Une brève histoire des Lyéla – Mythes et réalités

  

Résumé :

   Le mot gourounsi est un terme péjoratif qui, en réalité, n’a aucun contenu précis. Tout se passe à l’instar de tous les peuples voisins qui ont tendance à se discréditer en s’appelant mutuellement par un terme dégradant ou humiliant. Il en est ainsi des Français par rapport aux Britanniques, aux Allemands, aux Espagnols, etc.

   De même, les peuples voisins d’un groupe de peuples autochtones (Lyéla, Kassena, Nuna, etc) qui ont des modes sociaux semblables et qui n’ont pas de pouvoir hiérarchique. On parle de pouvoir acéphal, c’est-à-dire sans chef ni roi ni prince. Il dérive donc des Moosè, repris par les occupants français. On le voit encore aujourd’hui sur place au Burkina Faso : quand les Lyéla sont entre eux et parlent d’eux-mêmes, ils se disent Lyéla et non pas gourounsi. Mais quand ils s’adressent à des individus appartenant à d’autres groupes ethniques, pour simplifier, ils se disent gourounsi selon le nom consacré par les usages. Donc, gourounsi ne signifie rien et ne désigne aucun peuple en particulier. Vous trouverez son sens dans le document joint.

    Les Lyéla figurent parmi les peuples autochtones de ce territoire devenu un pays par l’influence française. Ils ont leurs racines nulle part ailleurs qu’au Burkina Faso, contrairement aux Moosè, aux Dioula, etc. C’est pourquoi, le terme « lyéla » signifie : « ceux qui ont toujours été là », c’est-à-dire là où ils continuent de vivre, les termes qu’ils continuent d’occuper ou de mettre en valeur. C’est pourquoi aussi, on ne trouvera jamais dans aucun autre pays limitrophe du Burkina Faso leur nom ; hormis l’émigration qui les a disséminés dans tous ces pays voisins du Burkina Faso. Donc, les Lyéla sont Lyéla et rien d’autre ; surtout pas « gourounsi ».

  A la limite, au lieu de conserver toujours ce terme insignifiant pour qualifier ces peuples du Burkina Faso, on pourrait les appeler, par exemple, « les premières nations », « les peuples autochtones ». « les Natifs »,etc.

1- Le terme problématique de « Gourounsi » au Burkina Faso et la confusion des entités ethniques

     Les Gourounsi ou Gurunsi parmi lesquels on classe le groupe des Lyéla, sont considérés, au même titre que les Nioniossi, les Kibissi, les Sénoufo, entre autres, comme des « populations autochtones » [ Guiltrem Marcel, Sylvain Toé, Jean Hébert, 1964, P.199] du Burkina Faso. Le groupe Gourounsi lui-même, fruit d’une taxinomie coloniale, est un ensemble composite de sous-groupes lesquels présentent en apparence une certaine homogénéité, comme semble le soutenir Anne-Marie Duperray dans son introduction à sa thèse de troisième cycle  : « Dans l’actuelle République de Haute Volta, le terme Gourounsi désigne un groupe de populations : les Léla, les Ko, les Pougouli, les Nouna, les Sissala, les Kasséna, les Nankana et les Kousace qui, malgré l’absence d’une langue et d’institutions politiques communes, présentent une incontestable unité culturelle »[1][Les Gourounsi de Haute Volta, E.H.E.S.S., Paris 1978}

   Ce qui autorise cet auteur à les catégoriser sous cette dénomination résulte d’un certain nombre de caractères. En effet, quel que soit leur éloignement les uns par rapport aux autres dans l’espace, ces groupes se démarquent de leurs voisins, par exemple les Moosé, par l’absence d’une organisation politique centralisée et par la reconnaissance d’une autorité morale et religieuse, en l’occurrence, le « chef de terre ». En outre, tous ces groupes font preuve d’un fort esprit d’indépendance par rapport à quelque autorité que ce soit. Cependant, elle admet que cette homogénéité n’est qu’une apparence. En effet, certains, parmi ces groupes, ont subi l’influence de peuples voisins disposant d’une autorité politique hiérarchisée. Il s’agit notamment des Kassena et des Nouna que les royaumes Moosé ont fortement influencées. Ces relations ont eu pour conséquence de les conduire à une mutation au niveau politique. Ces deux groupes ont ainsi mis en place « des embryons de systèmes politiques, hiérarchisés, des chefs exerçant alors une autorité plus politique que religieuse sur un certain nombre de villages environnants« [1978].

