De l’expérience de trois années de maturation en Prépa Littéraire : Première partie.
De Pauline Khalifa.
I/ Annonce de ton ironique
De nombreux stéréotypes entretenus par des inconnus ou par d’anciens élèves de ce milieu relativement fermé, cultivant un certain mythe social, nous invitent à réfléchir à nouveau aux expériences vécues par les étudiants de Prépa littéraire (A/L). Entre l’exigence intellectuelle des concours de la BEL, comme l’ENS de Lyon ou d’Ulm, demeurant la Tour de Babel d’un symbole de « réussite sociale », et la rigidité personnelle que certains étudiants s’imposent par souci de bien-faire et de perfectionnisme, la Prépa semble mettre en exergue une image anxiogène de son parcours. Si nous nous amusons un instant à énumérer de manière ludique toutes les croyances relatives au Prépa – et la liste n’est pas exhaustive, nous aurions : milieux élitistes, pédanterie gratuite, compétition, dépression et sentiments de culpabilité durant l’inactivité, perte de vie sociale, solitude…
Enfin, je vous laisse deviner que beaucoup de ces « clichés » relèvent d’une perception soit étrangère au milieu, soit ils sont portés par des étudiants répondant parfaitement à cette courte présentation peu ragoûtante. Sans sombrer dans le relativisme, la première chose élémentaire que je pourrais dire est que chaque prépa a sa politique de bien-être et son fonctionnement. Après, il serait de bon ton de distinguer ce qui relève de l’administration et de l’enseignement de la Prépa de ce qui est de l’ordre des étudiants, des individus qui modèlent des mentalités et des interprétations. Je commence maladroitement par là car ce me semble ce qui est répété sans cesse par les revues et les médias lorsqu’ils interrogent des élèves. Je soulèverai juste le paradoxe suivant : lorsque vous donnez la parole aux élèves, j’ai comme l’impression que vous vous amusez à sélectionner les réponses qui entretiennent au mieux les croyances mais ça, me direz-vous, c’est une affaire d’audience ; mais le point le plus important que je soulèverai : vous dites toujours la même chose. Alors, oui, beaucoup d’expériences entre les élèves sont communes, mais, tout de même : n’importe quel individu n’aura jamais la même vision et le même vécu d’une situation qu’un autre. Et là, nous arrivons droit dans la contingence et la complexité du réel dans sa dimension phénoménologique. Et là, c’est intéressant.
Pourquoi écrire cet article alors, si ce n’est pour vous parler de ma petite personne ? J’aimerais aller au-delà de cette dimension assez évidente pour proposer ici quelques axes ébauchés d’expériences de prépa. Je fais, de ce fait, le choix de ne pas mentionner mes professeurs, par profond respect pour tout ce qu’ils m’ont apporté et pour leurs personnes ; je dirai juste que j’étais au Lycée Edouard Herriot, en spécialité Lettres Modernes pour la préparation de l’ENS de Lyon. Cette première partie ébauche plus généralement le fonctionnement de la Prépa littéraire.
II / « Vara, tibi khagna » (Chant des Prépa A/L)
Si nous brossons rapidement le tableau de mes années, vous observerez que j’ai fait le choix de faire une troisième année facultative nommée la « khûbe » ou la « cube. » Ce faisant, je me sens davantage en terre connue qu’un khâgneux qui aurait fait deux ans.
