
1- Des raisons de l’émigration des peuples
A la lumière des recherches contemporaines et la nouvelle intelligibilité que celles-ci instaurent, Jean-Loup Amselle écrit avec justesse qu’en matière d’anthropologie africaniste, il importe de rompre avec la conception simpliste non-historique des groupes humains africains. L’historicité des peuples africains ne commence guère avec la colonisation de territoires africains par l’homme blanc. Une telle conception s’inscrit naturellement dans le schéma ethnocentriste européen en ce qu’il nie une dynamique originaire, propre aux peuples africains, susceptible de les amener dans le champ d’une historicité originale. C’est en ce sens que cet anthropologue écrit : « Ainsi, la cause paraît entendue actuellement : aucune société n’a jamais vécu à quelque époque que ce soit de façon isolée et repliée sur elle-même. Toutes les sociétés[1] ont toujours été insérées dans des ensembles socio-économiques qui les débordaient largement et qui influaient sur elles.
C’est donc en délaissant arbitrairement certains phénomènes qu’il a été possible de prétendre que les sociétés traditionnelles ne s’étaient ouvertes sur, ou n’avaient été influencées par l’extérieur qu’avec l’avènement de la colonisation. De même, ce n’est que par confusion entre « économie » et « marché » qu’on a pu affirmer que l’influence des facteurs économiques ne s’était exercée sur les sociétés africaines et en particulier sur les migrations que depuis une période récente.
Par conséquent, il nous semble légitime, et cela constitue un progrès par rapport à l’approche psychosociologique ou culturaliste des migrations, de rechercher dans l’histoire de la société étudiée certains phénomènes qui pourraient être à l’origine des migrations[2]actuelles » [1976, p.17].
Cette longue citation nous était nécessaire pour comprendre le fait que de nombreuses recherches anthropologiques antérieures sur les peuples africains n’ont pas tenu suffisamment compte de la manière dont ils disent et vivent leur propre histoire. Certes, comme chez les Lyéla, il s’agit généralement d’histoire non écrite, fondée sur des contes ou des mythes. En raison de la faiblesse ou des caprices de la mémoire, n’a-t-on pas été fondé à dénier à ces formes historiques toute validité scientifique ? Mais, toute histoire, même écrite, ne puise-t-elle pas ses origines dans des contes ou des mythes fondateurs des sociétés ?[3]
Lors de nos premières investigations au pays lyél, de 1978 à 1983, nous avons pu constater que les membres éminents (ceux qui sont censés posséder un certain savoir sur l’histoire des groupes auxquels ils appartiennent) de tous les clans interrogés affirment venir d’ailleurs. Mais, imbu à l’époque de la raison philosophique et par l’influence occidentale, nous avons négligé l’histoire telle qu’ils la pensent ou la conçoivent eux-mêmes. Et nous avons préféré la chercher, naturellement en vain, dans les livres des bibliothèques de Paris. Pourtant, pour comprendre quelques aspects de leur histoire, nous sommes contraints de partir de l’un des mythes des Lyéla que rapporte Rüdiger Schott dans l’un de ses articles sur ce groupe humain. Il s’agit de l’histoire du clan Bationo, l’une des communautés fondatrices du village de Réo. Ce mythe raconte l’origine du clan et les raisons qui l’ont poussé à émigrer ailleurs, en l’occurrence à Réo. Voici cette histoire telle qu’elle a été rapportée à R. Schott : « Les Bationo sont venus de Ham (ou Kam, en pays Mossi) et se sont établis à Réo. Nous étions des gens de Ham. Au temps de nos ancêtres (lit. de nos pères), une femme alla un jour au puits ; elle était enceinte. Nos pères se disputèrent entre eux à propos de sa grossesse : quelques-uns furent d’avis qu’elle mettrait au monde un garçon, d’autres, une fille.
Quand la femme s’en revint du puits, ils s’emparèrent d’elle, ils la jetèrent à terre, la tuèrent et lui coupèrent le ventre : alors ils surent que c’était un garçon qu’elle mettrait au monde. Là-dessus, une guerre éclata (entre les ancêtres se disputant la grossesse). La guerre ayant éclaté, nous nous avouâmes vaincus : nous prîmes la fuite vers Ouagadougou… De là, nous nous mîmes en route pour Koudougou, et finalement le clan des Bationo arriva à Réo, en pays Lyéla.« [1992 ; p.187]

Certes, ce mythe connaît diverses versions selon les clans. Mais, quelles que soient les formes qu’il peut avoir, en vertu des contenus, le fond du problème est le même : les désaccords entre les membres d’une même « grande famille » conduisant à un conflit grave ou à une guerre expliquent, en partie du moins, les raisons de l’émigration de ces peuples. Ce mythe que l’on appelle « La femme enceinte éventrée » [Rüdiger Schott, 1990] permet de faire les remarques suivantes : d’abord, la femme enceinte éventrée prend une place centrale dans le mythe comme fait qui fonde et justifie un phénomène historique originaire de justification, c’est-à-dire la provocation de querelle entre deux groupes, acheminant ceux-ci à une différenciation ethnique. L’acte lui-même montre qu’il s’agit d’une agression gratuite commise sur la personne d’une femme innocente qui, de surcroît, porte la vie en son sein. Il s’agit d’un acte crapuleux. Ceci permet de dire qu’il ne peut être que le fait d’émabia, c’est-à-dire de bandits au sens de moralement méchants ou pervers.
Chez les Lyéla, ce terme désigne quelqu’un (jeune homme ou jeune femme) qui n’a peur de rien ni de personne. Toute son essence le dispose à commettre des actes contraires aux bonnes moeurs. Il recherche la querelle et il est provocateur parce qu’il est courageux. Etant courageux, il affronte aisément autant l’espace humain que celui du bois sauvage, la brousse, réputé dangereux en tant qu’il est un lieu habité par les bêtes fauves et les mauvais esprits. A ce titre, il ne craint pas de rompre ses liens avec sa communauté pour aller mesurer, ailleurs, sa force ou son caractère intrépide. Dès lors, on comprend que cet acte singulièrement inhumain, ne peut être commis que par des émabià ; sachant, par ailleurs, qu’ils versent du sang humain sur la terre sacrée. Une telle effraction, nous le verrons un peu plus tard, est un crime odieux, grave, sanctionné soit par de lourds sacrifices propitiatoires soit par l’expulsion des auteurs hors de la communauté ou de l’espace territorial villageois. On peut supposer que les divers ancêtres des Lyéla ont dû subir un sort semblable suite à leur crime.
Ensuite, ce mythe évoque le caractère réfractaire des Lyéla à se soumettre à quelque autorité que ce soit. Ils le partagent, en partie, avec l’ensemble des groupes dits gourounsi chez lesquels on ne trouve pas d’organisation politique hiérarchisée, à l’instar du grand peuple Moosé. A l’inverse de ces derniers, tous les Gourounsi dont les Lyéla, ont toujours été perçus par les colonisateurs comme des peuples rebelles, belliqueux, indomptables, faisant preuve d’esprit d’indépendance par rapport à tout pouvoir imposé du dehors. A propos des Lyéla, les premiers gouverneurs français, dans les années 192O parlent d’ « état d’anarchie sociale », de groupe insoumis, contrairement au Moosé considéré comme « docile et bien encadré ». Le groupe des Lyéla est « indocile et mal encadré » ; il est même « individualiste et d’un loyalisme encore douteux, sans armature sociale très solide » [Emmanuel Bayili ; 1983]. Jusqu’à la paix coloniale, les Lyéla feront montre d’un tel tempérament indocile, prompt à l’affrontement y compris entre villages voisins.
Puis, de façon sous-jacente, ce mythe montre que ceux qui partent sont perçus comme des héros. En effet, ce sont des hommes, qu’on peut considérer comme assez audacieux qui disposent de suffisamment de forces physiques ou religieuses, c’est-à-dire infra-sensibles telles que les théurgies personnelles [P. Bamony ; 1997]. Car de telles infractions aux normes sociales supposent le fait de gens extraordinaires. Ils sont si peu ordinaires qu’ils peuvent quitter leur communauté d’origine pour aller s’installer ailleurs dans la mesure où, chez les Lyéla, on ne quitte pas aisément sa communauté ou son clan d’origine.
