Grossesse et adolescence Un risque ou une chance ? Une expérience institutionnelle

Marie-Joseph Bonnetain

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Humiliation publique du corps qui pèche hors mariage

Vous le savez sans doute, la vie est faite de rencontres singulières et dans un espace temps donné dont on ne mesure pas dans l’instant, qu’il aura des effets bien au-delà de ce que l’on peut imaginer !

   Alors, je vais tenter de faire un retour en arrière : le milieu des années 1980 à Lyon, rue de Gerland où j’ai eu le privilège de recruter Sylvie Bamony comme infirmière. Rencontre donc dans l’institution que je dirigeais depuis février 1980.

     C’est à partir de ce lieu là, un établissement d’accueil mères enfants, que je situerai mon propos, pour en venir à la question posée par le titre de mon intervention : « Grossesse et adolescence – Un risque ou une chance »

 

1 – Le lieu d’où je parle : 186, rue de Gerland

       Un long mur de clôture, un portail vert en fer, donnant sur une allée de platanes majestueux. Un magnifique parc arboré, entourant le « Château de Gerland » puisque tel était appelée cette demeure édifiée au XVIe siècle par Gaspard de Gerland. Propriété, par la suite d’une famille de notables lyonnais jusqu’au XIXe siècle, elle est achetée par le Ministère des Armées pour « des besoins de guerre », puis par le Maire de Lyon, Édouard Herriot (il a 35 ans à l’époque) qui veut en faire un asile maternel. Le nom est donné : la Maison des Mères. Ce choix très politique à l’époque suscite un débat extraordinaire lors des séances du conseil municipal (cf. archives municipales).

      À mon arrivée, je note qu’il n’y a pas de nom à côté du portail, en revanche le plan de Lyon indique bien cet endroit à quelques centaines de mètres du stade de Gerland.

Ironie du sort, le compteur électrique situé sur le mur de clôture de la rue du même nom porte encore aujourd’hui l’indication très lisible « Maison des Mères célibataires ». L’EDF de l’époque avait repris un vocable populaire – mais n’avait quand même pas osé écrire « Maison des filles mères »… L’institution dont je vous parle aujourd’hui a été transférée en 1995 à Bron, dans une plus vaste structure départementale : l’Institut de l’Enfance et de la Famille – L’IDEF (qui regroupe foyer de l’enfance et centre d’accueil mère enfant).

     Revenons en 1980 dans cet enclos de deux hectares qui est encore la Maison des Mères gérée par le Conseil Général de l’époque présidé par Jean Palluy. Je vous le disais plus haut c’était une œuvre municipale, voulue par Édouard Herriot qui s’était ému du sort des « filles-mères » comme appelait alors les femmes enceintes en dehors du mariage. Nous sommes alors dans l’après-guerre et, malgré des maris au front, la vie continue. Il y a une forte mortalité masculine ; ajoutez à cela les ravages de la grippe espagnole.

     L’État, les élus locaux, les médecins (Pr Louis Trillat) se préoccupent de la natalité. Ils cherchent à limiter la mortalité périnatale, à prévenir les infanticides (nombreux) les abandons (il y avait eu les fameux « tours » dans les hôpitaux par Saint-Vincent-de-Paul.) À Lyon le tour de l’Hôtel-Dieu était installé quai Jules Courmont. Une femme pouvait y déposer son bébé qui était recueilli à l’intérieur de l’hôpital. Alors, force est de constater que même les enfants bâtards deviennent précieux (cf. Yvonne Kniebiler : Histoire des mères du Moyen-Age au XIXe siècle –Edit. Montaldo).

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Abandon d’enfant

     L’initiative d’Édouard Herriot s’inscrit dans ce que l’on a appelé le courant hygiéniste amorcé à la fin du XIXe siècle inspiré par Rousseau et Lamartine (cf. débat du conseil municipal) visant la protection de la femme en couches et des enfants – seule dont on disposait à l’époque pour y parvenir : l’allaitement maternel (cf. loi Roussel du 23/12/1874). En 1893, la loi du 15 juillet sur l’Assistance Médicale gratuite assimile les femmes en couches à des malades. Une loi du 24 octobre octroie une allocation supplémentaire aux femmes qui allaitent.

       Partout en France se créent dès la fin du 19e siècle (à une époque où la grande préoccupation était aussi les enfants des rues (cf. histoire de l’Assistance Publique à Paris) des asiles de maternels (Versailles 1895) des refuges ouvriers, le tour des mères. Tous ces lieux sont ouverts pour abriter des femmes enceintes et notamment celles qui souhaitent dissimuler leur grossesse en vue de l’abandon : « Une maison maternelle est donc une institution où, sous la garantie du secret, sont hébergées des femmes enceintes quelques mois avant le terme de la gestation, où elles peuvent accoucher, et où elles demeurent après l’accouchement le temps que dure l’allaitement » (cf.thèse de doctorante de Sonia Treff en Droit).

