Collégiale Notre-Dame d’Espérance de Montbrison
Rapport du stage de la Formation à la recherche en Afrique noire (Fran) à Roche en Forez (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, fin avril-début mai 1981)
« L’impact de la religion chrétienne sur la vie de la population de Roche, de Saint-Bonnet le Courreau et de Sauvain »
Le manque d’élaboration d’un projet précis de recherche sur le terrain, depuis Paris, a créé à tous les stagiaires quelques difficultés sur le choix d’un sujet. Certes, s’agit-il du projet même de la FRAN (Formation à la recherché en Afrique noire), à savoir justement ne pas avoir au préalable de projet de recherche ? Car, avant le stage, c’est-à-dire depuis l’arrêt de la date du depart de Paris, nous avions maintes fois insisté sur la nécessité de réfléchir sur un projet d’ensemble qui ferait déjà émerger des intérêts et/ou objets personnels d’enquête et, s’il y avait lieu, qui conduirait à des investigations bibliographiques. Cette idée n’a pas été retenue dans la mesure où il semble que, au cours des années precedents, une telle expérience avait déjà été tentée, mais elle n’avait pas, pour autant, donné lieu à des résultats spectaculaires.
Il a fallu donc, le soir même de notre arrivée à Roche en Forez, voire le lendemain matin, que nous réfléchissions ensemble, c’est-à-dire l’ensemble des stagiaires, sur un projet d’étude. Toutefois, celui-ci n’a pas été trouvé ; tel est, du moins, notre sentiment à ce propos. Dès lors, des groupes se sont constitués pour réfléchir sur des aspects de la vie de la population qui nous avait accueilli. C’est ainsi que, au départ, nous étions deux à nous intéresser au problème religieux. Cependant, en cours d’élaboration de notre projet, un autre intérêt naquit qui préoccupa notre collègue : il s’agit de la vie politique de la population de Roche ou, plus exactement, des diverses influences qui la régissent, la dominent ou l’animent. C’est pourquoi, il nous a fallu mener seul ou, parfois avec notre collègue, des enquêtes sur ce que nous avons jugé digne d’intérêt personnel, en l’occurrence la place de la religion dans la vie de cette population.
Comment avons-nous procédé ?
Nous avons conduit trois types d’enquête : d’abord, auprès de trois curés : celui de Saint-Bonnet le Courreau, de Roche en Forez et de Chalmazel ; ensuite auprès d’un groupe de jeunes de Sauvain et de quelques adultes ; enfin, nous avons eu des contacts réguliers avec certains habitants de Roche en Forez dont deux dames qui enseignent le cathéchisme à l’école primaire publique du village. Nous nous sommes renseigné afin de savoir s’il était possible d’obtenir des documents sur l’évolution religieuse dans la region de Montbrison. Les curés, notamment, nous ont conseillé d’aller voir à la D.l.A.N.A. (?), une revue qui n’existerait plus, semblet-il ; ou consulter des archives à la bibliothèque de la paroisse de Montbrison.
Malheureusement, nous n’avons pu nous y rendre faute de véhicule disponible. Nous nous sommes alors contenté de consulter le livre d’Antoine Lugnier qu’une dame a bien voulu mettre à notre disposition durant le stage. Cet ouvrage porte le titre suivant : Cinq siècles de vie paysanne à Roche en Forez Loire -1440-1940- (imprimerie Dumas, Saint Etienne, 1962). Par souci d’objectivité ou de vérité, nous avions l’intention de mettre en parallèle les informations obtenues à la suite de nos enquêtes avec ce que l’on a pu écrire sur la vie religieuse dans cette région autour de Montbrison, d’une part ; d’autre part, nous pensions que nous ne pouvions obtenir de plus amples renseignements sur la pratique religieuse dans un passé récent qu’à travers des docuuents traitant de ce fait.
Nous nous sommes arrêté à Lyon, au terme de nos enquêtes locales, afin de prendre contact avec le chanoine Elisée Tarit, missionnaire dans le diocèse de Lyon. A Sauvain, village dont il est originaire, on nous a beaucoup parlé de lui et on nous a affirmé qu’il était en mesure de satisfaire notre curiosité quant au sujet qui nous préoccupait. Certes, s’il nous a été aisé d’aller le voir, en revanche, il ne nous a pas apporté beaucoup de renseignements intéressants. Il était plutôt soucieux de nous montrer ce qu’il a fait pour Sauvain et sa participation active à la vie de ce village.
Eglise de Roche en Forez
Pour enquêter auprès des curés, nous disposions d’un questionnaire que nous avions élaboré deux jours après notre arrivée à Roche, c’est-à-dire à la suite du choix et de l’orientation de notre sujet. Quant aux autres enquêtes, nous avions instauré une liberté de conversation au cours de laquelle nous posions de temps à autre des questions pour éviter la dispersion. Nous devons souligner, avec insistence, que nos enquêtés et/ou interlocuteurs ont été très accueillants et très empathiques à notre égard. La majorité d’entre eux nous a manifesté sa gentillesse et sa sympathie en nous servant même à boire à la fin de nos échanges. Ils répondaient à côté de nos questions quand ils les jugeaient soit trop impertinentes, soit difficiles pour eux, soit quelque peu indiscrètes.
Pour terminer cette partie introductive, disons qu’il n’y a qu’une seule branche de la religion chrétienne qui s’est solidement implantée dans cette zone du Forez : la branche catholique. On a signalé l’existence, autrefois, de quelques protestants. Mais nos interlocuteurs n’ont pas été en mesure de nous donner des dates quand il s’agit de références historiques. Néanmoins, aujourd’hui, il serait difficile de trouver des protestants sur ces plateaux.