Enfin, ce mythe montre, à l’évidence, que les groupes Lyéla se perçoivent eux-mêmes comme des immigrants[4]. En d’autres termes, ils n’ont pas toujours été là où les colonisateurs les ont trouvés. Un tel fait, concernant une population considérée comme l’un des groupes voltaïques authentiques, remet en cause le mythe de l’autochtonie. Les clans Lyéla pensent globalement qu’ils viennent d’ailleurs. Mais il y a généralement peu d’indications sur les supposés premiers occupants des terres d’immigration. Sans doute, on peut supposer qu’il s’agit de terres vierges ; ou encore, ce qui est plus plausible, immigrants et « autochtones » ont dû se fondre les uns dans les autres par le biais des alliances matrimoniales.
Outre ce mythe de la discorde et de la séparation, on en trouve d’autres relatifs à la vie pastorale ou à la chasse qui militent en faveur de l’idée de zones inoccupées. Selon Emmanuel Bayili, l’installation définitive d’un ancêtre de clan survient à la suite de la découverte d’un espace vierge. Dans ce cas, le mythe met en jeu l’histoire d’un chasseur qui, en pistant un animal qu’il a blessé, tombe sur une zone propice à son installation. En revanche, dans d’autres cas, il s’agit d’un pasteur qui, en recherchant l’une de ses bêtes égarées, découvre une terre fertile et s’y installe. L’histoire suivante racontée à E. Bayili s’inscrit dans le cadre d’un mythe pastoral : « Nos ancêtres étaient deux frères : Obwu et Zilbwu qui, partis de Kwaé vers l’est à la recherche de leurs taureaux en divagation, le trouvèrent à l’emplacement actuel de Jijir. Ils le ramenèrent à Kwaé chez eux, mais ils durent revenir à plusieurs reprises au même endroit pour récupérer la bête qui s’entêtait à y retourner. Attirés par la fertilité du lieu, ils se résolurent finalement à s’y établir » [1983 ; p.231]. Ce dernier mythe indique que la cause de l’émigration résulte de la recherche d’une bonne terre ; donc le besoin vital ou d’espace pousse les hommes à s’en aller chercher, ailleurs, de meilleures conditions de vie[5]. En revanche, les mythes relatifs à ce qu’on pourrait appeler d’« autochtonie » sont plutôt rares.
Joseph Bado de Sienkou est l’un des rares informateurs à nous donner une version différente de l’origine des Lyéla. Selon lui, en effet, « à l’origine, les Lyéla viennent de Pouan. A cette époque, toute la région était encore une forêt vierge. Il n’y avait qu’un village : celui de Kyo (ou Tio). Lorsque les groupes lyéla sont arrivés, ils allèrent demander une place aux gens de Kyo pour s’installer. Un homme défricha un terrain où il s’installa avec sa famille. Après lui, trois autres hommes vinrent s’installer aussi avec leur famille. Ce sont ces quatre hommes et leurs familles qui ont fondé le plus ancien village lyolo, à savoir Poun. Ce village s’appelait, en réalité, Pouan. Il devint Poun parce que les hommes s’établirent successivement les uns après les autres. Poun est donc la terre des ancêtres des Lyéla ; du moins, d’une grande partie d’entre eux. Car, c’est de Poun qu’ils essaimèrent, partout ailleurs, pour créer tous les autres villages des Lyéla. Donc, les Lyéla authentiques viennent de Poun. Ce village est le lyolo même, c’est-à-dire le pays des Lyéla (ceux qui ont toujours été là). Les autres branches dites Lyéla, aujourd’hui, viennent soit du pays des Moosè, soit de chez les Nuna ou les Samo »
Ces informations qui paraissent comme une sorte de synthèse ou de concentré de l’histoire des Lyéla, se recoupent, dans les grandes lignes avec des récits plus analytiques qu’on retrouve, entre autres, dans la thèse du Père Emmanuel Bayili. Ce dernier, de son côté, en a d’ailleurs trouvé dans le village de Poun. Dans le cas présent, l’ancêtre ne semble pas venir d’ailleurs. Le mythe le fait surgir de la colline du village et disparaître sous terre à la fin de sa vie grâce à une queue dont il était doté. Cet ancêtre singulier apparaît comme un être extraordinaire, d’essence quasi divine puisqu’il n’est pas frappé par la mort au terme de sa vie sur terre. Devant les yeux ébahis de sa progéniture, il entaille un orifice dans la terre par lequel il disparaît vivant. Le mythe dit ceci : « L’ancêtre du clan Bado vient de la colline de Pun. Il se nommait Bé à Kiwéré Bili Bi (celui qui n’indique pas son origine). Il eut deux fils dont l’aîné Yéllé (…) est fondateur du Gwu. Bé à Kwéré Bili Bi n’est pas mort. A la fin de sa vie, il s’est enfoncé dans la terre à l’aide d’une queue qu’il portait » [1983 ; p.233].

2- Les lieux d’origine
Au-delà des mythes qui expliquent les raisons de l’émigration des clans lyéla, on peut aussi situer leur provenance réelle. Une telle recherche singulière en son genre, a été accomplie par Emmanuel Bayili. Dans cette étude sur l’histoire générale des Lyéla, il a pu reconstituer les zones de provenance des clans en fonction de la proximité des villages ou des zones d’installation avec les peuples voisins. Plusieurs foyers sont envisagés par cet auteur.
D’abord, il pense qu’un grand nombre de clans fondateurs du lyolo sont venus du territoire Samo. Dix neuf villages sont fondés par ces groupes originaires du Samo. Il s’agit essentiellement de villages situés au Nord et au Nord-Ouest du Lyolo. Certains de ces clans ont réussi à traverser une partie du Lyolo pour aller créer des villages au Sud et à l’Est, c’est-à-dire à proximité du pays moosé. Néanmoins, les clans Nebwéla et Nebwa, à l’Ouest du Mouhoum n’ont pas été affectés par ce premier mouvement migratoire provenant du territoire samo. Les clans détenteurs de la chefferie de terre, dans un grand nombre de villages, font partie des groupes d’une deuxième vague migratoire, de moindre importance, du même pays samo. Ils ont pu fonder environ neuf villages.
Ensuite, il y a les migrations venant du pays moosé. Ces vagues migratoires sont nettement plus importantes par rapport au reste, en l’occurrence, celles qui viennent du pays Samo. Cette massivité résulte essentiellement de l’étendue de la frontière entre le Lyolo et le pays moosé et aussi de l’importance des contacts, sous toutes leurs formes – guerres, razzias des esclavagistes, échanges commerciaux, expulsion etc.[6]– entre ces peuples voisins. Ces migrations se sont opérées comme les précédentes, en plusieurs fois. On peut retenir les provenances suivantes : d’abord, les zones de Samba, Batono, Rakwala, Latiton ; ensuite, le long des routes Koudougou-Sigle et Koudougou-Kologo ; puis, de façon plus large, l’itinéraire Ouagadougou-Koudougou, Koudougou-Sigle-Ouagadougou. Ce dernier itinéraire se situe grosso-modo entre les chefferies de Poa-Ramongo et la zone du Lallé.
Quelques mouvements migratoires se sont opérés dans le Sud du Lyolo. Ils semblent mineurs mais plus anciens que les autres mentionnés ci-dessus. Ces migrations qui se situent le long de la frontière du pays nuna et qui constituent le lieu d’origine de quelques clans installés dans l’Ouest du Mouhoum, viennent essentiellement du village de Kaso.

Ces mouvements de population, nous l’avons remarqué précédemment, remettent en cause le principe d’ « autochtonie ». Cela signifie-t-il, pour autant, que l’espace occupé aujourd’hui par les clans lyéla était-il exempt absolument d’habitants ? Sur ce point, Emmanuel Bayili parle de « migrations intérieures ». En effet, selon lui, « cette orientation géographique caractérise généralement le courant migratoire de l’intérieur du pays Nord-Nuna lui-même, où, à l’exclusion de quelques récents déplacements, la quasi totalité des migrations partent toujours de villages situés plus à l’Est pour se diriger dans des territoires villageois plus à l’Ouest.