Parlons avant tout de la différence des profils que j’ai pu voir– ou que je croyais voir. Plusieurs cas sont existants dans le choix de vouloir se lancer dans cette aventure d’étudiant. Le premier est le cas du bachelier motivé et déterminé : le but de sa vie, c’est le concours comme s’il était aveuglé voire obnubilé par cette chose étrange que l’on nomme l’ENS. Le second est celui qui est curieux, qui se tâte et essaye de voir ce qu’est une prépa et surtout ce qu’elle pourrait lui apporter. Le troisième, c’est le patient, celui qui a conscience d’être sur un bateau dangereux mais de faire de son mieux, ou le minimum syndical en mode « cool » pour des plans futurs en accumulant un capital de connaissances et de conseils méthodologiques. Le quatrième n’est autre que le bon élève qu’on a encouragé – le on, ce sont les parents, ou les professeurs – ou qui ne mesurait pas la difficulté réelle de la prépa, mais qui est là un peu parce qu’on lui a dit de le faire. Le cinquième, vous vous demandez réellement pourquoi est-ce qu’il est là car tout tend de visu à vous dire que s’il est légitime comme tout le monde, il n’est pas si impliqué que cela dans ses travaux, pour des raisons diverses comme le désintérêt ou alors tout simplement la démotivation totale, la déception. Je ne prétends pas présenter tous les cas – ce serait pure folie. Cela se fonde sur un ressenti personnel et sur les individus que j’ai pu côtoyés durant mes trois ans d’études. Force est d’ajouter que je n’ébauche pas de sous-catégories qui tendraient fortement à présenter les caractères – ou l’éthopée si nous restons littéraires dans un monde théâtralisé par nos êtres. Dans ces divergences envisageables dans les volontés et les esprits des étudiants, nous remarquons toutefois un point d’ancrage, un pilier assez solide qui fonde cette petite communauté : c’est le BDE. Le BDE organise évènements, soirées, journée d’intégration ou de dés-intégration pour permettre un rituel, un limen, un seuil, visant à faire des nouveaux arrivants des membres de la communauté à part entière.
Ce faisant, la pluralité de profils et de déclinaisons possibles font de la prépa un macrocosme régi par des relations complexes intersubjectives. Ainsi, il serait réducteur de plaquer une interprétation univoque sur la prépa et sur les étudiants : la prépa présente des cas – comme une petite Comédie humaine, et des enjeux individuels complètement variables. Cette variation témoigne de la richesse véritable des relations humaines. Alors, sociabilité quand tu nous tiens !
Vos meilleurs amis pour la vie – du moins, on l’espère, ce sont vos compagnons d’infortune, avec qui vous subissez le report des épreuves du concours, avec qui vous vous tapez la tête à relire six fois les phrases de Kant que pourtant vous adorez, avec qui vous pleurez, vous riez et surtout avec qui vous mangez à quatorze heures après les DS du samedi.
III/ La rupture entre le lycée et la Prépa : Brave New World
La chose la plus dure – hormis la distance avec sa famille ou ses amis qui est le lot de beaucoup d’étudiants qui vont faire leurs études dans d’autres villes ou en région métropolitaine, est ce sentiment de discontinuité profonde entre les expériences des lycéens et celles de la prépa. Je m’explique. Au lycée, les « bons élèves » ont l’habitude d’avoir des bonnes notes, c’est même devenu un mécanisme. La note, interprétée comme une valeur sociale, car c’est ce qui inscrit un individu dans un cadre et dans la concurrence pour un poste désiré, est toujours un critère de qualification et de hiérarchisation. C’est en ce sens que nous sommes conditionnés par ce fonctionnement et ce depuis l’école maternelle. Lorsque nous rentrons en prépa, les notes sont plus basses car elles appartiennent à un niveau d’agrégation, voire de CAPES, tout dépend des sujets et des points de vue. De cette manière, les anciens lycéens sont confrontés à un critère de notation rigide, dans lequel les mots d’ordre sont synthèse, clarté, simplicité, et ordre. Je parle de discontinuité car rien en soi ne prépare à une prépa littéraire pour la simple raison que nous apprenons à adopter une nouvelle manière de travailler, de penser et de percevoir des sujets. La déception, la patience et la persévérance deviennent le quotidien des élèves soucieux et consciencieux.
Toutefois, le prix de l’humilité intellectuelle et de la pratique témoigne d’une épreuve et d’une expérience unique, octroyant maîtrise, précision et apprentissage des limites de soi. Dans la pluralité d’exigences quantitatives et qualitatives, la Prépa est un processus de maturation et de réflexion sur un temps long comme sur un temps cours dans l’organisation de ses lectures, de son temps libre et de son travail. Les étudiants les plus impatients et les plus fébriles sont face à une épreuve : ils sont tenus d’apprendre à accepter ce qu’ils considèrent comme « des échecs », c’est-à-dire, la note sacro-sainte.
