De la mixité dangereuse des hommes politiques et du monde de la finance et de leur complicité perverse au regard des intérêts des peuples qui les ont faits « rois »
La liberté d’entreprendre et de s’enrichir peut être considérée comme un droit inaliénable. Il s’agit d’un monde à part, un champ de réalité humaine et économique qui ne peut se mêler du destin d’un peuple quant à sa bonne gouvernance et à sa volonté d’autonomie politique. Dès lors, et en ce sens, un homme politique qui se laisse tenter par les charmes de cet univers est un être dépravé, indigne de sa mission auprès d’un peuple et viscéralement corrompu. Tel est le sens des analyses ci-dessous.
« Car c’est du prince que ruissellent sur le peuple entier, comme d’une source intarissable, les biens et les maux ». (Thomas More : L’utopie, GF-Flammarion, Paris 1987, p. 91)
« Encore ce seul tyran, il n’est pas besoin de le combattre, il n’est pas besoin de le défaire, il est de soi-même défait, mais que le pays ne consente à sa servitude ; il ne faut pas lui ôter rien, mais ne lui donner rien ; il n’est pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c ‘est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse. S’il lui coûtait quelque chose à recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais point, combien qu’est-ce que l’homme doit avoir plus cher que de se remettre en son droit naturel, et, par manière de dire, de bête revenir homme ; mais encore je ne désire pas en lui si grande hardiesse ; je lui permets qu’il aime mieux je ne sais quelle sûreté de vivre misérablement qu’une douteuse espérance de vivre à son aise… Pareillement les tyrans, plus ils pillent, plus ils exigent, plus ils ruinent et détruisent, plus on leur baille, plus on les sert, de tant plus ils se fortifient et deviennent toujours plus forts et plus frais pour anéantir et détruire tout ; et si on ne leur baille rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien, sinon que comme la racine, n’ayant plus d’humeur ou aliment, la branche devient sèche et morte ». (La Boétie : Discours de la servitude volontaire, GF-Flammarion, Paris 1983, p.p.136-137)
« Ceux qui voudront traiter séparément la morale et la politique n’entendront rien à aucune des deux » (Jean-Jacques Rousseau : Emile IV)
Extraits In PIERRE BAMONY : Pourquoi l’Afrique si riche est pourtant si pauvre ? -La Malédiction du pouvoir politique- Quel espoir pour les peuples de demain ? Tome II-(Paris, 2011)
Introduction
… « Ainsi, et au regard de ces données objectives, il n’est pas exagéré d’affirmer que la malédiction du pouvoir semble frapper les élites africaines subsahariennes de façon si grave quelle provoque, dans leur psychisme, un dérèglement profond qui les empêche de voir les lumières des réalités triviales de leurs peuples respectifs. Sans doute, et au cours de la décennie prochaine, le salut des ces peuples pourrait venir de l’accès des femmes au pouvoir dans chacun de ces pays. Car le cœur de la femme authentique bat encore et toujours au rythme du pouls des peuples de la terre. Donc, l’avènement de la lutte contre les élites masculines égoïstes est, enfin, proche. Chassez-les toutes de la tête de chaque pays. Autrement, elles n’abandonneraient jamais d’elles-mêmes, comme Mamadou Tandja au Niger, les rênes du pouvoir politique et économique. L’œil de Sauron les tient fermement dans la toile hermétique de son pouvoir maléfique et mortifère. Tel est aussi, malheureusement, le cas des régimes politiques du monde contemporain, pour peu que l’on veuille examiner attentivement la nature des choses et la comprendre en son essence, c’est-à-dire par-delà la montagne de mensonges qui la recouvre de son opacité.
En effet, toutes les élites politiques de notre commune terre, à l’exception notable de celles de la Suède, ont vendu leur âme au pouvoir de l’argent, leur maître et leur unique Dieu désormais. Dans leur tête, « le Veau d’or » brille de toute sa munificence, de ses charmes envoûtants. Il exerce une telle fascination sur leur intelligence qu’ils sont aveugles par rapport aux misères de leurs peuples respectifs. On pourrait faire remarquer, sans risque de se tromper, qu’elles se sont volontairement transfigurées en valets des puissances de l’Industrie financière, de cette chrématistique vide et/ou superbe fiction mortifère. De nos jours, tout le monde le sait désormais : en confiant la conduite des affaires du monde à cette dangereuse chimère, on a signé la fin de la vie humaine sur terre ; à moins que les élites politiques ne redeviennent les enfants du peuple, ne sentent battre dans leur cœur le souffle de la vie des peuples ; ou, au contraire, que ces derniers ne parviennent à reprendre leur pouvoir légitime. Nonobstant, en attendant cet heureux événement, si jamais il se produit, les élites politiques ont consenti à être de fabuleux et efficaces instruments des potentats économiques, industriels et financiers du monde. En cette position, elles semblent comme chargées de tuer les économies réelles des pays pour réduire au rang d’esclaves les peuples ; et comme si elles ont reçu aussi pour mission de transférer les richesses des peuples à la jouissance de la seule minorité économico-financière du monde.
Par le cynisme de cette dernière, l’appauvrissement des peuples n’est plus un problème. Il suffit d’inventer des stratégies et/ou des techniques de communication efficaces pour leur faire endurer leurs conditions nouvelles, sans craindre aucunement leurs révoltes. Désormais, avec la totale complicité des élites politiques, les potentats de l’industrie financière (cette dangereuse et fascinante fiction) sont libres de faire tout ce qu’ils veulent, quand des crises (économiques, financières, sociales etc.) adviendront relativement au dérèglement du fameux capitalisme. Les peuples, qu’ils soient innocents et non responsables de ces désastres économiques et financiers, seront mis à contribution : ils paieront les pertes financières réelles de la minorité (on remarquera que celle-ci ne travaille jamais, mais fait travailler la majorité, le peuple) détentrice de la richesse des nations et/ou des peuples. En ce sens, comme il ne s’agit que de masculins qui tiennent les rênes de tous les pouvoirs des institutions humaines, on peut dire que la Nature a, pour ainsi dire, inscrit dans les structures élémentaires de son essence biochimique la cause réelle de la fin de la vie humaine sur notre commune terre.
Pour comprendre le sens de la nature présente des phénomènes humains, l’on trouvera dans cet ouvrage des analyses sur le mécanisme psychologique et le désastre du pouvoir, en particulier politique ; ce qui explique l’inconsistance des réalités humaines, la permanence de l’insatisfaction des peuples de la terre par rapport à la manière toute particulière et intéressée dont les institutions politiques, économiques et financières sont conduites par les élites de chaque pays. Le fonctionnement de la démocratie est devenu un concept creux ; et caduque en un sens. Car les élites en sont venues à créer une caste de crapules par un auto-fonctionnement aveugle ou centré sur soi-même. Celles-ci se reproduisent entre elles et créent une classe de privilégiés désormais fort bien éloignés des préoccupations quotidiennes des peuples, qui ont eu le malheur de les élever au statut de magistrat (au sens classique du maître du peuple) par le truchement des élections ». (2011)
« Structure et épiphanie de la malédiction du pouvoir politique comme phénomène envoûtant en son essence même
A) De l’origine de la malédiction du pouvoir et de son absence dans la philosophie politique
Les théoriciens, en particulier les philosophes, les sociologues et les anthropologues se sont tous attachés à penser le pouvoir non dans sa structure, dans son essence même, mais dans ses manifestations, son usage, bref son épiphanie. A titre d’exemple, Machiavel[1] n’a pas jugé nécessaire de commencer par comprendre la structure du pouvoir politique, même s’il accorde une place centrale aux problèmes en politique. Sans expliquer ce qui rend fous les hommes qui exercent le pouvoir, il s’emploie à examiner comment acquérir le pouvoir et quelle stratégie mettre en œuvre pour le garder aussi longtemps que possible. En d’autres termes, il propose une pratique pour instaurer solidement un nouvel Etat. A cet effet, il étudie les qualités (virtù) du peuple et celles, conséquentes, du Prince. De même, Thomas Hobbes ne juge pas utile de commencer par analyser la nature du pouvoir, en général, et politique, en particulier. Il se contente de montrer comment l’égalité des forces physiques et/ou de l’habilité des individus à l’état de nature les rend malheureux et, en même temps, par calcul rationnel, les pousse à créer ce monstre artificiel qu’est l’Etat pour garantir la sécurité de chacun d’eux, sous l’empire du Léviathan.
J’emploie le terme « épiphanie » d’après l’une de ses étymologies grecques « epiphanios », ce qui apparaît. Selon Le Robert, l’épiphanie est « la manifestation de ce qui est caché ». C’est justement ce sens, c’est-à-dire « ce qui est caché » que les penseurs du phénomène en question n’ont pas du tout appréhendé. En d’autres termes, ils excellent dans l’analyse de son apparaître à travers la manière dont ses détenteurs en font des usages singuliers. En revanche, ils n’ont pas eu la curiosité d’aller chercher au-delà de la pure et simple manifestation de ce qui fait que les choses sont telles qu’elles se déploient dans l’espace et dans le temps à travers les réalités humaines. Aussi, j’ai décidé, dans l’économie de ces investigations, de procéder autrement en interrogeant l’essence même du pouvoir, qui conduit aisément ses détenteurs à un genre de folie grave.
La définition du terme pouvoir qu’en donnent les dictionnaires, dont Le Robert, n’est pas satisfaisante dès lors qu’elle ne révèle rien de la nature de ce phénomène en sa dimension humaine, trop humaine. En effet, ce terme vient du latin potere, de posse « être capable », ou « avoir de l’importance, de l’influence, de l’efficacité ». Suivant des usages et des définitions historiques, il s’est transformé en potens (« qui peut, capable ») ; ce qui désigne sensiblement la même aptitude que les sens précédents. Autrement, le pouvoir est ce qui, dans un être humain, le met en état de puissance dans son agir. Il lui confère un ascendant psychologique sur les autres êtres humains, pour autant que cette faculté d’action implique des relations mutuelles. Dans la définition de ce concept, je retiendrai ce dernier point : le pouvoir « s’applique également à la propriété inhérente à une chose ». C’est cette propriété singulière du pouvoir qui n’a pas été perçue par les théoriciens, ni suffisamment analysée en vue d’apporter des éclairages sur l’essence de ce phénomène qui cause tant de maux au genre humain. Quelle est donc cette propriété mystérieuse inhérente au pouvoir ?
Je propose, pour bien saisir l’essence du pouvoir, une hypothèse inspirée de l’approche légendaire de John Ronald Reuel Tolkien, dans sa fresque moyenâgeuse de Le Seigneur des Anneaux, tome I, La communauté de l’Anneau. Pour comprendre la cause originelle et non le commencement du mal absolu, qui génère tous les désastres innommables chez le genre humain, ou même ce qui pousse constamment, et comme par un charme irrésistible, en raison de la fascination du mal, certains êtres humains à vouloir dominer les autres à tout prix, Tolkien conçoit de matérialiser cette volonté mortifère sous la forme de l’« Anneau unique ». Initialement, celui-ci a été forgé par un personnage, Sauron, qui diffère de tous les autres de cette fresque ; mais, comme eux, il n’est ni mauvais, ni bon en soi. Toutefois, il basculera très vite dans l’attrait du mal du fait de cette volonté maléfique de domination sur des autres êtres humains ou sur les phénomènes. Aussi, il entreprit de forger en secret cet Anneau afin de pouvoir contrôler les autres Anneaux qui ont été donnés aux chefs des peuples de divers genres d’êtres d’un lieu qu’il appelle « La Terre du milieu ». Il s’agit de trois Anneaux offerts aux rois elfes, de sept aux seigneurs nains, de neuf aux chefs des Hommes mortels. En revanche, un Anneau, l’Anneau de toutes les convoitises, de tous les péchés, de tous ces drames incommensurables amplement décrits à travers toute cette œuvre, possède en lui-même la propriété de la surpuissance unique de les gouverner tous en liant leur sort dans les ténèbres des entrailles de la terre.
Comme l’analyse intégrale de cette œuvre n’est pas l’objet de mon interrogation, je vais m’en tenir à la manière dont, à partir de la matérialisation en un Anneau unique qui confère la puissance et la volonté de domination absolues sur toutes choses, Tolkien dévoile la propriété inhérente au pouvoir. En effet, on pourrait dire que tout pouvoir, en particulier le pouvoir politique, est comme un anneau que l’on met volontairement ou involontairement au cou de sa conscience pour le pire. Dans le premier tome de cette œuvre, après avoir raconté l’histoire des Anneaux et surtout l’unique Anneau de la surpuissance, celle justement qui confère la domination des dominations sur tout autre être en ce monde, il en vient à la description de la première victime de cet Anneau envoûtant. Un jour, deux amis, Sméagol et Déagol se sont rendus à la pêche sur les rives d’un fleuve. Déagol trouva, au fond de cette rivière, un magnifique anneau d’or. Sa beauté était si fascinante et irrésistible que Sméagol ne put résister à son attrait. Il voulut s’en emparer malgré le refus de son ami Déagol. Sméagol le tua par strangulation, prit l’Anneau et le mit à son doigt. Aussitôt, la puissance maléfique s’empara de tout son être et lui fit subir une transfiguration totale comme l’écrit Tolkien : « il apprenait des secrets et il appliqua son savoir à des usages malhonnêtes et méchants. Il acquit une vue perçante et une ouïe fine pour tout ce qui était nuisible. L’anneau lui avait donné un pouvoir proportionné à sa stature. Il n’y avait pas à s’étonner qu’il fût très mal vu de tous et que toutes ses relations l’évitassent (quand il était visible). On lui donnait des coups de pied et lui mordait les pieds des gens. Il se mit à voler et il allait de-ci de-là, se marmonnant à lui-même et faisant entendre des gargouillements dans sa gorge. C’est pourquoi on l’appela Gollum ; on le maudit et on lui dit de s’en aller au loin ; et sa grand-mère, désirant avoir la paix le chassa de la famille et l’expulsa de son trou »[2].