Les foyers de départ particulièrement nombreux dans la partie Est du pays : Batwée, Pün, Bãllà, Jò, Güyé, Guiì, Cò, se distinguent comme les plus anciens et les plus importants » [1983 ; p.215]. Toutefois, ces migrations dites intérieures ne convainquent pas sur l’ « autochtonie » de ces populations ou ensemble de clans. En effet, les villages cités, notamment Jò[7], Güyé, Cò etc. ont constitué eux-mêmes des zones d’immigration des groupes en provenance surtout du pays moosé.
Quoiqu’il en soit, il semble impossible de remonter à une origine absolue des ancêtres fondateurs des clans lyéla. Plusieurs faits prouvent une telle hypothèse. D’abord, s’agissant des Pères fondateurs du village de Batondo, du moins du clan Négalo, Yomboué Vincent Négalo ne parvient pas à remonter au-delà du XIX° siècle. Jusqu’à lui et ses frères, la généalogie qu’il fournit ci-dessous est plutôt limitée :
1° Nanzindè[8]
2°Ouènè
3°Besson Beyon
4°Besson et Yombouè
5°N’do
6°Bebou
7°Beyon-Yombié-Yomboué
Ensuite, en se fondant sur la liste des noms des chefs de terre de Tiogo, Henri Barral parvient à établir une généalogie qui remonte jusqu’à treize générations. Cet ordre de succession est établi de la manière suivante :
« 1°Ouakio BaKo, fondateur du village
2°Bagnomo Bako
3°Kayebol Bako
4°Guidom Bako
5°Bession Bako
6°Bado Bako, chef de terre à l’époque de la naissance du chef de terre actuel, vers 1897
7°Danhouo Bako
8°Bayi Bako
9°Bagnini Bako
10°Nébibié Bako
11°Bazia Bako, chef de terre de 1941 à 1950
12°Bassolè Bako, chef de terre de1950 à 1956
13°Bayon Bako, né vers 1897, chef de terre de Tiogo depuis 1956 » [1968 ; p.17]
Anne-Marie Duperray, en retraçant l’histoire des Gourounsi de la Haute Volta, dont celle des Lyéla, a eu la prudence de la situer à partir des premiers contacts avec l’Européen, notamment à partir de l’entreprise de la dite colonisation française de cette zone du continent africain. Elle n’a pas cherché à aller au-delà de cette période en raison de l’absence de données historiquement fiables, au sens occidental de cette discipline.
Enfin, et contrairement au titre des recherches d’Anne-Marie Duperray, le Père Emmanuel Bayili parle des « origines » des Lyéla. Cependant, à l’inverse du titre de sa thèse (Les populations Nord-Nuna (Haute Volta) des origines à 1920), ses recherches ne parviennent pas à établir, de façon chronologique, l’histoire et l’origine des Lyéla. Peut-être par « origine », il entend deux faits : d’une part, il semble accorder foi, comme à n’importe quel document écrit ou vestiges matériels du passé, aux mythes fondateurs des kwala des Lyéla. D’autre part, il prend en compte, comme origine, le moment de l’installation des clans lyéla dans la zone de la Haute Volta (aujourd’hui, le Burkina Faso) qu’ils occupent actuellement.
Si tel est le sens du mot « origine », on peut donc dire que les Lyéla ne sont pas « autochtones » de leur zone actuelle d’occupation. D’un point de vue historique ou logique, cela confirme les témoignages de bon nombre de Lyéla eux-mêmes selon lesquels ils sont issus des Moosé. Mais, d’un point de vue culturel, il y a une contradiction sérieuse : les Lyéla ne sont guère sensibles au système de pouvoir hiérarchisé à la manière des Moosé dont ils auraient dû garder des traces ou des tentatives. En outre, ils ne se réclament pas du tout comme étant issus des mêmes parents fondateurs comme le sont les Moosé dans leur ensemble. A défaut de pouvoir trancher ce débat sur l’origine des Lyéla, on peut avancer l’hypothèse suivant laquelle ils seraient issus de deux groupes différents : l’un qui rassemblerait un groupe d’hommes appelés Lyéla (ce mon signifie : ceux qui ont toujours été là) ; l’autre, des groupes émigrants, recherchant des terres fertiles. Les deux ont dû, au cours du temps, fusionner de façon si forte ou si essentielle qu’ils ont dû perdre leurs caractères spécifiques d’origine pour ne garder que ceux que l’on reconnaît aux Lyéla actuels.
Il est même possible de recouper cette interprétation du mélange, c’est-à-dire du métissage des groupes dits autochtones et immigrants, avec la manière dont Meyer Fortes a analysé la même situation chez les Tallensi du Nord du Ghana[9]. Fortes a remarqué que les groupes Namoos, qui se disent descendants d’immigrants Mamprussi, ont pu trouver une modalité de vie commune avec les Talis, originaires du territoire occupé par cet ensemble de clans. Dans cette étude, ce qui intéresse notre hypothèse, c’est qu’au niveau du pouvoir, il n’y a pas eu de bouleversements majeurs dans les traditions talis. Bien au contraire, reconnaît Fortes, « ils ont les mêmes observances rituelles distinctives. Plusieurs Namoos, généalogiquement indépendants et formant des unités locales, vivent en contact étroit avec les Talis » (p.210). Plus loin, il ajoute cette précision qui indique la compénétration des deux groupes, différents par leur origine : « La plupart de ces groupes…affirment leur affinité avec les Talis, habitants originaires du pays. Cette affinité proclamée en dépit des différences généalogiques se fonde sur l’existence d’observances rituelles semblables et sur des prérogatives rattachées au culte de la terre.
Les talis et groupes afffiliés par opposition aux Namoos, descendants d’immigrants, se prétendent originaires et par conséquent « possesseurs du sol ». Pourtant ces deux éléments sont géographiquement mêlés, généalogiquement apparentés et soudés l’un l’un à l’autre par des liens rituels obligatoires « [1964 ; p.211]. Dès lors, dans l’histoire des Lyéla, les groupes d’origine moosè ont pu être digérés culturellement par les populations dites autochtones. C’est, sans doute, ce qui peut expliquer le fait que l’organisation hiérarchisée du pouvoir moosè n’ait pu prendre forme chez les Lyéla.
Cependant, faute de parvenir à des points de vue concordants sur l’ « autochtonie » de certains clans lyéla, il est plus aisé de voir comment ils ont occupé l’espace.
3- L’occupation de l’espace : l’habitat.
Il y a une constante remarquable lorsque l’on parcourt le Lyolo dans tous les sens : c’est la dispersion de l’habitat. Nous verrons, au chapitre suivant, les causes humaines de cette forme d’occupation de l’espace. L’enceinte familiale d’habitation[10] ou l’unité d’habitation, le Kélé constitue cette extension continue de l’habitat borné seulement par l’espace de la brousse ou des champs. Chacune compte environ une centaine de personnes. Entre les enceintes familiales d’habitation, s’étendent des parcelles de terre ou gwarsé cultivées en saison de pluies. Nous verrons, un peu plus loin, la place importante, dans l’économie agricole, de ces champs cultivés près des enceintes. L’épaisseur des murs de celles-ci varie en fonction des modes de construction : les maisons individuelles tout autant que les murs de jointure entre celles-ci, qui sont bâtis en briques de terre (banco) ou en pisé, donnent l’impression de solidité et d’une grande épaisseur ; mais lorsque cet ensemble est construit selon la technique qui consiste à aligner des boules de terre mélangée à de la paille, les murs sont naturellement moins épais. Cependant, dans les deux cas, les murs s’élèvent généralement à deux mètres cinquante de hauteur.