La note ne fait pas tout, et j’affirme même que ce qui semble le plus rentable selon moi en Prépa est la curiosité et la finesse que vous apprenez à aiguiser et que vous mettez dans vos travaux. La « récompense » n’est pas la progression car tout individu qui s’implique et qui comprend les défauts techniques ou thématiques de sa copie aura bien sûr de meilleurs fruits, cela va de soi. Cette « récompense » n’est pas non plus le concours ; en effet, combien d’individus brillants et passionnés choisissent d’autres voies telle que la fac et proposent des travaux pointus et admirables ? Cette « récompense » est la conscience du changement intellectuel et psychologique qui vous touche. J’appuie mon propos sur mon entière subjectivité – vous me tenez ! La plus belle chose qui me soit arrivée, hormis la satisfaction temporaire et la relance éternelle de ce feu inextinguible, serait la maîtrise de mon angoisse, la connaissance en termes de santé de mes limites et les belles rencontres humaines que j’ai faites.
IV/ Spécialisations et fonctionnement : le petit guide de la Chouette
A/ La spécialité
Comme le système universitaire de fac, tout étudiant est invité à demander des équivalences dans la spécialité choisie et envisageable, c’est-à-dire dans son domaine de prédilection. La spécialité est effective en fin d’Hypokhâgne, permettant de concrétiser votre choix. L’hypokhâgne demeure un sas de préparation, tendant à sélectionner des options et des cours vous permettant de suivre ceux de spécialisation pour la khâgne. En effet, un étudiant qui souhaiterait suivre un cursus de géographe doit nécessairement choisir en hypokhâgne une option de géographie lui octroyant les connaissances et les ressources pour la cartographie appliquée en khâgne en spécialité Histoire-Géographie. Toute spécialité a ses propres exigences, et, certaines voies paraissent même désirées par de nombreux étudiants, comme des denrées rares. Des options lourdes, tels que le cinéma ou le théâtre, se distinguent des options simples ajoutant deux ou quatre heures de cours. Les options lourdes sont des matières souvent peu étudiées auparavant dans le système scolaire et sont de cette façon plus ou moins sélectives.
Chaque spécialisation présente des exercices propres au cursus. Les spécialisations de langue (Italien/Espagnol/Anglais/Allemand/Russe/Chinois…) ont le privilège de la pratique du thème. Les spécialisations comme le théâtre, le cinéma, la philosophie sont des matières présentant des dissertations sur des sujets pointus, techniques. La géographie et l’Histoire font appel au commentaire de carte et de texte historique, alors que les Lettres Modernes créent un commentaire appelé Etudes littéraires stylistiques, mêlant techniques et interprétations littéraires sur un texte au hasard postérieur à 1600. Les Lettres classiques sont des épreuves de versions, soit de traduction de textes en langue latine et grecque. Une fois les spécialisations circonscrites, abordons la question des atouts du cursus pluridisciplinaire de la prépa littéraire.
B/ Le cursus pluridisciplinaire
L’avantage d’un cursus pluridisciplinaire mêlant spécialités avec d’autres matières variables, sur le modèle et le rappel des cours des lycéens, est de cultiver une curiosité intellectuelle sur plusieurs domaines. Autre point positif, les autres disciplines vous apprennent à faire des liens et à observer d’un œil neuf et critique votre propre singularité dans la démarche que vous pouvez avoir dans votre spécialité. Le regard littéraire que je porte sur un texte de Pascal comme les Pensées n’est absolument pas le même que j’ai lorsque je dois me l’approprier en philosophie dans une visée de dissertation, et non de commentaire. C’est en ce sens que j’apprends à observer avec émerveillement les différentes tensions et postures que je suis en mesure de prendre face à un contenu intellectuel embrassant une forme elle aussi susceptible d’éveiller ma pratique herméneutique. Le défaut du cursus pluridisciplinaire est la patience dont je dois faire preuve si je n’apprécie pas certaines matières. Le pacte de prépa est de travailler toutes les matières, même si nous avons des préférences pour d’autres. C’est le propre du cursus pluridisciplinaire.
