Les Amazones du royaume du Dahomey ont dit non à la colonisation française
PREMIERE PARTIE : LA MYTHIQUE HISTOIRE DES AMAZONES, FEMMES GUERRIERES DE L’ANTIQUITE ET LA FALSIFICATION DE L’HISTOIRE PAR LE MASCULIN
Introduction générale à la falsification de l’Histoire humaine par les pouvoirs du masculin
La Grande Histoire des Humains relève d’une sorte de manipulations générales dès lors qu’en celles-ci il y a en jeu la question de la guerre sous-jacente des genres sexuels. On le sait – il s’agit désormais d’un fait incontestable -, les premières sociétés humaines se conçoivent sous l’angle de la régence féminine[1]. Cela se comprend fort bien d’ailleurs : avant la domination du Fer, il y a eu la sédentarisation des groupes humains en errance suivie de la nécessité de satisfaire l’impératif du besoin naturel et nécessaire, en l’occurrence, l’alimentation. D’où l’émergence des premiers foyers de « civilisation » ou de la mise en exploitation de la terre dans la grande zone de la Mésopotamie. Celle-ci s’est accompagnée, de fait, par la naissance des premières religions et, donc, des premières représentations des divinités féminines.
Or, avec le triomphe du Fer par le développement des armes et des premières conquêtes guerrières, il y a eu un basculement majeur : l’inversion des premières institutions humaines sous la Régence féminine à cause de la prise du pouvoir par le masculin. Or, la volonté de domination est inhérente à l’essence singulière de celui-ci. Dans sa dynamique d’expression expansive, d’abord, il a inversé les divinités féminines premières afin d’ériger à leur place –le ciel des dieux – des représentations divines masculines[2]. Désormais et, de manière irréversible jusqu’ici, toutes les religions humaines se sont masculinisées : les dieux autant que les religions dont les fameuses religions monothéistes contemporaines, se conçoivent au masculin. Ensuite, avec un tel renversement majeur des phénomènes humains, le masculin a réussi, notamment par ses conquêtes guerrières, à s’ériger au-dessus du féminin et, donc, à lui imposer sa domination. Ce faisant, le patriarcat a triomphé par la soumission totale du féminin : il l’a dépossédée de ses sources de plaisir sexuels et de son droit absolu sur sa progéniture en lui attribuant son nom, comme sa marque de fabrique. Toutefois, s’agit-il d’un triomphe définitif ? En réalité ?
Dès lors qu’il s’est installé dans cette position de domination, le masculin s’est employé méthodiquement à détricoter le passé commun (féminin/masculin). D’abord, il a ridiculisé les premières divinités humaines au féminin jugeant qu’elles étaient des aberrations, des monstruosités obscènes. Ensuite, à défaut de réussir à les effacer totalement, il a caricaturé les traces qui nous sont parvenues des sociétés guerrières féminines comme celles des Amazones. On le sait, les Grecs ont été les pires ennemis des sociétés amazones en montrant avec fierté comment leurs héros légendaires tels que Hercule ou Thésée ont triomphé, voire anéanti les dernières Amazones de l’Asie mineure. D’ailleurs, ce nom d’« Amazones » leur a été donné par les Grecs en vertu d’une caricature, donc d’une falsification. Littéralement, le nom « Amazones » signifie « privées d’un sein ». Suivant cette étymologie fallacieuse, ces guerrières amputaient leur sein droit et le cautérisaient dès le jeune âge afin de leur permettre de tirer à l’arc ou de lancer le javelot avec le plus d’aisance qu’il était possible. En d’autres termes, comme si les seins étaient des obstacles ou des handicaps au maniement des armes – nous verrons qu’il n’en a pas été ainsi des Amazones ou femmes guerrières du royaume du Dahomey -, un sein ôté signifie suppression de quelque gêne à l’art de la guerre, c’est-à-dire à l’usage des armes. Cette falsification des faits historiques tend à prouver clairement que les Amazones, pour accéder à leur statut de guerrières redoutables, qui avaient pu mettre en déroute des armées masculines, avaient dû utiliser ce subterfuge. Pour quelle raison une telle mutilation de soi-même ? Selon l’histoire du masculin, elles ambitionnaient de se hisser au rang du masculin ; et pour ce faire, elles avaient été contraintes de recourir à cette altération d’elles-mêmes, en termes de l’art de la guerre, pour devenir comme des hommes.