Les Lyéla donnent beaucoup de soins à leur habitat ; ce qui a conduit Anne-Marie Duperray à faire cette remarque : « Par leurs techniques de construction ainsi que par leur décor intérieur et extérieur, les concessions gourounsi forment un contraste saisissant avec celles de leurs voisins mossi. Elles se présentent comme des constructions élaborées, revêtant une multitude de formes » [1978 ; p.23]. En effet, les murs extérieurs de l’enceinte, ainsi d’ailleurs que les murs intérieurs des maisons, sont soigneusement recouverts d’enduits à base de terre argileuse colorée par des cailloux broyés. Ces parties qui sont, ensuite, lissées avec des pierres spéciales, décorent l’ensemble en alternance avec d’autres enduits en noir, blanc et brillant. Des figures géométriques et des représentations animales dont, en général, celles du serpent ou du lézard, donnent de la variation et de la fantaisie à ces décorations. En saison sèche, les femmes dont c’est la tâche dans la participation à la construction de l’habitat, les rajeunissent avec de nouveaux matériaux. C’est ce qui confère à l’ensemble de l’habitat lyél cet aspect de beauté, voire de propreté étonnant[11] en raison du décor de couleurs vives des parois extérieures et intérieures des maisons, qui donnent l’impression de sculpture en méplat aux motifs et aux teintes variés où dominent le blanc et l’ocre. Le toit des maisons ou gui est en terrasse, soigneusement damée par les femmes avec une terre spéciale incrustée de gravillons. Ce toit est soutenu par une armature en bois autant les piliers que l’armature de soutènement elle-même.
En général, la toiture est bâtie selon un plan incliné vers l’extérieur pour les maisons qui constituent le rang intérieur de la cour, et vers l’enceinte intérieure pour celles qui y sont internes. La terrasse de chaque maison est protégée par un rebord de trente à quarante centimètres de haut. Elle se termine par une gouttière (étwà) pour l’écoulement des eaux drainées de pluie par une ouverture verticale (étwéné) faite d’une branche évidée. Chaque terrasse comprend quelques orifices qui tiennent lieu de lucarnes et de cheminée. De vieilles jarres sans fond sont enchâssées dans ces orifices qui sont recouverts, en temps de pluie, de tessons de poterie. On accède à ces terrasses soit par un escalier en bois assez rudimentaire, soit par un escalier en banco plus élaboré et plus sûr. Les toits des maisons servent aux femmes pour le séchage des produits fraîchement récoltés, voire le mil destiné à la fabrication de la bière du même nom. Quant aux hommes, ils se plaisent à y passer de longs moments le soir, pour causer. Ils y passent même la nuit durant les périodes les plus chaudes de l’année.
Selon Anne-Marie Duperray, « pour des raisons de sécurité, abondance des bêtes fauves, fréquence des razzias, les ouvertures d’entrée en demi-cercle n’excèdent pas 60 à 70 cm« . [1978 ; p.42]. En effet, à l’intérieur de chaque enceinte d’habitation familiale, il y a des poulaillers qui abritent la volaille de chaque homme marié ; et dans beaucoup de cas, des troupeaux de bovins, ovins et caprins circulent librement la nuit, ce qui peut tenter les voleurs. La porte étroite de chaque enceinte, appelée bwéré en lyélé, fermée sommairement la nuit, vise à s’en protéger.
A l’intérieur de ces murs d’enceinte, il y a tout un réseau de greniers à mil (bobwini ) soit de forme ronde, soit de figure cylindrique. Ils sont également construits en pisé. Chaque grenier, recouvert d’un toit de paille tressée de façon pyramidale pour faciliter le ruissellement de l’eau de pluie, muni d’une petite ouverture latérale, repose sur des rangées de pierres. Cette élévation du sol protège sa base des risques d’effondrement du fait des eaux stagnantes en période de pluies et préserve son contenu, essentiellement du mil et des haricots, de l’humidité. La forme de ces greniers varie en fonction de l’importance, voire du statut de leurs propriétaires. En effet, celui du chef de famille est nettement plus important en raison du nombre d’individus qui la composent. En revanche, celui des couples et des femmes a des dimensions plus modestes. Au milieu de la cour de certaines enceintes familiales d’habitation, se trouvent non seulement la maison du chef de famille, mais aussi des cases rondes abritant les divinités du clan ou les fétiches familiaux.[12]

L’encerclement de chaque enceinte est constitué essentiellement par les maisons des femmes mariées dont chacune comprend, dans l’habitat traditionnel, plusieurs pièces juxtaposées. Selon le volume des cours, chaque kélé comporte généralement entre une trentaine de maisons et une cinquantaine pour les plus grandes dont la population peut atteindre 100 individus. Chaque maison s’ouvre sur un espace bien entretenu, damé selon les mêmes techniques que celles employées pour obtenir l’étanchéité des terrasses des maisons. Une murette de terre de quelques centimètres, de forme variée, protège cet espace privatif appelé véranda, de la cour commune. Selon l’accueil des femmes, cette véranda peut servir, le soir, de lieu de repos, de réunions, de causeries ; bref, elle est un univers de vie communautaire en toutes saisons. La véranda est toujours surélevée par rapport au sol de la maison qui est en contrebas. La pièce principale qui fait face à l’unique entrée fait office de salle de séjour et, le soir, de chambre à coucher pour les enfants. Quant aux pièces latérales, elles ont les fonctions suivantes : l’une sert de chambre à coucher pour les parents ; une autre de cuisine et de rangement du mobilier.
Dans certaines maisons, on trouve deux autres pièces : l’un servant de salle à manger et de chambre à coucher pour les hôtes, et l’autre, dépourvue expressément de toiture, fait office de douche et de lieu de détente le soir, pendant la période des grosses chaleurs. Anne-Marie Duperray donne une description de l’intérieur des maisons de femmes dans l’habitat traditionnel, qui est l’image de l’ensemble du décor que l’on trouve chez les gourounsi, en général, et singulièrement chez les Lyéla; : « Face à l’entrée, encastrée dans un support en terre, à mi-hauteur, les « meules » à écraser le grain sont éclairées par un orifice ménagé dans la terrasse… Sur la droite, savamment empilés les uns sur les autres dans une niche réservée à cet effet, toute une gamme de canaris[13] […] vernissés noirs et rouges, souvent décorés de motifs géométriques, servent à entreposer la viande séchée ou les ingrédients (feuilles séchées, potasse, sel) utilisés en cuisine.
Les calebasses[14] souvent pyrogravées de formes figuratives ou géométriques, peuvent être plaquées au mur ou encastrées les unes dans les autres à l’intérieur d’un filet de cordes suspendu au plafond. Le même mode de rangement est utilisé pour les nattes de pailles finement tressées et alignées au plafond » [1978 ; p.p.42-43].
En définitive, ce que les Lyéla appellent gui, composante essentielle d’une enceinte ou portion, apparaît comme l’unité d’habitation. En général, le gui peut comprendre les groupes suivants : soit un ménage monogame (la maison de celui-ci est construite de manière à faire face au bwéré ou entrée principale de la cour), soit une famille composée d’un homme polygame, de sa première épouse et les enfants de celle-ci, soit une femme mariée avec ses enfants, mais qui n’a pas le statut de première épouse, soit enfin une veuve âgée. La polygamie oblige l’homme à construire un gui pour chacune de ses femmes et de leurs enfants afin d’éviter, en particulier, les querelles domestiques et quotidiennes qui rendent la cohabitation de deux ou plusieurs concubines difficile, voire impossible. Quant au conjoint lui-même, s’il n’est pas encore Kélé k’ébal, ou chef de cour, ce qui oblige d’avoir une maison à soi construite soit à côté de l’entré principale de l’enceinte familiale, soit en face, c’est-à-dire à l’opposé de celle-ci, pour surveiller le mouvement des membres de la cour, il habite, en général, dans le gui de sa première épouse. Un célibataire en âge de se marier a aussi son gui. Les adolescents habitent, ou bien chez leurs mères respectives, ou bien chez les veuves, ou bien encore dans le kélé k’ébal gui ou maison du chef de la cour.