C/ Les concours et leurs modalités
Le deuxième point à aborder est cette différence connue entre les préparations des concours de l’ENS de Lyon et celle de l’ENS de la rue d’Ulm à Paris, comme la préparation à l’école de Chartes. Je ne suis pas en mesure d’évoquer précisément l’école de Chartes car elle attire des profils d’historiens et de travail sur le patrimoine, et, je n’ai jamais été concernée par les modalités des épreuves de cette école avec des places très restreintes. Le nombre d’heures et les matières varient selon la préparation de concours choisie. L’ENS d’Ulm soutient un nombre d’heures important en philosophie (6 heures si je ne me trompe pas), l’apprentissage avancée des langues anciennes, avec des heures de spécialité, de langues, et de littérature en tronc commun. La principale divergence avec l’ENS de Lyon est l’idée selon laquelle l’ENS de Lyon octroie davantage d’heures de spécialités (6 heures) qu’en Ulm, en multipliant des matières à quatre heures ou deux heures comme l’Histoire et la géographie. Ulm ne propose pas la géographie, remplacée par des heures de langue anciennes, mais maintient l’histoire. Les coefficients en termes d’examens ne sont pas les mêmes : les coefficients les plus élevés en Lyon sont le tronc commun et la spécialité, alors qu’en Ulm toutes les matières ont un coefficient semblable. Ainsi, chaque ENS privilégie ses matières et ses profils d’étudiants recherchés.
Depuis la réforme de la BEL, les ENS ont connu des changements dans les modalités et les exigences des concours. La BEL a, par exemple, permis un système de liaisons entre les écoles. En effet, la BEL permet de s’inscrire et d’intégrer probablement en parallèle d’autres écoles, comme les écoles de commerce, d’interprétariat ou militaire tels que l’ESSEC, l’ESIT, Saint-Cyr, l’Ecole du Louvre ou encore des IEP. Chaque école a sa politique : certaines peuvent vous sélectionner selon vos résultats et vous faire passer des examens, d’autres instituent leur propre calendrier d’épreuves, d’autres ne sont accessibles que si vous êtes admissible à l’ENS. La BEL a contribué également à la refonte des programmes de prépa : les épreuves de tronc commun en littérature sont le fruit d’un désaccord et de tensions entre l’ENS d’Ulm et de Lyon. Entre volonté de supprimer un programme à l’écrit pour la dissertation de lettres, et désir de maintenir des œuvres obligatoires à étudier, les deux ENS se sont trouvées dans un dissensus amenant à l’épreuve de dissertation de lettres actuelle. La BEL a, de ce fait, gonfler les notes des étudiants. La moyenne annuelle est d’environ 9 ou 10, alors que certaines épreuves pouvaient avoir auparavant des notes couramment inférieures à 8. Les examens se déroulent, sauf report exceptionnel, sur une semaine entière plus un jour. Les épreuves n’ont pas les mêmes heures. Je prendrai l’exemple des épreuves de l’ENS de Lyon : l’épreuve de géographie, comme l’épreuve de spécialité en Lettres modernes durent cinq heures, les autres épreuves durent six heures.
V/ Bilan de la première partie
*Les belles choses de la prépa.
*Livres, livres, livres.
*Compagnons d’infortune.
*Maîtrise, précision, perfectionnisme et sensibilité.
*Apprentissage de méthodes, professeurs à l’écoute.
*Esprit critique à aiguiser et subversion pour les créatifs.
*Apprendre à synthétiser et être efficace sur ses lectures pour les multiplier.
*Se connaître (personnellement et en tant qu’individu travaillant).
*Le sentiment de défi et de vie dans l’instabilité : l’adrénaline.
*Les choses qui ne manqueront pas
*Les DS du samedi matin.
*La culpabilité de se reposer alors que cela est légitime.
*Le manque de temps pour soi.
*La fermeture d’esprit de la part de certains élèves et la pédanterie généralisée. Le paradoxe entre des spécialités en rapport avec l’art et l’humain et la vacuité voire l’indifférence écœurante d’individus prétentieux pour aucune raison.