Un autre point essentiel de l’histoire des Humains est le suivant : la tentation de l’ethnocentrisme. En effet, chaque peuple écrit son histoire en tâchant de l’embellir le mieux possible pour s’auto-glorifier, se magnifier même par rapport aux peuples voisins. Dès lors, toute histoire humaine est nécessairement mythologique, légendaire. Cette posture éminente de soi-même conduit, en revanche, à minimiser la vision et la perception des peuples voisins, voire à caricaturer leurs propres histoires. C’est une telle manière de prendre position par rapport à autrui qui est l’une des figures majeures de la volonté de domination, de suprématie sur tout autre peuple. En ce sens, dans mes travaux de géopolitique, j’ai été conduit à forger le concept du « narcissisme des nations » comme la figure orgueilleuse d’autoglorification de soi en tant qu’entité peuple et, du coup, de rejet, de négation des autres peuples. Dès lors, on sous-entende qu’il n’y a de réel peuple que soi-même ou les « vrais humains » ; tout le reste relève du déchet. Tous les autres peuples, en particulier les voisins, sont nécessairement ennemis parce qu’ils sont différents. Donc, et de façon générale, les peuples ne sont perçus qu’à travers les prismes déformants des préjugés des uns et des autres.
Dans cette perspective, on comprend tout à fait que l’histoire des peuples africains telle qu’on peut la lire à travers les documents des Européens qui ont foulé le sol des territoires côtiers, entre autres, ne soit rien d’autres qu’une somme de caricatures des données réelles. Ce n’était jamais les faits qui les intéressaient ; d’autant plus que c’étaient des aventuriers et non des historiens ou des anthropologues. C‘étaient des descriptions caricaturales, préjudiciables même des Humains qu’ils se contentaient d’observer avec mépris et de manière étrange. Ils s’intéressaient à des curiosités bizarres comme leurs mœurs, leurs rites religieux païens, leurs étranges pratiques culturelles. Aussi – et ceci est une évidence -, les Africains ont eu tort de confier la conservation de leurs mémoires à des individus, certes savants, mais mortels, en l’occurrence, ceux qu’ils nomment leurs anciens, leurs sages ou leurs griots selon les zones de civilisation. Puisque ceux-ci n’écrivaient rien sous forme d’histoire, à l’instar des Egyptiens, ces aïeux mourraient avec tous leurs savoirs privant, ainsi, leurs peuples ou leurs descendants de mémoire écrite, soit la conservation effective des traces de leur passé.
Une image des Amazones du royaume fon du Dahomey
Il en a été ainsi du royaume du Dahomey dont le cas est paradoxal comme tous les royaumes ou empires africains. D’une part, sans traces écrites relatives à la réalité authentique de ces royaumes ou empires, les historiens africains contemporains sont privés de la possibilité de savoir ce qu’il en a été effectivement. D’autre part, la seule histoire dont ils peuvent disposer pour comprendre le passé des principaux royaumes et empires est celle des aventuriers européens, qui est souvent une somme de caricatures et de préjugés, comme je l’ai souligné précédemment. Mais elle est incontournable comme l’explique Stanley B. Alpern : « C’est vers la fin du règne d’Ouegbadja que les Fons firent leur apparition dans les documents historiques écrits. Ils sont mentionnés une première fois dans un manuscrit espagnol datant de 1675 en tant que royaume « Fon » ayant acquis son indépendance d’Allada. Il semblerait que cette information ait été fournie par des missionnaires capuciens espagnols qui passèrent une année à Allada en 1660, les Fons sont désignés par « Fumce »…
Le Dahomey lui-même n’entre dans les témoignages écrits qu’en 1716, lorsque le nom fait son apparition dans les échanges épistolaires français. Le premier récit de la main d’un témoin oculaire date de 1724 ; il s’agit de la lettre de plainte qu’envoya à son supérieur un agent de la Royal African Company britannique, Bulfinch Lawb, retenu en captivité à Abomey. A partir de cette date, l’histoire du Dahomey est relativement bien documentée, par rapport au reste de l’Afrique subsaharienne, en particulier le dernier demi-siècle du royaume, des années 1840 aux années 1890 »[3].