     À Lyon s’aouvrira au début du XXe siècle une maison maternelle privée dans le troisième arrondissement qui elle, ne recevait que des primipares (le premier enfant pour une femme) et avec un certificat de bonne conduite, émanant d’un notable (médecin, prêtre, notaire ! ! !)

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Renvoie d’une fille mère pour éviter la honte sur la famille

            Rue de Gerland : il n’y a pas de telles exigences : primipares et multipares sont accueillies.

     J’apprends lors d’un colloque national tenu à Nice en 1991 organisé parl’ANPASE, à l’occasion du 10e anniversaire des nouvelles lois sur l’Aide Sociale à l’Enfance, qu’une maison maternelle avait été créée spécialement pour accueillir des femmes enceintes des œuvres de prêtre ou religieux entre les deux guerres ! Cette « révélation » m’a été faite, après mon exposé, hors micro. C’est une collègue directrice d’un établissement en région parisienne, qui me dit : « vous avez parlé du poids du secret dans nos structures, et je peux enfin vous dire combien cette histoire hante la mémoire institutionnelle ». Cette maison était financée par l’Évêché de Paris. Elle n’avait pas osé en parler devant les 400 personnes assistant au colloque.

     Ce poids du secret pèse très lourd dans la Maison des Mères dès mon arrivée. La directrice à qui je succède me confie longuement et presque religieusement le protocole que je devrais suivre, lorsqu’une femme me demandera à l’entrée, le secret de l’anonymat, pour accoucher sous X. En clair, une enveloppe cachetée à la cire rouge contiendra les éléments d’état civil complets la concernant. Elle choisira nom d’emprunt le jour de son admission. Personne en dehors de la directrice ne connaîtra son vrai patronyme, même pour les examens médicaux, sanguins, radiologiques ; la mention « Accouchement sous X » donnant droit à une prise en charge totale et gratuite des soins. Telle était la philosophie de la loi qui tenait à protéger la mère et l’enfant, évitant ainsi le risque d’infanticide.

     N’oublions pas que jusqu’en 1975, le recours à l’avortement est prohibé, et pénalement réprimé (cf. Y. Kniebiler : Histoire des mères). Les femmes qui n’avaient pas eu recours à celles que l’on appelait les «faiseuses d’anges », ou autres médecins plus accommodants en France ou à l’étranger, se retrouvaient acculées à venir frapper à nos portes ; bien souvent, en fin de grossesse.

       Merci à Lucien Neuwirth (1967) : la pilule est autorisée, au planning familial, à Maître Gisèle Halimi (cf. le fameux procès de Bobigny en 1972 pour une femme traduite devant les tribunaux pour avortement). Et enfin, merci infiniment à Simone Veil et à sa loi de 1975 autorisant le recours à l’IVG sous condition. Mais attention au retour en arrière souhaité par certains au risque de « vous choquer » pour reprendre les mots de Simone Veil.

     Je reviens à l’accouchement sous X et à l’enveloppe qui ne pouvait être ouverte qu’en cas de risque mortel pour la femme au moment de l’accouchement. Munie de ce viatique, au départ assez terrifiant, je prendrai avec cette enveloppe, et beaucoup de naïveté, les rênes d’une institution qui accueillait alors 55 jeunes femmes enceintes (pour le 1/3) ou avec des enfants de zéro à trois ans (2/3).

       Quant à l’âge requis pour une admission, il pouvait être de 12 ans à 35 ans.

     Précisons que pour les mineurs dont nous allons parler, une unité de vie de 12 chambres leur est réservée. Donc vous voyez se dessiner là, dans un espace clos, des lieux de vie adaptés à l’âge et à la situation de chacune des femmes accueillies : section des mineurs, maison maternelle pour les majeures enceintes, foyer maternel pour les femmes reprenant le travail et en attente de logement à l’extérieur. Ajoutez à toutes ces structures, une pouponnière (fermée à 1985), une crèche, un bâtiment regroupant cuisine centrale, restauration et administration, des locaux techniques.