Dans l’habitat traditionnel, chaque gui comprend une pièce principale, la plus grande, le guina. Celui-ci fait office de salle de séjour et de chambre à coucher pour les enfants ou les gens de passage. Par cette pièce principale et centrale, on peut accéder aux népolo, de dimensions restreintes, qui tiennent lieu de réserve à jarres, canaris et parfois de chambre d’amis, d’une part et, d’autre part, au guinè ou cuisine. Les pièces dépourvues de toiture que certains gui comportent, les guiwo, servent aux ablutions ; on trouve, dans certains gui, une pièce obscure appelée gogwin : durant la période fraîche, il peut servir de chambre à coucher.
3- Un territoire d’émigration et « réservoir de main-d’œuvre »
A défaut de parvenir à établir un nombre exact de cette population[15], qui a explosé aujourd’hui (2022) comme dans toute l’Afrique noire, on peut toutefois rechercher les causes de son nombre stable, voire de sa baisse, si l’on se fie au dernier chiffre[16] donné par R. Schott. Tout en réservant de traiter des autres aspects de ce phénomène ultérieurement, nous nous attacherons ici, en premier lieu, à mettre en lumière le problème de l’émigration.
Selon une célèbre formule employée par Raymond Deniel, le Burkina Faso[17] est un « réservoir de main-d’oeuvre » [1968 ; Introduction, p.30]. Et l’on comprend pourquoi, depuis le début du XXe siècle, la population de ce pays a été vivement sollicitée par les pays du Sud, entre autres, le Ghana et la Côte d’Ivoire. En raison des faibles ressources naturelles et des possibilités économiques fort limitées de ce pays, sa population se tourne alors vers l’extérieur pour satisfaire ses besoins. Cette inclination quasi naturelle à l’immigration a d’autres causes extrinsèques que Raymond Daniel explique ainsi : « Une lettre datée du 24 avril 1940 et adressée par le Gouverneur de la Côte d’Ivoire à son supérieur de Dakar fait au contraire allusion au mécontentement suscité non seulement par les impôts excessifs qui ont pesé autrefois sur la population voltaïque, mais aux recrutements militaires intensifs en 1917-1918 et à la culture obligatoire du coton qui va provoquer une disette en 1931-1932. Avant 1930, des manoeuvres voltaïques ont été envoyés hors de leur pays sur le chantier du chemin de fer de Côte d’Ivoire et ils l’ont été sous la contrainte […]. En 1937, le gérant de l’agence consulaire de France à Accra évalue à 100.000 environ, le nombre d’ « indigènes » qui descendent chaque année du Soudan et de l’ancienne Haute Volta en Gold Coast pour la traite du cacao… »[18]
L’émigration intense des peuples du Burkina Faso et singulièrement des Lyéla, dont les incidences sont importantes dans l’estimation de ces derniers, tient donc à des conjonctures diverses. D’abord, historiques : ces peuples ont été soumis à toutes formes de contraintes tant pour les travaux de force, les recrutements militaires, que pour la levée de main-d’oeuvre ; à ces obligations s’ajoute le devoir de s’acquitter des impots par capitalisation dans dans un contexte de pauvreté extrême. Ensuite, il y a des causes naturelles qui sont liées à la pauvreté du sol et à une agriculture de subsistance[19] ; ce qui force « 150.000 travailleurs saisonniers au moins » à quitter « la Haute Volta chaque année » [Hans E. Panofsky, Illinois 1960]. Ce pays pauvre, sec, rude et aride, touché par de fréquentes famines compte inversement une population à forte densité.
On peut mentionner, enfin, des raisons psychologiques qui poussent les individus vers l’étranger. Au départ, nous l’avons vu, certains d’entre eux voulaient fuir à la fois les travaux forcés et surtout le recrutement militaire obligatoire. Mais, par la suite, les individus durent s’en aller de leur pays pour aller chercher, dans les pays du Sud, des salaires plus élevés, de la nourriture de qualité, du travail sans contraintes ni tracasseries administratives. En raison de la proximité de la mer qui est un autre facteur de prospérité de ces derniers pays, le climat semble plus doux et donc plus facile à vivre. Ils ont l’impression, loin des exigences de leur famille ou de leur clan, d’être plus libres et d’oser affirmer leur bonheur.
Dans le Lyolo, notamment, la vue des anciens migrants a toujours constitué une puissante incitation à partir. Ils reviennent riches d’histoires originales par lesquelles ils séduisent les esprits, voire surexcitent l’imagination de leur auditoire. Outre les beaux habits qui les distinguent des autres, ils ont aussi de bons moyens de déplacements tel le vélo.
La clémence du climat des pays du Sud transforme leur peau : leur teint paraît plus beau, leur corps plus lisse, plus brillant même sous l’effet des pommades. Ils sont généralement plus frais, plus propres et plus séduisants. S’expatrier signifie, dès lors, pour les jeunes gens, la possibilité de gagner de l’argent soit au Ghana, soit en Côte d’Ivoire. Et c’est grâce à l’argent qu’on peut accéder tant aux beaux vêtements qu’aux beaux vélos. Il permet également d’acquitter l’impôt familial quand il avait encore cours, et aujourd’hui de faire des cadeaux en espèce aux parents, aux frères et soeurs, d’offrir des présents en nature tant à la famille élargie qu’à des amis.
Si l’on regarde le problème des migrations dans le contexte des peuples africains, par ce biais, on ne peut que s’accorder avec les nuances qu’apporte Jean-Loup Amselle, dans l’une des causes de ce phénomène, en l’occurrence, l’opposition ainé/cadet. De quoi s’agit-il ? On trouve dans la littérature africaniste comme fait établi et universalisable, la figure conflictuelle ainé/cadet comme la genèse, l’expansion et la perpétuation qui rend compte des migrations en Afrique Noire. Une telle conception pèche par sa généralisation et, donc, par son mépris de situations singulières, des spécificités dans les multiples visages des mouvements migratoires. Il ne s’agit pas de nier qu’un tel fait, c’est-à-dire l’opposition ainé/cadet, n’existe pas dans les familles africaines. Mais son existence ne peut justifier, à elle seule, tous les caractères ou toutes les causes des mouvements migratoires dans ce vaste continent. Au sujet de cette opposition aine/cadet, Jean-Loup Amselle fait les remarques suivantes : « Cette exigence historiciste s’applique également, selon nous, à une raison qui est souvent présentée comme étant à l’origine des migrations spontanées ou répulsives, c’est-à-dire l’opposition ainé/cadet […]. La contrainte exercée par les aînés sur les cadets a en effet souvent pour résultat d’inciter ces derniers à quitter les groupes résidentiels et par là même à résoudre les conflits intervenant au sein des lignages […]. En fait, à propos de ce type d’explication surgit une difficulté que l’on pourrait formuler de la façon suivante : les conflits ainés/cadets étant au principe même du fonctionnement de nombreuses sociétés africaines et à ce titre ayant une existence très ancienne, ils ne peuvent rendre compte du phénomène éminemment actuel que sont les migrations » [1976 ; p.p.15-16].
Dans un travail inédit[20], nous avons étudié la question de l’émigration des Lyéla tant à Abidjan qu’à Bianouan village de la Préfecture d’Aboisso où ceux-ci sont plus nombreux que chaque groupe ethnique, y compris les autochtones, en l’occurrence les Agni. Nous avons remarqué que cette nouvelle figure de l’émigration, essentiellement économique, n’est pas du tout conforme à la spéculation anthropologique relative à la conflictualité ainé/cadet. Bien au contraire, la proportion d’aînés que nous avons remarquée tant à Abidjan qu’à Bianouan dont nos propres parents, est grande. Nous retiendrons juste deux facteurs qui expliquent ce phénomène. D’abord, au cours des années 193O à 1950 environ, les ainés fuyaient les recrutements militaires obligatoires et les travaux de force. Ils étaient souvent aidés par le collège des pères. En s’enracinant ailleurs (Ghana, Côte d’Ivoire) ils apportaient une contribution financière substantielle pour alimenter les familles et pour faire face aux diverses dépenses dont celles des funérailles. Ensuite, à partir des années 1955-1960, les aînés émigraient pour aller chercher l’argent nécessaire à leur propre mariage. Par la suite, ils s’enracinaient parce qu’ils devaient s’occuper de marier les petits frères ou les cadets en assurant l’ensemble des frais. Dès lors, nous avons remarqué que dans beaucoup de cas, les aînés restaient chefs de famille à l’étranger et déléguaient leur responsabilité aux cadets restés sur place au Burkina Faso. Ils ne rentraient définitivement chez eux que pour assumer la chefferie de clan selon la règle de l’âge, celle du Primus inter pares parmi les hommes les plus vieux de chaque clan.

