pharaon qu’il tend à conquérir en tant qu’au-delà de lui-même, par une dynamique essentiellement négative. En d’autres termes, le concept Pharaon peut signifier la terre des Pharaons d’Egypte comme il l’a été à l’origine, de même qu’il peut signifier le pouvoir romain, c’est-à-dire tout ce qui représente une certaine réalité susceptible d’être conquise. Hébreu est ce qui est nié par nature, et le   mouvement comme dynamique opérante qui le caractérise, est essentiellement négateur. Hébreu-Pharaon, c’est l’esprit venu d’ailleurs qui a subi une mutation substantielle en Occident et qui est indéfiniment à la recherche d’un ailleurs, une perpétuelle projection d’un au-delà. En tant qu’Esprit, il est vide, et en tant que réalité mouvante, il est vidant. C’est le vide qui vide,   par la négation fondamentalement,   toute réalité de son contenu.

     Jaulin écrit en conclusion de La paix blanche (tome II) que « Si nous prenons pour « image » Hébreu et Pharaon (…), l’autre est, pour le premier, celui qui vous nie, et pour le second celui que l’on nie ; la jonction « Judéo-gréco-latino-chrétienne » de ces deux définitions complémentaires et négatives, de l’autre, est dans leurs rapports à la totalité ; ces rapports sont des conquêtes. Dans un cas, le « pharaonique », la « totalité » est conçue comme une extension de soi et le soi est donc un être « permanent » dont les moments divers ou « civilisationnels » d’existence ne sont que des « variables » expressives partiellement de cet « être » intentionnel, « l’univers-soi ». Dans l’autre cas, « Hébreu » (puis sa descendance chrétienne), la « totalité » est au-delà de toute autre, mais vise à le contenir, à le résorber, et a pour « noyau humain » ou référence qui la génère, ce groupe restreint, Israël, lequel se définit au moyen de l’autre (Pharaon) qui vous nie ; cette « totalité » est encore un être permanent. Dieu « tout » et au-delà »[16].

     Dès lors, ces deux entités sont dans une relation de complémentarité plutôt que de contradiction par rapport à autrui. Elles se conjuguent tant qu’elles se manifestent sous l’angle de la relation à Autrui. De ce point de vue, elles s’unissent, en fait, et par là même, elles paraissent dans une réciprocité tout à la fois sympathique et disharmonique. Cependant, ces rapports peuvent être contradictoires si ceux qui se réfèrent à la totalité qui les constitue tous les deux et respectivement, s’opposent en tant que totalités exclusives ; mais, leur complémentarité résulte de l’identification de leurs totalités. « L »‘identification » de ces deux totalités signifie ici que de leur conjugaison il est résulté une totalité dont l’unicité est l’homogénéité, le « dynamisme culturel », la force de vie. Cette force de vie… est négative, et est donc une force de mort de même que l’ensemble occidental est toujours hétérogène puisque son homogénéité n’existe que par référence à un Autre, un Au-delà nié. »16

    Dans l’optique jaulinienne, la civilisation occidentale se définit ou peut se définir comme le mariage de ces deux rapports à autrui, c’est-à-dire la détermination négative des deux réalités totalisantes unitaires et complémentaires qui est fondamentalement le concept d’Hébreu-Pharaon dans toute sa réalité.

   Cette « négation-extension » qu’est le mouvement dynamique d’Hébreu-Pharaon est l’ensemble de la réalité de ce qui fait la spécificité de la civilisation occidentale. Jaulin qui apporte une réserve à cette conception dans Les Chemins du Vide, entend par là montrer qu’il s’agit, dans cette entité qu’est l’Occident, d’un mouvement de l’Occident. S’expliquant sur sa démarche, il écrit : « L’histoire d’Israël, telle qu’elle est évoquée ici (dans Les chemins du Vide), demeure « théorique », hypothétique, liée à des abstractions de départ, d’un côté, de l’autre à un mouvement de l’Occident (non tout mouvement de l’Occident) ». En revanche, ce qui demeure une réalité historique, c’est la conjugaison réelle de la spécificité judéo-chrétienne et de la spécificité gréco-latine qui font la substantialité de la culture occidentale, comme le montre fort bien Paul Ricœur : « La rencontre de la source juive avec l’origine grecque est l’intersection fondamentale et fondatrice de notre culture ; la source juive est le premier « autre » de la philosophie, son autre le « proche » ; le fait abstraitement contingent de cette rencontre est le destin même de notre existence occidentale… »[17]. Ceci permet, d’ailleurs, de mieux comprendre le sens de la boutade de Nietzsche quand il affirme que « le Chrétien n’est qu’un Juif de confession plus ouverte… »[18].

     Les fondateurs eux-mêmes du Christianisme, comme Saint Paul, ont compris que, par cette religion considérée comme une secte juive détachée du Judaïsme, « on pouvait allumer un incendie universel ».C’est en ce sens Nietzsche lui-même n’a jamais compris ni accepté l’antisémitisme des Européens chrétiens. Soit dit en passant, cela montre à quel moins l’antisémitisme imbécile est insignifiant dans la mesure où le monde d’aujourd’hui est entièrement judaïcisé (chacun de nous, individuellement ou collectivement, qu’on le veuille ou non) par l’extension de la civilisation occidentale et, donc, l’adoption ou l’imposition de son modèle culturel. A cela peut-être, on peut éventuellement émettre deux hypothèses qui résultent d’une même raison, la gêne : gêne de la particularité culturelle, de la spécificité culturelle du peuple ou des individus juifs ; mais aussi, gêne s’expliquant par le fait que le monde est totalement judaïcisé et, dans ce cas, toute la volonté est, par la haine, de se dépouiller de cette judaïcisation. C’est, surtout, l’antisémitisme de la part des Chrétiens qui est incompréhensible. A vrai dire, nous pensons que l’antisémitisme chrétien est une monumentale erreur.