Précisons, en passant, que le choix personnel de ce thème s’inscrit dans le cadre de nos investigations ultérieures en Afrique subsaharienne, plus précisément en Haute Volta. Certes, il ne s’agit pas de la même religion ; mais la pratique religieuse a, si nous osons cette comparaison, en son fond, des aspects semblables, notamment l’aspect communautaire, voire celui de l’influence sociale, comme nous allons le montrer dans le présent rapport.
Nous avons organisé nos enquêtes de la manière suivante :
1- La pratique religieuse d’antan telle qu’elle est perçue aujourd’hui
2- Les causes de la baisse de la pratique religieuse de nos jours
3- La foi et la pratique religieuses telles qu’elles sont vécues à présent
4- L’amorce d’un déclin.
Eglise de Saint-Bonnet-le-Courreau
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La pratique religieuse d’antan telle qu’elle est perçue aujourd’hui
Ce qui va suivre concerne les paroisses suivantes : Roche en Forez (320 habitants), Lérigneux, Essertines en Châtelneuf, Châtelneuf : ce sont des paroisses désservies par le curé de Roche ; du moins, son presbytère est à Roche depuis quelques années. Saint-Bonnet le Courreau (1000 habitants environ) a un curé. En revanche, le curé de Sauvain (500 habitants.) déssert les paroisses de Chalmazel (730 habitants)et de Jeansagnère (120 habitants).
Les avis sont unanimes, qu’il s’agisse de ceux des prêtres ou de ceux des laïcs, pour admettre que la pratique religieuse, autrefois, concernait tout le monde. Comment se vivait cette pratique religieuse ? Il s’agit de l’assiduité dominicale, voire quotidienne à la messe, de la prière qui était quasi permanente le jour comme une bonne partie de la nuit, c’est-à-dire jusqu’à l’heure où l’on se couche. Il s’agit également de la pratique des sacrements suivants : la confession ou sacrement de pénitence, le baptême, la communion, la confirmation, la communion solennelle, l’extrêmeonction. Il s’agit, enfin, de l’importance accordée par la communauté chrétienne aux fêtes suivantes : Noël, Pâques, Ascension, Assomption, Toussaint, Fête-Dieu, fêtes patronales, Pentecôte.
Plusieurs facteurs jouent un rôle important dans ces comportements communautaires. Selon le curé de Saint-Bonnet le Courreau, l’influence directe de l’église par le biais de ses représentants, dans la vie des fidèles, était beaucoup plus importante qu’aujourd’hui. Les prêtres conseillaient les couple, intervenaient dans la vie familiale pour tenter de rétablir l’équilibre quand il y avait des tensions, des conflits ou des tentatives de désunion. Beaucoup de messages passaient également dans leurs sermons le dimanche à l’Eglise.
Toutefois, selon lui, cette intervention directe de l’Eglise dans la vie des fidèles était heureuse dans la mesure où elle empêchait les divorces, la disunion et/ou la dislocation des familles ; elle renforçait la stricte obéissance aux lois et aux préceptes de l’Eglise. En outre, la jeunesse chrétienne était beaucoup plus encadrée par divers mouvements qui avaient pour but de l’éduquer dans la foi, l’obéissance aux parents, le respect des choses religieuses, le caractère sacré de la vie humaine. Ceux-ci l’aidaient dans sa maturité humaine par une formation adéquate, une aide educative, en definitive, fort heureuse. De ces différents mouvements, il ne reste plus que la J.E.C (jeunesse étudiante catholique), la J.O.C (jeunesse ouvrière catholique), lesquels ne cessent de décliner au fur et à mesure que les années passent. Il y avait aussi les scouts, les éclaireurs, la jeunesse rurale, le M.R.J.C (mouvement rural de la jeunesse chrétienne), le C.M.R (chrétiens dans le monde rural), le D.J.I.N. (?), voire le club des Fripounets.
Enfin, le temps des fiançailles chrétiennes était beaucoup plus rigoureux : les fiancés ne se voyaient pas avant le mariage. Ils devaient même se fuir quand ils s’aperçcaient lors de circonstances fortuites dans la rue ou dans les champs. On ne pouvait guère envisager leur cohabitation avant le sacrement du mariage. C’est ce qui explique, affirme le curé, la solidité des couples anciens. L’un des aspects positifs de l’intervention de l’Eglise dans la vie des fidèles, était, pour une question d’éthique, le combat qu’elle avait mené contre la cohabitation de plusieurs couples dans une même maison, un même appartement ; une donnée familiale qui était générale et courante dans cette région. “N’imaginez-vous pas la primiscuité qu’il peut y avoir dans la cohabitation de vingt couples au sein d’une même grande maison familiale ? Il y a trente ans que je suis ici ; c’est vous dire que j’ai été témoin de tant de choses infâmantes : les cas d’inceste, les problèmes de reconnaissance des vrais pères des enfants etc.”.
Le curé de Saint-Bonnet le Courreau qualifie la pratique religieuse traditionnelle, c’est-à-dire telle qu’elle était vécue autrefois, de beaucoup trop formaliste. D’un autre côté, selon le curé de Roche en Forez et pour un certain nombre de fidèles catholiques, on peut dire qu’elle était très superstitieuse. A ce sujet, le chanoine Tarit affirme que si l’influence de la religion sur les chrétiens était sérieuse, elle ne les éclairait pas pour autant : “on n’a pas assez éclairé, par la religion, la conscience et la foi de ces paysans. C’était l’obscurité et même l’obscurantisme. Car il manquait au monde rural un minimum de culture”.