    Même la langue les diffère les uns des autres. Cette auteure convient qu’ils parlent des « langues voltaïques divisées en deux groupes : les langues gourounsi proprement dites, celles des Ko, des Sissala, des Nouna, des Kassena, des Pougouli et des Léla, et les langues more-dagbane, celle des Nankana et des Kousace« [P.2]. Dès lors, entre ces deux groupes différenciés selon la langue parlée, il n’existe pas de compréhension mutuelle. Les caractères qu’elle retient pour maintenir cette appellation commune nous semble peu pertinents dans la mesure où, par extrapolation, on peut retrouver les mêmes chez des peuples voisins des groupes en question. A défaut d’institutions politiques communes dans lesquelles ils puiseraient la conscience de leur unité en tant qu’entité ethnique, Anne-Marie Duperray fait résulter celle-ci « d’un faisceau de traits similaires concernant aussi bien l’organisation de la société que divers domaines de la vie quotidienne. Tous sont patrilinéaires, attachés à des croyances, à des pratiques religieuses, à des procédés divinaires, utilisant les mêmes instruments de musique, les mêmes techniques de culture ou de construction etc.« [P.2]. Or tous ces traits culturels ou culturaux sont partagés par plusieurs peuples burkinabé sans qu’il ne soit possible de la catégoriser sous une dénomination commune.

    Par-delà la difficulté de comprendre, voire de saisir les particularités spécifiques d’un groupe de peuples divers et hétérogène, sous une seule appellation, c’est le terme même de gourounsi qui est en soi contestable. Anne-Marie Duperray se livre elle-même à une longue analyse de l’ « apparition du terme gourounsi », de « sa généralisation » pendant la période coloniale. Signalé pour la première fois dans l’ouvrage (1820) d’un auteur anglais, T.E. Bowdich, le terme gourounsi, d’abord orthographié « gooroasie », a, ensuite, connu diverses fortunes à travers la littérature ethnologique, historique des auteurs Anglais et Français. Ceux qui sont censés être représentés par le terme en question sont toujours appréhendés non eu eux-mêmes, mais par rapport à leurs voisins jouissant d’une organisation politique centralisée, hiérarchisée, seule valable aux yeux des premiers colonisateurs. Il s’agit, en l’occurrence, des Ashanti, des Dagomba, des Gamba, des Moosé etc. Pire, ce nom ne parvient pas, selon certains auteurs comme l’explorateur Allemand Kurt Von François ou le capitaine Binger, à désigner tous les groupes dits Gourounsi. Ceci montre, à l’évidence, le caractère flou, vide de contenu, de ce terme. D’où l’aveu d’impuissance de ce dernier à comprendre ce qu’est réellement le « gourounga… à cause de la diversité des idiomes et des préoccupations diverses » [1978, P.P.27-28]. C’est pourquoi, Emmanuel Bayili affirme que le terme de « gurunsi » est dénué de sens dans la mesure où il s’agit d’une appellation étrangère aux différents groupes de populations que celle-ci est censée embrasser.

Expression de joie d’un groupe d’enfants qui ont gagné un match de foot balle

    L’attitude d’Emmanuel Bayili, par rapport à ce nom, résulte de la signification de celui-ci à partir de son appropriation par les peuples voisins, qui ont établi avec les prétendus groupes gourounsi des rapports de conflit et de domination. Même sur ce point, Anne-Marie Duperray parle d’un « halo d’imprécision ». En effet, « le lieutenant Marc, administrateur en pays mossi dit que « gourounsi est le mot songhaï-gourounga qui signifie incirconcis et qu’il est devenu au pluriel « gourounsi« , selon les règles du pluriel mossi » (p.p.35-36). Tous les auteurs consultés sur ce point s’accordent à reconnaître qu’une nuance péjorative est attachée à ce terme. Selon Emmanuel Bayili, les Moosé-Dagomba-Mamprussi, parlent des gouronsi avec mépris. Ce terme est donc injurieux pour les populations qui sont désignées sous cette appellation. Les gourounsi seraient des « primitifs », des « sauvages », des « non-civilisés », voire des « voleurs ».

    En raison du flou qui caractérise le mot gourounsi qui désigne tout et rien, de la nuance péjorative qui lui est attachée et dont se sont appropriée les peuples voisins selon ce seul sens, certaines populations comme, entre autres, les Lyéla de Batondo qui se disent nébwala, en viennent à récuser vigoureusement leur appartenance à l’appellation Gouronsi. Par ailleurs, selon Anne-Marie Duperray, « en 1952, un Père Blanc, le père Nicolas [La question de l’ethnie « gourounsi » en Haute Volta, P.171], après un long séjour en pays gourounsi propose d’en bannir l’emploi après avoir constaté « qu’aucune ethnie ne s’intitule elle-même Gourounsi ou Gourounga et que bien au contraire ces appellations étaient unanimement répudiées par toutes les confédérations de ce groupe parce que toujours perçues elles-mêmes comme dénigrantes et injurieuses«  »[P.31].