      Au fond, et dès lors qu’il s’agit uniquement pour nous d’un concept opératoire, il nous semble plus juste de conserver la première version d’Hébreu-Pharaon, dans la mesure où elle est plus conforme à la nature des choses. Le fait qu’en tant qu’esprit, il ait pris possession de l’Occident ne met pas en cause les hommes concrets. Toutefois, ceci n’excuse nullement les horreurs commises par des et non pas les Occidentaux ; la génération d’après la deuxième guerre mondiale ne doit, en aucune façon, être rendue responsable des crimes du passé, lors des conquêtes et de la colonisation à l’égard des populations non-occidentales. Le sous-titre de La Paix Blanche s’intitule : Introduction à l’ethnocide. Sa lecture est édifiante sur le comportement barbare des hommes blancs à l’égard des populations amérindiennes. L’auteur de cet ouvrage est l’un des rares anthropologues en France -il y a aussi Jean Copans- à avoir eu le courage de dénoncer la barbarie, les violences indicibles exercées sur les populations de l’Ailleurs investi.

     Ce qui est intéressant ici, c’est qu’il s’agit bien d’un concept au sens premier de ce terme, dès lors qu’il conduit à une vision du monde, à une conception de la réalité et du devenir historique. Selon le Dictionnaire de la langue française, le concept est une « représentation mentale qui englobe les différents aspects d’une idée abstraite (le concept d’humanité, de charité) ou d’un objet considéré indépendamment de ses caractéristiques individuelles »[19].Il est donc une œuvre de l’esprit par laquelle celui-ci comprend le réel dans sa globalité, son essentialité ou dans sa particularité. Le concept est donc explicatif puisqu’il donne l’essence de son objet. C’est en ce sens qu’il obéit à l’exigence d’objectivité et d’élaboration critique. Le concept a fondamentalement une fonction opératoire qui permet une intelligibilité de la nature des choses en tant que cette intelligibilité reste, en définitive, une interprétation qui satisfait aux exigences de la Raison humaine. Il en est ainsi en physique du concept de la gravitation universelle, de la Relativité restreinte et générale, du Big-Bang qui sont en même temps des théorisations, des visions satisfaisantes, pour la raison, de la nature des choses. Dans ce même sens, on peut parler aujourd’hui du concept   d’Hébreu-Pharaon   en   anthropologie.

     Le concept d’Hébreu-Pharaon, tel que Jaulin l’a pensé sous sa première forme, ouvre des perspectives de pensée différente d’un monde en construction depuis mille ans. Ce concept appréhende notre monde sous sa figure de chrysalide presque achevée. C’est la saisie de cette réalité du monde en train d’éclore. En même temps, il lève le voile sur le futur de ce monde qui court inéluctablement à sa mort s’il n’est pas réorienté autrement, sous la pression de toutes les intelligences, quelles que soient leurs origines -la question désormais n’est pas de savoir d’où elles viennent, mais de savoir quelle contribution heureuse elles peuvent apporter à cette fin- qui sont animées par la volonté de la vie (le salut de l’Humanité). Au sujet de ces personnes, ou de ces intelligences humaines, il convient même de parler en termes d’esprit. Or, l’esprit est comparable au libre mouvement des oiseaux migrateurs. Ils n’ont pas de pays, sinon des territoires provisoires pour se reproduire ou pour vivre simplement. Dès lors, la seule patrie de leur esprit est la terre. Si donc, l’apparence du corps indique la provenance continentale, encore que cela n’est plus justifié aujourd’hui, l’esprit est apatride au sens le plus noble du terme. Il se lie avec la famille des esprits libres, c’est-à-dire ceux qui sont affranchis des déterminations singulières : cultures ou groupes humains d’appartenance, attaches continentales, milieux socio-professionnels etc. Il vit pour l’Humanité et dans la symphonie des différences que celle-ci comporte ; ou dans le strict respect des peuples et de leurs différences culturelles, seules réalités tangibles, seule Humanité vraie, seule raison valable. Mais, tout cela est grandement au-dessus des nationalismes étroits et, par essence, mortifères.

     En tant que concept anthropologique donc, Hébreu-Pharaon éclaire l’histoire de l’humanité des temps modernes ; mais en même temps, il dévoile le devenir sous-jacent à l’occidentalité qu’Hébreu-Pharaon substantialise spirituellement en lui conférant la figure, voire la dimension, chez l’homme, de l’Usure-Temporalité, puissance néantique par excellence. Ce déploiement de soi ou le devenir historique comme totalité, dans la mouvance occidentale, est un phénomène unique, jamais connu dans le passé, que l’Humanité est en train d’expérimenter d’une façon critique et scabreuse » (p.p. 150 à 165).

« Cinquième Partie : La triple expansion de l’Orbe « thanatotique »

Chapitre II Le risque de l’homogénéisation des cultures et la dimension implicite d’une mort annoncée

     On assiste, d’ailleurs, aujourd’hui à un processus de négation-mort pire que celui d’hier. Autrefois, nous l’avons dit, le modèle, le miroir sublimé de l’humanité belle et achevée était incarné par la culture européenne. On sait que sa diffusion à l’extérieur n’a pas été faite par des saints ni par des personnalités empruntes du grand humanisme rêvé par les écrivains du XVIIIe siècle. Et la fureur ou la violence du mouvement négateur et néantique de l’extériorité non-européenne – cultures et hommes – s’explique en partie par ces natures brutes et incultes. On ne pouvait attendre de ces aventuriers bruts et frustres quelque forme de finesse, de raffinement ou de courtoisie vis-à-vis de l’Autre. Mais, ce premier modèle-là témoignait encore d’un sens de l’humain plus dense que sa forme défigurée incarnée aujourd’hui par les Etats-Unis d’Amérique ; symbole également du triomphe de la Raison mécaniciste sous sa figure la pire que l’on puisse imaginer.