D’où l’importance de la superstition qui influençait, de manière inconsciente, la pratique religieuse. Le curé de Roche donne à ce propos deux exemples fort éclairants : à Essertines en Châtelneuf, lorsque la sécheresse persistait, les paysans baignaient la statue de Saint-Etienne (leur saint patron) dans l’eau afin qu’il pleuve. Il y a quelques années, à Roche en Forez, une jeune fille lui avait demandé de dire une messe afin qu’elle réussisse à son examen du Baccaleauréat.
Dans son livre, Cinq siècles de vie paysanne à Roche en Forez Loire (I440-I940), Antoine Lugnier fait remarquer que le caractère superstitieux de la pratique religieuse des paysans de cette région est non seulement ancien, mais aussi lié à leurs conditions d’existence. Il écrit notamment : “pour le paysan Forézien, la vie religieuse associe toujours la famille vivante aux ancêtres, à la maison, à l’étable, aux terres ensemencées, à la ruche même. Il sait combien sa vie, sa santé et sa prospérité sont liées aux caprices de la nature : orages, épidémies, sécheresse prolongée et humidité excessive, et espère se rendre favorables les forces mystérieuses qui influent sur son activité.
A rappeler ici les processions des Rogations pour demander un temps favorable aux récoltes sur pied, et celles faites jusqu’à la chapelle d’Essertines – Basses lorsque la sécheresse était catastrophique.
Mentionnons enfin, le culte de Saint Isidore, patron des laboureurs et de Saint Roch, protecteur des familles en temps de peste. Leurs statues ornent encore l’église de Roche et des chapelles de Saint Roch s’élèvent dans maintes paroisses ••• » ( p 276 ).
Eglise de Lérigneux
L’Eglise n’a-t-elle pas contribué à maintenir les gens dans cette obscurité et cette foi supestitieuse ? Certaines personnes interrogées, dont natamment la famille Breuil, affirment qu’il en était effectivement ainsi : la peur et la frayeur étaient entretenues dans la pratique par le curé. Celui-ci patronnait diverses activités de jeunes qui attiraient beaucoup de gens. On représentait le diable de manière effroyable dans les pièces de théâtre que les jeunes mettaient en scène ou qu’ils jouaient. Le diable, le risque d’aller en enfer après la mort, quand on n’a pas été un bon pratiquant durant sa vie, étaient des faits qui frappaient beaucoup l’imagination des paysans qui les croyaient naturellement comme des vérités indéniables ; faits sur lesquels les curés insistaient énormément, voire avec un certain plaisir dans la mesure où, semble-t-il, ils obtenaient par ce biais la mainmise sur la vie de leurs fidèles. “Les gens avaient peur du diable avant”, dit une fidèle de Sauvain.
Cependant, ce qui jouait un rôle fondamental dans la pratique religieuse ancienne, c’était sans conteste, le poids de la communauté. Le chanoine Tarit qualifie cela de pratique “routinière” !, de pratique à « l’unamité » ou à « la filière ». Même la soeur du chanoine Tarit à Sauvain reconnait qu’autrefois aller à la messe était non seulement une occasion pour les gens de se retrouver au café, mais surtout, c’était une obligation. Sur ce point, le curé de Sauvain est allé plus loin : pour lui, la pratique religieuse, il y a trente ans, voire au-delà, était plus grégaire, sociologique. Le caractère ritualiste dominait cette pratique et s’inscrivait au coeur même de la foi des gens. Et ce ritualisme consistait en une pratique extérieure, en des gestes à faire, en une dévotion obnubilante. En effet, les pratiquants étaient convaincus que c’étaient les pratiques quotidiennes qui les sauveraient des risques de l’enfer.
Le curé de Saint-Bormet le Courreau soutient, de son côté, que l’influence sociale sur les esprits des hibtants des villages était, hier, un fait indéniable. Mais il ajoute, aussitôt après, qu’aujourd’hui cet aspect a presque disparu. Or, ce constat n’est pas certain. En effet, selon le médecin de Saint-Bonnet et mme de son épouse, celui qui n’a pas fait baptiser son enfant à l’église, ou le couple qui ne s’est pas marié à l’église selon la tradition chrétienne, sont pointés du doigt par l’ensemble de la communauté. Cela signifie, de fait, qu’on est désigné à la vindicte sociale, au mépris, aux médisances de tout le monde. Et ceci est un reliquat courant de la pratique ancienne. Comment cela se manifestait-il ? Dès qu’un enfant naissait, il fallait obligatoirement le faire baptiser, c’està-dire au cours des huit jours qui suivent sa naissance. La raison tenait au fait que la mortalité infantile était encore très élevée. Afin qu’ils puissent entrer au paradis, s’ils venaient à mourir, la coutume imposait de les baptisait très tôt. Par après, l’enfant devait suivre la filière des sacrements qui conditionnaient sa vie de chrétien : la communion, la confirmation et la communion solennelle.
On avait catalogué les fidèles selon deux catégories : les méchants (moins nombreux) et les bons (la majorité). Les méchants étaient ceux qui ne faisaient pas exactement ce que la communauté chrétienne leur demandait, par exemple, l’assiduité à la messe. En revanhe, les bons, c’était ceux qui pratiquaient fidèlement tout ce que l’Eglise a institué comme comportements sociaux, lois et précepts ; bref, ceux qui suivaient les commandements. C’étaient ceux qui voulaient devenir saints aux yeux du monde. Cette attitude les conduisait à une grande hypocrisie, voire à une sorte de momerie. D’où le culte des statues, les prières à longueur de journée, les pélerinages. Pendant le temps du carême, on suivait le chemin de croix, on récitait le Rosaire, on jeûnait parfois, parce que c’était ainsi et qu’il fallait le faire ; comme tout le monde. C’est un groupe de jeunes qui résume bien cette attitude, plus exactement cette pratique religieuse traditionnelle : on se conduit en bon chrétien en suivant scrupuleusement toutes les pratiques non par conviction personnelle, mais pour faire plaisir à tout le monde ; se conduire autrement serait un scandale. On va à la messe par habitude et aussi pour avoir l’occasion de revoir ses amis au café, entre autres.