   Même les Lyéla ne constituent pas en soi un groupe homogène : ils comprennent des spécificités internes au niveau de la répartition dialectale. On y distingue quatre groupes importants [Batiénon Bali, Ouagadougou, juin 1960] :

1- Les Nuna ou Nébwa qui occupent le territoire autour de Pouni.

2- Les Nébwala qui sont un mélange des Nuna ou Nébwa Mossi et des Seyalma, occupent la région de l’ex-canton de Batondo ;

3- Les Seyalma habitent toute la partie centre du Lyolo, en l’occurrence, l’espace géographique autour de Réo, à l’exception des villages de Dassa, Poun, Nunion, voire tout le territoire de Kordié ;

4- Les Lyéla se situent principalement dans le canton de Didyr.

    Cette taxinomie admise, dans l’ensemble, par les quatre groupes en question comporte elle-même encore des subdivisions secondaires plus ou moins importantes que nous jugeons peu pertinentes de retenir dès lors qu’elles émiettent l’objet de ces recherches au point de le rendre quasi inintelligible. Ce choix arbitraire nous amène à nous intéresser davantage aux mouvements migratoires qui ont conduit ces groupes à l’occupation de l’espace du Burkina Faso qui est aujourd’hui le leur.

1- Les mouvements migratoires supposés des Lyéla

    A la lumière des recherches contemporaines et la nouvelle intelligibilité que celles-ci instaurent, Jean-Loup Amselle écrit avec justesse qu’en matière d’anthropologie africaniste, il importe de rompre avec la conception simpliste non-historique des groupes humains africains. L’historicité des peuples africains ne commence guère avec la colonisation de territoires africains par l’homme blanc. Une telle conception s’inscrit naturellement dans le schéma ethnocentriste européen en ce qu’il nie une dynamique originaire, propre aux peuples africains, susceptible de les amener dans le champ d’une historicité originale. C’est en ce sens que cet anthropologue écrit : « Ainsi, la cause paraît entendue actuellement : aucune société n’a jamais vécu à quelque époque que ce soit de façon isolée et repliée sur elle-même. Toutes les sociétés[2] ont toujours été insérées dans des ensembles socio-économiques qui les débordaient largement et qui influaient sur elles.

   C’est donc en délaissant arbitrairement certains phénomènes qu’il a été possible de prétendre que les sociétés traditionnelles ne s’étaient ouvertes sur, ou n’avaient été influencées par l’extérieur qu’avec l’avènement de la colonisation. De même, ce n’est que par confusion entre « économie » et « marché » qu’on a pu affirmer que l’influence des facteurs économiques ne s’était exercée sur les sociétés africaines et en particulier sur les migrations que depuis une période récente.

            Par conséquent, il nous semble légitime, et cela constitue un progrès par rapport à l’approche psycho-sociologique ou culturaliste des migrations, de rechercher dans l’histoire de la société étudiée certains phénomènes qui pourraient être à l’origine des migrations[3]actuelles » [1976, P.17].

    Cette longue citation nous était nécessaire pour comprendre le fait que de nombreuses recherches anthropologiques antérieures sur les peuples africains n’ont pas tenu suffisamment compte de la manière dont ils disent et vivent leur propre histoire. Certes, comme chez les Lyéla, il s’agit généralement d’histoire non écrite, fondée sur des contes ou des mythes. En raison de la faiblesse ou des caprices de la mémoire, n’a-t-on pas été fondé à dénier à ces formes historiques toute validité scientifique ? Mais, toute histoire, même écrite, ne puise-t-elle pas ses origines dans des contes ou des mythes fondateurs des sociétés ?[4]

    Lors de nos premières investigations au pays lyél, de 1978 à 1983, nous avons pu constater que les membres éminents (ceux qui sont censés posséder un certain savoir sur l’histoire des groupes auxquels ils appartiennent) de tous les clans interrogés affirment venir d’ailleurs. Mais, imbu à l’époque de la raison philosophique et de l’influence occidentale, nous avons négligé l’histoire telle qu’ils la pensent ou la conçoivent eux-mêmes. Et nous avons préféré la chercher, naturellement en vain, dans les livres des bibliothèques de Paris. Pourtant, pour comprendre quelques aspects de leur histoire, nous sommes contraints de partir d’un des mythes des Lyéla que rapporte Rüdiger Schott dans l’un de ses articles sur ce groupe humain. Il s’agit de l’histoire du clan Bationo, l’une des communautés fondatrices du village de Réo. Ce mythe raconte l’origine du clan et les raisons qui l’ont poussé à émigrer ailleurs, en l’occurrence à Réo. Voici cette histoire telle qu’elle a été rapportée à R. Schott : « Les Bationo sont venus de Ham (ou Kam, en pays Mossi) et se sont établis à Réo. Nous étions des gens de Ham. Au temps de nos ancêtres (lit. de nos pères), une femme alla un jour au puits ; elle était enceinte. Nos pères se disputèrent entre eux à propos de sa grossesse : quelques-uns furent d’avis qu’elle mettrait au monde un garçon, d’autres, une fille.