     Il y a même contradiction dans le terme du modèle de civilisation donnée en pâture à tous les peuples de la Terre. En effet, si l’on définit le terme modèle par la mesure, ou encore, comme un type d’êtres éminents de vie ou de conduite considérés comme un idéal qu’un agent moral peut se proposer d’imiter, on voit mal comment la culture de ce pays existentiellement fondée sur la négation – mort et le matérialisme à outrance, peut accéder au rang de modèle. L’idée de progrès imaginée, répandue et défendue par le XVIIIe siècle permettait à la culture européenne, dans son extension hors de soi à titre de modèle, d’ouvrir ou d’envisager un avenir possible. Le modèle culturel américain est, en son essence même, synonyme de mort programmée du tout Autre. C’est ce qui fait dire à Jaulin que « Les U.S.A. ne sont pas l’avenir du vide, mais ils en sont bien le modèle momentané, leur rôle est de ce fait énorme »[20]. Nous nous permettrons de faire remarquer que non seulement ils sont, au fond, le modèle momentané, mais même, ils sont désormais la figure incontournable, dynamique ouverte sur un futur, le futur du monde, où la mort se tient aux limites de son horizon comme les premiers rayons du crépuscule annonciateurs de l’abîme du soleil.

   Ce paradigme culturel triomphant aujourd’hui est une inversion des choses, expression du pire en tout point. Si nous prenons, par exemple, l’essence de cette culture, nous voyons l’absence totale du sens ou de la culture de l’humain. Celui qui y a cours s’inscrit dans une logique néantique manifestée à travers la constitution d’un horizon, d’une sphère de réalité investi seulement par ce qu’on pourrait appeler l’humainement ou l’ethniquement pur, le politiquement correct, le religieusement convenable. L’état politique actuel du pays, malgré le progrès de la culture intellectuelle, cache mal la pureté doctrinale telle que l’ont conçue les Pères Fondateurs de cette « nation ». C’est, du moins, ce qu’ils ont eux-mêmes reconnu, d’après Michel Rezé, Ralf Bowen : « Le mythe de l’Amérique en tant que « Terre promise » a une origine biblique. Les premiers immigrants de la Nouvelle Angleterre, des puritains (la plantation de Plymouth en 1620 et la colonie de la Baie du Massachusetts en 1630) se comparaient explicitement au peuple élu de l’Ancien Testament et s’identifiaient aux Hébreux de l‘Exode qui, sous le commandement de Moïse, fuirent l’Egypte pour la Palestine « la Terre de Canan ». L’absolutisme et les politiques anti­puritaines des rois d’Angleterre (Charles 1er et Jacques 1er) ressemblaient volontiers au pharaon et au long voyage, aux épreuves et aux privations auxquels les colons avaient dû faire face, le parallèle était évident avec les errances des Hébreux à travers le désert du Sinaï »[21].

     D’ailleurs, l’idéologie de ces Pères Fondateurs de l’Amérique triomphante, aujourd’hui, s’inscrit dans le même cheminement qu’Hébreu-Pharaon en son essence originaire et en son déploiement dans le temps. Ce déploiement manipulateur et mortifère révèle que ce n’est pas Dieu qui est en cause – il ne peut rendre parti dans les affaires humaines tordues et complexes sans se nier lui-même comme Toute-puissance, Justice et Bonté – mais l’usage que les hommes font de l’idée qu’ils en ont conçue. Dieu, s’il existe vraiment, est toujours en retrait par rapport aux réalités humaines.

   Mais, l’idée que l’on en a est une affaire qui marche bien et, à la longue, s’avérera scabreuse et mortifère pour la vie humaine. Ainsi, ces nouveaux Hébreux qui se sentent niés par leur Pharaon vont, à leur tour, sous d’autres cieux, occuper cette position pharaonique, puissance niante. En se déployant dans cette position, ils vont inventer des Hébreux à nier, c’est-à-dire une entité projetée comme un ailleurs qui sert de courroie à la puissance déployante. De l’Est à l’Ouest du territoire des Etats-Unis, ce mouvement mortifère a pris matériellement un double visage : d’une part, les Amérindiens qui ont été niés c’est-à-dire pourchassés, tués, spoliés de leurs terres et des conditions de leur vie ; les Noirs qui ont servi d’instruments à l’émergence, à la constitution de cette nouvelle puissance dangereuse. D’autre part, la recherche de l’or, pure fiction de l’esprit en tant que valeur extrinsèque, c’est-à-dire inventée, lequel métal est constitutif, d’abord, de la puissance déployante « thanatotique » dont l’horizon fut, en premier lieu, l’Océan Pacifique, et qui devient, ensuite, le vide de l’ailleurs vidant qui se poursuit toujours. De même la méga-richesse (l’amoncellement ou l’accumulation du Capital) est, elle aussi, une absurdité pure, une superbe et scabreuse fiction.

     Ainsi se trouve justifié le concept jaulinien d’Hébreu-Pharaon en tout temps et en tout lieu dès lors qu’il manifeste évidemment l’intériorité de la face cachée du monde devenu, et en perpétuelle mutation depuis mille ans. En d’autres termes, cette dynamique trouve un écho dans la nature même de l’Homme. Il s’appelle l’amour du pouvoir, quelles que soient les formes que celui-ci peut revêtir : pouvoir politique, intellectuel, administratif, pouvoir de l’argent ; voire les formes multiples de commandement : presse, édition, armée, petit ou grand chef etc. L’essence de tout pouvoir est d’être exclusive et totalitaire. Elle ne souffre pas l’altérité. Le face à face lui est insupportable. N’est-ce pas la figure même de la conscience humaine qui ne peut supporter l’adversité et qui se met constamment en position de force face aux autres, tant que le sujet existe, en dehors de toute morale religieuse d’amour ou éthique philosophique (philia personnelle) ?