Les chrétiens de Roche en Forez ont une opinion semblable à celle qui vient d’être évoquée. En effet, pour eux aussi, beaucoup de gens, notamment ceux qui sont dits bons, préparaient dès ici-bas leur entrée au paradis : se marier à l’Eglise, faire baptiser les enfants, être enterré à l’Eglise etc. Mais, mis à part ces pratiques et ces coutumes religieuses, il ne fallait pas les déranger. Ainsi, l’observation morale se fait bien plus sous la pression sociale que par le seul fait de la religion et par la seule bonne intention du pratiquant. On se marie à l’Eglise pour éviter le scandale. On ne divorcerait pas en raison de la même pression sociale et/ou communautaire, même s’il n’y avait plus d’entente entre les conjoints. Une fille est tenue de se marier obligatoirement avec celui dont elle a contracté une grossesse, qu’il l’aime ou qu’il lui plaise ou non, parce le groupe social l’exige par un comportement commun de blâme à son égard. Certaines personnes interrogées parlent d’une réelle combinaison des comduites du groupe en vertu du poids qui pèse sur l’individu, de la pression sociale et de la pression morale. Cependant, si cette attitude était générale dans la mesure où l’ensemble de la communaute s’y retrouvait, il convient de dire qu’il y avait aussi des chrétiens dont la foi était sincère et profonde ; une catégoriede gens qui, sans rompre avec le reste de la communauté étaient, néanmoins, différentes par rapport à celle-ci.
Nonobstant ce, cette pratique traditionnelle religieuse existe-t-elle encore aujourd’hui ?
Eglise-paroissiale-Saint-Etienne-à-Essertines-en-Chatelneuf
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Les causes de la baisse de la pratique religieuse de nos jours
Il est certain qu’on peut parler d’une réelle baisse de la pratique religieuse aujourd’hui. Avant de nous interroger sur ses causes, voici quelques données de certaines paroisses qui rendent un peu compte de cette baisse. Rappelons qu’autrefois, on pratiquait à 100% dans n’importe laquelle des paroisses de cette région. C’est, du moins, ce que les curés interrogés ont reconnu. Ces données concernent non pas les grandes fêtes chrétiennes, notamment la fête dePâques, mais l’assiduité à la messe dominicale :
– Paroisse de Saint-Bonnet Le Courreau : 50 % environ ;
– Paroisse de Roche en Forez : }
– Paroisde d’Essertines-en-Chatelneuf } 30 à 40 % environ
-Paroisse de Lérigneux }
– Paroisse de Châtelneuf }
-Paroisse de Sauvain : 70 % environ
-Paroisse de Chalmazel : 40 % environ
– Paroisse de Jeansagnère : 35 % environ
En ce qui concerne les pascalisants (ceux qui vont à la messe le jour de Pâques), on obtient les données suivantes :
– Paroisse de Sauvain : 95 %
– Paroisse de Chalmazel : 70 %
– Paroisse de Jeansagnère : 65 ~
Paroisse de Saint-Bonnet le Courreau : 80 %
-Paroisse de Roche en Forez : 95 %
Nous n’avons pas les données des paroisses d’Essertines en Châtelneuf, de Lérigneux et de Châtelneuf. Mais, selon le curé de Roche qui les dessert, les pourcentages doivent être relativement équivalents. Il convient de noter que les émigrants, qui reviennent célébrer les grandes fêtes dans leurs familles, grossissent de manière considérable les pourcentages. Par exemple, lors de la Pâques dernière (1980), le curé de SaintBonnet le Courreau pense qu’il y a eu, aux trois messes, 800 personnes avec la présence de ceux qui viennent d’ailleurs. A Roche en Forez, ce nombre était de 350 fidèles, dans les mêmes conditions.
Les causes de la baisse de la pratique religieuse sont de deux ordres : les causes locales et les causes générales, c’est-a-dire des causes dont les facteurs sont identiques pour toutes les paroisses.
Eglise-paroissiale-Saint-Etienne-à-Essertines-en-chatelneuf
a) Les causes locales : avant l’actuel curé, il y avait à Roche en Forez un jeune prêtre. Celui-ci a beaucoup contribué à la destruction de l’image du diable, de l’enfer à laquelle les paysans croyaient fermement. Il a donc éliminé en partie la superstition. Après lui, l’actuel curé, qui est âgé de 57 ans, a pris sa succession. Sa manière s’inscrit plutôt dans la pratique traditionnelle (il est à Roche depuis une quinzaine d’années). Mais une maladie, qui le cloua au lit pendant un an à l’hôpital, dut l’éloigner de ses paroisses. Un autre jeune prêtre vint pour assurer l’intérim. Durant ce laps de temps, il permit que les fidèles participent davantage à la célébration de la messe : telle, par exemple, que la lecture des épitres, le fait de donner l’hostie aux communiants. Les chants sont une autre marque de la participation active des fidèles durant la messe. Faisant preuve d’un esprit ouvert, et étant lui-même jeune, il savait interpeller les croyants, notamment les jeunes gens. A Roche, les personnes que nous avons interrogées pensent, en effet, que le prêtre joue un rôle important dans la présence des fidèles à la messe. Ou bien le prêtre attire les fidèles, ou bien il les repousse. Mais, quand ce jeune prêtre dynamique et actif dut être affecté ailleurs, de nouveau les choses ont changé en retombant dans la routine comme auparavant. Le curé de Roche, parce qu’il est vieux et parce qu’il prêche toujours la même chose, fait fuir beaucoup de jeunes. D’où leur leur désintérêt par rapport à la messe ; car tout le monde dit que les sermons du curé sont les mêmes depuis 15 ans. En outre, il ne sait pas incorporer dans la vie des paroissiens d’aujourd’hui – en fait une manière de les interpeler – les exemples bibliques.