   Quand la femme s’en revint du puits, ils s’emparèrent d’elle, ils la jettèrent à terre, la tuèrent et lui coupèrent le ventre : alors ils surent que c’était un garçon qu’elle mettrait au monde. Là-dessus, une guerre éclata (entre les ancêtres se disputant la grossesse). La guerre ayant éclaté, nous nous avouâmes vaincus : nous prîmes la fuite vers Ouagadougou… De là, nous nous mîmes en route pour Koudougou, et finalement le clan des Bationo arriva à Réo, en pays Lyéla.« [1992 ; P187]

    Certes, ce mythe connaît diverses versions selon les clans. Mais, quelles que soient les formes qu’il peut avoir, en vertu des contenus, le fond du problème est le même : les désaccords entre les membres d’une même « grande famille » conduisant à un conflit grave ou à une guerre expliquent, en partie du moins, les raisons de l’émigration de ces peuples. Ce mythe que l’on appelle « La femme enceinte éventrée » [Rüdiger Schott, 1990] permet de faire les remarques suivantes : d’abord, la femme enceinte éventrée prend une place centrale dans le mythe comme fait qui fonde et justifie un phénomène historique originaire de justification, c’est-à-dire la provocation de querelle entre deux groupes, acheminant ceux-ci à une différenciation ethnique. L’acte lui-même montre qu’il s’agit d’une agression gratuite commise sur la personne d’une femme innocente qui, de surcroît, porte la vie en son sein. Il s’agit d’un acte crapuleux. Ceci permet de dire qu’il ne peut être que le fait  d’émabia, c’est-à-dire de bandits au sens de moralement méchants ou pervertis.        

    Chez les Lyéla, désigne quelqu’un (jeune homme ou jeune femme) qui n’a peur de rien ni de personne. Toute son essence le dispose à commettre des actes contraires aux bonnes moeurs. Il recherche la querelle et il est provocateur parce qu’il est courageux. Etant courageux, il affronte aisément autant l’espace humain que celui du bois sauvage, la brousse, réputé dangereux en tant qu’il est un lieu habité par les bêtes fauves et les mauvais esprits. A ce titre, il ne craint pas de rompre ses liens avec sa communauté pour aller mesurer, ailleurs, sa force ou son caractère intrépide. Dès lors, on comprend que cet acte singulièrement inhumain, ne peut être commis que par des émabià ; sachant, par ailleurs, qu’ils versent du sang humain sur la terre sacrée. Une telle effraction, nous le verrons un peu plus tard, est un crime odieux, grave, sanctionné soit par de lourds sacrifices propitiatoires soit par l’expulsion des auteurs hors de la communauté ou de l’espace territorial villageois. On peut supposer que les ancêtres des Lyéla ont dû subir un sort semblable suite à leur crime.

   Ensuite, ce mythe évoque le caractère réfractaire des Lyéla à se soumettre à quelque autorité que ce soit. Ils le partagent, en partie, avec l’ensemble des groupes dits gourounsi chez lesquels on ne trouve pas d’organisation politique hiérarchisée, à l’instar du grand peuple Moosé. A l’inverse de ces derniers, tous les Gourounsi dont les Lyéla, ont toujours été perçus par les colonisateurs comme des peuples rebelles, belliqueux, indomptables, faisant preuve d’esprit d’indépendance par rapport à tout pouvoir imposé du dehors. A propos des Lyéla, les premiers gouverneurs français, dans les années 192O parlent d’ « état d’anarchie sociale », de groupe insoumis, contrairement au Moosé considéré comme « docile et bien encadré ». Le groupe des Lyéla est « indocile et mal encadré » ; il est même « individualiste et d’un loyalisme encore douteux, sans armature sociale très solide » [Emmanuel Bayili ; 1983]. Jusqu’à la paix coloniale, les Lyéla feront montre d’un tel tempérament indocile, prompt à l’affrontement y compris entre villages voisins.

   Puis, de façon sous-jacente, ce mythe montre que ceux qui partent sont perçus comme des héros. En effet, ce sont des hommes, qu’on peut considérer comme assez audacieux qui disposent de suffisamment de forces physiques ou religieuses, c’est-à-dire infra-sensibles telles que les théurgies personnelles [P. Bamony ; 1997]. Car de telles infractions aux normes sociales supposent le fait de gens extraordinaires. Ils sont si peu ordinaires qu’ils peuvent quitter leur communauté d’origine pour aller s’installler ailleurs dans la mesure où, chez les Lyéla, on ne quitte pas aisément sa communauté ou son clan d’origine.