La suite du récit dévoile la déchéance psychique progressive et la transfiguration de Sméagol-Gollum sous la férule de l’Anneau. D’abord, sa condition d’être humain changea totalement. En effet, il fut livré à lui-même, erra de lieu en lieu sans direction précise. La solitude fut sa compagne existentielle comme le miasme colle à la peau de quelqu’un sans assurance de pouvoir s’en délivrer un jour. Il préféra les abîmes et les entrailles de la terre, la nuit des cavernes profondes et, fuyant la lumière du jour, il en devint même un ennemi absolu. Ensuite, d’un point de vue psychique et surtout physiologique, il se transforma en un monstre hideux au point que son apparence initiale d’être humain devint un lointain souvenir. Comme son corps prit la figure d’un animal abominable, terrifiant et handicapant, pour se nourrir dans ces lieux ombrageux, il se contentait d’attraper des poissons qu’il mangeait crus. Telle est, du moins, la description saisissante qu’en donne Tolkien lui-même : « … sur une île constituée par un rocher au milieu de l’eau vivait Gollum. C’était une créature répugnante : il dirigeait une petite barque en pagayant avec ses grands pieds plats, scrutant l’obscurité de ses yeux d’une pâleur luminescence et attrapant avec ses longs doigts des poissons aveugles qu’il consommait crus. Il mangeait toute créature vivante, même de l’Orque, s’il pouvait l’attraper et l’étrangler sans lutte. » (p.34) Une page plus loin, l’auteur ajoute une remarque sur la défiguration psychique de Sméagol-Gollum : « après des siècles de solitude dans les ténèbres, le cœur de Gollum était noir et abritait la perfidie » (p.35).
On peut tirer de ce récit les enseignements suivants. D’abord, la chose est manifeste, comme ce monstrueux Gollum le témoigne : l’essence du pouvoir, qui prend possession d’un être humain, commence par le défigurer. Il lui confère la surpuissance qui est l’aptitude à avoir l’illusion d’agir à sa guise, à faire plier les phénomènes sous sa volonté et à disposer de la faculté envoûtante de dominer les autres, de quelque manière que ce soit et à quelque niveau que ce soit. Cette défiguration rend de tels êtres étrangers aux autres car ils deviennent absolument méconnaissables. Telle est la raison qui incline les autres à s’en éloigner, à le haïr, à le fuir, voire à tenter sur sa personne des actes d’agression. Dans ce cas, la seule issue est la mise à l’écart, le bannissement. Telle devrait être la nature des faits. Mais, en réalité, celui que la propriété du pouvoir possède, en vertu de ses potentialités quasi illimitées, a des ressources pour s’imposer aux autres, bien que son propre libre arbitre soit déjà aliéné. Et cette situation s’opère de façon ambivalente : d’une part, celui que le pouvoir possède, tout Gollum, en somme, à l’instar de l’expérience de ce malheureux être, comprend que sa vie, sa sécurité seraient en danger s’il n’use de sa surpuissance, qui n’est pas inhérente à sa propre personne, mais à la matérialisation de la propriété du pouvoir ou Anneau, pour dominer et agir sur les autres, et surtout pour régner sur leur conscience, c’est-à-dire tout l’essentiel de leur être. Car la maîtrise de la conscience est la maîtrise de tout l’être humain. Dès lors, et sous cet angle, il y a un double envoûtement : la personne « Gollumisée » apparaît comme un être qui ne s’appartient plus et dont l’esprit enchanté et/ou diabolisé est soumis aux mouvements d’une entité maudite qu’on appelle pouvoir ; puis, tous les autres, ses serviteurs zélés ou non, qui sont soumis, de gré ou de force, à l’empire de la volonté aliénée et de domination des Gollums à la tête des pays, des populations, des groupes, des communautés etc.
D’autre part, certains individus, pris dans le cercle de la domination, n’hésitent pas à composer avec le Gollum de leur pays parce qu’il leur distribue des miettes de son Anneau. Or, comme personne n’est parfait en ce monde, la propriété du pouvoir s’empare de leur libre arbitre, c’est-à-dire cette noble capacité qu’a tout être humain d’opérer des choix de par sa seule volonté, sans que quiconque puisse imposer quoi que ce soit ni de l’intérieur à, ni de l’extérieur de soi-même. Elle détruit en même temps leur capacité de discernement. L’on sait : la volonté du pouvoir et, au-delà, du pouvoir du mal (exercer une domination sur les autres ne saurait être un bien) est très grande au cœur de chaque être humain. Ainsi, les serviteurs des Gollums, et au-delà, de l’Anneau surpuissant, parce que maléfique, ne peuvent plus résister à l’attrait du pouvoir qui, pour des avantages quelconques, des apparences, des prestiges, de la réputation, du respect, des glorioles de tous genres etc., basculent dans la lumière obscure du partage de l’envoûtement du pouvoir. En effet, comme l’Anneau de la légende tolkienne, qui exerce une très grande emprise sur tout être humain aussitôt qu’on s’avise de l’approcher, la propriété du pouvoir génère une fascination aveuglante, irrésistible sur les serviteurs des Gollums. De même, comme cet Anneau, elle prend vite une place grandissante, envoûtante dans leur esprit au point qu’ils n’ont plus de pensée que pour elle, à l’instar de tous les Gollums, leurs maîtres eux-mêmes aliénés. Ils perdent tout sentiment de sécurité en dehors de la vénération du pouvoir. Désormais, ils ne peuvent plus connaître la tranquillité ni le repos. Aussi, et au regard des avantages du pouvoir, ils renoncent à tout sens de dignité personnelle, d’honneur pour avoir un accès facile à tout moment aux biens matériels : la « consommation » des femmes ou des jeunes gens[3] (il semble établi que la jouissance du pouvoir agit sur leurs hormones comme l’effet du viagra ; ce qui est supposé leur conférer des performances sexuelles dont raffolerait une partie de la gente féminine, tout aussi bien attachée non à la personne des hommes du pouvoir, mais au phénomène du pouvoir lui-même), les lambris dorés des établissements publics, les belles voitures, les voyages gratuits, une cour de serviteurs payés par la richesse du peuple etc. C’est en ce sens que l’on peut dire que ces individus n’ont aucune conviction politique personnelle, si ce n’est celle de la jouissance continue des privilèges du pouvoir énoncés ci-dessus. Les Gollums de la terre et tous leurs serviteurs sont toujours plongés dans les profondeurs de la solitude psychologique. Ils sont profondément envahis par le sentiment d’une existence immorale ou amorale, suivant l’essence de leurs rapports avec les autres êtres humains.
B) Le spectre de l’innommé comme propriété du pouvoir
Le spectre de l’innommé peut se concevoir suivant un double sens. D’abord, le spectre (du latin spectrum, « apparition fantastique et effrayante d’un mort » (Le petit Larousse, Paris 1995) est pris ici dans le sens de la représentation effrayante d’une idée, voire d’un événement menaçant pour la sécurité, la sérénité psychique d’un être humain. Or, tout pouvoir est inévitablement un facteur de trouble, d’effroi dans ses usages excessifs, pathologiques. Ensuite, l’innommé renvoie à la nature biochimique de l’être humain au sens où le phénomène qu’on appelle pouvoir en émane. De même que la matière noire de l’univers demeure inconnue, de même la nature humaine, d’où dérive le pouvoir, échappe à la lumière de la raison en enfermant sur elle-même, dans ses ténèbres et son opacité, la source, l’origine qui fait que le pouvoir est tout ce qu’il doit être. D’où le choix de ce terme de l’innommé.
Ainsi, la propriété du pouvoir, en particulier politique, a ceci de particulier qu’elle incline à la violence. Même si elle ne commence pas par celle-ci, comme le malheureux Gollum, elle la contient en permanence. Il suffit de prendre n’importe quel régime politique d’hier et d’aujourd’hui, quelle que soit la forme du gouvernement, démocratique, tyrannique, oligarchique, dictatorial etc., les Gollums de la terre et leurs serviteurs zélés manifestent partout le même comportement et une inclination agonistique identique. D’une part, ils engagent la lutte à mort entre eux pendant les stratégies de conquête du pouvoir. Dans les régimes dits démocratiques, par la mobilisation des moyens financiers, l’utilisation des médias serviles, la mise en branle de la démagogie et du mensonge, voire de la délation, les élites politiques oligarchiques contemporaines engagées dans des campagnes électorales, locales ou nationales, se livrent les unes aux autres une lutte à mort pour éliminer les adversaires. Il n’y a point de loyauté, de sens de l’honneur, de respect d’autrui, de dignité dans ces rivalités opiniâtres physiques, psychologiques et morales féroces. C’est moins les peuples dont ils sont censés conduire les destinées qui les intéressent que la jouissance du pouvoir pour eux-mêmes. De tels conflits permanents les uns contre les autres finissent par rendre stériles leurs actions en faveur du bien général de leurs peuples, du fait qu’elles sont tout entières ancrées dans l’espace du temps présent. Elles ne laissent aucune place au futur, aux prospectives. Ce faisant, ces élites politiques donnent la nette impression de reproduire continûment les scènes des amphithéâtres grecs, romains ou d’ailleurs où l’on livre à des combats mortifères soit des individus entre eux (gladiateurs), soit des individus face à des fauves.
Dans les régimes politiques de la plupart des pays du Sud, comme la majorité des pays de l’Afrique sub-saharienne, cette violence n’est guère déguisée : on loue les services de tueurs à gage traditionnels (prêtres théurgiques ou féticheurs, selon le terme consacré de l’anthropologie africaniste), ou à la mode occidentale pour éliminer les adversaires. Une bonne partie des chefs de ces Etats aurait eu recours à de tels procédés pour parvenir au pouvoir. De nos jours, avec la crainte de la Cour Pénale Internationale de La Haye (Pays-Bas), ceux-ci en viennent à peaufiner les formes d’élimination physique des adversaires. Ainsi, selon diverses sources d’informations secrètes, quelque chef d’un pays du Sahel aurait recours aux compétences d’un médecin pour injecter un produit létal dans le corps des concurrents, et l’on mettrait ces morts suspectes sur le compte d’accidents cardio-vasculaires. Comme les autopsies seraient pratiquées par des médecins qui seraient de connivence avec le pouvoir en place, les familles de ces défunts ne disposeraient d’aucun moyen pour accéder à la vérité.
D’autre part, même au pouvoir, les Gollums de la terre et leurs serviteurs zélés ne cessent pour autant la violence. La vie agonistique permanente est de mise, comme Nietzsche le souligne à juste titre. Dans sa critique acerbe contre l’Etat, il affirme que les hommes politiques sont des « superflus » possédés par une fièvre permanente, celle de la recherche des richesses et du pouvoir. C’est en ce sens qu’il écrit : « voyez-les donc ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et n’en deviennent que plus pauvres. Ils veulent le pouvoir et d’abord le levier du pouvoir, beaucoup d’argent- ces incapables. Voyez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et se poussent ainsi dans la boue et dans l’abîme. Ils veulent tous s’approcher du trône : c’est leur folie- comme si le bonheur était sur le trône ! C’est souvent la boue qui est sur le trône et souvent le trône se dresse sur la boue. Ce sont tous des fous à mes yeux et des singes grimpeurs et des échauffés »[4] A propos de la folie inhérente à la chose politique comme pouvoir, Pascal pense que c’est par jeu que de grands philosophes, comme Platon et son disciple Aristote, ont été amenés à s’intéresser à la pensée politique. Car ils auraient pu avoir des choses plus sérieuses sur lesquelles exercer leur intelligence que ce phénomène absurde. Pascal considère que leurs théories politiques constituent la partie « la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie… » Ils auraient mieux agi en tâchant de vivre tranquillement leur vie que de se divertir par ces jeux stériles ou vains. Nonobstant, «s’ils ont écrit de politique, c’était comme pour régler un hôpital de fous[5] »[6].
En effet, la propriété du pouvoir, qu’on pourrait appeler le phénomène mystérieux de l’ombre (celle de la nature biochimique de l’homme) ou le spectre de l’innommé ne cesse de leur ronger l’esprit, de les tourmenter au point de rendre leur vie insupportable à leurs propres yeux. A l’instar de la maladie de Creutzfeldt Jakob, en raison de la dégénérescence spongiforme caractéristique de l’encéphale qu’elle entraîne chez les personnes qui en sont affectées, ce phénomène mystérieux de l’ombre ne ronge pas seulement la cervelle des Gollums. Il fait pire : il infecte et affecte progressivement ou rapidement, suivant le caractère sain de l’esprit des individus, la conscience morale, psychologique et toute la raison. C’est ce qui explique justement qu’ils ne tardent pas à devenir des despotes au pouvoir absolu, odieux pour leurs peuples ; au point que leur régime politique se transmue en tyrannie et/ou en totalitarisme. C’est ce qui explique que les démocraties contemporaines sont devenues elles-mêmes des dictatures « démocratiques ». Comme ils sont défigurés sans s’en rendre compte eux-mêmes et pour éviter de se regarder en face, de prendre acte, comme dans un miroir, de leur personne misérable, ils engagent une joute verbale acerbe contre leurs adversaires politiques devenus des ennemis dangereux. En réalité, ils savent qu’ils sont eux-mêmes détestables et ils se le cachent par cette mise en avant continue de l’agressivité, du mépris, de la lutte de tous contre des ennemis réels ou imaginaires.