A Roche, il y a eu donc une succession de trois prêtre de tempéraments différents ; trois manières de voir les choses, de prêcher, c’est-à-dire de lire et de commenter la Bible aux paroissiens ; donc trois influences différentes. Tout cela a déboussolé quelque peu les paysans qui ne savent plus que croire véritablement ou à quel saint se vouer entre ces approches différentes des Ecritures, de la doctrine de l’Eglise et de ses dogmes. Car, de temps en temps, on leur dit que le ciel, l’enfer, le diable existent ; de temps à autre, que le diable et l’enfer relèvent de l’imagination et de la superstition. A cela, il faut ajouter le fait que la messe a lieu, depuis cinq ans, tous les quinze jours à Roche ; c’est-à-dire depuis que les quatre paroisses sont confiées à un même prêtre. Ceci crée chez les fidèles une paresse dans laquelle ils s’enlisent lentement, mais progressivement. Le prêtre, malade et un peu alcoolique, ne fait rien contre cette tendance nouvelle de ses fidèles. Au contraire, il voit en cette passivité générale des fidèles une marque de compréhension de ceux-ci, une sorte de réveil de leur concscience au vrai sens de la pratique religieuse ; voire une marque de l’acquisition de l’esprit moderne. Celui-ci est même l’ouverture de leur esprit aux réalités et aux problèmes présents des gens. Ainsi, il aide, à sa manière, ses fidèles à persévérer dans cette voie qu’ils ont prise, voire il les encourage, malgré lui, à persister dans ce changement. On dit même qu’il est inexistant : il n’a plus de contact avec les jeunes, ni avec les autres fidèles, si ce n’est de temps en temps avec les dames chargées du catéchisme des enfants à l’école primaire publique. Depuis quelque temps déjà, il s’est retiré dans son presbytère ; mis à part le dimanche où la messe doit être célébrée ; et hormis quelques jours de la semaine où la messe doit également avoir lieu à Roche. En outre, sa maladie le rend de plus en plus désagréable dans ses contacts avec tout le monde ; ce qui contribue à l’isoler davantage. Enfin, il est débordé par les responsabilités de ses quatre paroisses.
La messe célébrée tous les quinze jours dans chacune des paroisses que le curé de Roche dessert explique en grande partie les causes locales de la baisse de la pratique religieuse. Pour Lérigneux, cela est corroboré par le fait que le curé n’y habite plus depuis quelques années. En effet, il y a une vieille querelle dont nous n’avons pu connaître ni la nature (querelle ou, plutôt, mésentente sociologique ou psychologique ?), ni la cause, qui oppose les deux conmunes voisines. Ce conflit est vivace dans l’esprit de tout le monde, voire des tout petits selon l’une des catéchistes interrogées. Cette opposition est sourde, mais réelle. Elle explique le mécontement des gens de Lérigneux de voir le curé s’en aller habiter à Roche alors que Lérigneux a toujours été son lieu de résidence. Une réalité historique que souligne également Antoine Lugnier dans son ouvrage : “Car, en 1940, il y avait déjà douze ans que le presbytère de Roche était désert, et le service religieux assuré par le curé de Lérigneux, résidant dans son petit bourg, et ne venant à Roche que deux foix par semaine” (Cing siècles de vie paysanne à Roche en Forez Loire -1440-1940- (p.276).
Saint-Bpnnet le Courreau, ayant depuis trente ans, le même curé, les causes signalées plus haut ne concernent pas cette paroisoe aux pratiques religieuses traditionnelles et au curé à l’allure intégriste. Quant à Sauvain, le chanoine Tarit, semble dire que cette commune a toujours été à l’abri des influences extérieures (c’est également le sentiment du curé de Sauvain) ; d’où la relative stabilité des pratiques générales : moeurs, coutumes et pratiques relieuses etc. En revanche, il n’en est pas ainsi de Chalmazel. Cette commune possède une petite infrastructure touristique : une petite station de ski. D’où l’influence sur les habitants de la commune des moeurs que véhiculent du dehors les touristes.
Mais les causes générales ne sont-elles pas plus importantes dans la baisse sensible de la pratique religieuse ?
Eglise de Jeansagnère
1 b) Les causes générales sont de deux ordres : l’ordre sociologique et l’ordre psychologique.
Qu’il s’agisse des curés ou des laïcs interrogés, l’importance de l’émigration revient avec insistance. L’exode rural demeure encore un fléau dans cette partie du Forez. Par exemple, selon le curé de Saint-Bonnet le Courreau, cette commune comptait 1250 habitants avant la guerre de 1914. Il y a eu 75 morts pendant la guerre. Beaucoup de départs ont eu lieu vers l’industrie après la guerre. Lyon et Saint-Etienne étaient les pôles d’attraction : à Lyon, les gens allaient travailler dans l’industrie et à Saint-Etienne dans les mines de charbon. Aujourd’hui, Saint-Bonnet compte moins de mille habitants. Il en est ainsi de l’exode rùrale dans les autres communes, dont notamment Roche en Forez et Lérigneux qui continuent de se dépeupler.
