Face aux questions contemporaines de ce monde multipolaire, qui s’attache plus que jamais à trouver dans la réussite le fondement de toute forme de vie, il est légitime de s’interroger sur l’ambivalence entre réussite et épanouissement. Qu’elle est donc cette réussite impérieuse au nom de laquelle on me juge ? La réussite, stricto sensu dérive du latin exire, signifiant sortie, aller hors de. On pourrait donc trouver dans cette première approche, une définition commune de la réussite : c’est l’accomplissement d’un but que je me suis fixé, pour lequel j’ai oeuvré : j’ai travaillé à ma réussite et pour elle. Toute réussite serait donc due à un travail méthodique.
Pour autant, comment expliquer qu’Autrui arrive a obtenir de meilleurs résultats que moi ? Serait-ce donc là l’expression d’une supériorité intelligible ? Aurait-il un don ? En effet, s’il l’on s’interroge raisonnablement sur cette situation, on ne saurait convenir d’une autre conclusion. Prenons deux élèves identiques, et faisons-les travailler sur un même sujet. Ces deux élèves ont eu les mêmes temps de préparation, les mêmes conditions. Pourtant, ils n’auront pas la même note, leurs réussites ne seront pas identiques, pour autant que l’on convienne que dans notre système scolaire actuel, les notes font la réussite. L’Egalité parfaite n’existe pas, convenons-en. Si l’on ne peut mesurer la réussite au nombre d’heures de travail, résulterait-il que toute réussite soit l’expression d’un don ?
Admettre que la réussite soit un don, serait-ce négliger le travail ? Le talent peut-il se passer de travail ? La réussite, est-ce celle des autres ?
Pour étayer mon analyse, et pour offrir une réponse claire et universelle je me propose de répondre à ces questions de la manière suivante : l’énoncé de la question sera suivi de ma vision des choses : vision réfléchie et fondée car à la fois puisée dans l’expérience, et dans l’entendement.
Admettre que la réussite est un don, serait-ce négliger le travail ?
Il est vrai que certains génies n’ont pas besoin de travailler pour réussir, il semble que tout leur est inné. Pour autant, il serait incohérent de parler de talent, et je préfère plutôt utiliser le terme d’aptitude. Ces personnes extraordinaires, en ceci qu’elles se détachent du commun des mortels, possèdent donc des aptitudes qui leur permettent de résoudre des problèmes, sans travailler préalablement. Il semble que des mécanismes leur permettent instinctivement de répondre, sans avoir besoin de réflexion. Car s’il l’on juge bien, on se rendra compte que l’expression de l’aptitude se rapproche plus du réflexe que du processus de pensée : le génie ne réfléchit pas : il suit l’impulsion de son cerveau, et, bien souvent, il ne se rend même pas compte qu’il a résolu un problème. Il semble ainsi que le don n’ait pas besoin de travail, pour s’exprimer.
L’exemple du pianiste canadien Glenn Gould laisse d’ailleurs présager quelques prédispositions à la musique. En effet, si ce dernier était atteint du syndrome d’Asperger, on ne peut que saluer le génie de ses interprétations : le travail semble passer au second plan fasse à des facultés mémorielles absolument remarquables.
Mais je refuse de me résoudre à cette unique vision de l’Homme, car l’espoir n’y serait qu’une lueur proprement consumée dans l’entreprise même de sa réalisation. Jugeons-en plutôt : admettre que la réussite repose sur le don, n’est-ce pas éteindre chez l’Homme toute forme de volonté ? N’est-ce pas laisser l’espoir s’envoler aux vents de la désillusion ? Si je me rends rend compte que je ne suis pas pourvu d’un don, à quoi bon travailler, puisque je ne puis viser la réussite que je convoite tant ?
Plus que la négligence du travail, si la réussite était seule affaire de talent, l’Humanité ne serait pas ce qu’elle est devenue par mon travail.
Tout esprit raisonnable s’accordera ici avec ma pensée : on ne peut admettre que le talent soit la seule la donnée de la réussite : c’est un facteur.
Donc le travail serait-il responsable de la réussite ?
Le travail, c’est avant tout l’effort que je réalise pour atteindre un but, c’est-à-dire pour réussir. Le travail est donc affaire de volonté. Et plus qu’un simple instrument de cohésion de l’Humanité, plus qu’une simple affaire de pénibilité, le travail est, et demeure un facteur de réussite.
En effet, on peut souligner le travail assidu de Mozart qui, avant de faire éclater son génie, a suivi un travail méthodique, régulier et exigeant avec son père musicien.