    Enfin, ce mythe montre, à l’évidence, que les groupes Lyéla se perçoivent eux-mêmes comme des immigrants[5]. En d’autres termes, ils n’ont pas toujours été là où les colonisateurs les ont trouvés. Un tel fait concernant une population considérée comme l’un des groupes voltaïques authentiques, remet en cause le mythe de l’autochtonie. Les clans Lyéla pensent globalement qu’ils viennent d’ailleurs. Mais, il y a généralement peu d’indications sur les supposés premiers occupants des terres d’immigration. Sans doute, on peut supposer qu’il s’agit de terres vierges ; ou encore, ce qui est plus plausible, immigrants et « autochtones » ont dû se fondre les uns dans les autres par le biais des alliances matrimoniales.

    Outre ce mythe de la discorde et de la séparation, on en trouve d’autres relatifs à la vie pastorale ou à la chasse qui militent en faveur de l’idée de zones inoccupées. Selon Emmanuel Bayili, l’installation définitive d’un ancêtre de clan survient à la suite de la découverte d’un espace vierge. Dans ce cas, le mythe met en jeu l’histoire d’un chasseur qui, en pistant un animal qu’il a blessé, tombe sur une zone propice à son installation. En revanche, dans d’autres cas, il s’agit d’un pasteur qui, en recherchant une de ses bêtes égarées, découvre une terre fertile et s’y installe. L’histoire suivante racontée à E. Bayili s’inscrit dans le cadre d’un mythe pastoral : « Nos ancêtres étaient deux frères : Obwu et Zilbwu qui, partis de Kwaé vers l’est à la recherche de leurs taureaux en divagation, le trouvèrent à l’emplacement actuel de Jijir. Ils le ramenèrent à Kwaé chez eux, mais ils durent revenir à plusieurs reprises au même endroit pour récupérer la bête qui s’entêtait à y retourner. Attirés par la fertilité du lieu, ils se résolurent finalement à s’y établir » [1983 ; P.231]. Ce dernier mythe indique que la cause de l’émigration résulte de la recherche d’une bonne terre ; donc le besoin vital ou d’espace pousse les hommes à s’en aller chercher, ailleurs, de meilleurs conditions de vie[6].

  En revanche, les mythes relatifs à ce qu’on pourrait appeler « autochtonie » sont plutôt rares.

    Joseph Bado de Sienkou est l’un des rares informateurs à nous donner une version différente de l’origine des Lyéla. Selon lui, en effet, « à l’origine les Lyéla viennent de Pouan. A cette époque, toute la région était encore une forêt vierge. Il n’y avait qu’un village : celui de Kyo (ou Tio). Lorsque les groupes lyéla sont arrivés, ils allèrent demander une place aux gens de Kyo pour s’installer. Un homme défricha un terrain où il s’installa avec sa famille. Après lui, trois autres hommes vinrent s’installer aussi avec leur famille. Ce sont ces quatre hommes et leurs familles qui ont fondé le plus ancien village lyolo, à savoir Poun. Ce village s’appelait, en réalité, Pouan. Il devint Poun parce que les hommes s’établirent succéssivement les uns après les autres. Poun est donc la terre des ancêtres des Lyéla ; du moins, d’une grande partie d’entre eux. Car, c’est de Poun qu’ils essaimèrent, partout ailleurs, pour créer tous les autres villages des Lyéla. Donc, les Lyéla authentiques viennent de Poun. Ce village est le lyolo même, c’est-à-dire le pays des Lyéla (ceux qui ont toujours été là). Les autres branches dites Lyéla, aujourd’hui, viennent soit du pays des Moosè, soit de chez les Nuna. »

   Ces informations qui paraissent comme une sorte de synthèse ou de concentré de l’histoire des Lyéla, se recoupent, dans les grandes lignes avec des récits plus analytiques qu’on retrouve, entre autres, dans la thèse du Père Emmanuel Bayili. Ce dernier, de son côté, en a d’ailleurs trouvé dans le village de Poun. Dans le cas présent, l’ancêtre ne semble pas venir d’ailleurs. Le mythe le fait surgir de la colline du village et disparaître sous terre à la fin de sa vie grâce à une queue dont il était doté. Cet ancêtre singulier apparaît comme un être extraordinaire, d’essence quasi divine puisqu’il n’est pas frappé par la mort au terme de sa vie sur terre. Devant les yeux ébahis de sa progéniture, il entaille un orifice dans la terre par lequel il disparaît vivant. Le mythe dit ceci : « L’ancêtre de Bado vient de la colline de Pun. Il se nommait Bé à Kiwéré Bili Bi (celui qui n’indique pas son origine). Il eut deux fils dont l’aîné Yéllé (…) est fondateur du Gwu. Bé à Kwéré Bili Bi n’est pas mort. A la fin de sa vie, il s’est enfoncé dans la terre à l’aide d’une queue qu’il portait » [1983; P.233].