Ce faisant, ils ne se rendent pas compte qu’ils n’agissent pas toujours de leur plein gré. Leur libre arbitre appartient à un autre, à une espèce de Sauron qui exerce une influence néfaste indirecte sur eux par l’intermédiaire du phénomène mystérieux de l’ombre ou propriété du pouvoir. Ils n’agissent pas ; ils sont agis, agités, secoués, mis en branle par ce à quoi ils appartiennent corps et âme désormais. Pire, ils sont comme dévorés par l’envoûtement de ce phénomène, comme pris dans une toile d’araignée. En d’autres termes, le phénomène de l’innommé s’évertue, de façon énergique et méthodique à ronger la cervelle de ces malheureux êtres et occulter, voire à ravir leur lucidité, en tronquant l’exercice normale de leur raison. Les mondes caverneux du spectre de l’innommé, ces profondeurs de l’être insondable et essentiellement irrationnel envahissent leur psyché pour la submerger de leurs ombres épaisses. Celles-ci les rendent aveugles par rapport à la perception du réel. Il n’y a, d’ailleurs, de réalité qui vaille, hormis la folie, la magie de l’envoûtement et/ou de l’enchantement du pouvoir de l’Anneau. Le monde pourrait s’écrouler et l’humanité tout entière se détruire sans qu’ils ne puissent s’en apercevoir le moins du monde.
Pour illustrer le sens de cette analyse, je vais me référer à deux cas de délire du pouvoir politique dans deux univers culturels différents, qui sont aussi deux types de gouvernements (mais ceci pourrait être vérifié dans tous les régimes politiques de notre commune terre). Il s’agit, d’une part, d’un gouvernement despotique, avec un vernis censé être démocratique ; d’autre part, d’une vieille démocratie européenne. D’abord, je vais m’étendre quelque peu sur le cas Laurent Gbagbo, président ivoirien : rejeté par son peuple grâce aux urnes, il s’accroche, avec l’énergie du désespoir, au pouvoir. Battu au terme du deuxième tour des élections présidentielles du 28 novembre 2010 (avec 54,1% des voix pour Alassane Dramane Ouattara, son concurrent, contre 45,9% des suffrages pour le président sortant Laurent Gbagbo), ce dernier refuse de reconnaître sa défaite et, donc, de quitter le pouvoir, au risque de plonger son pays dans une guerre civile. Plutôt la mort des peuples ivoiriens que l’abandon du pouvoir, l’arrachement aux charmes de Sauron, c’est-à-dire la douce aigreur et/ou amertume de la bile nocturne de Sauron et/ou du siège de l’Anneau, en l’occurrence, celui du pouvoir politique. Cet homme, qui a conduit son pays à la débâcle économique, à la régression sociale, est un fieffé palassopathe et palassophile à la fois. Isolé pendant plus de dix ans au milieu d’une foule de courtisans, il gouvernait son pays sans légitimité ni adhésion de la majorité des Ivoiriens. La preuve de cette donnée : il n’osait guère sortir de ses palais d’Abidjan et de Yamoussoukro pour aller vers ses peuples et prendre acte de leurs problèmes spécifiques au quotidien. On comprend donc que ses serviteurs zélés n’eurent aucune peine à le bercer de mensonges divers et variés, d’illusions, à le tromper continûment. Ainsi, ses conseillers, voire ses agences de publicités françaises n’agirent pas autrement à son égard pendant toutes ces années. Sans doute, voulait-il être abusé ! Et il en a été bien servi. Cet homme isolé, dis-je, mal aimé, comme le Gollum de la légende tolkienne, sans majorité dans son pays, mal élu et/ou non élu, découvre la réalité le jour de la proclamation des résultats du deuxième tour des élections présidentielles, soit le 28 novembre 2010.Comme ses agences publicitaires, se fondant sur des sondages erronés, le donnaient toujours gagnant, quel que soit le candidat en face de lui, il révéla, dans toute sa splendeur, la vraie nature de son statut de valet de Sauron. C’est ce qu’on peut lire dans un article de « Jeune Afrique » (N° 2605-du 12 au 18 décembre 2010) consacré aux problèmes relatifs aux élections présidentielles en Côte d’Ivoire : « Cette nuit-là, « Seplou » est seul dans on bureau. Un maître d’hôtel lui a apporté un verre d’eau et un sandwich jambon-beurre. Sa large chemise Path’O flotte un peu. Il est fatigué, amaigri, mais ses yeux s’animent d’une étrange lumière quand il lance, devant un proche qu’on vient d’introduire, dans un long monologue. « Eh bien ? Pourquoi céder ? Pourquoi partir ? Pour me décerne le prix Nobel de la soumission ? Pour qu’on me cite en exemple devant les écoliers de la France et que l’on dise : voilà la preuve que la démocratie à la française ça marche jusqu’au fin fond de l’Afrique ? Eh bien non. Cette élection démontre que la démocratie ici, ça ne marche pas encore… La Côte d’Ivoire est en phase d’apprentissage démocratique[7] et c’est à moi, Laurent Gbabgo, de la guider jusqu’à ce que la leçon soit apprise […] Moi, je ne laisserai jamais Alassane Ouattara diriger la Côte d’Ivoire. S’il veut mon fauteuil, il faudra d’abord qu’il me passe sur le corps ».
Ensuite, l’autre cas, qui montre l’universalité de la folie du pouvoir, ce phénomène de la matière noire intrinsèque à l’essence humaine, et prouve, ainsi, le bien fondé de mes analyses, voire sa conceptualisation dans le cadre de ces investigations, est celui d’un homme politique français. En effet, un écho du « Canard enchaîné » (du mercredi 8 décembre 2010) est intitulé « le martyre de Longuet ». Gérard Longuet est président du groupe UMP du Sénat et sénateur de la Meuse. Il croyait pouvoir rentrer au gouvernement (Fillon IV du 15 novembre 2010). Hélas ! Il n’eut pas cette chance. Le fait d’être privé de la lumière ténébreuse de Sauron et, au-delà, du pouvoir de l’Anneau, le mit très en colère. Dès lors, dans une lettre datée du 19 novembre 2010, c’est-à-dire cinq jours après le remaniement ministériel, il ne put s’empêcher d’adresser une lettre aux élus UMP de la Meuse pour leur exprimer son amertume, sa douleur d’en avoir été écarté. Je retiens simplement un passage significatif de sa lettre : « Avec ironie, certains en déduisent que je suis indispensable au Sénat. Ils ont sans doute raison… A titre personnel, j’en souffre[8] ». Cependant, il se console quelque peu puisqu’il a toujours une once de pouvoir politique, c’est-à-dire de l’exercice d’une domination sur les autres ; ce qui le maintient dans une zone peu éloignée de la lumière ténébreuse de Sauron, du moins, tel est son propre sentiment : « Mais, je garderai l’autorité politique que représente la présidence d’un groupe de 149 sénateurs ». L’honneur est sauf et l’envoûtement du pouvoir de l’Anneau intact.
Ainsi, la force du phénomène mystérieux de l’ombre, qui confère aux hommes politiques un semblant de surpuissance, a fait ployer leur esprit, l’a bien et sérieusement brisé. Chez les Gollums de la terre et leurs serviteurs zélés, il n’y a pas de sérénité, de paix, de répit dans une existence entièrement livrée à l’art agonistique. Car la volonté de domination a quelque chose de vertigineux. Comment pourrait-il en être autrement ? En réalité, le spectre de l’innommé est ici entendu comme la fascination de la domination non pas sur les hommes, mais sur leur conscience souveraine, comme je l’ai déjà souligné. C’est le sommet de tout pouvoir sur terre. Le Dieu de l’Ancien Testament rêvait de parvenir à une telle domination sur le peuple hébreu. Et ses tentatives ont été vaines ; d’où ses colères contre ce peuple insoumis et les différentes punitions qu’il était contraint de lui infliger. Au fond, ce qui semble propre à la nature humaine, c’est de devoir se soumettre volontiers à des volontés diaboliques de particuliers (celles d’autres être humains, en somme, les Gollums), au point de négliger la plus grande conquête du genre humain : la liberté souveraine. Dans la manifestation du spectre de l’innommé, il y a comme un vertige de la force, plus exactement le sentiment de possession de la puissance divine elle-même. En d’autres termes, c’est le sentiment paradoxal de la fascination et de l’horreur du vide (la place de Dieu dans le ciel) au-dessus de soi. En effet, les Gollums de la terre ont le sentiment réel ou fictif de contempler devant eux des millions d’hommes, de femmes et leur progéniture, de jeunes gens et jeunes filles, qui ont l’échine courbée, la conscience vaincue et soumise, la totalité de leur être inclinée. En cet état, ils se voient ainsi adorés comme des dieux antiques. Une telle posture supposée confère aux Gollums le sentiment de la jouissance infinie et sans commune mesure sur terre ; mieux, de la puissance sans bornes. Tel est le sens du délire d’O’Brien face à une conscience humaine (Winston) qui a, encore, la suprême beauté d’avoir gardé l’esprit critique dans un monde totalement aliéné par la puissance de BIG BROTHER. Cet esprit plie, certes, par rapport à la souffrance atroce infligée au corps, mais ne rompt pas. Car O’Brien l’affirme de façon claire : « le pouvoir est le pouvoir sur d’autres êtres humains. Sur les corps, mais surtout sur les esprits. Le pouvoir sur la matière, sur la réalité extérieure… n’est pas important […] Nous commandons à la matière, puisque nous commandons à l’esprit. La réalité est dans le crâne […] Rien n’existe que par la conscience humaine… Avant l’homme, il n’y a rien. Après l’homme, s’il pouvait s’éteindre, il n’y aurait rien. Hors l’homme, il n’y a rien »[9].
Dès lors, on peut comprendre que les malades du pouvoir, les envoûtés de la surpuissance de l’Anneau ignorent leur propre état psychique : à savoir la parcelle de conscience qu’ils ont de détenir ce quelque chose qui les détruit, ce phénomène mystérieux de l’ombre qui leur confère le sentiment d’être comme des dieux. En effet, ils n’ont plus au-dessus d’eux quelque entité qui pourrait les empêcher d’agir à leur guise : de tuer s’ils le désirent, de donner n’importe quel genre d’ordre, même le plus absurde sans quelque censeur qui les raisonnerait, les retiendrait. Faire ce que ces Gollums veulent, même contre la liberté de tous, telle est leur sentiment et/ou expression du vertige et de la jouissance infinie du pouvoir. Hormis quelques malheureux Gollums historiques comme Néron, ou encore plus près de nous, Hitler ou Staline[10] que l’histoire exècre avec raison, le genre humain s’est toujours plu à élever au rang de héros exceptionnels les grands conquérants, les chefs militaires qui ne sont pourtant rien d’autre que des criminels contre l’Humanité. Envoûtés par la propriété du pouvoir, par essence maléficiente, ils ont décidé arbitrairement la mise à mort de millions d’êtres humains, comme une espèce d’offrande au culte de l’Anneau invisible, qui est au cou de leur conscience aliénée, souffrante. Car « l’anneau est dangereux, beaucoup plus dangereux… » qu’on puisse l’imaginer. « Il a une puissance plus grande,… une puissance telle qu’en fin de compte il asservirait totalement tout mortel qui en serait possesseur. C’est lui qui le possèderait » (p.91) remarque Tolkien dans son œuvre, à propos de la folie inhérente à l’essence même de tout pouvoir, notamment militaire, politique, psychique etc. »
« D’ailleurs, il n’y a ni bons, ni mauvais princes ou magistrats dès lors que le pouvoir les corrompt tous et transforme leur raison en hostilité permanente par rapport aux peuples qui leur sont soumis, comme l’écrit à juste titre La Boétie : « s’ils arrivent au trône par des moyens divers, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature ». Ainsi, si le despote, ou n’importe quel magistrat, veut maintenir sa domination, il doit élaborer des stratagèmes pour flatter l’orgueil des gens instruits. Tel est, selon cet auteur, « le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie » (p.143) : rendre cette catégorie d’êtres humains « complices » des « cruautés » du magistrat en les asservissant ou en leur donnant les moyens de dominer, à leur tour, les autres. Il s’agit donc des flatteurs, des courtisans qui se font les complices volontaires des formes de tyrannie, de dictature quel que soit le régime politique considéré. Ce faisant, ces derniers perdent le sens de leur propre liberté. C’est, d’ailleurs, de cette manière que se forme la hiérarchie sociale qui permet au tyran et/ou magistrat d’« asservir les sujets les uns par le moyen des autres » (p.164).En conséquence, seule la résistance et l’usage de la raison permettent de reconquérir la liberté de chacun car les tyrans et autres hommes du pouvoir « ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » devant eux. Mais, l’histoire nous enseigne que les peuples ne se révoltent que lorsqu’ils ont faim. Autrement, devant un tel réquisitoire contre la bassesse des peuples à se laisser manipuler et gouverner par un groupe d’individus restreint, par l’usage de leur entendement, il y a bien longtemps qu’ils auraient secoué le joug des pouvoirs qui emploient toute leur énergie à les soumettre, à les réduire à l’état de servitude depuis des siècles, au regard de la fresque historique dessiné par La Boétie de leur misère chronique. Et la terre politique aurait changé de visage et les peuples seraient devenus plus libres, plus autonomes, plus éclairés et plus heureux.