Mais je dis facteur, car la réussite, au même titre que le talent, ne dépend pas seulement du travail.
Car réduire la réussite au travail seul serait ôter à l’Homme toute forme de mérite, en ceci qu’il n’aurait qu’à travailler (et encore le faut-il !), pour réussir.
Je vois ici une forme d’automatisation de l’action : un impératif hypothétique kantien, «Si je veux réussir, je dois travailler.»
Or, plus que la question du devoir, il s’agit ici de souligner à quel point un tel raccourci ne peut qu’apporter un modèle de réussite : une sorte de stigmatisation qui serait au fond l’ablation de toute la fascination que nous avons pour la réussite.
Ainsi, le talent et la réussite sont au travail ce que les rayons de soleil et l’absence de nuage sont au beau temps : des facteurs de réalisation qui n’expliquent en rien mon sourire lorsque j’ai réussi.
Le talent peut-il se passer de travail ?
Il semblerait, au regard de notre analyse antérieure, que le talent et le travail n’aient proprement rien de commun. Mais le don peut-il s’exprimer sans travail ? On jugera préalablement que le don n’a pas besoin d’être exprimé pour être.
Car si le don de l’écriture a foncièrement besoin d’instruments (du papier et un crayon) pour s’exprimer, son étant même n’est-il pas et ne demeure-t-il pas sans s’exprimer ? Si j’ai ce don, mais que je n’ai pas le désir de l’exprimer, cesse-t-il pour autant d’être mien ? Un don a-t-il forcément besoin de s’exprimer pour être ? A cela l’esprit vulgaire rétorquera qu’on ne peut juger raisonnablement de la possession sans preuve. A ce titre je répondrais : prouvez votre douleur, lorsque je vous blesserai.
Le don n’a donc pas besoin de travail pour exister, mais pour s’élever.
L’exemple de Daniel Tammet est d’ailleurs assez significatif. En effet, si cet homme est devenu l’un des plus grands savants contemporains, c’est grâce à son travail assidu qui a fait émerger son génie des nombres.
Pour autant, si je travaille mon don d’écriture en lisant de nombreuses oeuvres ne perdrais-je pas ma singularité, mon style ? De façon inconsciente, n’userais-je pas des expressions des auteurs qui composent mon travail ? C’est là toute la complexité du talent : c’est d’être singulier. Si tout le monde était pourvu de don, alors nous serions tous égaux : aucune singularité. La force du talent, c’est d’être mon talent. Car, si je travaille à faire du talent une singularité parmi tous les dons de même essence qui existent, alors je pourrais parler de mon talent.
Par conséquent, je n’ai pas de talent si je ne travaille pas à faire du talent mon talent, alors facteur non plus de la réussite, mais de ma réussite.
La réussite, est-ce celle des autres ?
C’est se méprendre que de parler de réussite. La réussite n’a de sens que si elle m’est propre. La réussite est proprement paradoxale, car elle n’est pas la même pour tout le monde. Ma vision de la réussite, par exemple l’obtention d’une note qui me met en joie car elle est meilleure que la précédente ; ce n’est pas celle de mes parents, qui voient dans cette note l’expression encore insuffisante de mes capacités ; ni encore celle du professeur qui jugera la note comme un simple chiffre, et non comme une réussite proprement dite. Pourquoi peut-on dire que j’ai réussi ?
J’ai réussi car je me suis fixé un objectif qui m’est propre. J’ai travaillé, et j’ai usé de mon talent.
On peut donc dire que la réussite, c’est celle qui m’est propre, celle pour laquelle je me suis battu : ce n’est pas les attentes des autres : c’est ma propre dimension ; elle m’appartient.
Par conséquent, la réussite scolaire n’apparaît plus comme une réussite : c’est encore celle des autres, même si elle semble comme un premier pas vers l’expression de ma réussite, c’est encore une réussite qui chiffre mes progrès. C’est l’attente de la société qui voit dans la réussite scolaire un tremplin pour la réussite professionnelle, seule juge de la réussite d’une vie. Mais comme nous l’avons souligné : la réussite comme accomplissement, c’est encore la mienne. En ce sens, nous pouvons dire que la réussite, c’est surtout le savant mélange entre la culture du talent qui sommeille en chaque Homme, pour peu qu’il l’éveille, et le travail soutenu et méthodique, qui me porte et me contient.
Ma réussite, c’est encore la découverte de mon talent, celui qui me singularise et qu’il faut travailler. Ma réussite, c’est quand je peux clamer haut et fort : j’ai réussi.
Rémi Perrichon (TS4 – Lycée Saint Marc de Nivolas-Vermelle 2013-2014)