3- Les lieux d’origine

La soif d’apprendre d’une petite fille

   Au-delà des mythes qui expliquent les raisons de l’émigration des clans lyéla, on peut aussi situer leur provenance réelle. Une telle recherche singulière en son genre, a été accomplie par Emmanuel Bayili. Dans cette étude sur l’histoire générale des Lyéla, il a pu reconstituer les zones de provenance des clans en fonction de la proximité des villages ou des zones d’installation avec les peuples voisins. Plusieurs foyers sont envisagés par cet auteur. D’abord, il pense qu’un grand nombre de clans fondateurs du lyolo sont venus du territoire Samo. Dix neuf villages sont fondés par ces groupes originaires du Samo. Il s’agit essentiellement de villages situés au Nord et au Nord-Ouest du Lyolo. Certains de ces clans ont réussi à traverser une partie du Lyolo pour aller créer des villages au Sud et à l’Est, c’est-à-dire à proximité du pays moosé. Néanmoins, les clans Nebwéla et Nebwa, à l’Ouest du Mouhoum n’ont pas été affectés par ce premier mouvement migratoire provenant du territoire Samo. Les clans détenteurs de la chefferie de terre, dans un grand nombre de villages, font partie des groupes d’une deuxième vague migratoire, de moindre importance, du même pays Samo. Ils ont pu fonder environ neuf villages.

   Ensuite, il y a les migrations venant du pays moosé. Ces vagues migratoires sont nettement plus importantes par rapport au reste, en l’occurrence, celles qui viennent du pays Samo. Cette massivité résulte essentiellement de l’étendue de la frontière entre le Lyolo et le pays moosé et aussi de l’importance des contacts, sous toutes leurs formes -guerres, razzias des esclavagistes, échanges commerciaux, expulsion etc.[7]– entre ces peuples voisins. Ces migrations se sont opérées comme les précédentes, en plusieurs fois. On peut retenir les provenances suivantes : d’abord, les zones de Samba, Batono, Rakwala, Latiton ; ensuite, le long des routes Koudougou-Sigle et Koudougou-Kologo ; puis, de façon plus large, l’itinéraire Ouagadougou-Koudougou, Koudougou-Sigle-Ouagadougou. Ce dernier itinéraire se situe grosso-modo entre les chefferies de Poa-Ramongo et la zone du Lallé.

   Quelques mouvements migratoires se sont opérés dans le Sud du Lyolo. Ils semblent mineurs mais plus anciens que les autres mentionnés ci-dessus. Ces migrations qui se situent le long de la frontière du pays nuna et qui constituent le lieu d’origine de quelques clans installés dans l’Ouest du Mouhoum, viennent essentiellement du village de Kaso.

   Ces mouvements de population, nous l’avons remarqué précédemment, remettent en cause le principe d’ « autochtonie ». Cela signifie, pour autant, que l’espace occupé aujourd’hui par les clans lyéla était-il exempt absolument d’habitants ? Sur ce point, Emmanuel Bayili parle de « migrations intérieures ». En effet, selon lui, « cette orientation géographique caractérise généralement le courant migratoire de l’intérieur du pays Nord-Nuna lui-même, où, à l’exclusion de quelques récents déplacements, la quasi totalité des migrations partent toujours de villages situés plus à l’Est pour se diriger dans des territoires villageois plus à l’Ouest.

   Les foyers de départ particulièrement nombreux dans la partie Est du pays : Batwée, Pün, Bãllà, Jò, Güyé, Guiì, Cò, se distinguent comme les plus anciens et les plus importants » [1983 ; P.215]. Toutefois, ces migrations dites intérieures ne convainquent pas sur l’ « autochtonie » de ces populations ou ensemble de clans. En effet, les villages cités, notamment Jò[8], Güyé, Cò etc. ont constitué eux-mêmes des zones d’immigration des groupes en provenance surtout du pays moosé.

            Quoiqu’il en soit, il semble impossible de remonter à une origine absolue des ancêtres fondateurs des clans lyéla. Plusieurs faits prouvent une telle hypothèse. D’abord, s’agissant des Pères fondateurs du village de Batondo, du moins du clan Négalo, Yomboué Vincent Négalo ne parvient pas à remonter au-delà du XIX° siècle. Jusqu’à lui et ses frères, la généalogie qu’il fournit ci-dessous est plutôt limitée :

1° Nanzindè[9]

2°Ouènè

3°Besson Beyon

4°Besson et Yombouè

5°N’do

6°Bebou

7°Beyon-Yombié-Yomboué

        Ensuite, en se fondant sur la liste des noms des chefs de terre de Tiogo, Henri Barral parvient à établir une généalogie qui remonte jusqu’à treize générations. Cet ordre de succession est établi de la manière suivante :