Toutefois, cette analyse qui nuance la thèse précédente n’a pas l’intention de s’ériger elle-même au rang de vérité susceptible de s’appliquer à tous les visages des mouvements migratoires en Afrique noire. Nous voulons simplement souligner, à l’instar de Jean-Loup Amselle, qu’il y a toujours des singularités qu’il faut prendre en compte. Les peuples ne sont pas des espèces d’entités abstraites qui obéiraient forcément à nos schèmes d’analyse intellectuels. Dès lors, nous devons admettre que diverses raisons peuvent expliquer les mouvements migratoires.
Ainsi, pour ce qui est des Lyéla, le besoin d’imiter les migrants, voire de les égaler ou de les surpasser, lesquels acquièrent un statut singulier par rapport aux autres, notamment les paysans restés sur place (ils parlent une langue étrangère qui donne du prestige ; ils font montre de réussite sociale, de richesses patentes même si celles-ci sont toujours éphémères), pousse une partie importante d’entre eux à émigrer. En ce sens, l’immigration, comme les problèmes de santé, est une des causes qui rendent compte à la fois de la difficulté de dénombrer cette population et le fait qu’elle reste peu importante par rapport à ses voisins.

4- Santé et maladies
Entre les données fournies par Anne-Maire Duperray à propos des densités des populations Gourounsi, notamment Lyéla dans les années 1980[21] et la carte de l’Atlas Jeune Afrique datée de 1993, la progression de la population des Lyéla n’est pas estimée de la même façon. En effet, la première carte conduit cet auteur aux remarques suivantes : d’abord, « La moyenne de dix habitants au kilomètre que compte l’ensemble de la région dissimule en effet bien des différences ». Si les vallées des fleuves et leurs environs immédiats sont pratiquement vides d’habitants[22], « si les plus fortes densités du pays nouna ne dépassent pas 20 habitants au Km2 autour de Léo et 35 autour de Pouni, il faut remarquer que « le nord du pays léla ne se distingue en rien du pays mossi voisin avec des densités partout supérieures à 35 et pouvant atteindre 100 et même 125 habitants au Km2 »[23] [1984 ; p.p.31-33]. Ces données contrastent singulièrement avec celles fournies par la carte de l’Atlas Jeune Afrique. La province du Sanguié qui comprend tout le Lyolo a une densité de population se situant entre 50 et 30 habitants au Km2. Selon Henri Barral, elle était de 20 à 25 au moment de son étude du village de Tiogo (1968). Quant à toute la zone du Mouhoun, elle avait encore une densité inférieure : 5 habitants au Km2.
Les raisons de cette faible densité tiennent à plusieurs facteurs mortifères[27]. Nous verrons les causes profondes ultérieurement. On peut dire, d’abord, qu’elles résultent d’une mortalité assez importante, en premier, celle des enfants. Michel Izard analyse les causes de la mortalité infantile, dans une région non loin du Lyolo, en l’occurrence, le Yatenga. Dans les grandes lignes, elles sont semblables à celles qui expliquent la mortalité des enfants parmi la population lyèl. Selon lui, la mortalité la plus ordinaire, voire courante des enfants provient de « déchéance physiologique : l’enfant, surtout pendant les trois premières années de sa vie, est profondément vulnérable et une agression même fonctionnelle peut lui être fatale. Ainsi, le sevrage, passage tardif, vers l’âge de 2 ans et demie, d’une alimentation lactée peu riche, à une nourriture constituée par des bouillies liquides à base de farine de mil, est-il particulièrement dangereux ? » [1980 ; p.33]
A cette mortalité infantile s’ajoute celle, non moins importante, qui touche toutes les générations. Lors de nos enquêtes sur le terrain, dans les années 1976 à 1998, l’infirmier du dispensaire de Réo de cette époque, nous a présenté, sur une année, les diverses maladies qui frappent la population :
– de janvier à avril, commence la période des grandes maladies contagieuses comme la méningite qui frappe indifféremment enfants jeunes et adultes ; la rougeole qui touche les enfants à partir de neuf mois. Celle-ci provoque des complications pulmonaires en raison du peu d’empressement des mères à faire soigner leurs enfants. Il y a également la varicelle, les maladies pulmonaires comme les bronchites ou pneumopathies. Outre ces maladies contagieuses, d’autres, également mortelles, ont cours pendant cette période de l’année, telles que le tétanos, les parasitoses (vers intestinaux, ascaris et ténia notamment).
– d’avril à mai : diarrhées, fièvre typhoïde, dysenteries. Ces maux résultent de la qualité de l’eau (baisse et rareté des eaux propres) et des aliments.
– de mai à octobre : c’est surtout le paludisme qui sévit.
– saison d’octobre à janvier : il y a un changement brutal du climat ; la température passe du chaud au froid ; on passe de 42°-43° le jour en avril à 15°-20° au mois de janvier. Ce décalage de température voit la réapparition des maladies précitées.
En outre, il signale d’autres maladies courantes et récurrentes : les maladies cardio-vasculaires, l’hypertension sous ses diverses formes liées à l’abus d’alcool et de tabac, les insuffisances cardiaques. On remarque aussi un certain nombre de cas de tuberculeux et de lépreux. Les ulcères du tube digestif provoquent, chez les enfants, pendant toute l’année, des gastro-entérites. Il cite également les hernies inguinales, les occlusions intestinales et des cas de péritonites qui, malgré les urgences mises en oeuvre, sont généralement mortelles. A ces maux ordinaires, s’ajoute l’alcoolisme qui est fort répandu dans les zones christianisées et qui concerne indifféremment jeunes, adultes et femmes. C’est le cas à Réo où l’alcoolisme devient un fléau majeur aujourd’hui (1980).

Toutes ces données semblent confirmer, dans les grandes lignes, les chiffres qu’il nous a fournis concernant la mortalité générale. D’abord, l’accroissement naturel, selon le recensement de 1975, de la population se situerait entre 25 et 30°/∞, malgré la très forte mortalité infantile. Concernant les enfants en bas âge, entre 0 et 5 ans, on note que celle-ci se situerait autour de 38°/∞. La mortalité générale, dans le Lyolo, à cette époque, est estimée à 23,6°/∞ ; sachant qu’aujourd’hui, c’est-à-dire les années 1990, l’apparition du sida a bouleversé complètement les données. Mais, nous n’avons malheureusement pas de chiffres actualisés.
[1] On sait aujourd’hui que même des micro-communautés, telles que celles des Amérindiens de l’Amazonie ou des Pygmées de la forêt équatoriale africaine, ne peuvent plus être considérées comme des groupes enfermés sur eux-mêmes. L’environnement géographique de ces peuples, en l’occurrence, l’impression d’enfermement générée par la forêt dense, a été l’un des facteurs importants dans la conception imaginative des anthropologues qui ont défendu l’idée d’entités humaines inertes ou celle d’histoire humaine « froide ». Quelques brillantes que soient certaines de ces thèses, celle de Lévi-Strauss, en particulier, (Race et histoires, Denoël Gonthier), les auteurs de celles-ci n’ont pu se détacher intellectuellement de l’ethnocentrisme européen ambiant de l’époque coloniale ; du moins, leurs présupposés s’enracinent dans un tel esprit.
[2] C’est nous qui soulignons.
