Rite et Rituel à travers quelques analyses anthropologiques

Un symbole de tous les rites et rituels ?

En guise d’introduction

Dans un récent ouvrage philosophique (Pierre Bamony : De l’impuissance du puissant –Acheminement vers les causes réelles de l’extinction du genre humain – Janvier 2023 –Editions universitaires européennes, Londres), nous avons analysé le mécanisme naturel qui enchaîne le genre humain dans les habitudes. Car celles-ci expliquent essentiellement toutes les figures de rituels et de rites dans les religions, quelles qu’elles soient, révélées ou non, dans les mouvements mystiques religieux ou spirituels, voire dans les mascarades politiques qui sont une vile imitation des cérémonies religieuses. Nous avons, ainsi bâti notre démonstration : À l’instar du paradigme qui incline fortement les intelligences à avoir la même vision des phénomènes, à penser, à raisonner, à investiguer de la même manière, telle une chaîne intellectuelle, l’habitus apparaît comme la première chaîne du genre humain. Déjà, Félix Ravaisson, dans son ouvrage De l’habitude, a montré à quel point l’habitude conditionne, de manière impérative, le comportement de tout sujet humain. Il donne même une définition précise de ce qu’est l’habitude. Mieux, il propose des descriptions de même nature, c’est-à-dire claires et précises. Ainsi, dès le début de son ouvrage, il écrit : « L’habitude, dans le sens plus étendu, est la manière d’être générale et permanente, l’état d’une existence considérée, soit dans l’ensemble de ses éléments, soit dans la succession de ses époques… l’habitude subsiste au-delà du changement dont elle est le résultat »[1]. Cette définition dessine les contours du comportement psychologique de l’individu. Deux facteurs expliquent, selon lui, ce qu’on entend ordinairement par habitude : d’une part, celle-ci est la manière d’être propre à un sujet humain ; d’autre part, elle se crée comme un processus constructif de cette manière. En tant que formation et modification d’une façon d’être spécifique à un sujet humain, l’habitude est sujette aux changements de l’individu tout au long de son existence ; même si celui-ci n’en est guère conscient. D’où le parallèle qu’il établit entre l’habitude et l’instinct pour souligner que leur différence spécifique n’est qu’une question de degré de clarté similaire à la conscience elle-même soumise aux étapes de son élévation et clarté.

      Contrairement à l’habitude telle que Félix Ravaisson la pense, qui comprend un degré de conscience et, de ce point de vue, est susceptible de quelque changement, la façon dont nous concevons ce genre de phénomène humain est différente. L’habitus est tout autre. C’est la raison pour laquelle elle constitue une chaîne pour le genre humain. Selon sa définition classique dans les champs du savoir, l’habitude qualifie la conduite propre à un individu, d’une part, et à un groupe social dont l’individu est membre, d’autre part. Suivant cette définition, elle conditionne les comportements des sujets humains en les rendant automatiques et impersonnelles. En ce sens, l’habitus semble être imposée par l’ordre social dont il dérive. Pour nous, même si  un groupe social, ou, plus fortement encore, l’influence religieuse, qui soumet les conduites d’un sujet humain par et à une règle générale, il n’en demeure pas moins que l’habitude ne s’explique pas par ce seul facteur. C’est la conséquence visible de quelque chose qui trouve ses assises dans les soubassements de la nature du genre humain.

    Ainsi, nous appelons habitus une règle invariable, par-delà les singularités culturelles et les différences physiques ou non, des populations, enracinées dans la part de l’animalité du genre humain. Tel est le sens même de ce qu’il y a d’universel chez lui et d’inchangé malgré les mutations des civilisations et de leurs productions technologiques qu’on se plaît à qualifier de progrès. Celui-ci, même s’il est réel à travers l’espace et les époques, est absolument inessentiel. Car l’habitus fait qu’il reste inchangé comme le dit si bien l’expression latine : « ne varietur », soit ce qui ne change jamais. En effet, tout changement culturel, physique est un épiphénomène : l’habitus n’est guère concerné par ce genre de mutation.

  La compilation de textes ci-dessous rend plus explicite notre vision de ce phénomène humain.