« 1°Ouakio BaKo, fondateur du village

2°Bagnomo Bako

3°Kayebol Bako

4°Guidom Bako

5°Bession Bako

6°Bado Bako, chef de terre à l’époque de la naissance du chef de terre actuel, vers 1897

7°Danhouo Bako

8°Bayi Bako

9°Bagnini Bako

10°Nébibié Bako

11°Bazia Bako, chef de terre de 1941 à 1950

12°Bassolè Bako, chef de terre de1950 à 1956

13°Bayon Bako, né vers 1897, chef de terre de TIogo depuis 1956″[1968 ; P.17]

   Anne-marie Duperray, en retraçant l’histoire des Gourounsi de la Haute Volta, dont celle des Lyéla, a eu la prudence de la situer à partir des premiers contacts avec l’homme européen, notamment de l’entreprise de la colonisation française de cette zone du continent africain. Elle n’a pas cherché à aller au-delà de cette période en raison de l’absence de données historiquement fiables, au sens occidental de cette discipline.

   Enfin, et contrairement au titre des recherches d’Anne-Marie Duperray, le Père Emmanuel Bayili parle des « origines » des Lyéla. Cependant, à l’inverse du titre de sa thèse (Les populations Nord-Nuna (Haute Volta) des origines à 1920), ses recherches ne parviennent pas à établir, de façon chronologique, l’histoire et l’origine des Lyéla. Peut-être par « origine », il entend deux faits : d’une part, les mythes fondateurs des kwala  des Lyéla auxquels il semble accorder foi comme à n’importe quel document écrit ou vestiges matériels du passé. D’autre part, il prend en compte, comme origine, le moment de l’installation des clans lyéla dans la zone du Burkina faso qu’ils occupent actuellement.

   Si tel est le sens du mot « origine », on peut donc dire que les Lyéla ne sont pas  « autochtones » de leur zone actuelle d’occupation. D’un point de vue historique ou logique, cela confirme les témoignages de bon nombre de Lyéla eux-mêmes selon lesquels ils sont issus des Moosé. Mais, d’un point de vue culturel, il y a une contradiction sérieuse : les Lyéla ne sont guère sensibles au système de pouvoir hiérarchisé à la manière des Moosé dont ils auraient dû garder des traces ou des tentatives. En outre, ils ne se réclament pas du tout comme étant issus des mêmes parents fondateurs comme le sont les Moosé dans leur ensemble. A défaut de pouvoir trancher ce débat sur l’origine des Lyéla, on peut avancer l’hypothèse suivant laquelle ils seraient issus de deux groupes différents : l’un qui rassemblerait un groupe d’hommes appelés Lyéla (ce mon signifie : ceux qui ont toujours été là) ; l’autre, des groupes émigrants, recherchant des terres fertiles. Les deux ont dû, au cours du temps, fusionner de façon si forte ou si essentielle qu’ils ont dû perdre leurs caractères spécifiques d’origine pour ne garder que ceux que l’on reconnaît aux Lyéla actuels.

Image du quotidien d’une mère de famille : le travail agricole et les soins de ses enfants et de son foyer

   Il est même possible de recouper cette interprétation du mélange, c’est-à-dire du métissage des groupes dits autochtones et immigrants, avec la manière dont Meyer Fortes a analysé la même situation chez les Tallensi du Nord du Ghana[10]. Fortes a remarqué que les groupes Namoos, qui se disent descendants d’immigrants Mamprussi, ont pu trouver une modalité de vie commune avec les Talis, originaires du territoire occupé par cet ensemble de clans. Dans cette étude, ce qui intéresse notre hypothèse, c’est qu’au niveau du pouvoir, il n’y a pas eu de bouleversements majeurs dans les traditions talis. Bien au contraire, reconnaît Fortes, « ils ont les mêmes observances rituelles distinctives. Plusieurs Namoos, généalogiquement indépendants et formant des unités locales, vivent en contact étroit avec les Talis » (P.210). Plus loin, il ajoute cette précision qui indique la compénétration des deux groupes, différents par leur origine : « La plupart de ces groupes…affirment leur affinité avec les Talis, habitants originaires du pays. Cette affinité proclamée en dépit des différences généalogiques se fonde sur l’existence d’observances rituelles semblables et sur des prérogatives rattachées au culte de la terre.

   Les talis et groupes afffiliés par opposition aux Namoos, descendants d’immigrants, se prétendent originaires et par conséquent « possesseurs du sol ». Pourtant ces deux éléments sont géographiquement mêlés, généalogiquement apparentés et soudés l’un l’un à l’autre par des liens rituels obligatoires « [1964 ; P.211]. Dès lors, dans l’histoire des Lyéla, les groupes d’origine moosè ont pu être digérés culturellement par les populations dites autochtones. C’est, sans doute, ce qui peut expliquer le fait que l’organisation hiérarchisée du pouvoir moosè n’ait pu prendre forme chez les Lyéla.