I – Les Amazones à travers l’histoire masculine : mythes, légendes et données historiques
Guerre impitoyable des Grecs contre les Amazones
- A) La mytho-histoire des Amazones et des femmes guerrières à travers l’espace
L’une des sources mytho-historiques est, sans contexte, le monumental ouvrage de Diodore de Sicile[4]. Selon lui, il a bien existé une société de femmes guerrières que les Grecs, notamment les auteurs comme Homère (L’Iliade) et Hérodote (Histoires), ont caricaturé en les nommant « Amazones ». Diodore de Sicile situe cette puissante société de femmes guerrières en Asie Mineure. Il la décrit avec moult détails dont leur cruauté par rapport au genre masculin qu’elles méprisaient de façon altière. Dans les grandes lignes, il explique l’origine et les causes de l’émergence des Amazones de l’Asie Mineure de la manière suivante. Deux princes scythes expulsés de leur terre natale, située au Nord de la Mer Noire, avec leurs familles et leurs partisans, émigrèrent vers la région du Caucase. Malgré leur infortune du moment, ils n’hésitèrent pas à asservir et à opprimer les gens du pays où ils avaient terminé leur fuite. Ceux-ci se révoltèrent. Mais ces princes scythes fuyards réussir à tuer tous les hommes. Face cette tragédie innommable ni explicable de cette monstruosité, les femmes prirent les armes à leur tour et défendirent, avec succès, leur nation. Par la suite, elles créèrent une nation guerrière et militariste sans hommes.
Ce faisant, elles cherchèrent une terre fertile pour s’installer. Elles trouvèrent une pleine très fertile au Nord l’Anatolie. C’était en bordure du fleuve Thermodon, qui se jette dans la Mer Noire. Elles édifièrent leur capitale, Thémiscyre, à l’embouchure du fleuve. Le nouvel Etat était en permanence sur le pied de guerre en raison de l’hostilité des peuples voisins.
Une représentation de la guerre greco-amazones
En cette société, les filles, genre sexuel privilégié, étaient éduquées avec rigueur : les guerrières les accoutumaient à la fatigue permanente, aux privations de toutes sortes[5]. Elles s’entraînaient à se battre aussi bien à pied qu’à cheval. A force d’exercices militaires régulières et d’endurance, elles devinrent des cavalières, des chasseresses expertes. Dans leur ensemble, outre les arcs et les flèches, les Amazones étaient armées de dards, de lances, de javelots, de haches à simple ou double tranchants, d’épées etc. En dehors de cet équipement, elles portaient aussi de petits boucliers ayant la figure d’un croissant de lune. On disait même qu’elles étaient capables de sauter à la perche sur un cheval en se munissant d’une lance, voire de faire des pirouettes sur leur monture en vue de surprendre leurs ennemis en faisant pleuvoir sur eux des flèches.
Ces femmes avaient une tenue vestimentaire simple : une tunique nouée à l’épaule gauche et attachée par un ceinturon ou une ceinture. Celle-ci descendait jusqu’au genou. Le sein gauche était bien exposé à l’air libre que les Grecs avaient prétendu qu’il étai amputé et cautérisé dès l’enfance. En revanche, en raison de l’influence de la civilisation grecque, les Amazones avaient adopté l’armure grecque telle que les casques empanachés, les cuirasses, les cuissards, les jambières etc. Elles leur avaient emprunté les sandales à lanières de chevilles, voire des vêtements plus amples. Si les Amazones renoncèrent au mariage, c’est en vertu de la servitude de la femme au foyer. En revanche, quand les guerres cessaient, elles s’adonnaient volontiers à l’agriculture et à l’élevage. Quant à la question de la procréation, elles consentaient à passer deux mois par an à s’accoupler avec des hommes des tribus voisinent, de manière aléatoire et sous couvert de l’obscurité. Elles préparaient les filles qui naissaient de ces unions à devenir amazones en les accoutumant, par des exercices appropriés, à l’endurance, à l’insensibilité aux maux de leur corps ; à la résistance, à l’audace, à l’intrépidité etc. Ce faisant, elles étaient dépourvues de toutes les passions faibles en elles comme la peur de la mort ou des blessures ; la faiblesse quelle qu’elle soit. Il fallait affronter, sans hésiter, les dangers malgré leur gravité. Quant aux garçons, certaines étaient rendus à la communauté de leurs pères, d’autres étaient volontairement mutilés, c’est-à-dire estropiés pour les contraindre aux tâches les plus ingrates et sans noblesse aucune, comme le filage de la laine ; d’autres encore étaient sacrifiés à leurs déesses de la guerre.