     Cette dernière interprétation du concept d’Hébreu-Pharaon diffère, sans doute, de la manière dont son auteur, Robert Jaulin l’a repensé dans son dernier ouvrage où il revient avec insistance sur l’essence constitutive, en son origine, du phénomène Hébreu-Pharaon. Il semble même indiquer qu’en son déploiement temporel, en son devenir, il est propre seulement au mode d’être culturel des peuples juifs[22]. S’il s’agissait de viser un peuple particulier, il n’y avait pas lieu d’oublier les Egyptiens contemporains, héritiers des anciens Pharaons.

     Si nous devions aborder la question d’Hébreu-Pharaon, non en termes de simples concepts opératoires, mais sous l’angle des réalités historiques et humaines, nous pourrions déduire les points suivants : le premier, comme le second, ont eu des intuitions différentes ou des perspectives tout à fait opposées. En effet, l’intuition fondamentale de Pharaon consistait à défier le temps. En se servant du plein (le pouvoir, la réalité humaine tangible, la Nature immédiate etc.), il a construit un autre plein (pyramides, temples -Louqsor, Karnak- etc.) qui, par sa démesure absurde, le déifiait absolument et mettait l’image que son peuple, voire ses voisins, amis ou ennemis, s’en faisaient sous l’angle de l’immortalité. Mais celle-ci, (bien que chaque Pharaon qui devait recommencer, en suivant l’œuvre de ses Pères, dans les plus fidèles détails, l’ignorait absolument), semblait plutôt une espèce d’éternité intra-temporelle. Dès lors, la puissance infinie de Pharaon était, en réalité, finie parce qu’elle avait la figure symbolique et réelle du plein. Celui-ci est le temps fini d’une éternité vouée à l’échec par l’usure du temps, par la détermination temporaire et temporelle.

     Ainsi, le Niant, marque de toute puissance absolue et exclusive de toute altérité, a fini par sombrer dans l’oubli. Même les sujets des Pharaons, d’après certains historiens, pendant près de mille ans (de 300 à 1200 de notre ère environ), avaient complètement expulsé de leur mémoire toute trace, tout sens de l’œuvre pharaonique. Les traces de cette lointaine puissance, ou toute puissance, sont devenues, depuis cent ans à peu près, un vulgaire objet de consommation touristique, une chose mercantile qui fait le bonheur de marchands avides d’argent et aveugles sur sa signification et sa représentation originaires. Ce qui est alors exhibé, c’est moins la puissance originaire et éternitaire de Pharaon elle-même, qu’un squelette dérisoire de ce qu’elle fut réellement, voire l’échec véritable des assises fragiles (le Plein) sur lesquelles elle avait pris racine, s’était bâtie et avait entrepris la conquête du ciel.

     En revanche, Hébreu a été plus subtile. Son intuition s’est enracinée dans la durée. Elle s’est posée d’emblée dans l’ouverture à des futurs toujours possibles. Au lieu de prendre pied dans le temps que le Plein détermine et limite de toutes parts, elle s’est alliée avec le Vide. Car même si l’idée de Dieu demeure une possibilité, si son existence n’est pas de l’ordre des choses réfutables en tant qu’idée, d’abord, et ensuite, en tant que pure possibilité, il n’en demeure pas moins qu’à l’intérieur de la structuration des réalités étriquées et extrêmement finies par nos sens débiles, elle n’est pas empirique. Sous cet angle, c’est un pur vide exclusif en et hors de soi, c’est-à-dire qui ne souffre aucune altérité. Dès lors, le Nié prend sa revanche sur Pharaon en défiant sa toute puissance sous l’angle du vide supposé incarner les contours d’une certaine plénitude.

     Ainsi, si Pharaon s’est cru plus malin en inscrivant sa puissance dans la temporalité, la domination contingente et tangible des hommes, la démesure dans la maîtrise de la pierre, Hébreu a fait mieux : il a choisi d’enraciner la semence du Vide qui a seulement l’apparence de la plénitude dans la terre limoneuse la plus fertile qui ait jamais existé sur terre, en l’occurrence, l’esprit ou la conscience des hommes. Il suffit que les germes voient le jour pour qu’ils se renouvellent d’eux-mêmes perpétuellement et qu’on n’ait plus jamais à leur accorder quelque moindre soin. Le Nié prend alors subrepticement la figure absolue et définitive du Niant. L’impuissance triomphe de la puissance et le Dieu hébraïque, sous toutes ses appellations et ses formes d’adoration religieuse, de Pharaon-dieu. La transformation des hommes sur toute la terre, depuis mille ans, ne fait que confirmer cette interprétation des phénomènes. La seule domination qui vaille donc est celle des esprits ou des consciences (perspective d’Hébreu) et non celle des choses (perspective de Pharaon). C’est à cette seule condition qu’on peut les maîtriser, les conduire à sa guise, les manipuler selon sa volonté et, en définitive, faire échec à tous leurs désirs de contestation et de contradiction. Désormais, le monde et ses habitants appartiennent au Dieu chrétien et au Dieu d’Abraham, de Moïse et de Mahomet.