On craint l’émigration ds citadins dans cette zone. Car, ceux-ci ont une forte tendance à négliger la messe le dimanche ; ce qui influence les comportements, les habitudes courantes des paysans. A cela s’ajoute le fait désastreux et pervers, selon le curé de Sauvain, de la mixité dans les écoles, les collèges et les lycées. La fin de la scolarité des enfants à Montbrizon a eu aussi une grande importance dans la mutation des mentalités et des moeurs. En effet, au niveau des collèges et lycées, certains camarades se moquent de ceux qui pratiquent encore et vivent leur foi. En fait, l’influence de la plaine, déjà gagnée par la vie dite moderne et le poids des villes, généralement « mécréantes » et peu pratiquantes, monte sur les plateaux.
Dans la prise en compte des raisons psychologiques, il convient de noter, selon les réponses et les remarques de beaucoup de gens interrogées, que les plateaux accusent un certain retard par rapport à la plaine. Le problème de la crise de la foi commence seulement maintenant à se ressentir sur les plateaux. Les paysans des plateaux sont de plus en plus gagnés par la fièvre du confort, par la mentalité de la rentabilité dans leurs activités, notamment grâce aux machines agricoles dont ils disposent presque tous. En 25 ans, selon le curé de Saint-Bonnet le Courreau, la commune qui disposait d’un tracteur en a aujourd’hui 101. De même, on est passé de 20 voitures à plus de 200. C’est l’évolution et/ou le progress, dit-on ici, qui est la cause fondamentale de tant de bouleversements de la vie paysanne. Le paysan est, lui aussi, devenu prisonnier du gain pécuniaire. C’est pourquoi, il s’adonne plus que de raison à ses travaux personnels et qu’il éprouve de plus en plus de difficultés à quitter sa machine pour aller à la messe. La famille elle-même a subi une forte transformation, en ce sens que son autorité s’affaiblit de plus en plus par l’effritement du pouvoir des parents sur leurs enfant : ils ne parviennent de plus à les obliger à se rendre à la messe le dimanche.
En ce qui concerne les jeunes, beaucoup de choses ont égalenent changé : ils réfléchissent davantage que leurs parents. Enfants de la télévision, elle leur à ouvert les yeux sur beaucoup de réalités de la vie. Ils ignorent ce qu’est la superstition. Le curé de Sauvain affirme même que les deux guerres mondiales les ont beaucoup révoltés. Les jeunes refusent l’attitude « moutonnière » de leurs parents quant à l’assiduité à la messe : ils rejettent le fait d’aller à l’église pour être en règle ou pour faire comme tout le monde. Cependant, l’élément fondanental du changement dans le comportement de la jeunesse rurale actuelle de cette région, c’est l’ouverture aux loisirs que leur offre la proximité de Montbrizon. Presque tous disposent d’une voiture, ce qui rend aisé leur déplacement. Aussi, lorsqu’ils rentrent tard de leur divertissement du samedi soir, ils n’ont guère envie de se lever tôt le dimanche matin pour aller assister à l’office religieux. Certaines jeunes filles de Sauvain affirment que si elles le font encore, c’est malgré elles et c’est surtout pour faire plaisir à leurs mères.
Il résulte de cet ensemble d’observations et de données quelques facteurs importants qui montrent la baisse de la pratique religieuse sensible dans cette région aujourd’hui :
1) la progression de l’incroyance générale qui frappe aux portes des plateaux du Forez. Cette incroyance est à présent précédée par l’indifférence des gens vis-à-vis de la religion. Ce qui fait dire aux paysans, inquiets de cette situation nouvelle, qu’ ils reconnaissent que la religion se perd et que la négligence par rapport à celle-ci est de plus en plus grande.
2) Le rôle de la télévision : beaucoup de gens se contentent de suivre la messe à la télévision. Celle-ci équivaut, pour un grand nombre de payans, à une messe à l’église. En outre, elle supprime l’effort à faire pour se rendre à l’église. La télévision casse le cadre étroit des terroirs des payans par une ouverture plus grande sur le monde et sur les multiples réalités du savoir. En leur montrant le progrès scientifique, elle leur enlève en même temps beaucoup d’imagination, d’illusions et de surpertitions. En un mot, elle obstrue la porte du ciel. C’est pourquoi, certaines personnes reprochent à l’église d’avoir laissé trop de liberté aux chrétiens par rapport à l’assiduité à la messe, aux pratiques religieuses et à la place prépondérante de l’idée du progrès dans leur vie. La messe perd de plus en plus sa place d’occasion de reneontres.
3) Le confort, le goût de l’argent, la vie facile, la primauté accordée à la fièvre de la rentabilité sont également des facteurs qui rognent la foi des paysans et leur fidélité par rapport à la pratique religieuse. On ne cherche plus à gagner le ciel, mais à accumuler beaucoup de richesses matérielles. C’est là que chacun d’eux semble désormais mettre sa volonte d’ascension, son orgueil et sa fierté.
4) La jeune génération refuse de croire à la manière de leurs parents et de leurs grands-parents ; croyance qu’elle juge quasi absurde. Celle-ci fait prouve d’esprit critique dans sa propre foi. Elle rejette le poids social dans la pratique religieuse. Enfin, même si, pour certains d’entre eux, cette attitude est éphémère en tant qu’elle répond aux soucis présents des jeunes gens, la jeunesse veut profiter le mieux possible de sa vie en accordant la priorité aux choses matérielles par rapport aux choses spirituelles. Rappelons que le clergé, ayant vieilli, repousse – du moins, il ne sait plus les accurillir – les jeunes et leurs moeurs dites « outrageuses”. Il ne sait plus les comprendre ni les interpeler.