[3] Il suffit, pour s’en convaincre, de se rapporter aux travaux de Georges Gusdorf : Les sciences humaines et la pensée occidentale, tome I (Edit. Payot, Paris), L’avènement des sciences humaines au siècle des Lumières, tome VI (Edit. Payot, Paris). Dans ces ouvrages, l’auteur montre la part du mythe, de la légende, voire de l’imagination dans la manière dont les peuples européens ont tenté de reconstituer leur propre histoire. Il a fallu attendre le XVIIIe siècle et sa raison critique pour voir émerger des tentatives critiques : celle de Voltaire ou de Pierre Bayle en France ; de tri entre ce qui est proprement historique et ce qui est de l’ordre du mythe ou de la légende, voire de la simple geste. En ce sens, on peut dire que la naissance du nazisme est le fruit d’une telle reconstitution mythologisante de l’histoire du peuple allemand.
[4]D’ailleurs, pour les Kassena, ensemble de clans voisins, les Lyéla n’ont plus rien de « Gourounsi » comme eux, en raison de la forte influence des Moosè grâce à la pénétration dans le Lyolo de groupes d’origine moosè. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à dire que les Lyéla sont des Moosè.
[5]Ceci est une réalité humaine permanente. Ce mythe est plus conforme à la dynamique des sociétés, lesquelles sont poussées, par les besoins vitaux, à s’épandre ailleurs dans des espaces hospitaliers propices à de meilleures conditions de vie, en l’occurrence, la richesse des sols, soit pour l’agriculture, soit pour l’industrie, soit encore pour le commerce. Il est même certain que cette cause de l’émigration humaine ne prendra jamais fin tant que les hommes auront des besoins ou des exigences de meilleures conditions de vie et qu’il y aurait suffisamment d’espaces en quelque lieu de la terre pour les accueillir de gré ou de force. Dans ce cas, la nécessité tient lieu de force.
[6]Gérard Rémy parle dans son étude sur Dousin, des traditions moosé selon lesquelles les chefs moosé ont pu procéder à l’expulsion des populations gurunsi, premiers occupants des zones qu’ils ont conquises : « on ne trouve plus de trace de groupes gurunsi autochtones. Selon des traditions recueillies par R. Pageard, Naba Nakye (11e Moro naba) aurait, au XVIIe siècle, chassé de son royaume les derniers gurunsi qui se trouvaient sur la rive gauche de la Volta rouge » (p. 22).
[7] Jò est le nom de Réo en lyélé
[8] Ce nom, d’origine moosé, renvoie au fondateur du village. Nous établirons dans la suite de nos investigations une généalogie d’une branche récente du kwala Négalo de Batondo.
[9]Plus tard, c’est-à-dire dans les années 1980 à 1990 environ, Rüdiger Schott reprendra ces analyses dans une étude comparée entre les Tallensi, les Bulsa et les Lyéla à travers divers articles. Ce qui a surtout retenu l’attention de ce chercheur, c’est leur mode d’organisation sociale/politique en clans, sans un pouvoir central hiérarchisé ; encore qu’il ne faille pas négliger les nuances des formes de pouvoir chez ces trois groupes.
[10]Selon le vocabulaire francophone répandu dans tout l’Ouest africain, l’unité d’habitation s’appelle cour ou concession.
[11]Il s’agit de la description de l’habitat traditionnel des Lyéla. Celui-ci a considérablement changé depuis les années soixante dix. On trouve encore ce type d’habitat loin des zones dites modernes, notamment celle de Réo. En effet, les immigrés rentrant des pays riches de la côte (Ghana, Côte d’Ivoire, Togo etc.) avec plus de moyens financiers, ont imposé un nouvel habitat : il s’agit de maisons construites en briques essentiellement (banco) de forme carrée ou rectangulaire et dont le toit est couvert de tôles. Les murs sont crépis en ciment ou généralement négligés. Certaines sont insérées dans le cadre de l’enceinte familiale d’habitation ; d’autres sont construites à l’écart de ces demeures traditionnelles et abritent un couple et ses enfants.
[12] Dans un article à la Revue Anthropos [P. Bamony ; 1997], en raison de l’origine péjorative et problématique du terme « fétiche » mésusé par la littérature anthropologique, nous nous proposons d’appeler les objets cultuels des religions d’Afrique noire, « puissances théurgiques » ; et le féticheur ou fétichiste, « prêtre ou officiant de puissances théurgiques ». Nous nous en tiendrons à ces termes dans ces recherches.
[13] Il s’agit de récipients en terre cuite, de différentes formes, volumes, taille en fonction des usages aussi variés que multiples.
[14] Celles-ci sont de dimensions variées en fonction des usages multiples auxquels elles peuvent servir : cuillères, louches, verres, bols, plats creux etc.
[15] En dépit d’un récent recensement de la population burkinabé, le nombre exact du groupe lyel reste problématique. Ainsi, selon l’Atlas Jeune Afrique consacré au Burkina Faso, « le recensement général de la population effectué en décembre 1985 donnait au Burkina Faso 7.964.705 habitants regroupés dans 7.137 localités. Avec ses 274.200 Km2, le Burkina Faso a donc une densité moyenne de 29 habitants au kilomètre carré. En, 1960, un sondage démographique avait estimé la population à 4.372.000 habitants (18 habitants au Km2), le recensement de 1975 avait constaté 5.638.203 résidents (21 habitants au km2). Le taux de croissance est de 2,68 » [1993 ; P.24]. Ces données qui semblent relativement fiables et confirment une progression globale et continue de la population du Burkina Faso. Certes, comme l’indique la carte de la densité de la population, le taux de fécondité fortement élevé sur l’ensemble du territoire moosé, est inégal, voire moyenne dans certaines zones du pays. Le Lyolo fait partie de celles-ci. Selon un mémoire de l’Université de Ouagadougou [Léon Compaoré ; 1966-77], la population de la préfecture de Réo[15] était estimée à 106.000 habitants dont 91.800 Lyéla.
Mais Emmanuel Bayili paraît penser le contraire ; d’après ses recherches, le lyolo semble densément peuplé avec une moyenne de 30 habitants au km2. Se fondant sur le recensement de 1975, il estime la population des Lyéla à 134.087 habitants selon la répartition suivante :
-1 : préfecture de Réo = 51.174 habitants ;
-2 : préfecture de Didyr : 43.300 habitants ;
-3 : préfecture de Ténado : 39.613 habitants ;
Il s’agit là des zones les plus importantes et les plus peuplées du Lyolo.
Les travaux de Rüdiger Schott, consacrés aux Lyéla, se heurtent à la même difficulté de parvenir à une estimation à peu près correcte de cette population. Les variations entre chacune de ces estimations paraîssent assez importantes comme on peut en juger dans les articles suivants ; dans Serment et voeux chez des ethnies voltaïques (Lyéla, Bulsa, Tallensi) en Afrique Occidentale, [1987, Paris], il est question de 150.000 personnes environ. Il maintient la même estimation dans Contrôle social et sanctions chez les Lyéla du Burkina Faso (Haute Volta) [1984, 7 et 8 décembre]. En revanche, dans La légitimation des autorités traditionnelles de deux sociétés lignagères en Afrique Occidentale : les Bulsa (Ghana) et les Lyéla (Burkina Faso), il affirme que ces derniers sont au nombre de 130.000 habitants.
[16] Nous avons nous-mêmes tenté vainement de satisfaire notre curiosité sur ce point. Pas plus à Réo, qui est le centre le plus important de tout le Lyolo, qu’à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, il n’existe d’archives qui permettraient de faire une étude évolutive récente de cette population. La bibliothèque universitaire de Ouagadougou, tout autant que le C.B.R.S. ne dispose pas de données satisfaisantes sur le groupe des Lyéla en particulier. Pour s’en faire une idée en quelque domaine que ce soit, il vaut mieux arpenter les bibliothèques occidentales.
[17]A cette époque, le pays s’appelait encore la Haute Volta.