    Cependant, faute de parvenir à des points de vue concordants sur l’ « autochtonie » de certains clans lyéla, il est plus aisé de voir comment ils ont occupé l’espace. (In Pierre Bamony Structure apparente, structure invisible. L’ambivalence des pouvoirs chez les Lyéla du Burkina Faso, Thèse de doctorat d’anthropologie sociale et d’ethnologie, publié et diffusée par l’Atelier National de Reproduction des thèses –Université Lille III, 20


[1] Selon cet auteur, cet ensemble composite, voire hétérogène s’étend du pays Moosé jusqu’au Nord du Ghana.

[2] On sait aujourd’hui que même des micro-communautés, telles que celles des Amérindiens de l’Amazonie ou des Pigmés de la forêt équatoriale, ne peuvent plus être considérées comme des groupes enfermés sur eux-mêmes. L’environnement géographique de ces peuples, en l’occurrence, l’impression d’enfermement générée par la forêt dense, a été l’un des facteurs importants dans la conception imaginative des anthropologues qui ont défendu l’idée d’entités humaines inertes ou celle d’histoire humaine « froide ». Quelques brillantes que soient certaines de ces thèses, celle de Lévi-Strauss, en particulier, (Race et histoires, Denoël Gonthier), les auteurs de celles-ci n’ont pu se détacher intellectuellement de l’ethnocentrisme européen ambiant de l’époque coloniale ; du moins, leurs présupposés s’enracinent dans un tel esprit.

[3] C’est nous qui soulignons ce passage.

[4] Il suffit, pour s’en convaincre, de se rapporter aux travaux de Georges Gusdorf : Les sciences humaines et la pensée occidentale, tome I (Edit. Payot, Paris), L’avènement des sciences humaines au siècle des Lumières, tome VI (Edit. Payot, Paris). Dans ces ouvrages, l’auteur montre la part du mythe, de la légende voire de l’imagination dans la manière dont les peuples européens ont tenté de reconstituer leur propre histoire. Il a fallu attendre le XVIIIe siècle et sa raison critique pour voir émerger des tentatives critiques : celle de Voltaire ou de Pierre Bayle en France ; de tri entre ce qui est proprement historique et ce qui est de l’ordre du mythe ou de la légende, voire de la simple geste. Dans ce sens, on peut dire que la naissance du nazisme est le fruit d’une telle reconstitution mythologisante de l’histoire du peuple allemand.

[5] D’ailleurs, pour les Kassena, ensemble de clans voisins, les Lyéla n’ont plus rien de « Gourounsi » comme eux, en raison de la forte influence des Moosè grâce à la pénétration dans le Lyolo de groupes d’origie moosè. C’est pourquoi, ils n’hésitent pas à dire que les Lyéla sont des Moosè.

[6] Ceci est une réalité humaine permanente. Ce mythe est plus conforme à la dynamique des sociétés, lesquelles sont poussées, par les besoins vitaux, à s’épandre ailleurs dans des espaces hospitaliers propices à de meilleures conditions de vie, en l’occurrence, la richesse des sols, soit pour l’agriculture, soit pour l’industrie, soit encore pour le commerce. Il est même certain que cette cause de l’émigration humaine ne prendra jamais fin tant que les hommes seront dans le besoin et qu’il y aurait suffisamment d’espaces en quelque lieu de la terre pour les accueillir de gré ou de force. Dans ce cas, la nécessité tient lieu de force.

[7] Gérard  Rémy parle dans son étude sur Dousin, des traditions moosé selon lesquelles les chefs moosé ont pu procéder à l’expulsion des populations gurunsi ; premiers occupants des zones qu’ils ont conquises : « on ne trouve plus de trace de groupes gurunsi autochtones. Selon des traditions recueillies par R. Pageard, Naba Nakye (11e Moro naba) aurait, au XVIIe siècle, chassé de son royaume les derniers gurunsi qui se trouvaient sur la rive gauche de la Volta rouge » (P. 22).

[8] Jò est le nom de Réo en lyélé

[9] Ce nom, d’origine moosé, renvoie au fondateur du village. Nous établirons, par la suite, une généalogie d’une branche récente du kwala  Négalo de Batondo.

[10] Plus tard, c’est-à-dire dans les années 1980 à 1990 environ, Rüdiger Schott reprendra ces analyses dans une étude comparée entre les Tallensi, les Bulsa et les Lyéla à travers divers articles. Ce qui a surtout retenu l’attention de ce chercheur, c’est leur mode d’organisation sociale/politique en clans, sans un pouvoir central hiérarchisé ; encore qu’il ne faille pas négliger les nuances des formes de pouvoir chez ces trois groupes.

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