     Qui travaille donc au plus près de ces mères ou futures mères ? À l’entrée pour les premières rencontres avant l’admission, une éducatrice et une assistante sociale sont chargées de cette mission. Dans les lieux de vie, éducateurs ou moniteurs éducateurs, auxiliaires de puériculture, infirmières, psychologue, une gynécologue obstétricienne, un pédiatre, une psychomotricienne, un psychiatre (vacataire), des veillants de nuit ainsi que des cadres qui se relayaient avec moi pour les gardes de nuit et de semaine. Au total avec l’ensemble des personnels administratifs et ouvriers nous étions plus de 60 à vivre auprès de 55 jeunes femmes et 30 enfants de zéro à trois ans.

     J’étais nommée par le Ministère de la Santé (Direction de l’Action Sociale) pour diriger cette structure, elle-même sous la responsabilité du Conseil Général du Rhône ; à la tête donc d’un établissement public non doté de la personnalité morale (précision juridique), mais sous le contrôle d’une commission de surveillance composée d’élus locaux, municipaux ou généraux et personnalités de la CAF, auxquels je soumettais projets et réalisations.

     Cette longue présentation, peut-être fastidieuse, avait pour but, de décrire un lieu de vie « habité », ouvert 365 jours par an. Un enclos institutionnel dont l’objectif était de permettre à une femme future mère ou déjà mère, de se mettre à l’abri de la fureur d’une famille, horrifiée par la grossesse révélée tardivement et, fait aggravant, hors mariage.

     Ce sentiment d’enfermement que portaient les Lyonnais sur la « Maison des Mères » est écrit par une journaliste du Progrès venue me rencontrer à 1981 ou 1982. Elle titrait son article de la manière suivante : « La Maison des Mères, le Ghetto de la Maternité ». Imaginez la violence en écho, de cette pleine page, sur les résidentes, et notre équipe sidérée ! Silence curieux des élus et de l’administration, à la hauteur de ce que cette question de la maternité hors mariage, clandestine, coupable, venait faire irruption sur la place publique, à moins de six ans donc après la Loi Weil.

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   J’ai alors décidé de mettre en place des lieux de parole (par des psychologues) pour débattre, de ce que cet article nous révélait à nous, l’Institution, et à elles : stigmatisation, jugement, exclusion. Nous avons décidé de relever le défi, et de voir en quoi ce regard extérieur nous renvoyait dans notre propre fonctionnement. Il nous a fallu cinq ans pour travailler en interne tous les services confondus. Faire venir des spécialistes (Danièle Rapoport- Geneviève Apel (leurs travaux sur les pouponnières et les autres lieux d’accueil pour enfants font autorité). Bernard Martini, journaliste, est venu (ses émissions sur le thème : « le bébé est une personne » montrent les avancées sur la prise en charge du nourrisson). En externe : liens avec toutes les maternités de Lyon, avec pour but de ne plus travailler seulement avec l’Hôtel-Dieu. En 1981, je parviens à faire changer, le nom de l’institution qui devient le Centre Maternel Départemental.

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IIe Partie

     Une fois situé le contexte historique sur la maternité à risque au plan local et national (cf. Loi du 4 juin 1970, qui substitue l’autorité parentale à la puissance paternelle (dévolu au seul père légitime), il paraissait que la grossesse hors mariage devenait moins excluante. L’enfant lui-même, n’est plus considéré comme adultérin, ou naturel né d’une mère célibataire. Il jouit depuis cette loi des mêmes droits qu’un enfant légitime. Ces mots sont bannis par le législateur sans que la société prenne immédiatement la mesure du changement de paradigme. La crainte du qu’en-dira-t-on reste forte.Mais que dire lorsqu’il s’agit d’une adolescente de 12 ou de 14 ans ? Cela défi tous les codes en vigueur dans notre pays ou l’âge de la nubilité est de 15 ans ? Comment réagir lorsque que l’on découvre, hélas tardivement, la grossesse d’une très jeune mineure ? Cette découverte et en générale fortuite. On a vu bien souvent des adolescentes arriver à l’hôpital avec un syndrome abdominal aigu, qui accouchaient quelques heures plus tard !

      Je me rappelle de téléphones urgents des assistantes sociales de ces mêmes maternités, nous demandant, de recevoir mère et bébé au plus vite car leur famille ne savait pas… et ne voulait pas devant le fait accompli, les accueillir après l’accouchement.

     Souvenir particulier de cette mineure de 13 ans, enceinte de son père, que l’on nous a adressée, lors d’une consultation du huitième mois, parce que l’on ne voulait pas faire de signalement au juge des enfants. Les travailleurs sociaux et l’inspecteur de l’ASE redoutaient l’incarcération du père agent d’une grande société d’État : il aurait perdu son salaire. Il mettait ainsi en péril sa famille (épouse au foyer, un fils handicapé et une petite fille de cinq ans) Situation d’inceste avérée que j’ai décidé de signaler au terme de ma rencontre dans mon bureau avec les deux parents de Catherine. Elle a accouché d’un bébé mort dans les heures qui ont suivi la naissance.