[18] Dans un document consacré aux « migrations de travail vers l’étranger… », Jean Capron et J.M. Kohler montrent que les gourounsi, dont les Lyéla, participent activement à ces départs massifs vers les deux pays côtiers les plus attrayants et les plus riches, c’est-à-dire la Côte d’Ivoire et le Ghana. Selon eux, « les Gourounsi du Nord (Ténado) émigrent sensiblement de la même façon que leurs voisins Mossi, surtout vers la Côte d’Ivoire ; par contre, ceux du Sud (Pô et Léo) se dirigent de préférence vers le Ghana où leurs frères de race et de langue constituent un élément important de la population ». On peut nuancer ces observations à propos des « Gourounsi du Nord (Ténado) », en l’occurrence les Lyéla. En effet, la destination vers la Côte d’Ivoire va être privilégiée, plus tard, vers les années 1950 environ. Des « Notes et documents voltaïques » abondent dans le même sens que nos observations : « Un document officiel britannique de 1929 évalue à plus de 60.000 le nombre de Voltaïques entrés en Gold Coast en 1928… En 1934, de source officielle britannique, 34.400 Voltaïques ont pénétré en Gold Coast alors que le pays est en pleine crise économique » (Les migrations voltaïques à travers le séminaire sur les migrations modernes en Afrique Occidentale).
Autrement dit, les Lyéla eux-mêmes témoignent de leur nombre considérable dans des villes du Ghana comme Kumassi, Secondi-Takoradi, en raison des mines d’or. Mais, ceux qui voulaient créer des plantations de caféiers ou de cacaoyers comme les Ghanéens, se heurtaient au refus de la population autochtone d’une part, qui ne voulaient pas donner la terre aux étrangers, et d’autre part, l’achat des terres exploitables était prohibitif du point de vue de son prix. Dès lors, vers les années 1950, les Lyéla du Ghana et ceux du Burkina Faso se sont rués vers Côte d’Ivoire, où une loi non écrite disait : « la terre appartient à ceux qui la mettent en valeur ». La relative bienveillance des peuples côtiers de la Côte d’Ivoire a fait le reste : attirer le plus d’étrangers possible, notamment les gens des pays du Sahel, vers les terres vierges de ce pays.
[19] Raymond Deniel décrit de façon apocalyptique la situation de l’ex-Haute Volta, ou Burkina Faso aujourd’hui, de telle sorte que rien ne donne envie de vivre dans ce pays aux conditions existentielles infernales. Selon lui, « Le sol est ingrat, souvent stérile, les terres arables s’usent. Les conditions climatiques sont rudes : même pendant la saison humide – l’hivernage -, les pluies sont rares et d’aucuns assurent qu’elles se raréfient d’année en année. La saison sèche qui court de décembre à mai, est d’une longueur excessive et la chaleur y est insupportable. Un écolier l’évoque en ces termes : « on dirait que tout le village est plongé dans l’enfer terrestre ou plus ou moins au-dessus de celui-ci ». Un autre raconte que, parfois, « il n’y a plus à boire (…). La chaleur est atroce et tout crève ». Plusieurs parlent de la famine qui menace à la fin de la saison sèche et au début de l’hivernage, tandis que les réserves de mil s’épuisent et ne sont relayées par les fruits de la nouvelle récolte.
La plupart des villageois, y compris les écoliers de primaire, acceptent cette désastreuse situation économique comme un fait auquel on se résigne, bien loin de le juger... » (idem, p.p.63-64).
[20] Il s’agit d’une partie de ces recherches qui s’étendent sur plus de 20 ans. Nous en avons extrait les éléments qui traitent de notre propre expérience qui est une plongée dans le phénomène de la sorcellerie. Notre Mémoire de D.E.A. d’Anthropologie à l’E.H.E.S.S. de Paris porte également sur l’immigration des Lyéla à Bianouan.
[21]Cette carte a dû, sans doute, être établie quelques années auparavant, certainement dans les années 1970. En raison de l’absence chronique de données précises et réactualisées sur les populations burkinabé, en général, et singulièrement sur les Lyéla, nous sommes réduits, au niveau de la recherche, à nous contenter de ce qu’il y a, c’est-à-dire des travaux effectués par les Français avant les indépendances, voire pendant une quinzaine d’années après celles-ci. A titre d’exemple, nous avons écrit en décembre 1998, au maire de Réo pour lui demander une photocopie des cartographies de Réo, de son agglomération et de sa région. Il vient de nous répondre en janvier 1999 que de telles cartes n’existent pas encore ; elles sont seulement en projet.
[22]Il s’agit notamment de la zone bordant le Mouhoun, à l’Ouest du Lyolo en raison des diverses maladies. Cette zone est particulièrement infestée de glossines (agent de la maladie dite du sommeil) et de simulies (agent de l’onchocercose). La bordure du Mouhoun est occupée par une série de forêts classées comme la forêt de Ouoro, Tiogo, Tissé, Kalyo, Nosebou, Sorobouli etc.
[23]C’est nous qui soulignons.
[24] Cette carte a dû sans doute être établie quelques années auparavant, certainement dans les années 1970. En raison de l’absence chronique de données précises et réactualisées sur les populations burkinabé, en général, et singulièrement sur les Lyéla, nous sommes réduits, au niveau de la recherche, à nous contenter de ce qu’il y a, c’est-à-dire des travaux effectués par les Français avant les indépendances, voire pendant une quinzaine d’années après celles-ci. A titre d’exemple, nous avons écrit en décembre 1998, au maire de Réo pour lui demander une photocopie des cartographies de Réo, de son agglomération et de sa région. Il vient de nous répondre en janvier 1999 que de telles cartes n’existent pas encore ; elles sont seulement en projet.
[25]Il s’agit notamment de la zone bordant le Mouhoun, à l’Ouest du Lyolo en raison des diverses maladies. Cette zone est particulièrement infestée de glossines (agent de la maladie dite du sommeil) et de simulies (agent de l’onchocercose). La bordure du Mouhoun est occupée par une série de forêts classées comme la forêt de Ouoro, Tiogo, Tissé, Kalyo, Nosebou, Sorobouli etc.
[26]C’est nous qui soulignons.
[27]Dans son étude des populations Bwa, Jean Capron recherche les causes qui expliquent la mortalité assez importante observée dans certaines tranches d’âge [1973]. Se fondant sur d’autres recherches relatives à ce problème et dont on retrouve les caractères généraux chez les Lyéla aussi, il retient deux facteurs : la mortalité infantile et la mortalité générale. La première serait liée, selon les observations de J. Gallais, à des coutumes locales nuisibles à la vie des enfants. En effet, « les atteintes à la prospérité démographique s’expliquent très largement de détestables coutumes. L’accouchement est pratiqué, la femme à genoux sur le sol, de telle sorte que le nouveau-né ait un contact direct, de signification rituelle, avec la terre. On cicatrise l’ombilic avec un mélange de beurre de karité et de terre, pratique dont il résulte un fort pourcentage de cas de tétanos… Beaucoup d’étouffements mortels ne permettent pas d’atteindre ce stade. Par ailleurs, certaines coutumes… limitaient le croît démographique… Ainsi, dès les premiers jours, des coupes sombres sont faites dans les produits de cette fécondité Bwa ». Les médecins européens remarquent aujourd’hui que l’abus de la pratique du lavement durant toute la période de l’allaitement est une cause essentielle de mortalité infantile observée sur place [p.133].
Quant à la mortalité générale, elle relève du mouvement naturel de la population. Elle est fonction, tant des conditions naturelles du milieu de vie des populations que de la qualité alimentaire. C’est, du moins, la thèse de Manessy qui observe que « les caractères généraux de l’alimentation bwa sont communs à tous les peuples agriculteurs d’Afrique établis dans les mêmes zones climatiques à prédominance très large de produits végétaux, déséquilibre qualitatif (pauvreté du régime en matière animale et minérale) et, à certaines époques, insuffisance quantitative de la ration » (p.137). En dehors de la zone de Réo, ces dernières remarques s’appliquent parfaitement au cas des Lyéla dont la majeure partie souffre d’insuffisance alimentaire pendant les mois de juillet et août. En dehors de la polenta quotidienne (galettes, tô ou gâteaux) de mil ou de sorgho, la consommation de viande résulte d’occasions rares.