    Cependant, nous restons attachés à ceci : Hébreu-Pharaon est un pur concept qui, sous sa forme singulière temporelle, est opératoire en ce qu’il rend intelligible le devenir mortifère des hommes comme le relais adéquat de l’usure-temporalité au niveau de la matière. Ce qui est même en jeu dans notre manière d’interpréter ou de repenser ce concept, c’est moins la figure hébraïque de la dyade Hébreu-Pharaon que celle de Pharaon comme la forme permanente de la puissance, du pouvoir en sa figure exclusive et totalitaire. Dès lors, dans sa dynamique temporelle, tout peuple, toute institution humaine particulière, peut servir d’instrument, voire d’avatar à Hébreu-Pharaon. Celui-ci s’est servi du Christianisme pour s’imposer en Europe afin de se répandre sur toutes les terres émergées. Aujourd’hui, il se sert des Etats-Unis, par l’intermédiaire de leur puissance militaire, économique et financière, pour soumettre la planète entière aux seuls désirs et impératifs (le capitalisme comme instrument adéquat d’enrichissement ou d’accumulation d’une superbe fiction qu’on appelle argent), des « chevaliers de la table ronde » contemporains en la figure, entre autres, des 200 plus grandes sociétés multinationales siégeant aux Etats-Unis. Demain, il pourrait se déplacer en Asie et continuer son mouvement migrateur -c’est une réalité migrante, un Esprit migrateur sans pays ni enracinement concret – jusqu’à ce qu’il étouffe la terre et ses habitants tout entiers. Il est le corollaire, chez les hommes, de l’usure-temporalité, de la Néantité. Il est venu au monde où il a été inventé par les hommes pour les acheminer à leur possible extinction totale ; à moins, à moins que…

   Mais, jusqu’à ce niveau de son déploiement temporel, rien n’indique que les choses changeraient fondamentalement et s’orienteraient dans le sens de la Vie, c’est-à-dire de la durée de celle-ci dans sa résistance au cœur de la Mort-Néantité. C’est, du moins, ce que nous nous attachons à montrer de façon manifeste : d’abord, par la manière dont Hébreu-Pharaon se déploie et vit à travers la puissance américaine ; ensuite, les conséquences de son acheminement « thanatotique » à travers le monde entier.

   Ainsi, malgré les années qui n’ont pu l’altérer, les grandes idées de la droite américaine se réfèrent aux origines de ce pays. L’idéologie religieuse discriminatoire véhiculée par les colons d’origine hollandaise et anglaise, continue d’exercer un pouvoir extraordinaire sur les esprits. Les hommes politiques n’échappent guère à l’attrait d’une telle doctrine. L’Amérique, la « Nouvelle Jérusalem » et son peuple nouvellement élu de Dieu est une image vraie parce qu’efficace et pragmatique. La discrimination constitutive de l’idée dominante touche, à des degrés divers, tous les citoyens américains qui ne sont pas blancs, anglo-saxons et protestants, d’abord, ensuite, le multiple culturel qui résiste à la réduction aux valeurs mercantiles de la culture américaine » (p.p. 323 à 328)

« Chapitre III L’impérialisme de l’industrie financière : mutation de la dynamique Hébreu-Pharaon dans l’intelligence de la finance internationale

    Car l’ailleurs, non pas en tant que simple projection d’un désir, mais en tant que réalité concrète sous la forme d’une extériorité, d’une totalité différente à connaître, à nier, voire à conquérir, n’est plus envisageable aujourd’hui. Cette occurrence n’a plus lieu d’être dans la mesure où il y a identification généralisée de ces Extériorités, par essence différentes et spécifiques, (système de développement économique, formes d’organisation similaire au niveau social, politique, voire culturel etc.) au modèle occidental. Même si une mutation éventuelle est toujours possible, il n’en demeure pas moins que se poser un autre ailleurs concret aujourd’hui (extériorité culturelle, par exemple), comme le dit Jaulin : « Le « plein » ne se peut mesurer qu’à la lumière d’une collectivité »[23] aurait été fondamentalement problématique s’il n’y avait eu l’orientation vers des sources quasi inépuisables du mouvement générateur d’ailleurs vidant comme la technologie et l’intelligence de la Finance Internationale.

     Hébreu-Pharaon s’y déploie à son aise pour le malheur du monde lui-même. C’est en ce sens que Jaulin affirme que « L’Occident est un ailleurs, rien d’autre, et un ailleurs de cette dernière sorte, négatif »[24]. Cela se conçoit dans la mesure où il a été lui même investi du génie négateur ; ou, à tout le moins, mortifère d’Hébreu-Pharaon. De ce fait, toute son essence est empreinte de cette forme du déploiement de soi-même dans l’espace (celui, d’abord, des Extériorités culturelles), pire, dans la fiction aujourd’hui. C’est pourquoi, dans le même ouvrage, Jaulin ajoute : « Les événements de l’Occident ne furent que l’utilisation du plein par le vide, procédés et tactiques au service d’une mort que nous ne saurons jamais » (p.14).

    La conquête du monde, les univers humains et naturels, par l’extension continue de soi de l’Occident   socio-culturel, firme aujourd’hui la pertinence de la thèse jaulinienne. Il devient clair maintenant qu’elle est la saisie du mouvement du monde en mutation, figure humanisée   de l’usure-temporalité. Nous avons déjà montré comment, de la même façon qu’Hébreu-Pharaon ou que la Raison mécaniciste, l »‘occidentalité » en tant qu’’essence spirituelle, est susceptible de prendre diverses figures. Toutefois, la dynamique est la même autant que la puissance d’usure qui lui est inhérente : déploiement de soi privatif du plein de l’Autre, négation, appropriation, résorption puis projection d’un autre Ailleurs qui permet à cette machine de continuer son mouvement. Cette logique est condamnée d’un côté comme de l’autre à se nier elle-même ou à mourir : si elle s’arrête, c’est sa mort. Le seul salut possible, mais qui semble utopique dans les conditions de mentalités contemporaines des pays du Nord, est de procéder de manière suivante : arrêter la mécanique infernale du « toujours plus » afin de moduler la machine de l’économie réelle et l’augmentation des salaires en fonction des besoins : augmenter les salaires en fonction de la demande et de la suractivité subséquente, les baisser dans le cas inverse ; entre les deux, les maintenir à un niveau fixe. Cependant, si elle continue, puisque le « toujours plus » est hors normes naturelles, donc vide, illusion et fiction, elle arrivera nécessairement à un terme indépassable. Cette limite ultime est aussi sa mort. Certes, la civilisation américaine a pris aujourd’hui le relais de l’Europe ; demain, l’Asie, dite civilisation ou puissance du XXIe siècle ; et après ; et après…