Que peut-on dire de l’attitude de ceux qui pratiquent encore aujourd’hui ?
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La foi et la pratique religieuse telles qu’elles sont vécues à présent
D’abord, voyons ce qui n’a pas change par rapport au passé. Mis à part, au milieu des paysans, la présence de certains fonctionnaires de l’Etat – tels que les instituteurs -, il n’y a pas encore d’incroyants parmi eux ; du moins, un tel fait, s’il est avéré, n’est pas manifeste aux yeux ceux qui sont de passage. En apparence, tout le monde est croyant, mais quelques-uns ne pratiquent pas de manière régulière. Néanmoins, tout le monde est pascalisant. Tous les mariages se font à l’Eglise. Le baptême, la communion, la confirmation et aussi la profession de foi (ou communion solennelle) figurent encore parmi lespratiques courantes et suivies presque à 100 %. Le poids de la communauté, même si elle est beaucoup plus faible, est encore sensible dans la pratique religieuse.
Néanmoins, beaucoup de choses ont changé par rapport au passé. La momerie semble avoir disparue. Les gens sont plus ouverts à l’évangile : ils le comprennent mieux et pénètrent davantage dans la vie de l’Eglise. Selon le curé de Saint-Bonnet le Courreau, la pratique religieuse est plus sérieuse à présent qu’autrefois. Car la foi des fidèles est plus authentique, plus sincère, plus vraie. C’est aussi l’opinion de celui de Roche en Forez qui ajoute même que cela se remarque à la confession. En effet, la forme traditionnelle de la confession (le fidèle face au prêtre dans le confessionnal) semble avoir été délaissée. Les gens préfèrent l’absolution collective lors des grandes fêtes chrétiennes, celles de Pâques ou de Noël. C’est pourquoi, le curé de Roche juge que la démarche individuelle au confessionnal relève d’une foi profonde. Cela va de pair avec l’authenticité de la foi.
La seule fête chrétienne qui a encore toute son importance et sa signification primordiale, c’est la fête de Pâques. Les autres passant presque inaperçues maintenant, il reste la fête de Noël et de Toussaint. Toutefois, Noël étant de plus en plus vidée de son contenu religieux, est considéré comme une fête familiale. Quant à la Toussaint, c’est une grande occasion, dans l’année, de renouveler le culte des morts. Les fêtes mariales n’ont plus de pélerinage, et le Rosaire ne se pratique plus. Si tous les enfants sont baptisés encore, ils ne le sont plus forcément dans les huit premiers jours qui suivent leur naissance ; sans doute en raison de la baisse de la mortalité infantile. Autrefois, pour la confirmation, l’évêque se déplaçait à cette fin. A présent, il ne le fait plus. Le curé se contente, à cette occasion, d’une cérémonie très simple. Autrefois, la communion solennelle était une occasion pour les garçons et les filles d’avoir de beaux vêtements : on achetait aux garçons leur premier costume qu’ils portaient ce jour-là avec un brassard. Quant aux filles, elles avaient une grande robe immaculée. En outre, elles portaient un voile blanc comme complément de cet ensemble vestimentaire. Si cette fête existe encore, elle a perdu son caractère cérémonial et son faste. Elle ne consiste plus qu’en une messe ordinaire et en une fête familiale.
La tendance à classer les gens en bons et en méchants, dans la pratique religieuse, est en voie de disparition. Un autre changement fondamental tient à la forme du catéchisme. Celui-ci est enseigné de plus en plus par des laïcs, notamment des mères de famille. On a abandonné les formules à apprendre par coeur. Le catéchisme porte sur des choses qui concernent la vie de tous les jours. Les enfants sont davantage aidés dans la mesure où ils sont suivis de manière régulière dans cet enseignement tant par les catéchistes et les cures, qui les voient de temps en temps, que par les parents eux-mêmes. Dans la paroisse de Jeansagnère, en l’absence du prêtre, les fidèles eux-mêmes font la célébration et communient. C’est là, selon le curé de Sauvain, une marque de progrès. Car, dans cette région, un tel acte était impensable il y a encore quelques années.
Autrefois, dans cette région, les gens votaient toujours « blanc », c’est-à-dire la droite. Car, voter « rouge » c’est-à-dire la gauche, c’était selon les chrétiens et/ou pratiquants, être en contradiction avec sa foi. Mais aujourd ‘hui, une tendance s’amorce qui semble générale : on vote selon sa conscience. Selon le curé de Roche en Forez, les habitants ont tendance à voter plutôt la gauche, sauf pour les élections présidentielles. Aux législatives, il y a une équivalence entre le parti socialiste et la droite. Toutefois, en général, inconsciemment, disent certaines personnes interrogées à Roche en Forez, on vote « blanc » en vertu de la tradition ; les paysans ne comprennent pas encore que l’on puisse être catholique et « rouge » à la fois. On dit aussi que les paysans votent « blanc » non seulement par peur des « rouges » qui, pense-t-on, sont contre Dieu et contre la religion, mais surtout pour garder ce qu’ils ont acquis sous les gouvernements de droite depuis de Gaulle. En général, on dit que les paysans ont peur des changements, selon des jeunes de Sauvain, que nous avions pu ingterroger. Car ce qui doit se faire en un an comme un fait de progrès, ils préfèrent le voir se réaliser lentement et s’étendre sur une période de dix ans. Mais, dans l’ensemble, beaucoup de chrétiens votent selon leur conscience de citoyen et non plus seulement sous la pression de la religion chrétienne.