Nonobstant ce, et les philosophes sont unanimes sur ce point, le peuple, généralement peu éclairé sur la nature du sens effectif de la liberté, ne sait pas faire un bon usage de sa liberté. Il confond la liberté, qui doit être vécue et expérimentée comme l’indépendance intérieure et la capacité morale à se déterminer en suivant les règles et/ou principes de la raison et de l’intelligence non aliénées par la passion, avec la licence et la liberté naturelle. La première apparaît ou s’expérimente comme la faculté d’agir librement sans aucune contrainte extérieure. Cette sorte de liberté, éprouvée comme sentiment premier ou comme mouvement d’une authentique détermination, a une connotation psychologique plutôt défavorable. Car cette liberté irréfléchie s’apparente à une insubordination, à une insolence, voire à une existence sans règles par rapport à autrui. En ce sens, selon Rousseau, on ne peut vivre sans nuire à autrui, c’est-à-dire sans empiéter sur sa propre liberté. Car la liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut, comme Rousseau le remarque : « quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait ce qui déplaît aux autres »[11].
Quant à la seconde, c’est-à-dire la liberté naturelle, c’est Thomas Hobbes qui a le mieux montré les paradoxes et les limites de celle-ci. En effet, la liberté naturelle désigne l’état premier de l’Homme, sa condition naturelle, c’est-à-dire antérieure et/ou hors de tout état civil. Dans l’état de nature, posé comme hypothèse de pensée politique, Thomas Hobbes montre les misères de l’expression libre des individus. Dans la mesure où chacun se pose comme souverain, seul maître de soi-même et suivant une condition d’égalité et du droit illimité de tous, l’état de nature a pour conséquence la guerre de chaque homme contre tous ses semblables. Ainsi, selon Hobbes, de la défiance entre les êtres humains en cet état de l’expérience de la liberté naturelle, ou l’art de se mesurer constamment aux autres, procède la violence. La violence de l’état de nature est la puissance physique ou mentale, l’habileté déchaînée pour forcer l’autre à l’adhésion. Cette violence est d’autant plus cruelle, aveugle que chacun recherche la plus grande reconnaissance d’autrui. Dès lors, les causes fondamentales de l’agressivité dans l’expression de la liberté naturelle procèdent, selon Hobbes, de la rivalité, de la méfiance, de la fierté. C’est en ce sens qu’il écrit justement : « la première de ces choses fait prendre l’offensive aux hommes en vue de leur profit. La seconde, en vue de leur sécurité. La troisième en vue de leur réputation. Dans le premier cas, ils usent de violence pour se rendre maître de la personne d’autres hommes, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens. Dans le second cas, pour défendre ces choses. Dans le troisième cas, pour des bagatelles, par exemple, pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur, ou quelque autre signe de mésestime, que celle-ci porte directement sur eux-mêmes, ou qu’elle rejaillisse sur eux, étant adressée à leur parenté, à leurs amis, à leur maison, à leur profession, à leur nom […]. C’est pourquoi toutes les conséquences d’un temps de guerre où chacun est l’ennemi de chacun, se retrouvent aussi en un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle les munissent leur propre force ou leur propre ingéniosité »[12].
C’est pourquoi aussi, pourrait-on admettre, au regard des faits, même dans les institutions des démocraties contemporaines, il y a toujours des rémanences de cette forme d’expression de la liberté naturelle : les groupes de pression, à tous les niveaux des structures de l’Etat contemporain, agissent à leur guise et au détriment de la liberté et des intérêts du peuple. C’est ce que je me suis attaché à analyser dans mon To Eskhaton, le triangle de la mort (p.p.338 à 342). Il s’agit de transformer l’ensemble des peuples de la terre en bêtes stupides et décérébrées, par les biais de la télévision, machine à tuer l’exercice de l’esprit, donc à crétiniser les esprits afin de détruire en eux toute forme de pensée originale, des « autoroutes de l’information », et de la puissance américaine. Aussi, on est en droit de se demander si le peuple, quel qu’il soit, n’est pas toujours perdant, quel que soit d’ailleurs le statut juridique de l’Etat sous lequel il vit. Ceci démontre à l’évidence la portée et la solidité de la thèse de La Boétie : soit le peuple use mal lui-même de sa liberté en vertu d’une idée erronée qu’il s’en fait, d’une mauvaise compréhension de celle-ci, soit on la lui usurpe tout simplement, soit on juge qu’il en est indigne et, donc, on s’emploie à la lui dénier.
Hélas ! Tel est le triste sort de l’Humanité. Mais pour ceux qui gravitent autour des Gollums de la terre, il suffit et il importe de se faire bien voir par les maîtres, de les flatter, de les aduler ou de les vénérer en vue de se maintenir à un poste doré, (ministère, haute fonction de l’Etat ou autres fonctions politiques) ; quitte à le faire contre ses propres principes moraux, son honneur. D’ailleurs, quel que soit le bord politique auquel ces pauvres êtres appartiennent, au fond, ils sont interchangeables par la teneur, en apparence humaniste, ou la férocité haineuse de leur discours ; par la bassesse et la servilité de leur âme à se soumettre à la volonté de leurs maîtres, bref à être des valets du pouvoir.
Enfin, la propriété du pouvoir, ou phénomène mystérieux de l’ombre, contient en soi-même, comme un attribut essentiel, la solitude radicale. Celle-ci est rédhibitoire et les Gollums de la terre ne peuvent guère en être sauvés malgré tous leurs efforts. Tel a été le sort de Sméagol-Gollum lui-même, selon Tolkien : « il possédait un trésor secret qui lui était échu il y avait très très longtemps, alors qu’il vivait encore à la lumière : un anneau d’or qui rendait invisible celui qui le portait. C’était l’unique objet de son amour, son « trésor », et il lui parlait, même quand l’objet n’était pas avec lui. Car il le gardait caché en sûreté dans un trou de son île… » (p.34). Ces remarques montrent, de façon manifeste, le solipsisme douloureux qu’entraîne l’accès au pouvoir. Il sème en soi-même le silence et autour de soi l’obscurité mortelle. En outre, comme ces Gollums de la terre sont possédés par un autre phénomène qu’ils ne maîtrisent pas, les hommes du pouvoir, en général, témoignent d’une faiblesse et d’une fragilité psychologique non aisément décelable. D’où la dimension ténébreuse de leur raison aliénée. En fait, tous les Gollums de la terre voient leur tâche de domination sur les autres facilitée, d’une part, par la surdimension initiale de leur ego tout entier emporté par le vouloir frénétique, ascendant, envahissant ; d’autre part, par la faiblesse, la lâcheté, la sottise même d’une masse amorphe en face d’eux : une masse ignorante de gens sans orientation précise, sans raison éclairée, bref sans objet précis du vouloir. Les élites politiques de tout pays voudraient que les citoyens n’aient plus l’usage de leur raison pour penser, réfléchir et exercer leur esprit critique de sorte que leur domination sur eux soit totale autant que faire se peut. Elles aimeraient que chacun d’entre les citoyens transforme son cerveau en un appareil enregistreur des informations fausses, déguisées (nous sommes au sommet des oxymores en ce début du XXIe siècle) qu’elles distillent à son intention du haut de leurs palais sinistres. Le mieux serait même qu’il ait une conscience de poisson rouge, n’ayant, d’après les biologistes, que trois secondes d’ « état de conscience » ; qu’il soit une sorte d’être neurovégétatif tout entier enfermé dans l’illusoire contentement de la consommation déréglée. En ce sens, il n’est point exagéré de parler de dictature démocratique à l’œuvre dans de nombreux pays de la terre. Pire, les démocraties contemporaines sont devenues des Firmes qui paient la formation des futures élites pour mieux les formater dans la technique de l’exploitation des peuples, troupeaux aveugles. Elles les encouragent à s’endetter pour mieux les contrôler, voire aliéner leur liberté de penser, de révolte, de mouvement. Et ces gigantesques Firmes (Etats) sont entre les mains complices des élites politiques et économico-financières.
C’est cet idéal secret de la domination des peuples que les élites politiques et économiques américaines contemporaines semblent avoir bien compris, puisqu’elles ont décidé[13] de manipuler leurs peuples à leur guise. C’est en ce sens que le plus grand intellectuel résistant de nos jours à cette élite, laquelle exploite de façon éhontée le peuple américain, ne les épargne pas de ses critiques acerbes. En effet, d’après Noam Chomsky, les élites politiques et économiques américaines ont adopté la thèse du politologue Walter Lippmann selon laquelle « le peuple est un troupeau égaré, bien trop émotif, incapable de s’occuper de ses propres affaires, et qui doit être encadré, contrôlé et conduit par une avant-garde, une élite de décideurs éclairés. Les gens doivent être détournés vers des buts inoffensifs. Il faut les noyer, les assommer sous une masse d’informations qui ne leur laisse pas le temps de réfléchir. Il faut les persuader qu’ils sont incapables de provoquer des changements, il faut les convaincre que de la révolte entraîne toujours le pire, il faut les faire voter de temps à autre, leur donner l’illusion de décider, l’illusion nécessaire. » (In « Le Canard Enchaîné » – mercredi 26 novembre 2008). En réalité, toutes les élites politiques de la majeure partie des pays du monde agissent de la même manière vis-à-vis de leurs peuples respectifs : à savoir le mépris à leur égard, l’art de les tromper, de les abuser, bref de les traiter comme des enfants et/ou comme des êtres immatures. La démagogie tient souvent lieu de programme de gouvernement. Comme elles sont de connivence avec les élites économiques et financières, les suppôts de l’industrie financière internationale, elles en viennent à n’être plus qu’au service de celles-ci, à travailler et à décider pour elles, à faire des lois dans le sens de leurs intérêts respectifs.
Les possédants de l’Industrie Financière (Banquiers et autres investisseurs amoraux) sont eux-mêmes doublement aliénés par le pouvoir de l’Anneau, comme des valets de Sauron. D’une part, ils jouissent infiniment de la fiévreuse puissance incontrôlée qu’ils exercent sur les pouvoirs politiques et leurs représentants. Désormais, en s’appropriant ainsi la destinée des hommes et de la terre, qu’on le veuille ou non, ils sont tout entiers possédés par la logique de la fin du monde et/ou d’un cycle de la vie humaine sur terre. Les hommes politiques sont devenus les pasteurs d’un troupeau de leur bétail qu’ils ont réussi à parquer, pour reprendre les expressions de Kant, dans des bergeries qu’on appelle Etats. Aussi, les agitations de ces pauvres créatures devant leurs peuples respectifs n’ont aucune incidence sur la logique mortifère et destructrice des serviteurs de ce qu’il conviendrait d’appeler désormais l’Eglise de la Finance Internationale. Elle prône la mort de l’Homme[14] et elle nous enchante tous. D’autre part, ils sont eux-mêmes totalement soumis au pouvoir de cette Eglise de la mort. Quoiqu’ils fassent, n’ayant plus de recul critique, ils sont tout entier voués au culte de l’argent et/ou du Veau d’or. Car la recherche de l’argent par et pour l’argent ou ce qu’Aristote appelle la « chrématistique » est la pire des malédictions qui ait pu jamais arriver à l’Humanité. En effet, dans ses Politiques, Aristote, avec raison, affirme que la chrématistique « semble concerner la monnaie, car la monnaie est principe et fin de l’échange. Et cette richesse qui vient de la chrématistique ainsi comprise, est sans limite… Ceux qui pratiquent la chrématistique augmentent sans limite leurs avoirs en argent ». Certes, même si « les gens cherchent ce qui produit cet excès qui donne la puissance», il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une perversion de l’habilité humaine qui a pour effet de les rendre aveugles par rapport à ce qui relève encore de cette humanité en eux. Cette catégorie d’êtres humains s’engage dans une entreprise où elle « perd sa vie à la gagner». En effet, remarque Aristote, «la raison de cette attitude, c’est qu’on fait effort pour vivre et non pour mener une vie heureuse, et comme le désir de vivre n’a pas de limite, les moyens eux aussi on les désire sans limites »[15].