   D’abord, voici une définition proposée par Pierre Bonté et Michel Izard : « Pour comprendre le sens du rituel, il faut commencer par définir le sens du mot rite dont voici quelques exemples, ci-dessous, à travers des ouvrages d’anthropologie, sachant qu’au quotidien, nul n’échappe au rituel (les habitudes). Dans les cérémonies religieuses (voir toutes les religions y compris celles qui sont dites révélées), il y a des rituels à tout moment des cérémonies. Les pratiques de l’Etat ont emprunté aux religions (catholique) des aspects de rituel. Dans les sociétés secrètes, y compris la Franc-maçonnerie, Philosophie spirituelle, on est en plein rituel à tout moment ». Telles sont les observations des deux auteurs suivants : Pierre Bonte et Michel Izard : Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (PUF, Paris).

Tout est rite chez les Humains, notamment religieux

  Ensuite, tous textes suivants en donnent des aperçus divers et différents du rite et du rituel

1) Le « RITE DE PASSAGE » s’impose à tous les peuples de la terre comme un fait humain universel

    « L’expression rite de passage a été employée pour la première fois par A. Van Gennep (1909). Selon lui, tout individu passe par plusieurs statuts au cours de sa vie et les transitions sont fréquemment marquées par des rites diversement élaborés selon les sociétés. La naissance est l’occasion du premier rite de passage. L’enfance peut être divisée ou non en plusieurs stades, mais c’est l’accès à l’âge adulte qui est le plus souvent accompagné de rites, dits d’initiation. Le mariage fait aussi partie des rites de passage, tout comme la promotion au statut de future mère lors de la grossesse, de mère lors de la naissance, ainsi qu’au statut de père, généralement moins marqué dans le contexte que celui de la mère. La mort est le dernier rite de passage qui sert à conférer au défunt des propriétés nouvelles qui permettront, ou non, des transactions futures avec les vivants. Il existe d’autres rites de passage accompagnant l’accession à un statut professionnel, religieux ou politique ou autre. Tous ces rites présentent d’un point de vue formel, une structure ternaire associant, selon Van Gennep, une phase de séparation où l’individu sort de son état antérieur, une phase de latence, où l’individu est entre deux statuts, et une phase d’agrégation, où la personne acquiert son nouvel état. Les trois phases sont diversement élaborées selon les types de passage qui, individuels ou collectifs, redéfinissent tous des statuts et des rôles. Ces rites, nombreux dans les petites sociétés « traditionnelles », tendent vers une certaine différenciation dans les sociétés modernes et industrielles. M. Gluckman (1962) remarque que dans les premières, une même personne peut avoir plusieurs rôle à jouer, les rites servant à la détermination de chaque rôle alors que dans les sociétés modernes un individu ne joue en général qu’un seul rôle.

      Ce sont les rites d’initiation qui ont fait l’objet des tentatives les plus poussées de théorisation. Des psychologues comme J.M.W. Whiting (1958) ou B. Bettelheim (1954) ont aussi tenté d’interpréter les rites de naissance, le premier par la nécessité de séparer le garçon de sa mère, le second en affirmant que, par la circoncision et l’excision, il s’agit de satisfaire, une fois seulement, le désir inconscient d’être aussi de l’autre sexe ce qui, exécuté dans le rite, permet ensuite une véritable identification sexuelle. A propos de cette seconde théorie, J. Pouillon (in Bettelheim, 1971) remarque qu’elle tient plus de la projection que de l’analyse ethnologique. Les interprétations plus proprement sociologiques qui ont cours actuellement n’envisagent plus les rites sous le seul angle de son efficacité symbolique mais comme un discours, ou un métadiscours, que la société tient sur elle-même tant à travers les exégèses qu’en donnent les intéressés que par les actes qu’ils accomplissent »  (Turner, 1967, J.C. Muller).

   Cette analyse est complétée ou, plus exactement, par le Larousse

« Rite, ensemble des activités qui s’accomplissent dans un ordre prescrit, — Dans les cultures primitives (chez les Australiens, par ex.), il existe des cérémonies, appelées « rites de passage », qui marquent l’accession d’individu à un nouvel état. Le rite de passage par excellence est celui qui se pratique au moment de la puberté ; il consiste en la séparation du groupe auquel était intégré le sujet, l’attente, accompagnée générale d’épreuves physiques et enfin l’admission au nouveau régime social. Ces cérémonies ont pour but d’aider l’individu à surmonter la crise représentée par ses transformations physiologiques et à prendre clairement conscience de son statut et de son rôle dans la collectivité. On retrouve ce rituel, sous une dégradée, dans les brimades infligées aux nouveaux venus dans un groupe quelconque, armée, école, etc.,). Les psychiatres et les psychanalyses appellent rites les conduites obsessionnelles de certains malades, qui se contraignent à accomplir certains gestes dérisoires (cérémonial compliqué du coucher : placer toujours l’oreiller d’une certaine manière par rapport à l’édredon et au montant du lit…) dont la signification symbolique inconsciente peut être déchiffrée au cours du traitement psychanalytique. »(Dictionnaire de la psychologie (Larousse, Paris).