Représentation d’une archère amazone
Cette société de femmes guerrières a semé la terreur parmi les sociétés masculines en étendant leur territoire à leur détriment. Toutefois, leur triomphe et leur règne ont fini par agacer les puissances et royautés voisines. Aussi, et malgré leurs hostilités mutuelles, ces derniers se sont associés, pour l’occasion, en vue de mener la guerre totale contre les Amazones. Hélas, ils ont eu raison d’elles par leur nombre : ils les ont anéanties et dispersées, parfois vendues comme esclaves chez eux. Soit dit en passant, Diodore de Sicile avait mentionné un autre groupe d’Amazones qui a vécu en Libye, soit une grande partie de l’Afrique du Nord, à l’Ouest de l’Egypte, bien avant celles de l’Asie Mineure. Cependant, les paléo-historiens ne partagent pas sa thèse faute de sources fiables et suffisantes pour l’attester.
Une représentation de la reine Myrina des Amazones de Libye ?
Selon les données dont il a semblé disposer pour étayer ses analyses, la société des Amazones libyennes était une gynécocratie manifeste. En effet, seules les femmes étaient habilitées à effectuer le service militaire. En outre, elles occupaient toutes les hautes fonctions politiques et judiciaires. A l’inverse, les hommes étaient au foyer : ils prenaient soin des enfants, c’est-à-dire les élevaient le mieux possible. Ils obéissaient même à leurs épouses, lesquelles faisaient la guerre et s’occupaient des affaires publiques. Puisque les Amazones libyennes cautérisaient leurs deux seins – ce qui en faisait un cas exceptionnel parmi ce genre de société -, les pères nourrissaient les bébés au lait de chèvre ou de brebis. L’une de leur reine, nommée Myrina, avait même fait bâtir une cité au milieu d’un lac. Depuis cette base, elle engageait des guerres de conquêtes avec une armée de femmes composée de 30000 soldates d’infanterie, équipées d’épées, d’arcs et de lances. Selon Diodore de Sicile, Myrina et son armée réussirent à vaincre tous les peuples voisins comme les Atlantes. Puis elle lança ses forces à travers l’Egypte, l’Arabie, La Syrie, l’Asie Mineure jusqu’aux Iles de la Mer Egée parmi lesquelles on comptait Lesbos et Samothrace. Cette conquête à travers ce vaste espace prit fin avec la mort de la reine lors de combats grandioses ; et son armée fut détruite par la coalition de la Scythie et de la Thrace. La légende prétend que les Amazones y furent écrasées par le puissant Hercule.
Par ailleurs, Y. Germain[6], tout comme Pierre-Samuel[7] etc., montrent dans leurs travaux respectifs qu’il y a eu d’autres cas d’Amazones dans l’Antiquité et à travers l’espace sous la figure de femmes guerrières et de gardiennes des rois. Ainsi en est-il de Cauda Gripta : celui-ci fut le premier roi hindou, qui a réuni la plus grande partie de l’Inde, et qui fut même un interlocuteur d’Alexandre Le Grand. Son cas est singulier dans l’histoire des femmes guerrières puisqu’il prétendait disposer d’une garde composée essentiellement de femmes grecques géantes qui avaient efficacement contribué à ses conquêtes et à ses victoires sur ses ennemis en Inde. Trois mille ans après lui, les Nizam de l’Hyderabad dans le Deccan étaient, eux aussi, gardés par des femmes[8]. On retient une tradition semblable chez les rois de Kandy au Sri Lanka : ceux-ci étaient également protégés par des archères.