     Il ne s’agit donc plus d’un mythe, ni même d’une superbe illusion dont nous serions victimes, mais bien, de la substitution réelle au mouvement naturel des choses par l’orbe négateur qui a le pouvoir insidieux et efficace de privation : poser le plein, quelle que soit sa nature, et par après, le priver de son essentialité, que celle-ci soit forme (les cultures humaines) ou contenu (la massivité de la matière qui ne cesse d’être transformée, abîmée, usée). Jaulin ne croyait pas si bien dire quand il affirme « qu’un tel passage de l’humanité occidentale à toute humanité et à tout univers pourrait sembler insensé, puisque les humanités diverses sont distinctes, et a fortiori ne peut-on assimiler les hommes à la matière »[25].L’homme et la matière n’ont pas été travaillés de la même façon par l’occidentalité ; mais, le résultat que cet auteur ne semblait pas envisager dans ce passage, est le même : faire que tôt ou tard, ces univers (Extériorités culturelles, Nature) soient totalement investis, si ce n’est par une mutation profonde, du moins par une transformation formelle, par le propre de l’orbe négateur, figure adéquate de l’usure-temporalité.Le mode de fonctionnement de l’industrie financière, autre métamorphose d’Hébreu-Pharaon est, sur ce point, semblable au virus du Sida : celui-ci dépose sa capsule au cœur de la cellule T4, transmue sa logique de vitalité en sa faveur, c’est-à-dire en logique de mort et lui ordonne de travailler à son seul avantage. De même, l’Extériorité culturelle investie par l’orbe négateur à travers l’industrie financière renonce à soi-même pour ne vivre qu’en fonction des principes généraux de la culture occidentale, en particulier, économiques.

       C’est en ce sens que nous ne croyons pas, comme Jaulin, à la résistance possible de l’Autre à l’attrait du « modèle unique » ainsi que nous l’avons analysé. « Loin d’intégrer à un modèle unique c’est vers le refus d’un tel modèle que s’acheminera une humanité pacifiée et maîtresse des multiples communications jouant entre ses parties »,écrit Jaulin dans le même ouvrage (p.118). Un tel mouvement de refus ou de résistance, s’il pouvait advenir, serait plus salvateur pour toute l’Humanité sans exception. Si dans l’Europe « pacifiée », homogénéisée par le mode de développement économico-industriel et financier ; si les Extériorités humaines à conquérir suivant le même schéma et avec les mêmes armes, pouvaient réveiller les consciences à des possibles autres (mode d’être authentique, développement économique à visage humain, devenir ralenti et plus conforme au pas de la Nature elle-même) que ce modèle unique, ce serait l’inversion du cours des choses. Cette impulsion qu’on donnerait au cours du monde ouvrirait, de fait, le futur à d’autres choix et à des possibilités de modes d’être culturels Inouïs. C’est une telle perspective qui est plutôt une utopie eu égard à la réalité mondiale actuelle parfaitement façonnée et maîtrisée par les nouveaux pouvoirs de l’Industrie financière.

     Ces fameux pouvoirs qui ont la main mise sur tout aujourd’hui et qui régissent le devenir du monde et la vie des hommes au gré de leur fantaisie, démontrent, de façon patente, (extraordinaire pouvoir générateur de vide, sécrétant des illusions continues conformément à la logique d’Hébreu-Pharaon. C’est cet acheminement vers un avenir aveugle (les illusions continues) que François Chesnais appelle « le règne de l’imprévisibilité et du chaotique »[26].Cette formule n’est pas étonnante dans le contexte du gigantisme, de la démesure caractérisée par « le mouvement de mondialisation du capital ». Ce mouvement est essentiellement absorbant comme on niait auparavant le plein des Extériorités culturelles. Tous les secteurs des activités économiques, sociologiques tombent progressivement sous l’unique pouvoir du capital par la localisation et la répartition mondiale de ces activités économiques.

   On internationalise, du coup, les relations économiques et on modifie selon des humeurs et l’arbitraire du vouloir à la recherche du « toujours plus », la répartition des revenus et de l’emploi. Comme l’affirme François Chesnais, « lorsque on passe à la sphère de la globalisation financière »,il n’est même plus possible d’envisager ni la « lisibilité »des rouages et des mécanismes de décisions, voire de fonctionnement, ni « la prévisibilité » du sens qui serait inhérent au cours des choses. L’une et l’autre cèdent naturellement « la place à une situation chaotique et de plus en plus imprévisible, sur laquelle les autorités monétaires du « directoire mondial » des pays les plus puissants avouent eux-mêmes ne plus avoir prise ? »

     Cette situation chaotique n’est guère étonnante dès lors que l’on considère la finance comme une industrie ; c’est-à-dire la fiction par excellence, qui est le commerce de l’argent, est érigée au rang de valeur suprême. Ce qui était, nous l’avons vu avec Aristote, un moyen de transaction, d’échanges commodes de produits de nécessité accède, de nos jours, au rang d’une activité industrielle transnationale, objet de compétition au niveau mondial. Cette érection gigantesque de la valeur – argent sur le plan mondial a pour but d’empêcher, au niveau des pays, qu’ils soient riches ou pauvres, la mise en place du capital dans la production industrielle interne susceptible de constituer une force d’indépendance, d’autonomie et de souveraineté. Le capital argent concentré entre les mains de quelques sociétés mégapolitiques, délivrées de toute contrainte, devient la forme de ce que François Chesnais appelle « l’argent produisant de l’argent, une valeur se mettant en valeur elle-même, sans aucun procès (de production et de commercialisation de marchandises) qui sert de médiation aux deux extrêmes ». (p.p. 347 à 350)