2) Exemples de rituels religieux

C’est John Bowker (In Religions du monde, Marabout) qui va insister davantage sur les raisons qui rendent compte des rituels tels qu’ils se vivent et se pratiquent chez les Humains.

Le lavement des pieds chez les chrétiens, comme Jésus l’avait fait pour ses apôtres

Rituels

« Rituels, Comportements et apprentissages

    Au fil de leur vie, les êtres humains sont confrontés à toutes sortes de catastrophes. Cela va des plus éloignés (la mort de l’univers) à celles qui nous touchent de près (le changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles). À une moindre échelle, les individus mettent perpétuellement leur vie en danger en traversant une route, en attrapant un virus, etc. Les organismes vivants sont vulnérables et doivent se défendre pour engendrer la génération suivante. C’est pourquoi nous sommes protégés par toutes sortes de mécanismes. Certains sont d’ordre biologique (notamment les cellules du système immunitaire et la peau), d’autres d’ordre culturel (des dispositions conçues pour permettre une vie harmonieuse en famille, au sein d’un groupe, d’une nation ou d’un empire). La culture comprend, en tant que protection défensive, l’écriture des livres, les écoles ou encore les religions.

    Les religions sont les premiers systèmes culturels connus qui ont contribué à protéger l’enfant et à l’instruire. C’est pourquoi tant de religions possèdent un ainsi grand nombre de rituels, de règles en matière de sexualité, de mariage d’alimentation.

     Le rituel est ce qui forme le contenu des rites, mot issu du latin religieux ritus, c’est-à-dire la cérémonie et, plus largement la coutume. Il constitue l’un des plus importants verrous de protection des religions pour ce qui touche à l’éducation des enfants. Il s’agit au sens général d’un comportement appris et répété qu’adoptent les êtres dans des groupes spécifiques ou lors de la pratique d’une religion, à titre individuel ou, plus souvent, collectif. Les rituels sont si importants qu’ils sont pratiqués aussi bien dans un cadre non religieux (par exemple, une parade pour une célébration politique) que religieux, lors de la liturgie ou d’un rite de passage (au moment de la naissance, de la puberté, des mariages ou d’un enterrement), et ce dans toutes les croyances du monde.

  Le baptême est un rite par lequel la personne baptisée, qu’il s’agisse d’un adulte ou d’un nouveau-né, devient une partie du corps du Christ et accède ainsi à l’éternité, au-delà de la vie ici-bas. Le Christ a déjà connu la mort et l’apôtre Paul dira :

« Vous êtes mort, en effet, et votre vie est cachée avec
le Christ en Dieu. »

     Pour ce qui concerne précisément les religions, le rituel c’est d’associer fortement la culture au mystère divin, à son but et à sa protection. Toutes les religions s’accordent sur l’importance de la survie, mais elles s’interrogent également sur la raison de cette survie. Quelle explication donner à la vulnérabilité qui caractérise la vie ? Les rituels sont des procédés courants mettant en lumière le sens et les objectifs primordiaux de la vie et de la mort. Ils sont ainsi des reproductions d’actes et de comportements entrepris pour d’innombrables raisons. Par exemple, pour célébrer la naissance d’un enfant, dire adieu à une personne décédée, rendre grâce pour la nourriture et l’eau, provoquer un désastre fatal à un ennemi, chanter des louanges, exprimer son repentir ou encore admettre la présence divine. Pour que cela fonctionne, les rituels doivent être reconnus et compris au niveau le plus profond de l’être humain. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient profondément ancrés dans le cerveau et le corps. Il en va de même, jusqu’à un certain degré, pour les animaux. Les éthologues, qui étudient le comportement animal, parlent souvent du caractère rituel de l’approche en vue de l’accouplement ou de la défense du territoire.

    Cette spécificité « naturelle » n’implique pas, comme certains l’ont prétendu, que les comportements rituels soient prédéterminés par un quelconque programme génétique. Les rituels sont, en fait, omniprésents dans les cultures humaines parce qu’ils permettent l’interaction des deux voies principales par lesquels le cerveau traite l’information.