De même, au XIXe siècle, le roi de Siam était gardé et protégé par un bataillon de 400 femmes armées de lances. D’après les données dont on dispose, ces femmes étaient soigneusement choisies parmi les plus belles et les plus robustes filles du pays. En vertu de ce choix, leur performance surpassait celle des hommes (soldats au masculin) au cours des manœuvres. Mieux, elles étaient considérées comme des lancières d’élite. Au cours de ce même siècle, on découvrit que deux bataillons de lancières protégeaient l’un des rois des Beir du Nil Blanc. Par ailleurs, selon les Byzantins, il y avait des femmes soldates parmi les armées slaves. Dans les tribus de culture équestre de l’Eurasie, tels que les Huns, les Scythes, les Mongoles, les Tartares, les Uzbeks etc., on comptait des femmes guerrières parmi les hommes.
En somme, au cours de l’histoire, notamment de la préhistoire, les peuples étaient nombreux à recourir aux services de femmes combattantes pour assurer leur sécurité face aux peuples envahisseurs. A titre d’exemple, on peut citer quelques peuples parmi un grand nombre : les Scandinaves, les Kurdes, les Rajputs, les Chinois, les Philippins, les Indonésiens, les Maoris, les Papous, les Aborigènes ou peuples autochtones d’Australie, les Amérindiens, les Micronésiens.
- B) Reines guerrières et Amazones en Afrique noire
Stanley B. Alpern[9] comme Pierre Labarthe[10] insistent dans leur ouvrage respectif sur les diverses figures de femmes guerrières en Afrique noire. Même si les Amazones du royaume du Dahomey représentent un cas historique unique, voire exceptionnel par leur longévité et par leur prouesse de combattantes guerrières contre les envahisseurs de leur royaume, il n’en demeure pas moins que d’autres femmes guerrières s’étaient faites remarquées dans l’histoire. Ainsi en est-il de la reine guerrière Nzinga de Matamba, l’une des figures dominantes de l’histoire de l’Angola du dix-huitième siècle. Elle régna en son royaume pendant 40 ans. Elle constitua une solide armée masculine. A la tête de celle-ci, elle conduisit plusieurs combats, voire plusieurs guerres contre les Portugais qui tentèrent d’envahir et d’occuper son pays. En 1640, elle bénéficia du soutien néerlandais. Alors qu’elle avait plus de 60 ans, l’officier néerlandais, qui lui était envoyé par son pays, était impressionné par ses performances physiques. Il qualifia même la reine Nzinga de « virago au cœur vaillant ». Elle prenait plaisir à se battre contre n’importe quel adversaire masculin ou féminin de son âge ou plus jeune qu’elle ; et elle s’habillait comme un homme. Avant chaque combat, elle s’adonnait à la danse toute vêtue de peaux de bêtes, une longue épée suspendue au cou, une hache retenue par sa ceinture, voire un arc et des flèches dans ses mains. Dans cet ensemble de tenue guerrière, elle dansait avec autant d’agilité qu’un jeune homme de 20 ans. Puis, au terme de sa danse de démonstration, elle faisait mander un prisonnier. Elle lui coupait la tête et buvait une grande gorgée de son sang. Selon le Néerlandais, la reine Nzinga entretenait un harem de 50 à 60 concubins, tous habillés comme des femmes.
Les auteurs précités rapportent aussi le cas d’une autre reine guerrière puissante en Afrique de l’Ouest. Il s’agit de la reine guerrière et légendaire Amina. Selon les données historiques relatives à cette reine, au XVIe siècle, cette dernière dirigea pendant 34 ans, l’Etat haoussa de Zaria ou Zazzou ; Etat situé au Nord de l’actuel Nigéria. Ses campagnes militaires en firent l’Etat haoussa le plus puissant et le plus important de son époque. A son sujet, on rapporte que l’intérêt qu’elle témoignait pour la guerre dépassait les bornes de l’imagination tant son courage et sa bravoure surpassaient ceux de ses contemporains masculins ou féminins.