     Souvenir d’une jeune africaine de 13 ans, placée au foyer d’accueil, dont on découvre la grossesse à huit mois. C’est le professeur de sport d’une école en cours de basket qui s’en rend compte. Il entre dans le vestiaire. Maria, longiligne change de vêtements et son ventre rebondi n’est plus caché par le maillot. État d’urgence ! Le foyer ne veut plus la garder. Le père de Maria porte plainte car sa fille lui révèle que c’est un ami (30 ans) qui est le père du bébé à naître. Maria entre au Centre Maternel sans préparation, sans autre examen que celui du légiste, sans examens prénataux. Elle refuse de se laisser ausculter. Urgence toujours, car 15 jours à peine, après son arrivée, Maria à des contractions, la nuit. Je suis de garde ; la veilleuse m’appelle et je la conduis, moi même à la maternité en lui recommandant de ne pas pousser et de respirer !

     Tout se passe donc en accéléré et, avec l’accord immédiat de l’équipe de maternité, j’assiste à l’accouchement, pour « contenir » Maria qui ne veut toujours par se laisser toucher. Elle hurle, et arrache la perfusion. Moment surréaliste, où chaque acteur tient un rôle hors normes, qui aboutit à une question banale : quel prénom avez-vous choisi pour cette magnifique petite fille ? Maria ne sait pas répondre. Je sors de la salle de travail, car elle s’est calmée et je réfléchis dans le couloir. Je respire à mon tour. Je reviens auprès de la jeune maman apaisée, souriante avec son bébé sur le ventre. Je lui propose le prénom de Marie. Nous avons en commun ce premier prénom. Accord et sourire immédiat de la sage-femme et du médecin qui retiennent ce choix avec unanimité et soulagement aussi.

     Le lendemain, le père de la très jeune maman approuve, et ajoute avec l’accord de Maria un deuxième prénom. Mais le dossier au pénal se poursuit et nous réserve d’autres surprises que je n’évoquerai pas ici.

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Surveillance des filles pubères ?

     Je pourrais citer ici de nombreux épisodes, tout aussi extraordinaires, qui mobilisaient l’attention et la compétence des infirmières, éducateurs, veillantes de nuit. « Notre pain quotidien » était riche ! Mais, pour une mère très jeune, il ne faut pas oublier qu’elle sort juste de l’enfance. C’est une adolescente aux comportements changeants, imprévisibles. Elle devient mère, si j’ose dire, brutalement. Elle est en outre responsable juridiquement de son enfant. Elle détient l’autorité parentale, alors qu’elle est encore sous la responsabilité de ses propres parents en tant que mineur (cf. l’histoire d’une mère de 14 ans dont le bébé décède à trois jours, qui décide de l’autopsie demandée par le médecin !).

   Je pense à Kadidja, 15 ans et demie arrivée peu après Maria, elle aussi en catastrophe. Elle a accouché sous X pendant les vacances de Noël, à l’insu de son père, qui ignorait sa grossesse. Seule sa sœur le savait. Le bébé est alors confié à la pouponnière de la Cité de l’Enfance. Elle rentre chez elle sans rien dire à son père. Mais trois semaines plus tard elle veut reprendre son fils (le délai légal pour se rétracter était de trois mois à l’époque). Elle entre très vite au Centre maternel de Gerland. Ce qui est intéressant avec cette jeune mère, étudiante douée, c’est qu’elle a pu nous dire qu’elle savait qu’elle était enceinte. Elle avait consulté un médecin (vers le cinquième mois) se plaignant du ventre. Le médecin a conclu, à une aérophagie liée au stress scolaire. Le gonflement abdominal devait, selon lui, se dissiper pendant les vacances de Noël. Le médecin n’avait pas lui-même songé à une grossesse. On est donc bien là dans l’impensé, l’impensable en écho au silence de l’adolescente. Kadidja et Maria ont vécu deux à trois ans avec nous. Elles allaient en classe, s’occupaient avec une justesse inouïe de leurs bébés au retour du lycée. Elles avaient le droit, de souffler en confiant leurs enfants à la crèche.