   Ainsi,{Ces cérémonies juives sont des rites (rituels) de passage qui permettent aux garçons et aux filles (si elles le désirent)d’accéder à la majorité religieuse en acceptant la responsabilité de l’Alliance. Soit treize ans et un jour en principe pour les garçons, et douze ans pour les filles. Ils deviennent ainsi« fils» (bar) et«fille» (bat)du commandement (mistvahj).Les juifs disent « oui » à Dieu en respectant les 613commandements de la Torah, répartis en 365 articles positifs et 248 interdits}.

     La première voie est dite savamment apprentissage associatif parce qu’elle consiste à associer des représentations d’événements. Cet apprentissage est présent chez tous les animaux, y compris chez l’homme, à des degrés divers de complexité. Le cerveau humain a évolué peu à peu afin d’apprendre à reconnaître des stimuli très agréables (par exemple la saveur sucrée) ou, à l’inverse, désagréables (par exemple une saveur amère ou acide). Une fois acquis, ces stimuli, ici toute substance qui satisfait un besoin physiologique, sont associés, dans le temps et l’espace, à d’autres stimuli mémorisés, ces associations provoquant une émotion et la motivation suffisante pour agir.

      Les rituels ont bien sûr recours à toutes sortes de stimuli que le cerveau humain trouve gratifiants, valorisants ou, à l’opposé, désagréables (ce qui accroît l’émotion lors du rituel). Ce conditionnement (toute forme d’apprentissage associatif par lequel un organisme apprend que la réponse qu’il produit sera suivie d’un renforcement) sera acquis pour la vie. Citons, parmi les exemples de stimuli utilisés lors de rituels, le mouvement, la couleur, la luminosité, l’expression sur un masque, l’accentuation des caractères sexuels (produits de beauté, huiles), les bruits forts et soudains (feux d’artifice, cloches), les styles de langage (chant, psalmodie), la douleur (flagellation, brûlure), la température (baptême par immersion), les odeurs (encens, parfums) et le goût (aliments rituels).

AGF5464669 Rituel satanique à Rome. 2004.; AGF.

      Toutefois, l’être humain fait plus que réagir aux stimuli. Il les interprète et les identifie à lui-même et aux autres grâce à la seconde voie permettant de traiter l’information : cette voie porte le nom tout aussi savant de cognition (connaissance) symbolique (fondée sur les symboles). Les hommes sont capables de penser à partir de signes permettant, par exemple, d’utiliser la métaphore pour figurer la divinité en juge ou en roi, ce qui lui permet ensuite de la représenter à l’aide de signes, de symboles et d’images (les peintures et les sculptures notamment). En clair, le cerveau mémorise dans des zones spécialisées les différentes parties constituant le roi (par exemple l’apparence visuelle, la qualité vocale…

    Les rituels sont donc extrêmement répandus au sein des sociétés, dans un but séculier ou religieux, car ils apportent aux hommes le vecteur idéal pour trouver des explications (souvent transcendantes) au sens de leur vie. Il crée des émotions et des sentiments distincts, quasiment à l’instar d’une couleur ou d’une tonalité – qu’il s’agisse de joie, de respect, de vénération, d’extase, de crainte, de chagrin ou de tristesse.

    Étant donné que le sens résulte d’un processus très complexe de construction, de mémorisation et de consolidation, il n’est pas étonnant que l’homme s’entoure de tant de signes, de symboles ou de pratiques rituelles. D’autant que les concepts abstraits (temps, l’espace et mystère divin) se prêtent, par ce biais, à la personnalisation et à l’interaction. Il devient possible de les lier au monde vécu même si, bien évidemment, ils ne sont « pas tout à fait ainsi ». C’est précisément ce qui se passe avec toutes les religions : le divin est ineffable, mais il est possible de s’en approcher grâce aux signes et au rituel. L’analogie permet justement d’appréhender l’abstrait.

    Les rituels sont donc primordiaux dans l’évolution de l’humanité car ils jouent un rôle fondamental dans l’élaboration d’une culture protectrice, dans laquelle se reconnaissent tous les êtres – ce qui ne retire rien à leur beauté et leur importance.

     Les rituels sont l’un des « langages » naturels qui permettent aux hommes d’exprimer leurs sentiments et leur compréhension du mystère divin, étant bien entendu que le sens ultime de tous les aspects de la vie et de la mort est entre ses mains ».

Un sacrifice humain, rituel universel chez les Humains


[1] De l’habitude (J. Vrin, Paris 1984, p.1)

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