Stanley B. Alpern donne deux autres exemples d’Amazones, l’un en Afrique de l’Est, l’autre en Afrique australe. Dans le premier cas, il s’agit de l’Ethiopie que deux prêtres portugais avaient visitée séparément au début du XVIe siècle. Leurs témoignages tendent à prouver que dans une province de ce pays existaient des femmes dont les traits ou caractéristiques avaient quelque chose à voir avec les Amazones de la légende grecque. En effet, leur sein droit était cautérisé pour l’empêcher de se développer ; ce qui leur permit de devenir des archères habiles. Elles étaient armées en permanence parce qu’elles passaient le plus clair de leur temps à faire la guerre et à chasser. Faute de chevaux, elles se battaient à dos de taureau. Le célibat n’était pas une obligation car certaines d’entre elles pouvaient se marier. Lorsque leurs enfants étaient sevrés, ils étaient confiés aux hommes. Il n’en demeure pas moins que ces femmes guerrières faisaient preuve de bien plus de bravoure et de courage, voire d’ardeur martiale que leurs maris.
Quant au deuxième exemple d’une figure d’Amazones en Afrique noire, c’est encore grâce à un voyageur portugais, Duarte Lopez, que des données historiques nous sont parvenues. Selon cet aventurier, l’empereur du Monomotapa, situé à l’intérieur du pays (par rapport à la côte), avait constitué une grande armée. Celle-ci guerroyait en permanence pour conserver l’intégrité de tout le territoire de son empire. Alpern cite des passages de Lopez pour étayer ses propres analyses. « Parmi les troupes du {roi du Monomotapa} », déclara Lopez, « celles qui ont le nom d’être les plus valeureuses et qui sont le nerf des forces armées du roi, ce sont les légions de femmes… » Leur sein gauche était brûlé pour faciliter leur tir à l’arc. Elles étaient « fort agiles et rapides, vigoureuses et rapides {…} sûres et solides au combat » et elles « montr{ai}ent beaucoup d’astuces guerrières », faisant mine de se retirer, avant de se retourner (mais pas à cheval) et de tuer l’ennemi qui exultait d’une joie prématurée. C’est ainsi que « {L}eur rapidité, leurs embuscades et leurs autres ruses de guerre les {f}aisai}ent craindre beaucoup dans ces contrées »[11]. De ces remarques, Alpern conclut que leur empereur leur concéda des terres exclusives pour vivre de manière autonome. Elles pouvaient s’accoupler suivant leur gré et de temps en temps avec des hommes qu’elles choisissaient. Deux cas de figure se présentaient des suites de ces accouplements libertaires, c’est-à-dire le destin de leur progéniture : les garçons étaient confiés à leurs pères. Quant aux filles, « elles les gard{ai}ent avec elles afin de les exercer à la guerre ».
- C) Les Amazones du royaume du Dahomey
De toutes ces données mythiques, légendaires ou historiques, on retient des caractéristiques permanentes. En effet, quelles que soient les époques et les zones géographiques, les Amazones légendaires des Grecs et celles, historiques, du royaume du Dahomey présentent un grand nombre de traits similaires. Retenons les traits les plus saillants et les pérennes : on apprenait aux filles, dès leur jeune âge, à manier les armes, à se battre durement ; les entraînements à l’endurance, à la vélocité, à l’intrépidité, à l’affront de la souffrance avaient pour but de les rendre très fortes et très résistantes dans les combats comme si leur destinée était uniquement de faire la guerre. Elles s’entraînaient aussi à la chasse. Dans ce tableau général, les Amazones du Dahomey se distinguaient par la danse et leur jeu de musique instrumentale.