Il résulte de ces observations que le caractère obligatoire de la pratique religieuse, cela devient manifeste, a complètement disparu. Les gens vont à la messe par désir, suivant leur foi authentique. Néanmoins, le nombre de ceux qui pratiquent de manière sincère, qui vont à la messe de façon individuelle et spontanée, diminue progressivement ; mis à part naturellement les personnes âgées qui pratiquent à 100%. Cependant, leur foi et leur pratique répondent à d’autres critères.
S’agit-il là d’un changement nouveau ou d’un bouleversement de situation qui ne date guère d’aujourd’hui ? C’est ce qu’éclairent les propos suivants de l’historien de Roche en Forez, Antoine Lugnier : “Si l’on voulait répondre sincèrement à l’enquête récente de M.Gabriel Le Bras sur la pratique religieuse en France de 1700 à nos jours, on écrirait qu’à Roche – au moins jusqu’en 1928 – 90 % des hommes étaient pascalisants et la totalité des fernmes ; et que maintes familles manifestaient toujours une dévotion plus active : communions fréquentes, assistance à la messe tous les jours de la semaine, participation au pélerinage (Lourdes etc … )
Mais, aujourd’hui – I940 – chez les jeunes gens surtout, on observe un certain relachement de l’assistance aux offices du dimanche qu’explique en partie l’absence d’un prêtre à demeure dans cette paroisse fidèle. Au vrai, la vie religieuse à Roche depuis la Révolution s’est maintenue avec les mêmes caractères qu’aux siècles passés, mais sans s’élever, c’est-àdire qu’elle est toujours un peu imprégnée de pensées ou pratiques superstitieuses (loups-garous, revenants), et en Général plutôt formaliste que superficielle et profonde.”(opus. cit., p. 290)
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L’amorce d’un déclin
La conclusion de notre enquête aboutit à une observation et/ou prévision relativement pessimiste quant à l’avenir de Roche en Forez : l’amorce du déclin concernant divers facteurs sociaux. L’exemple du bourg suffira à rendre compte de cette situation : trente personnes âgées au-dessus de 70 ans sont ses habitants, mis à part un seul oouple
de jeunes. La jeunesse de la commune atteint les 45-50 ans. L’âge moyen est de 65 ans. Les couples plus jeunes ont déserté le bourg en essaimant tout autour, sans doute du fait des impératifs économiques qui exigent une infrastructure des exploitations agricoles plus modernes. Le bourg de Roche en Forez s’ achemine t-il vers l’exemple de celui de Gumière où, dit-on, il ne reste plus personne ? L’opinion des émigrants de Roche est
la suivante : dans dix ans, il n’y aura plus personne dans le bourg de Roche. Les fenêtres des maisons ne seront ouvertes que les week-ends et pendant les congés des émigrants actifs, qui reviennent y journer temporairement.
La baisse de la natalité est sensible dans la commune de Roche, en particulier, et dans cette région des plateaux du Forez, en général. L’émigration de plus en plus accélérée des filles pose un sérieux problème : la difficulté qu’éprouvent les jeunes gens, notamment, à trouver une fille à épouser. On a remarqué la présence de quelques célibataires de trente ans et plus qui vivent encore soit avec leur mère soit avec leur père. Quant aux filles de l’extérieur, notamment de la plaine, elles ne veulent plus subir la dure condition de travail des paysannes. Certaines jeunes femmes, elles-mêmes filles de paysans , ayant travaillé en ville et étant revenues avec leurs époux dans la commune, disent combien les conditions d’existence au village sont très différentes de toutes autres formes de vie, par exemple, la vie citadine : la solitude, le manque de loisirs, la vie routinière, le travail permanent et surtout le regard indiscret des membres de la communauté les uns sur les autres et qui se manifeste par des critiques, des suspicions, des “ragotages” et des jacasseries. La jalousie que les uns manifestent à l’égard des autres à propos de n’importe quoi est très dure à supporter, selon elles. D’où le manque de communication réelle et sincère avec leurs voisines qui manquent, en outre, d’une bonne éducation scolaire suffisante pour pouvoir entreprendre des discussions varies avec quelqu’un(e). N’est-ce pas ce qui explique, parfois, le fait qu’elles soient écrasées sous le poids de l’autorité et du pouvoir de leurs maris ?
Le vieillissement du clergé est à l’image de celle de la population elle-même. L’influence des villes, des mass-média sur la foi des gens et sur leurs pratiques religieuses, la priorité accordée à la vie matérielle par une frénésie dans le travail, l’indifférence naissante face à la religion sont autant de facteurs qui indiquent que la commune de Roche en Forez connaît l’amorce d’un déclin. Peut-être qu’un jour, faute de fidèles et faute de prêtres, l’église deviendrait un monument historique, vidée de sa fonction religieuse primordiale, et destinée à la curiosité des touristes qui passent dans cette commune, comme l’annçait F. Niezsche dans son Gais savoir ? “Qe sont donc encore les églises sinon les tombeaux et les monuments funèbres de Dieu” (§ 123, “L’insensé”)
Peut-être, au contraire, la commune se repeuplerait, à condition que les paysans acceptent que des gens viennent s’installer chez eux (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui), le clergé se renouvellerait. Dans cette perspective, l’église de Roche garderait sa fonction initiale de lieu de prière. Et la pratique religieuse tout autant que la foi renaîtraient dans la clairvoyance et la sincérité.
Collégiale Notre-Dame d’Espérance de Montbrison