Donc, qu’il s’agisse des Gollums d’hier ou de ceux d’aujourd’hui, le problème est toujours le même : briser les reins à leurs peuples en les abrutissant par le travail. Il faut les empêcher de penser et de prendre ainsi conscience de la manière dont ils sont trompés par les pouvoirs politiques, qui n’ont aucun respect d’eux. Que chacun s’examine et réponde à la question suivante, s’il n’est pas d’accord avec une telle thèse : entre les Régimes de la noblesse, qui avaient réduit la majorité des peuples européens au servage pendant des siècles, comme ceux des Tsars de Russie où les moujiks et autres serfs étaient humiliés par l’aristocratie des Russes blancs, et les peuples d’aujourd’hui, qui se croient plus libres et plus heureux que les gens d’autrefois –ce qui est une apparence trompeuse et une vile illusion- sous les fameux régimes démocratiques, y a-t-il réellement une vraie différence ? La bourgeoisie, l’oligarchie économico-industrielle et financière ne continuent-elles pas à exploiter de façon éhontée les peuples d’en bas ? L’exemple suivant, concernant le cas des paysans français depuis des siècles, prouvera mieux le sens de mes analyses présentes que tous les discours du monde. En effet, dans un ouvrage imprimé à Lyon, Canton de Saint-Seine L’Abbaye, Trouhaut son Prieuré, Fromenteau sa chapelle Saint Eloi[16], Jacques Delferrière s’attache à démontrer la grande misère des paysans français depuis les années 800 jusqu’au XVIII e siècle. Ils étaient écrasés par des impôts de toutes sortes qui les contraignaient très souvent à vendre aux seigneurs locaux tous leurs biens en mettant en péril leur propre survie et celle de leurs familles. Ils étaient ainsi condamnés à la famine chronique. Quelques exemples d’impôts suffisent à montrer comment la majorité de la population de ce pays a dû plier l’échine devant le pouvoir de prévarication de quelques individus, seigneurs, bourgeois, propriétaires etc. Selon lui, toutes les obligations énumérées ci-dessous étaient très dures les unes autant que les autres : «les Banalités sont des exploitations techniques que le seigneur met à disposition contre espèces sonnantes et trébuchantes
La Capitation ou taxe par tête
Le Cens Censive, soit la redevance annuelle et perpétuelle due par celui qui possède la propriété d’un fond à celui qui possède la propriété éminente, c’est-à-dire le seigneur [le Seigneur étant un individu qui possède terres et personnel sur lesquels il a une autorité considérable]
Le Champart ou Tierce, une partie de la récolte des paysans revenant au seigneur
La Clôture ou enclosure a été instituée en 1770 par un édit royal et qui permit l’enclosure des terres, des sols qui, en jachère reçurent la culture de légumineuses ; ce qui excluait les animaux des gens pauvres qui devinrent encore plus pauvres. Cet édit causa des troubles importants
La Cornerie ou droit sur le bétail du paysan
Les Corvées : le Sr fait payer sa protection par des corvées en nature, puis par des redevances ; la taille les aides, le cens et le champart
La Dîme impose qu’un 1 / l0éme des récoltes revienne au seigneur
La Gerberie est une prestation en gerbes
La Main morte ou l’impossibilité pour un individu de transmettre son héritage, et le droit du seigneur de s’emparer de la succession
La Prébende ou la part des revenus d’une mense capitulaire affectée à un chanoine
La Taille ou impôt prélevé par le seigneur sur les ressources et les hommes » etc.
A près avoir payé tous ces impôts sur le fruit de son travail quotidien au seigneur ou au représentant de l’église, qui était aussi une sorte de seigneur, que reste-t-il au paysan français pour vivre, je vous le demande ? Toutefois, est-on en meilleure posture, aujourd’hui, au regard des divers impôts dont les petites gens, les classes moyennes doivent encore s’acquitter pour financer les charges, c’est-à-dire le luxe et la volupté des hommes politiques qui sont supposés conduire le destin des peuples ?
A présent, si l’on prend en compte les relations entre les pays du Sud et ceux du Nord, depuis 1492, qu’est-ce qui a bien pu changer dans la voracité d’une minorité de l’humanité à jouir de la plus grande partie des richesses de notre commune terre ? Qui peut prétendre que les pays du Sud tirent profit des biens qu’ils produisent ? Leurs peuples ne sont-ils pas toujours regardés, au-delà des beaux discours mensongers, comme des esclaves qui produisent des richesses pour engraisser une minorité de possédants et/ou de maîtres au Nord et ailleurs ? Telle est l’analyse de H.W.H. Okoth-Ogendo, professeur de droit kényan à laquelle se réfère un article du « Canard enchaîné » (mercredi 23 décembre 2009) : « Les ressources du Sud sont fondamentales au développement du Nord. Et la manière d’accéder à ces ressources et de les contrôler devient cruciale pour le Nord. C’est là que le combat s’est toujours déroulé, et ce durant des siècles, et cela continue. Surtout en ce qui concerne les ressources minières. Regardez autour de vous. Pourquoi la guerre d’Angola a-t-elle été si longue ? Ou celle du Congo ? Pourquoi ne sommes-nous pas intéressés par ce qui se passe en Somalie ? Car il n’y a rien à exproprier là-bas. Mais il y a des choses à exproprier au Soudan, au Congo, en Angola et dans d’autres pays. Donc les guerres de ressources vont continuer » sauf si les peuples africains subsahariens (jeunes et femmes en particulier) se réveillent de leur état de sommeil séculaire et prennent conscience de leur liberté, de leur statut de seuls propriétaires des biens de leur continent ; voire de leur exigence de bonheur hic et nunc. Il est expédient et il est temps que ces peuples sortent, enfin, de leur douce inertie dans laquelle plusieurs décennies de boniments politico-économiques les ont plongés (« on va vous aider à vous développer à notre image », discours dans lequel le mot « aider » est un pur mensonge ; ou alors il faut vraiment ignorer la nature humaine, par essence, égoïste, pire, égolâtre, pour y accorder quelque crédit). Autrement, on se posera toujours la question suivante : quand la sueur des Africains cessera-t-elle de nourrir l’économie des puissances occidentales ? Deux à quatre cents milliards de dollars qui, chaque année, vont des pays du Sud vers l’économie des pays du Nord, cela est évident, c’est la ruine des économies des pays du Sud.
En fait, il n’y a rien de nouveau sous le ciel. Ainsi, au XIXe siècle, l’ensemble des industriels et des possédants rêvait d’éreinter les peuples (ouvriers) à la tâche. Mieux, comme Paul Lafargue l’a si bien démontré, cette élite politico-industrielle, cette vermine voulait que le petit peuple travaille jusqu’à l’épuisement total de ses forces vives pour l’enrichir ; et qu’au terme de la vie active, il soit prêt à terminer dans une tombe ; ce qui est un double gain pour elle : elle se sera enrichie en suçant l’énergie vitale des ouvriers dans les mines et les usines et elle n’aura rien à payer comme pension et/ou temps de retraite. Les politiques de cette époque, dont le fameux Napoléon 1er, se sont empressés de satisfaire aux exigences de cette vermine véreuse en décrétant des lois en ce sens : ne pas laisser de répit au petit peuple, même le dimanche, pour se reposer et réparer ses forces de travail, avoir une vie de famille, des loisirs etc., sous prétexte qu’il s’agit de son propre bien : le fait de ne pas sombrer dans les vices, alors que ceux qui y vivent en permanence sont les politiques eux-mêmes, qui connaissent le plus de temps libre possible. C’est en ce sens que Paul Lafargue rapporte les propos suivants de Napoléon 1er, qui désirait tuer le peuple à la tâche : « plus mes peuples travailleront, moins il y aura de vices, écrivait d’Osterode, le 5 mai 1807, Napoléon. Je suis l’autorité (…) et je serais disposé à ordonner que le dimanche, passé l’heure des offices, les boutiques fussent ouvertes et les ouvriers rendus à leur travail »[17]. Or, Paul Lafargue prône avec vigueur et courage Le droit à la paresse qui signifie la fin des conditions des travaux forcés dans lesquelles l’on condamnait les ouvriers, c’est-à-dire les femmes, les enfants et leurs pères aux labeurs de 12 à 14 heures par jour. C’est l’avènement d’un temps où ces êtres humains pourraient vivre leur condition d’humains en s’adonnant aux loisirs, aux plaisirs de la chair etc. Malheureusement, même de nos jours, dans les systèmes des démocraties contemporaines, rien n’a véritablement changé par rapport à hier, dans cette même volonté des politiques d’anéantir leurs peuples. Ce faisant et sur ce point précis, les élites politiques oublient très vite, une fois élues, ceux qui, parmi le peuple, les ont faits rois, l’espace d’une mandature. Telle est la tragédie de la politique moderne et contemporaine. Ce n’est plus le pouvoir de la majorité dans les démocraties contemporaines, mais bien celui de la minorité exécutive et oligarchique qui conduit le destin des peuples, avec leur consentement implicite ».
« C) Le pouvoir exécutif comme symbole de l’Etat monstrueux et mythomane
On comprend alors la charge d’un philosophe, comme Nietzsche, contre l’Etat moderne. Celui-ci lui apparaît comme un monstre qui prend plaisir à broyer les individus et les peuples qu’il a réussi à prendre dans ses serres. En fait, et pour marquer un léger désaccord avec la thèse de Nietzsche ici, ce n’est pas l’institution elle-même qui est cause des malheurs des peuples ; c’est bien plus ses acteurs, les élites détentrices des rênes du pouvoir politique (l’exécutif, notamment). Elles sont davantage en cause dans la détérioration des rapports entre les peuples supposés souverains et les agents qui prennent possession de toutes les structures de la puissance publique, notamment les instances exécutive, législative avec une tentation continue d’influencer le déroulement du judiciaire. Nietzsche confond volontairement ces diverses structures en un tout qu’est l’Etat pour insister sur la perte des libertés publiques (peuples et individus) sous la gouverne ou dans l’empire de ce monstre. Dans le paragraphe « De la nouvelle idole», du Zarathoustra, il écrit en effet : « Etat ? Qu’est-ce que cela ? Allons ! Ouvrez les oreilles, car maintenant je vais vous parler de la mort des peuples.
Etat est le nom du plus froid de tous les monstres glacés. Il ment d’ailleurs froidement, et ce mensonge sort de sa bouche : « Moi, l’Etat, je suis le peuple ».
Mensonge ! Ils étaient créateurs de ceux qui créèrent les peuples et suspendirent au-dessus d’eux une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie.
Ce sont des destructeurs, ceux qui posent des pièges au grand nombre et les nomment Etat : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent convoitises.
La où il y a encore un peuple, il ne comprend pas l’Etat et le hait comme le mauvais œil, comme un péché contre les coutumes et le droit.
Je vous donne ce signe : chaque peuple parle sa langue du bien et du mal : le voisin ne la comprend pas. Il s’est inventé sa langue en coutume et en droit.
Mais l’Etat ment[18] dans toutes les langues du bien et du mal ; et quoi qu’il dise, il ment-et quoiqu’il ait, il l’a volé.
Tout est faux en lui : il mord avec des dents volées, le chien hargneux. Même ses entrailles sont fausses. […] Beaucoup d’hommes viennent au monde : l’Etat fut inventé par les superflus !
Voyez donc comme il les attire, ceux qui sont de trop ! Voyez comme il les avale et les mâche et les rumine »[19]. Cette citation de Nietzsche appelle deux remarques : d’une part, l’auteur rappelle, après tous les philosophes penseurs du droit et de la politique, que la réalité substantielle et fondatrice de l’Humanité est le peuple. Il est toujours premier et déjà là avant la construction de cet artifice de la raison qu’on appelle Etat. Le peuple est l’essence de toute société civile et source de tout pouvoir. Les politiques sont donc inessentiels, voire des êtres parasites qui vivent continûment aux dépens de la société civile. C’est en ce sens que Nietzsche affirme, à juste titre, que « l’Etat a été inventé pour les superflus », ces derniers étant les politiciens. D’autre part, il est dans la nature même des hommes politiques d’être incapables de dire la moindre vérité, comme l’écrit Nietzsche : « l’Etat ment dans toutes les langues du bien et du mal ; et quoi qu’il dise, il ment-et quoiqu’il ait, il l’a volé ». Dans la bouche des hommes politiques, la vérité est un péché par rapport à la démagogie. Il suffit de parcourir d’un regard toutes les nations du monde : on s’aperçoit que leurs élites s’adonnent, de façon éhontée, à l’art du mensonge et de la tromperie du peuple. C’est ce qui fait dire à un auteur[20] que l’un des projets des sociétés contemporaines n’est rien d’autre que « celui de la croissance exponentielle de la « corruption » de la Parole (au sens premier d’altération par décomposition) au sein du corps social selon le degré de « pouvoir » de ses membres […] ; et de l’incroyable aveuglement de ces deniers, toujours prompts à adresser, en retour, aux victimes de leurs violations de vertueux appels à la morale ».
En ce sens, la parole du politique est corrompue en ce sens qu’il s’emploie à dire aussi systématiquement que possible le contraire de ce qu’il pense. L’art de mentir est chez lui aussi naturel que l’air qu’il respire sans en être conscient. Nonobstant dans certains cas, comme Claude Hagège le montre dans L’homme de paroles, il advient que la parole est une construction de pseudo-réalité pour tromper les peuples, mais en même temps, ou à la fois, un instrument de déconstruction du réel opéré par les hommes politiques. Aussi se pose-t-il les questions suivantes : « d’où peut venir la sollicitude envers la langue, de l’autorité politique appuyant ou relevant l’interrogation savante ? D’où vient que normaliser la langue, réformer son vocabulaire soient des activités politiques ? Le régime soviétique en est encore un exemple frappant, lui qu’on a pu qualifier de « logocratie ». Il convient, en fait, d’analyser en termes linguistiques cette fameuse « langue de bois », définie ici et là comme un style par lequel on s’assure le contrôle de tout, en masquant le réel sous des mots » [21]. Tel est le propre des politiques, essentiellement ceux de l’exécutif, qui conduisent les affaires publiques de leur pays comme bon leur semble. Le mensonge quasi naturel de l’Etat dont parle Nietzsche ici concerne ces derniers.