   Ces très jeunes mères nous montrent un ajustement (un accordage immédiat) avec le bébé. Je ne parlerai pas ici des situations plus lourdes avec des comportements particuliers. Pas de panique comme on le voyait avec des femmes plus âgées. Elles étaient rassurées par la présence des éducateurs, des infirmières, des puéricultrices. Leurs enfants étaient hyper stimulés et prenaient leur biberon sur fond sonore musical (les derniers succès du moment !) Ce qu’elles pouvaient nous dire sur cet enfant conçu sans l’avoir vraiment voulu est « j’aurai enfin quelqu’un à aimer. J’existerai pour lui où elle ».

     Ces deux dernières situations illustrent ce qui a été théorisé beaucoup plus tard comme Le déni de grossesse par Sophie Marinopoulos, pédiatre au CHU de Nantes. J’ai travaillé avec elle dans le cadre de l’ANPASE et elle m’a aussi accompagnée à Bucarest lors d’un colloque en 1999.

     Je ne vous parlerai pas de situations particulières où l’accordage mère/bébé se faisait mal car l’adolescente, profondément perturbée, comme une femme majeure nécessite une prise en charge très personnalisée par les professionnels du Centre Maternel afin de soutenir la mise en place des liens mère-enfant.

   Que dire de la place des parents de ces mineures ? Ce n’était pas simple. Soit mise à distance violente, soit aménagement progressif de la relation par la médiation des éducateurs référents, des psychologues ou du psychiatre.

   Il ne faut pas oublier non plus le respect des décisions du juge des enfants qui confiait à l’ASE la protection de ces mères précoces sous notre responsabilité. Que dire encore de la nécessité constante de réfléchir en équipe en réunion et de synthèse hebdomadaire pour « penser » ensemble et réajuster le projet pour la mère, le projet pour l’enfant ? Dire aussi l’importance de signifier la loi interne en donnant à chacune un cadre de référence là où tout a basculé en quelques semaines.

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         Une gestation dure neuf mois ; je dis une évidence. Mais lorsque le temps de la révélation à elle-même et à l’entourage est tardif, tout se télescope. Le travail de maturation, d’élaboration pour penser à l’idée de devenir mère se fait en accéléré. L’accouchement est en lui-même constitutif d’une réalité perçue en secret. C’est là que les professionnels présents, jour et nuit, jouent un rôle de réassurance, de « parentalité », d’affect bien sûr.

            Que dire aussi des pères des enfants de ces jeunes mères ? Je n’ai pas fait de travail spécifique sur cette question et en fait qu’est-ce qu’être père après une relation furtive sans suite (sauf pour les cas d’inceste) ?

     Pour conclure avec une autre histoire singulière, je parlerai d’une jeune mère de 16 ans, très soutenue par le père du bébé, un grand adolescent de 14 ans et demie, lui-même très soutenu par ses parents. Il venait voir son fils et apportait du potage fait par sa mère, des gâteaux etc. Ce jeune père était en apprentissage et nous l’avons vu grandir dans tous les sens du terme tout au long du séjour de la mère et de l’enfant.

   Alors pour finir avec les questions posées par Monsieur Pierre Bamony, qui portaient sur la nécessité de prévenir ces grossesses précoces, sur son étonnement face à leur persistance encore aujourd’hui, je dirais que dans ce domaine rien n’est jamais acquis.

         La contraception est autorisée, la pilule du lendemain existe, l’IVG est toujours là malgré les tentatives de certains courants aujourd’hui de la faire supprimer, et elle doit perdurer. Le recours aux informations par internet est à la portée des jeunes. Oui, mais la question de la sexualité reste toujours aussi complexe pour une adolescente, mais aussi pour les garçons.

   Lors de nos réunions de groupe avec ces jeunes mères et en présence du psychologue, nous pouvions faire émerger cette mise en lien entre acte sexuel, procréation, grossesse, risque. Donc, nécessité de connaître son corps, ses règles ! Certaines jeunes filles nous disaient qu’elles ne savaient pas comment et par où elles allaient accoucher !

     J’ajouterai que la question du risque ou de la chance d’être mère très jeune est aussi à considérer du côté de l’enfant. Là je pense pouvoir, avant d’ouvrir le débat, dire par expérience, la formidable capacité d’adaptation du bébé. Elle est à mettre en regard du potentiel inouï d’une adolescente qui a vécu silencieusement ses premiers mois de grossesse. Elle s’est adaptée, et son enfant la révèle à elle-même dans sa féminité, sa fécondité et ses premières vraies responsabilités.

   L’enfant réel est un projet vivant qui projette sa jeune mère dans le monde des adultes.

 

 

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Et les enfants des prostituées ?

Intervention au « Pavillon des Causeurs » le 21 février 2017 (Lyon 3è)

 

 

Une réflexion sur “Grossesse et adolescence Un risque ou une chance ? Une expérience institutionnelle

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