   Finalement, nous sommes plongés dans le cours de la dynamique et les métamorphoses d’Hébreu-Pharaon. Les penseurs du cerveau entérique auxquels il ne cesse d’insuffler des éléments du langage de « marketing » et de manipulation des intelligences, saturent notre cerveau de nombreux concepts mensongers. La lie de l’Humanité, le sens commun, devenu sens général voit sa conscience travestie, falsifiée même par des oxymores comme « le développement durable », alors qu’Hébreu-Pharaon est lui-même est un frein à toute durée sur cette terre de la réalité humaine. Le concept d’« une économie industrielle » n’a aucun sens ; à moins de redéfinir autrement les termes de cette expression. Car jamais l’Humanité n’a autant produit d’objets destinés à l’obsolescence programmée ; autant consommé de toutes choses utiles mais aussi vaines. Dès lors, comme il ne cesse d’inventer (il est aussi ingénieux et pervers sur ce point) plus de concepts en guise de solution à tous ses excès, il est de plus en plus question de nos jours d’« économie circulaire ». Il fait croire à tous les habitants de notre commune terre qu’il leur donnerait les moyens nécessaires de recycler indéfiniment tous les déchets, tous les métaux dangereux produits en permanence par la main des hommes partout dans le monde. Pourtant, nous le savons : notre commune terre est bien finie. Il n’y a pas d’ailleurs pour le futur de la vie humaine.

     A moins de devenir un Démiurge, la poursuite de ce recyclage indéfini ; voire de tous les moyens de recyclage s’avèrera un jour impossible. D’où la surenchère, la fuite en avant continue de production effrénée d’objets « high-tech » comme on dit en jargon contemporain ; des objets impalpables, presque virtuels, mais dangereux, polluants et suturant l’espace habitable. A cet effet, les élites politiques chinoises, pour la gloire et la montée en puissance (économique ? Financière ?) de leur pays, ont consenti à transformer celui-ci en un gigantesque atelier mondial des produits « high-tecch » ; et à réduire leurs concitoyens au rang d’instruments de la logique de production de l’obsolescence programmée des maîtres du monde. Mais tout cela reste bien fragile en raison du cynisme de ces maîtres : ils sont toujours prêts à délocaliser leurs outils de production vers d’autres cieux où les habitants sont plus pauvres encore que les paysans et ouvriers chinois. Triste destin des hommes ?

[1] La peur en Occident, Paris, Fayard.

[2] Civilisation et divagation, Paris, Payot

[3] Moïse et le monothéisme, Paris, Payot.

[4] Celle-ci a, notamment, inspiré le sens et les travaux de Cheik Antah Diop sur l’Antériorité des civilisations Nègres. Cet ouvrage, publié aux éditions Présence Africaine en 1967, démontre avec un parti pris certain (c’était certainement légitime du fait du mépris de l’Occident à l’égard des cultures noires) que l’Egypte de cette dynastie et ses Pharaons étaient des Noirs. A ce titre, cette dynastie et son haut niveau de civilisation auraient été la source et l’origine de la civilisation occidentale, voire celle du monde entier. De même, les Africains-Américains n’ont pas hésité à utiliser les travaux de ce grand anthropologue pour défendre l’idée que le judaïsme tout comme le christianisme étaient d’origine égyptienne. Sur ce point, les travaux de Freud leur donnent raison…

[5] Ramsès II – La véritable histoire – Pygmalion/Gérard Watelet, Paris, 1996, p.p. 300-302

   [6] Opus Cit., p 41

[7] La paix blanche, p.172, tom II,UGE, Coll. 10/18.

[8] « Sciences et Avenir » , p.45, Janvier 1999.

[9] L’Apocalyse et l’histoire, p. 92, PUF Paris 1957

[10] Œuvres, p.337 Garnier Flammarion, paris 1967

[11] Théss., II, 14

[12] Moïser le Monothéisme, p.p. 29-30

[13] La Religion, p.632, Paris Payot, 1970

14 Œuvres Complètes, p.228, Gallimard, Paris

[15] Moïse et le Monothéisme, p.87

[16] p.p. 254-255 Coll. 10/18

[17] Finitude et culpabilité, Tome II, La symbolique tu mal

[18] Œuvres Complètes, p. 206, Gallimard, Paris 1974

[19] Bordas, Paris, 1976

[20] Les Chemins du vide, p. 107, Paris, CH. Bourgois, 1977

[21] Key words in American life, Understanding the United States, Masson, Paris 1988

[22] Si les Juifs, en tant qu’un ensemble de peuples concrets, sont ainsi visés, alors nous prenons nos distances avec notre maître à penser et aussi ami. Nous nous en tenons absolument à son usage conceptuel qui rend visible l’Histoire universelle et moderne des Hommes. Que nous importe les peuples concrets : quels qu’ils soient, ils n’ont pas la conscience de la transfiguration de notre monde ni de sa raison, ni de son sens présent en eux-mêmes.