Ainsi, la politique est devenue, par essence, voilement. Mais ceci s’opère aussi dans les structures massifiées du monde humain. Le voilement est constitutif de l’inessentiel qui caractérise les réalités humaines contemporaines, qu’on s’emploie (j’entends les élites politiques et économico-financières) à abrutir par des espèces d’entités artificielles, en l’occurrence, les formes de la consommation, créées à cette fin. Suivant l’art propre au politique, à savoir le mensonge, le voilement en vient à prendre la dimension d’une déformation systématique des faits. On crée une extension de voile sur les réels humains pour empêcher les gens de voir la nature effective des choses, comme s’il s’agissait de les protéger d’eux-mêmes. Au fond, et en fait, il s’agit de masquer leur aperception afin qu’ils demeurent toujours dans l’opacité totale de la structure fondamentale des phénomènes et des diverses dimensions constitutives de l’espace des données humaines. Le voilement permet au monde des politiques et de leurs complices de l’économie et des finances internationales d’instituer des univers de réalité dans les espaces humains (cultures) qui détériorent la perspicacité de l’apercevoir, autant du particulier que de l’ensemble des communautés humaines ou peuples ; voire mal façonnent à loisir les consciences, au lieu de les conduire à des formes de transcendance respectives. C’est une véritable décentration de la conscience, en même temps que sa perte, que le voilement opère dynamiquement de nos jours, en enjoignant au monde entier d’y prendre place pour son propre bien qui, par-delà le mensonge, signifie sa mort morale, physique, intellectuelle et spirituelle. Il y a donc un profond déséquilibre entre ce que veulent réellement les gens et la supercherie que leurs maîtres leur proposent comme mode de penser et modèle de vie. En effet, par la consommation à outrance-ce monde de l’inessentiel-, ce qui enrichit la minorité politico-économique, ils en viennent à oublier quasiment leur condition d’existants éphémères : ils se croient ainsi immortels par le miroitement flatteur, illusoire que leur renvoient au quotidien les objets de consommation ; et qui les tiennent tout à fait prisonniers de leurs effets trompeurs de surpuissance sous la figure d’êtres immortels.
Le voilement est, en définitive, la dissimulation claire et volontaire, entreprise par ces fameux « maîtres » supposés (mais en fait, ils ne sont même pas maîtres d’eux-mêmes, à plus forte raison d’autrui, si ce n’est par la violence des armes) et dont les conséquences immédiates et/ou présentes et à long terme sont totalement cachées. Ils ôtent aux gens réels la possibilité de connaître la vérité en la leur voilant systématiquement. Cet art du ternissement brille sur la planète d’un éclat qui trompe doublement : d’une part, c’est une apparence de soleil qui éclaire tout en rendant les choses inhérentes à ce réel luminescent obscures ; d’autre part, il ternit la lucidité de la science du plus grand nombre des citoyens du monde, ce qui amène ces derniers à adhérer à ce monde terrifiant de voilement institué, voire instituant. Ainsi, la conscience vit les choses du monde comme si elle était morte, en tant que celles-ci dissimulent, obscurcissent désormais et totalement la réalité et la vérité qui appartiennent à l’art du voilement des élites politiques et de leurs complices des mondes de la finance et de l’économie. Il suffit, pour le prouver ou pour s’en convaincre, de se référer à la chasse à l’homme entreprise par la soi-disant plus grande puissance du monde, en l’occurrence, les Etats-Unis, pour appréhender et, sans doute, emprisonner le fondateur de Wikileaks, Julian Assange. Pour quelle raison lui en veut-on ? En vertu de lien sexuel commis en Suède. Le vrai motif est tout autre, selon « Le Progrès » (mercredi 8 décembre 2010) : « l’ancien pirate informatique qui s’est autoproclamé justicier de l’Internet face aux abus des superpuissances est devenu l’ennemi public n° 1 à Washington depuis le déclenchement du « câblegate », qui désigne la divulgation de câbles diplomatiques par Wikileaks. Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a qualifié de « bonne nouvelle » l’arrestation d’Assange. Hier Wikileaks continuait de diffuser des télégrammes incriminant des personnalités internationales tout en se débattant contre une offensive tous azimuts allant des cybers-attaques en passant par des interdictions de domaines et interdits bancaires ». Une seule personne, dans son droit, contre le monde politique, n’es-ce pas un signe d’aveu de faiblesse ? D’effroi même ?
Si les grandes puissances du monde tremblent devant un seul particulier (cela donne à imaginer le pouvoir extraordinaire de tous les peuples réunis pour reprendre leur pouvoir concédé aux élites sans contrepartie) et voudraient le faire taire, c’est parce qu’il a l’intelligence et le courage de divulguer la vérité. Il ose lever le voilement sur les mensonges qu’elles distillent au quotidien aux peuples crédules pour mieux les informer ; et réellement. Il ose montrer le vrai visage de leur diplomatie, celui du mensonge. Ces puissances ont donc peur que ce particulier, par son action de déchiffrement d’énigmes, de décryptage des mensonges diplomatiques ne parvienne à les exposer à la lumière de la vérité et de la raison. On le sait, comme le Gollum de la légende tolkienne, le ventre caverneux des politiques est fait d’opacité, de ténèbres ; aimant eux-mêmes les ténèbres des entrailles de la terre ou des chapelles ardentes, la lumière de la vérité les rend vulnérables. Leurs yeux sont adaptés aux ténèbres ; et ces enfants de Nyx ne sauraient accepter d’être mis sous le jour qui pourrait les tuer.
On comprend, dès lors, qu’aujourd’hui, en Europe notamment, les citoyens en viennent à désespérer du salut des pays et des peuples par les élites politiques, qui exercent complaisamment un pouvoir toujours vertical. Comme le reconnaît Nietzsche, « là où cesse l’Etat commence l’homme qui n’est pas superflu » (p.48). L’Etat est, ici, considéré comme pouvoir exécutif, qui règne à la fois sur le Législatif et le Judiciaire. Cet « homme », dont parle Nietzsche, peut être considéré soit comme l’ensemble du peuple, soit comme les individus eux-mêmes dont l’existence est une réalité tangible et non pas une idée, un instrument de vote ou de production économique. Sur ce point, on voit émerger la volonté des particuliers à trouver une forme d’autogouvernement, comme palliatif à la défaillance des élites politiques qui gouvernent les pays. Dans leurs initiatives, ils sont aidés par le concept formé à partir des travaux d’Auguste Comte (XIXe siècle), notamment le catéchisme positiviste[22], en l’occurrence, la « sociocratie ». Ce terme se compose de deux racines, latine et grecque : de societas ou société et de kratos ou autorité. La manière dont les citoyens s’approprient et pensent ce concept vise, schématiquement, les finalités suivantes : atteindre, voire réaliser une gouvernance par consentement. En d’autres termes, ils partent de l’idée initiale qui pose que tous les individus jouissent d’une liberté souveraine et qu’ils sont doués de bon sens ou raison. Ils peuvent, s’ils le désirent, arriver à créer des micros sociétés, au pouvoir horizontal, susceptibles de s’organiser suivant des principes clairs et évidents pour tous : gérer leurs affaires par consentement, d’une part, créer des cercles de concertation, d’autre part ; puis, choisir des personnes pour occuper des postes de responsabilité qui seront chargées de confier à chaque membre de l’équipe un travail précis à faire ; enfin, établir un système de double lien qui consiste en une circulation de l’information à tous le niveaux de la hiérarchie ou des responsabilités. Bref, il s’agit d’une organisation sociale fondée sur l’égalité des individus, notamment dans la prise des décisions. En d’autres termes, la sociocratie apparaît comme une gouvernance par consentement. Elle se réfère à un mode de prise de décision et de gouvernement qui permet à une micro société de se comporter comme un organisme vivant capable de s’auto-organiser.
Car les Gollums sont dans leur folie et pensent le moins possible la destinée des peuples, la survie de tous ; même s’ils savent que sans les peuples, les individus concrets, ils ne sauraient non plus exister. Mieux, ils ne seraient rien et leur pouvoir se réduirait à un contentement psychologique ; autant dire vain. Dès lors, il est temps que les peuples de la terre se réveillent et se débarrassent des politiques qui n’agissent pas en adéquation avec leurs aspirations profondes et authentiques. En effet, c’est à eux qu’appartient tout pouvoir réel. Il est temps qu’ils en prennent conscience et fassent cesser les manipulations, la prévarication, le pillage de leurs biens (matériels et spirituels) par une poignée d’êtres humains qu’on nomme élites politiques qui constituent, en réalité, une oligarchie prédatrice à la tête de tout pays.
De telles entreprises citoyennes contemporaines apparaissent d’autant plus nécessaires que, depuis l’attentat du 11 septembre 2001, les Etats du monde ont décidé de rogner les libertés individuelles en faveur d’une supposée sécurité. La sécurité recherchée, désirée et voulue par l’exécutif est devenue, en définitive, la réelle insécurité du citoyen. Car c’est l’intelligence humaine qui crée des artifices en guise de sécurisation ; c’est encore elle qui inventera des ressources incommensurables pour déstabiliser ces mêmes moyens de sécurité. La thématique de l’insécurité est devenue, de nos jours, un sujet majeur de programme politique ; au même titre d’ailleurs que les immigrés. Au nom de l’insécurité, des Etats déclarent et mènent des guerres pernicieuses contre d’autres, pour manifester davantage leur puissance. Au nom de l’insécurité, les polices du monde ne cessent de traquer, de faire la guerre aux individus. Et pour rechercher certains particuliers indélicats, on ne manque pas de recourir aux technologies génétiques. Les individus sont tellement fichés à tout moment, même par des organismes privés, qu’on en vient à réduire au silence les lois qui protègent leur liberté. Ils ne cessent d’être contrôlés au quotidien. Dans les démocraties occidentales, nous sommes tous fichés, parfois à notre insu et/ou de façon obligatoire, par l’établissement d’une pièce d’identité, du passeport biométrique. C’est le triomphe de la molécule génétique ou de l’ADN, des empreintes génétiques. Nous sommes fichés pour nos sympathies envers les plus pauvres, les sans papiers, les sans domicile fixe, pour notre charité chrétienne, pour nos luttes politiques légitimes en vue d’une plus grande justice sociale. Nous, citoyens, sommes devenus tous potentiellement délinquants parce que, au regard de la Constitution française qui en donne le droit absolu, nous avons l’audace de penser. Et les philosophes qui sont censés défendre la cause des citoyens, comme autrefois, se taisent devant cet état de fait. Ils préfèrent même aller manger dans la paume des puissants de ce monde. Ceci est une conduite avilissante, inconcevable même au regard de la grande mission de tout philosophe : défendre tout être humain ainsi menacé dans sa liberté, sa vie, sa sécurité. Car de nos jours, on assiste au règne de l’oppression malicieuse qui a commencé en 2001 : elle signe la fin des libertés individuelles.
Ainsi, l’exécutif, qui est sous le regard perpétuel de Sauron, voudrait avoir, à son tour, chaque citoyen sous le sien afin de l’empêcher d’être libre. Telle était, hier, la nature des régimes politiques fascistes et dictatoriaux (les Nazi en Allemagne, les Communistes de la période de Staline, l’Italie sous Mussolini, l’Espagne sous Franco etc.). La démocratie contemporaine a rendu la surveillance du citoyen plus complexe et perverse, comme le pensait George Orwell, avec le pouvoir de « BIG BROTHER » : cette surveillance contemporaine du citoyen est totale par le truchement des machines (ordinateurs, caméras de surveillance), des hommes (agents secrets publics ou privés, police, gendarmerie et autres cellules secrètes de surveillance) qui épient tous les jours nos gestes, nos conduites, nos liens humains, nos mœurs sexuelles. Où est la liberté pour laquelle les peuples d’antan ont versé tant de sang ? La moindre infraction, le moindre engagement politique anticonformiste nous condamne aujourd’hui. Ce principe majeur de droit ou de raison d’Etat en vient ainsi à créer, dans les esprits des citoyens, la plus grave plaie psychologique, à savoir la peur de l’autre, l’angoisse devant les événements, le sentiment même d’insécurité ; d’où le recours systématique aux fameuses cellules de soutien et/ou d’assistance psychologique, lors des drames de la vie. En somme, on redevient un enfant fondamentalement fragile, parce que son esprit est habité par l’effroi.
Or, dès le XIXe siècle, Nietzsche avait déjà dénoncé les excès des Etats sur cette question. On pourrait même dire que l’on se sentirait plus libre dans la forêt amazonienne que dans un Etat démocratique et/ou dans une ville contemporaine. D’où sa boutade selon laquelle les citoyens ne sont vraiment libres qu’à la seule condition qu’il y ait « aussi peu d’Etat que possible ». Plus précisément, Nietzsche écrit : « on paie la « sécurité générale » beaucoup trop cher à ce prix : et ce qu’il y a de plus dément, c’est qu’en plus on engendre de la sorte le contraire de la sécurité générale, ainsi que notre cher siècle entreprend de le démontrer : comme si cela n’avait jamais été démontré ! Mettre la société à l’abri des voleurs et de l’incendie, la rendre infiniment commode pour les trafics et transports de toutes sortes et transformer l’Etat en une Providence, au bon et au mauvais sens… »[23] paraît « médiocres et nullement indispensables » comme finalité et idéal de société, voire absurdes, parce qu’il n’y a pas de sécurité qui vaille sur cette terre ».