Une photo de quelques Amazones du royaume du Dahomey
Selon Alpern, quelques autres caractéristiques les distinguaient de leurs consoeurs de l’Antiquité. D’une part, elles ne montaient pas à cheval ni n’utilisaient tout autre animal comme monture. D’autre part, elles n’employaient ni arcs, ni flèches, ni lances, ni haches, mais elles étaient essentiellement équipées de machettes, de mousquets, de massue. Elles faisaient également usage de boucliers. Enfin, elles gardaient intacts leurs deux seins ; ce qui pourrait s’expliquer par le fait que qu’elles n’étaient pas archères.
Toutefois, comme leurs aïeules légendaires, elles pratiquaient le célibat et s’abstenaient d’auto- reproduction. Certes, elles vivaient dans la cité royale, mais elles étaient séparées de tout voisinage masculin. Elles étaient aussi autonomes comme les autres figures d’Amazones de l’histoire et de la préhistoire. Nonobstant ce, le trait permanent de toutes est le suivant, comme l’écrit Alpern : « Le but essentiel de leur vie est de faire la guerre. Elles avaient soif de batailles, s’y préparaient en poussant des cris à vous figer le sang, s’en délectaient et luttaient avec fureur et vaillance, comme si elles étaient exemptes de peur. En cas de victoire, elles se montraient impitoyables face à leurs ennemis. Elles terrifiaient leurs voisins. Les hommes voyaient en elles des adversaires méritants et implacable »[12].
En définitive, la disparition des Amazones du royaume du Dahomey marque la fin du règne des Amazones mythiques, légendaires et historiques sur la surface de notre commune Terre. Telle est aussi la conclusion des Editions Larousse : « Les seules Amazones historiques connues, ce {furent} les Amazones du Dahomey, qui ont disparu avec la conquête de ce pays par la France ». (Cité par Alpern).
Amazones du Dahomey
Notes de bas de page
[1] Sur ce point, et pour en être largement instruit, on peut lire le fabuleux ouvrage de Merlin Stone : Quand Dieu était femme – A la découverte de la Grande Déesse, source du pouvoir des femmes- (L’Etincelle, Montréal, 1979)
[2] On peut trouver toutes ces données amplement analysées dans mon livre : EVE, FILLE D’EVE : LE FÉMININ INTEMPOREL-Vanité du soi-disant sexe fort– (Thélès, Paris 2008).
[3] Les Amazones de la Sparte noire- Les femmes guerrières de l’ancien royaume du Dahomey (L’Harmattan, Paris 2014, p.39)
[4] Diodore de Sicile : Histoire universelle – Trad. Monsieur L’abbé Terrasson de l’Académie française – (Edit. de Bure l’Aîné, Paris MDCC .XXXVII)
[5] Nous verrons ultérieurement avec les Amazones historiques, soit les femmes guerrières du royaume du Dahomey, qu’il s’agit là d’une donnée permanente de l’organisation des Amazones. Il y a comme une volonté inhérente en la personne de ces femmes de surpasser les hommes dans leurs performances propres et les plus outrées. Aussi, et partout où il est question de femmes guerrières, elles s’infligent des formes d’endurance hors-normes. Les guerrières du Dahomey s’imposèrent des entrainements qui les acheminaient vers l’insensibilité par rapport aux pires douleurs, aux pires souffrances. Inversement, elles étaient impitoyables par rapport aux membres du genre masculin. Quand elles en avaient l’occasion, elles n’hésitaient pas les massacrer sauvagement.
[6] Amazones et femmes de guerre dans l’Antiquité (Clermont-Ferrand, Paléo, Coll. « Histoires », 2012)
[7] Les Amazones : mythes, réalités, images (Les Cahiers du GRIF, vol 14,N°1, 1976, p. 10-17)
[8] Ceci milite en faveur de l’idée que la tradition des gardes féminines avait dû se perpétuer au cours de l’histoire des peuples de cette zone.
[9] Les Amazones de la Sparte noire- Les femmes guerrières de l’ancien royaume du Dahomey (L’Harmattan, Paris 2014)
[10] Voyage à la côte de Guinée ou description des côtes d’Afrique depuis le cap Tagrin jusqu’au cap Lopez-Gonzalves (Debray, Paris 1803)
[11] Les Amazones de la Sparte noire… (p.30)
[12] Opu cit. p. 32