[23] Les chemins du vide, p.38

[24] Opus Cit, p.141

[25] La paix blanche, Tome II, p.114

[26] La mondialisation du capital, p. 207, Paris, Syros, 1994

La fin de l’Humanité sur la terre     Une théorie de philosophie prospective de la fin de la vie humaine sur la terre Pierre Isso-Amien BAMONY TO ESKHATON, LE TRIANGLE DE LA MORT       Plan général de l’ouvrage  

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION…………………………………………………. 7
 
Première Partie:    
L’usure à l’oeuvre dans la nature des choses, la vie    
et les créations humaines……………………………………… 11      
CHAPITRE PREMIER :
De l’Usure universelle……………………………………………. 13
1- Essai de définition du concept d’usure………………….. 13
2- La dynamique « thanatotique » de l’usure :
désintégration de la matière et mort du vivant…………… 16
A- La matière……………………………………………………. 17
B- Les oeuvres humaines……………………………………. 24
C- La vie…………………………………………………………. 2$
D- Les fins naturelles et les fins accidentelles des
Hommes………………………………………………………….. 32
CHAPITRE II :   CHAPITRE II :
La Mort comme essence première : tout ce qui existe
est dans la mort ou la Néantité………………………………… 41
1- La vie dans la mort : conscience humaine et pensée
de la mort…………………………………………………………….. 46
2- L’habitacle de la mort………………………………………… 55
3- Grandeur de la vie dans la mort…………………………… 70
CHAPITRE III :   CHAPITRE III:
Des civilisations et des fins des Histoires : naissance,
apogée et déclin des civilisations : les formes humaines
de l’usure……………………………………………………………… 77
1- La naissance d’une puissance………………………………. 78
2- L’apogée de toute puissance………………………………… 81
3- Le déclin des puissances……………………………………… 82
4- L’empire Romain: Genèse et fin…………………………. 84
Deuxième Partie :
Pensée de la finitude de l’homme dans l’Usure­
Temporalité et erreurs de perspectives…………………. 91
CHAPITRE PREMIER :
La conscience de la finitude dans l’antiquité…………….. 95
1- La Mésopotamie………………………………………………… 97
2- L’idée de vie et de mort chez les Anciens Egyptiens. 102
3- La Grèce : la pensée de la mort chez certains
Présocratiques……………………………………………………….. 105
CHAPITRE Il:
Le Moyen-Age et l’idée du millénarisme………………….. 111
1- L’origine historique du millénarisme……………………. 111
2- La conscience eschatologique religieuse……………….. 114
CHAPITRE III:
L’idée de la mort humaine en philosophie………………… 121
1- La position d’un philosophe Romain : Sénèque…….. 121
2- L’idée de la mort dans la philosophie de
Schopenhauer……………………………………………………….. 127
Conclusion : limite de ces thèses et nécessités d’une
autre pensée de la mort de l’homme…………………….. 132
Troisième Partie :
Déploiement de l’Usure-Temporalité sous la forme
de la dynamique Hébreu-Pharaon …….,…………..,…,.. 139
CHAPITRE PREMIER:
Genèse et devenir de l’Occident: la civilisation
occidentale et l’idée d’occidentalité ……………………..,…, 143
1- Du point de vue de l’histoire…………………………,……. 144
2- Le dévoilement de l’Usure-Temporalité
La perspective Jaulinienne d’Hébreu-Pharaon :
hypothèse anthropologique ou concept …………………….. 150
3- Le déploiement du Soi …..,…,……,…,……,…,……,…,…. 166
CHAPITRE II :
L’Occident et le destin du monde………,……………………. 175
1- Les découvertes et les conquêtes …………………,……,.. 175
2- Les invasions et les colonisations ………….,…………..,. 179
3- La négation et l’occidentalisation des autres
civilisations …..,……………………………………………………… 183
Quatrième Partie :
Vers la voie de l’Occidentalité universelle ;
le triomphe de l’Orbe « thanatotique » ………………….. 195
CHAPITRE PREMIER :
L’omnipotence de la Raison mécaniciste ………………….. 197
CHAPITRE Il:
Les illusions de cette Raison divinisée..,…,……………….. 213
1- Le sens de la foi scientifique…………..,……….,……….,. 216
A- Le temps du triomphalisme scientifique…………… 217
B- Le siècle des désillusions ……………….,…………….., 229
2- Des conséquences du pouvoir technique ………………. 251
A- Les illusions du bonheur……………………………,…,.. 253
B- La montée de l’anarchie religieuse comme un
« ailleurs » de substitution ..,…………………………,……….. 267

 

Cinquième Partie:
La triple expansion de l’Orbe « thanatotique »……… 287
CHAPITRE PREMIER :
Le modèle unique de développement économique… 289
CHAPITRE II :
Le risque de l’homogénéisation des cultures et la
dimension implicite d’une mort annoncée………… 319
CHAPITRE III :
L’impérialisme de l’industrie financière : mutation de
la dynamique Hébreu-Pharaon dans l’intelligence de la
finance internationale………………………………………. 343
Sixième Partie :
Les limites inavouées de l’Homme…………………….. 369
CHAPITRE PREMIER:
Les effets « thanatotiques » du triomphe de la Raison
mécaniciste…………………………………………………………… 373
1- La conquête de l’Homme par la Nature………………… 377
2- Le risque de surpopulation……………….. surpopulation………………………………….. 380
A- Les pays riches d’Asie et d’Occident ………………. 386
B- Les pays en développement……………:……………… 397
CHAPITRE II :
La pollution et ses conséquences……………………………… 409
1- L’extension continue de la pollution…………………….. 413
2- La pollution des eaux…………………………………………. 423
3- La menace de l’équilibre naturel………………………….. 433
CHAPITRE III:
La réduction progressive des espaces habitables………… 443
1- Les villes : zones supra-urbaines…………………………. 444
2- La campagne……………………………………………………… 452
3- L’extension de la désertification………………………….. 463
Septième Partie :
Crépuscule occidenta   le et déclin du monde…………… 475
CHAPITRE PREMIER:
Généralisation des facteurs de « décadence »……………. 489
CHAPITRE II :
Universalité et dépendance……………………………………… 507
Conclusion :
La fin des morts culturelles spatio-temporelles……… 531
Bibliographie……………………………………………………… 541
INDEX………………………………………………………………… 549

CONCLUSION

 

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