« Quand le temps des comptes est venu pour tâcher de stabiliser la situation économico-financière fragilisée sérieusement et susceptible de durer encore longtemps, à qui demande-t-on de payer la facture ? A la majorité des peuples ; aux pauvres et à la classe moyenne qu’on va pressurer dangereusement. L’élite politique et la classe économico-financière, premières responsables de cet état de choses ne songent guère à baisser leurs salaires, à diminuer leur train de vie par décence pour la partie souffrante de la population. Je vous le demande : qu’est-ce qui a changé par rapport à l’exploitation des paysans du Moyen-âge européen ? Quand les peuples mouraient de faim, sans parler des pathologies innombrables par manque d’hygiène, les cours royales, les demeures bourgeoises, les fortins des classe nobles continuaient à danser de plaisir, à forniquer, à consommer des mets divins, à boire des nectars délicats et fins, à vivre dans l’excès et la démesure. C’est en ce sens que Rousseau fait, à juste titre, une remarque pertinente qui reste encore, de nos jours vraie ; elle prouve ainsi le fait que rien ne change au fond, par-delà les mutations inessentielles et apparentes : « Bien loin qu’un roi fournisse à ses sujets leur subsistance, il ne tire la sienne que d’eux, et selon Rabelais un roi ne vit pas de peu ».[24]
Ainsi, en Europe du Nord, avec la faillite de la Grèce, il est de mise d’accuser les Grecs de tous les maux de la terre. D’abord, les élites des Etats du Nord reprochent aux Grecs, sans nuance aucune, de vivre au-dessus de leurs moyens, d’avoir des salaires trop élevés, d’exercer plusieurs tâches à la fois, de ne pas payer d’impôts et d’avoir un niveau de corruption scandaleux etc. Or, si les salaires des actifs grecs ont considérablement augmenté en quelques décennies, avec l’apport financier des pays du Nord, comme aides au développement économique de la Grèce, cela ne relève guère des Grecs eux-mêmes. Il s’agit davantage de la démagogie des élites politiques qui, pour se faire élire et réélire, n’ont cessé de flatter le peuple avec l’argument d’une augmentation des salaires et des autres prestations sociales. Les unes autant que les autres n’ont pas hésité à faire dans la surenchère. Ensuite, ce sont surtout les élites politiques et économiques de la Grèce qui ont tiré grandement profit de la manne des pays du Nord ; du moins, telle est l’analyse, en général des journaux grecs et étrangers. Enfin, et au regard des mesures drastiques et injustes prises par le gouvernement de Papandréou, pour satisfaire aux diktats des Etats du Nord et du F.M.I, lesquelles pénalisent davantage les petites gens (fonctionnaires et artisans), dès lors, on se demande pourquoi l’exécutif n’a pas demandé aux élites politiques et économiques grecques, qui ont détourné et placé à l’étranger la plus grande partie de cette manne financière européenne, de rembourser ou, plutôt, de rapatrier en Grèce cet argent afin de partager, de façon équitable, l’effort présent de la recherche d’équilibre de l’économie grecque ; et par celle de la réduction des déficits budgétaires. Ces élites coupables sont, en apparence et jusqu’ici, à l’abri de toute réclamation importune.
Il se pourrait que les autres peuples de l’Europe subissent, un jour prochain, un sort similaire à celui des Grecs. Ainsi, pour ne citer qu’un cas parmi les pays riches de l’Europe, les élites politiques françaises ont rejeté vigoureusement la proposition de quelques citoyens en leur demandant de participer aux efforts d’équilibre des déficits de l’Etat. C’était au cours du mois de d’avril- mai 2009, c’est-à-dire à la suite de la dépression financière de 2008. Elles ont protesté sous le fallacieux prétexte qu’elles ne sont point concernées par ce genre de problème universel. Mieux, selon elles, il n’y a pas lieu de poser de poser de telles questions. Quelles idées saugrenues de demander aux hommes politiques de baisser leur salaire, ou de diminuer le train des grands Commis de l’Etat ? Nonobstant ce, ces élites politiques ont à peine consenti, pour calmer les esprits audacieux, de défaire de quelques voitures, de diminuer le nombre des membres de leur cabinet et ministère ; voire d’abuser moins des places de luxe dans les avions et autres moyens de transport communs, de prendre des lignes régulières etc. Mais elles ont catégoriquement refusé qu’on baisse leur salaire ; de même qu’elles viennent de refuser de participer aux efforts de l’équilibre des comptes des retraites dans la réforme arbitraire quel l’exécutif vient d’imposer au pays. En effet, l’amendement N° 249 présenté par M. de Rugy, M. Yves Cochet, M. Mamère et Mme Poursinoff invitait le gouvernement et l’Etat, dans son ensemble, à se montrer solidaires des efforts demandés au peuple français (les salariés essentiellement) pour financier les retraites ; réformes jugées par l’exécutif comme nécessaires, justes et salvatrices. Mais une telle démarche de bon sens et de justice sociale n’a pas abouti. La teneur de cet amendement était la suivante : « Le Gouvernement présente au Parlement, avant le 31 décembre 2010, un rapport établissant la situation des régimes spécifiques de retraite des membres du Gouvernement et des parlementaires et définissant les conditions d’un alignement rapide et effectif de la situation de leurs régimes spécifiques sur le régime général, visant notamment à un encadrement strict des pensions reversées, tant dans leurs possibilités de cumuls que dans leurs montants ». L’exposé sommaire stipule ceci : « nos concitoyens supportent de plus en plus difficilement l’idée selon laquelle leurs élus et représentants bénéficieraient, dans leurs rémunérations comme dans la gestion de leurs droits sociaux, de dispositions dérogatoires du droit commun. Les différents systèmes mis en place pour sécuriser l’exercice de responsabilités politiques demandent à être harmonisés, afin que l’ambition légitime de permettre à chacune et chacun de s’investir dans les affaires publiques ne soit plus perçue comme une tentative de créer ou laisser perdurer des privilèges indus »[25]. Mais, l’Assemblée nationale a rejeté en catimini le 3 septembre 2010 dernier cet amendement. Dès lors, pourquoi les élites politico-économiques de ces pays et de bien d’autres se gêneraient-elles de pressurer leurs peuples pour enrichir la minorité aisée s’il n’y a aucun appel à l’insurrection politique ? A la révolte légitime ? Ou à la rénovation politique en vue de plus de justice, de respect et d’égalité ? Les peuples contemporains ne sont-ils pas paralysés par les discours lénifiants et démagogiques de leurs élites, voire par l’usage de la violence légitime (militaire, police, gendarmerie) de l’exécutif ?
Il sied, ici, de revenir longuement sur les analyses que j’avais déjà faites dans mon ouvrage d’anthropologie politique[26], puisque, au fond, elles se confirment toujours ; du moins, sur le plan de l’agir des hommes politiques contemporains par rapport à leurs peuples respectifs. Elles se montrent aussi indifférentes aux problèmes existentiels de leurs peuples respectifs en les pressurant, comme le viticulteur le fait avec son raisin, par la stagnation des salaires, des retraites, et par la pression des impôts et de toutes sortes de taxes (ces impôts indirects qui n’épargnent personne, pas même les pauvres absolus). Ce faisant, elles épargnent en même temps la richesse, souvent acquise avec l’argent public, la minorité complice de leurs prévarications des biens publics. Or, par définition, tout ce qui est public est le fondement de l’unité social, de l’Etat au sens où les prestations sociales, le traitement des problèmes de santé, comme la prévention et le soin, le souci de l’éducation (l’école, les collèges et lycées, de l’université etc.) relèvent justement de ce bien public et/ou commun à tous sans distinction. Dans cet ouvrage, j’ai montré, en effet, comment l’Etat, cet artifice de la raison humaine, selon Thomas Hobbes, est toujours coûteux pour le peuple.
D’une part, comme Rousseau l’a affirmé, l’existence des rois, des chefs pèse lourdement sur les épaules du peuple dans la mesure où ils vivent aux dépens essentiellement des fruits de son labeur ; du moins, c’est ce qu’il écrit à juste titre : « bien loin qu’un roi fournisse à ses sujets leur subsistance il ne tire la sienne que d’eux, et selon Rabelais un roi ne vit pas de peu. Les sujets donnent donc leur personne à condition qu’on prenne aussi leur bien ? »[27] D’autre part, il a montré également que les peuples ne sont pas naturellement animés par des sentiments d’hostilité les uns à l’égard des autres au point qu’ils seraient continûment dans le besoin d’un chef pour les défendre ou les protéger comme des mineurs. Mieux, dans leur état naturel, ils ne se déclarent pas la guerre mutuellement. Ce sont bien les rois, les chefs (et, aujourd’hui, les élites politiques des Etats républicains) qui sont causes des haines entre et parmi les hommes, des conflits, des folies meurtrières, des massacres, des dévastations d’être humains sur la terre en déclarant la guerre les uns aux autres à laquelle, d’ailleurs, ils s’abstiennent de participer eux-mêmes. C’est en ce sens que Rousseau affirme : « par cela seul que les hommes vivant dans leur primitive indépendance n’ont point entre eux de rapport assez constant pour constituer ni l’état de paix ni l’état de guerre, ils ne sont point naturellement ennemis. C’est le rapport des choses et non des hommes qui constitue la guerre, et l’état de guerre ne pouvant naître des simples relations personnelles, mais seulement des relations réelles, la guerre privée d’homme à homme ne peut exister, ni dans l’état de nature où il n’y a point de propriété constante ni dans l’état social […] La guerre n’est donc point une relation d’homme à homme, mais une relation d’Etat à Etat, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats »[28].
Par ailleurs, la remarque de Rousseau suivant laquelle les rois ou les chefs vivaient aux dépens du peuple, tout en le soumettant à leur bon vouloir, reste toujours valable, malgré les avatars de l’Etat sous sa forme contemporaine. En effet, les élites politiques de notre temps, quelle que soit la forme de gouvernement des pays, en particulier dans les régimes de démocratie libérale, dont on fait tant l’éloge, se comportent, elles aussi, comme des rois. En outre, et en général, elles ne savent s’astreindre à une vie sobre, simple et économe ; bien au contraire, elles ont une propension à vivre de façon faste, coûteuse sur le dos du travail du peuple, et ceci, quels que soient les niveaux des catégories sociales et professionnelles. Certes, les occurrences électives les amènent à se mêler au peuple, l’espace d’une campagne électorale, pour solliciter son suffrage en vue de constituer des majorités de gouvernement. Mais, aussitôt installées au pouvoir, elles s’empressent d’oublier ce même peuple qui les a faits rois, l’espace d’un mandat, et que, le plus souvent, elles méprisent. Pire, elles ne cessent de lui prendre le fruit de son travail sous des formes multiples d’impôts, bradent ses biens patiemment constitués (immobiliers, entreprises d’Etat, terrains etc.) aux privés ou à des chefs d’entreprises amis, sans même consulter son avis. L’on agit ainsi comme si c’est un crime pour le peuple d’être propriétaire de biens publics, d’avoir des intérêts communs ; comme si ce qui est public est nécessairement mal géré, même si la conduite des affaires publiques est assurée par les plus belles et ingénieuses têtes des fils du peuple. Ces ingénieuses personnes sont, certes, formées par ce fameux Etat ; mais leurs frais d’études sont financés par les activités du peuple lui-même.
Et il ne semble pas que les services publics aient toujours et partout donné la preuve de faillite permanente. Bien au contraire, les sociétés d’Etat, malgré la défaillance de quelques employés, qui ont la faiblesse de s’installer confortablement dans une situation sécurisante de travail de fonctionnaire, elles ont même fait montre de stabilité, de rentabilité, de compétitivité au même titre que le secteur privé. En France, il suffit de penser à la débâcle d’un point de vue à la fois financier, de coût exorbitant pour les usagers, autrefois propriétaires de ces biens économiques, des dégradations des conditions de travail pour leurs salariés, réduits aujourd’hui au rang de déchets ou presque, d’instruments de production de richesse pour des privés, des grandes sociétés d’Etat privatisées. Tel est le cas de France Télécom et de la Poste, d’Alcatel, de Gaz et d’électricité de France, de Péchiney, BNP ou le Crédit lyonnais, Thomson, Renault etc. Malgré l’échec de l’Ecole de pensée économique de Chicago (cette niaiserie de l’efficacité supposée de la gestion libérale des ressources, des biens de la terre et des peuples et qui obéit à l’impérialisme des bas instincts de l’être humain et à l’aveuglement de son égoïsme rédhibitoire), l’on continue à croire, sur toute la terre, de façon irrationnelle, que la gestion privée des richesses des nations est la meilleure voie économique. Pourtant, les entreprises privées ou privatisées, devenues apatrides et voraces, ont souvent fait faillite du fait essentiellement de l’avidité des actionnaires : cette engeance de rapaces à la volonté mortifère en raison de leur avidité financière. Cette cécité contemporaine est le fruit des élites politiques qui nous gouvernent et nous manipulent à leur guise.
Dès lors, dans tous les pays du monde contemporain, on assiste à une telle domination du peuple (populace) par la minorité politico-économique financière. Ainsi, aux Etats-Unis, outre les courageuses et pertinentes analyses du plus grand intellectuel engagé de notre temps, en l’occurrence, Noam Chomsky, Michaël Moore a dénoncé dans son dernier film « Capitalism, A Love Story », de manière manifeste, comment les élites politico-économico-financières des Etats-Unis ont réussi à escroquer le peuple américain, avide de consommation, et à provoquer la crise financière, économique et sociale que nous connaissons depuis au moins 2008. Pire encore, comme l’a démontré de son côté, Charles Ferguson, les crises financières, elles-mêmes, sont volontairement suscitées ou créés par la même élite scélérate en tant qu’elles sont sources, par la spéculation financière, de plus d’enrichissement possible de la minorité égoïste, d’une part ; d’autre part, elles sont aussi d’heureuses ou perverses occasions de dépouiller les peuples de leurs économies et de les enfoncer davantage dans la misère abyssale et amorale.
Devant le désastre social inouï, et désespéré en raison de la cécité du peuple, qui consent volontiers à subir davantage cette situation inique qu’à se révolter contre l’état des choses qu’une minorité vorace et amorale lui fait subir, Michaël Moore autant que Charles Ferguson fondaient un espoir immense sur le dépassement de ces faits douloureux par la grâce du changement prochain d’hommes politiques nouveaux aux Etats-Unis, avec l’annonce de l’élection éventuelle de M. Barack Obama. Comme eux, beaucoup d’Américains ont cru en cette nouvelle aurore d’une Amérique états-unienne plus humaine et plus juste, et plus sociale aussi. Hélas ! Espoir déçu. Même si on doit reconnaître à ce dernier Président des réformes majeures, notamment celle de la santé, il n’en demeure pas moins que tout démocrate qu’il est, sur le plan économique et financier, rien ne change. En effet le film de Charles Ferguson, « Inside Job », a montré qu’il a manifestement chargé les mêmes criminels impunis de l’économie américaine, qui ont sévi sous son prédécesseur, George W. Bush, de conduire la même politique économique et financière du pays, comme s’il y avait une impuissance à bouleverser la nature des choses ; ou comme si la Nature avait décidé que cette engeance d’hommes avait pour mission, en dernier ressort, d’acheminer notre monde présent à sa fin dernière. Le statut quo est maintenu, la minorité riche est toujours impunie et le refus de la régulation de l’économie est devenu un dogme politico-religieux. Pire, elle a vite fait de changer de veste pour pouvoir engluer le nouveau chef d’Etat états-unien dans sa toile et/ou son piège, comme si cette engeance d’êtres malfaisants et nuisibles prenait la figure de l’avatar de Kali Yuga ou la fin des temps dans la pensée théologico- philosophique hindoue ».
« Donc, cette dimension du trident des Etats contemporains s’apparente au labyrinthe de Gollum. C’est un monde souterrain où tout ce qui s’y opère, se dit, se fabrique au détriment de peuples doit rester dans le silence et l’ombre de ces lieux. Dans ces grottes ou cavités des profondeurs de la terre, les services secrets, les espionnages de tous genres se livrent tout entiers et à loisir à la mise au point des organons efficaces de la destruction de l’humanité. Et les peuples n’ont pas leur mot à dire dans ce qui se trame concernant le destin commun. Comme autrefois, au cours des fins des mondes humains, ce furent de telles intrigues secrètes, patiemment élaborées par des manœuvres secrètes et aveugles, actes des élites politiques des civilisations antérieures, qui ont signé la mort des hommes. Et puisqu’il est impossible d’obtenir des élites politiques contemporaines quelque transparence sur ces officines, ces cavernes obscures d’où germent continûment tous les maux de l’humanité, les mondes présents cesseront aussi, à l’insu et malgré les peuples ; à moins d’inventer un système de vigilance éthique qui préserve l’intérêt de tous, peuples, particuliers, voire représentants du trident des Etats.
A cette fin, il faut que les peuples s’accordent, malgré la possible hostilité des élites politico-économico-financières, sur la création d’une assemblée planétaire des membres éclairés des peuples qu’on pourrait appeler, par exemple, l’Intelligentsia Unie des Etats (I.U.E). Elle prendrait la figure de ce que le baron d’Holbach, au dix-huitième siècle, a appelé l’ « éthocratie » ou le gouvernement fondé sur la morale. Une telle structure mettrait fin, au niveau de chaque Etat, au règne des dévots de la courtisannerie ; personnages politiques auxquels il vouait un mépris altier, comme il l’écrit à juste titre : « Ne nous parlez plus de l’abnégation des dévots pour la Divinité, l’abnégation véritable est celle d’un courtisan pour son maître ; voyez comme il s’anéantit en sa présence. Il devient une pure machine, ou plutôt il n’est plus rien : il attend de lui son être. » La philosophie des Lumières juge une telle attitude comme la pire servitude et/ou servilité dont l’âme humaine est capable. Les dévots politiques s’humilient jusqu’à perdre leur âme, à dissiper leur être. Pour parvenir à cet état de négation de soi, un travail de longue haleine s’avère nécessaire. Car il n’est pas donné à tout le monde d’être un dévot politique et l’analyse de la personnalité de ce genre d’êtres humains est, hélas, universelle et toujours d’actualité tant qu’il y aura des marionnettes du pouvoir de l’Anneau sanctuarisé. Le philosophe poursuit le portrait des dévots politiques en ces termes : « Et quelle vie de sacrifices permanents : s’éduquer dès son plus jeune âge à vaincre son orgueil et à s’abaisser l’âme. S’attacher à ne jamais avoir d’avis (personnel) pour mieux épouser celui du Prince ; se dresser à ne jamais rien laisser paraître de ses sentiments et des « piqûres » administrées par le maître. »[29]
A l’inverse de ces vils êtres, cette instance éthocratique se composerait des êtres de lumière, indifférents aux attraits de la chose politique et de toutes sortes d’inclination à défendre des intérêts particuliers d’un clan, d’un peuple, d’un Etat, même de celui dont ils sont citoyens, d’une communauté ou d’une famille. C’est en ce sens aussi qu’ils seraient regardés comme des êtres de lumière. Car l’Intelligentsia Unie de Etats devrait proposer une vision du monde qui, tout en prenant appui sur les réalités et les données contemporaines, proposerait, dans les grandes lignes, la physionomie du futur. Il s’agirait, en d’autres termes, de dessiner la stratégie de demain pour l’ensemble des peuples de la terre ; d’autant plus que la bonne et intelligente gestion de celle-ci incombe désormais à toute l’humanité présente et future. Et tel est le sens de la remarquable réflexion d’Antoine de Saint-Exupéry selon laquelle nous n’héritons pas de la terre de nos parents, mais nous l’empruntons à nos enfants.[30] D’ailleurs, dans l’ensemble de son œuvre, ce grand écrivain n’a eu de cesse de prôner une morale du devoir et de l’action fondée sur la croyance en la grandeur éthique de l’être humain ».
[1] Le Prince (Garnier, Paris, 1968)
[2] J.R.R.Tolkien : Le Seigneur des Anneaux, tome I. La communauté de l’Anneau (Edit.Gallimard, Paris 2002, p.103)
[3] Calliclès, disciple de Gorgias, dans l’ouvrage de Platon du même nom, défend la thèse que l’homme de pouvoir doit se livrer à tous les plaisirs sans retenue. Il doit même laisser libre cours à l’épanchement de tous ses désirs et les satisfaire sans exception. Tel est l’heureux sort dévolu aux êtres nobles. Suivant la portée de cette thèse, la tempérance, prônée par Socrate comme la condition du bonheur en ce monde, paraît incongrue par rapport à l’éthique des âmes bien nées. C’est en ce sens qu’il déclare : « Pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne ne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! … Et cela, quand ils sont les maîtres de leur propre cité ? « (Garnier Flammarion, Paris 1967, p.p.237-238)
[4] Ainsi parlait Zarathoustra– Traduit par Marthe Robert- (Coll. « 10-18 », Paris 1972, p.47)
[5] C’est moi qui souligne ce passage pour montrer à quel point le fait d’embrasser la politique comme pouvoir ne laisse pas le cerveau et la conscience indemnes.
[6] Pensées (Garnier Frères, Paris, 1964, p. 160)
[7] Dans son Etat de délire paranoïaque et/ou d’ensorcellement du pouvoir de Sauron, cet éminent résistant au Parti unique de Félix Houphouët-Boigny, qu’il a farouchement combattu, donne raison, après deux mandats présidentiels, à Jacques Chirac. En effet, en 1990, au cours d’un voyage qu’il effectua en Côte d’Ivoire, Jacques Chirac, à l’époque maire de Paris, fit une déclaration fracassante en en affirmant que « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ». Il voulait ainsi faire plaisir à son bienfaiteur, Félix Houphouët-Boigny, qui ne voulait pas entendre parler de multipartisme pour cette même raison. Cette thèse injuste et complaisante fit bondir tous les intellectuels africains parmi lesquels figurait précisément Laurent Gbagbo, alors en pleine lutte pour obtenir l’avènement d’une vraie démocratie et sa cohorte de multi partis politiques. Ce faisant, ayant accédé au pouvoir politique, sa conduite par rapport au désir intense de garder le pouvoir est similaire à celui de Houphouët-Boigny.
[8] C’est moi qui souligne cette phrase pour montrer le calvaire de ces êtres possédés par le pouvoir de l’Anneau sans lequel ils n’ont plus d’existence qui vaille, qui ait un sens fondamental.
[9] George Orwell : 1984– trad. De l’anglais par Amélie Audiberti- (Gallimard, coll. « Folio », Paris 1997, p.p. 373-374)
[10] Ce que Hitler a fait par rapport aux Juifs, homosexuels, Tziganes, Noirs, infirmes physique et mentaux Staline a agi de manière pire que le précédent monstre par rapport aux Ukrainiens dans les années 1930. En effet, la revue « L’Histoire » a consacré un numéro spécial à cette tentative d’extermination des Ukrainiens par Staline. Ce que les Ukrainiens célèbrent tous les ans sous le nom de « Holodomor » est considéré comme l’équivalent, chez les Juifs, de la Shoah. Il s’agit du génocide de tout un peuple par la famine. Du moins, c’est ce rapporte ce numéro de « L’Histoire » : « il a fallu la chute de l’Union soviétique pour que la mémoire de six millions d’Ukrainiens morts de la famine organisée par Staline en 1932-33 soit enfin reconnue dans l’espace post-soviétique. Aujourd’hui toute la lumière est faite sur cette tragédie : le pouvoir soviétique a donné les ordres pour procéder à l’extermination programmée et systématique des Ukrainiens en tant que peuple… Ce crime contre l’humanité est reconnu par toutes les grandes nations démocratiques et les instances internationales. Le sénat français parle de « l’un des crimes les plus effroyables du XXe siècle commis par un gouvernement contre sa population ». (N° de mars 2006, éditions de Didro, p. 32)
[11] Lettres écrites de la montagne, VIII, « L’intégrale » (Seuil, Paris, 1971, p. 467)
[12] Léviathan –Trad. François Tricaud- (Sirey, Paris 1971, p.122 sq)
[13] Une telle réalité renvoie aux pires heures des gouvernements républicains, notamment la période (double mandat de huit ans) de Georges W. Bush.
[14] Telle a été la problématique que j’ai analysée et défendue dans To Eskhaton, le triangle de la mort (Thot, Grenoble, 2000)
[15] Les Politiques, I, 9, (Garnier Flammarion, Paris 1990, p.p. 118-119)
[16] ( Atelier Recto Verso, Lyon , 2009)
[17] Le droit à la paresse (Le temps des Cerises, Paris, 1996, p.48)
[18] Tous les peuples de la terre devraient obliger leurs politiques à inscrire, dans les Constitutions des pays, le mensonge politique comme un parjure contre la morale publique (politique) et, comme tel, condamné le menteur à la prison ou à des travaux d’utilité publique. Mieux encore, la personne en question serait définitivement interdite de se présenter aux élections, quelles qu’elles soient.
[19] UGE, coll. « 10-18 », Paris, 1972, p.46
[20] Yves Ardaillon : L’enfoiré, celui qu’on n’attendait pas (Texte inédit)
[21] Fayard 1985, Paris, p.201-202
[22] (Paris, Garnier-Flammarion, 1966, 315 pages)- Chronologie, introduction et notes par Pierre Arnaud
[23] Aurore (Idées/Gallimard, Paris, 970, p.186 §179)
[24] Du contrat social, livre I, chapitre IV, Garnier-Flammarion, Paris 1966, p.45 ;
[25] Documents parlementaires « Amendements », Assemblée Nationale, 3 septembre 2010, « AMENDEMENT N° 249 Rect ».
[26] Pierre BAMONY : Des pouvoirs réels du sorcier africain- Forces surnaturelles et autorités socio-politiques chez les Lyéla du Burkina Faso- (L’Harmattan, coll. « Etudes africaines », Paris, 2009)
[27] Du Contrat social, livre I, chapitre IV (Garnier Flammarion, Paris, 1966, p.45)
[28] (Ibidem pp.46-47)
[29] Essai sur l’art de ramper à l’usage des courtisans (Allia, Paris 2010)
[30] Antoine de Saint-Exupéry : Terre des hommes (Gallimard, Paris 1972)