
Introduction : nature des pouvoirs diffus dans la société
Irréductibles aux dominations de groupes et aux puissances parcellaires, les pouvoirs d’influence se différencient des premières par une absence de règles contraignantes et des secondes par leur globalité. Ils désignent des pratiques sociales agissant par persuasion et séduction. Leur pression diffuse, sans être officielle, est tout aussi décisive que celle du pouvoir politique ou économique. Ils apportent, en effet, des avantages attractifs capitaux, en structurant et modelant les esprits ou les coeurs. « La relation d’influence exclut la contrainte. Elle suppose donc que A, désireux d’obtenir de B certains comportements, puisse lui offrir – intentionnellement ou non – des avantages attractifs. » (P. Braud, Sociologie politique, LGDJ, p.35).
Procurer des avantages attractifs : voilà le noyau des pouvoirs d’influences, comme nous le signalent quelques exemples. Ainsi en est-il du système médiatique : il nous rattache à une cité, élargie à l’univers, nous fait participer à une dimension « universelle », bénéfice évident pour la plupart des hommes, insérés, de manière apparemment fructueuse, dans d’immenses réseaux de communication et de vie. Parce qu’une société limitée goûte cet élargissement, les médias exercent un pouvoir d’influence considérable. Ils emportent, en douceur, les décisions. Ce sont des démiurges de persuasion.
Or les descendants d’Homo sapiens, au cours de leur histoire, ont mené des combats pour se rendre autonomes, indépendants en vue d’atteindre la liberté. La Philosophie elle-même a érigé ce concept au rang de valeur absolue ; de ce qui fait que l’être humain puisse se dire qu’il est humain par essence. Si tout être humain est manipulé de l’intérieur de soi par des outils pernicieux adventices, n’est-ce pas la négation absolue et, pourquoi, définitive de la liberté comme valeur sacrée ? L’Anthropos n’est-il pas vaincu dans son humanité même ?
I- Le pouvoir des médias
1) Quelques repères historiques.
Médias : ce terme vient du latin medium, centre, milieu et contracte l’expression anglo-saxonne « mass media », moyens de communication de masse. Les médias désignent de nos jours les supports de diffusion massive de l’information comme la presse, la radio, la télévision, etc.
Pourquoi commencer notre enquête par l’analyse de la puissance médiatique ? Depuis les années 1950, tout particulièrement, le phénomène médiatique s’est imposé comme un système de pouvoir d’influence exceptionnel, en particulier à la suite du développement de la télévision. Si l’on parle aujourd’hui de « médiacratie« , il s’agit, à l’évidence, de l’hégémonie de la télévision.
Le monopole de l’information, conquis par les grands journaux au milieu du XIXe siècle, leur a été ravi dans les années 1960. Voici un tournant décisif : la naissance et l’expansion des technologies modernes. Le pouvoir des médias change de nature, avec la transmission à distance des images. Surgit alors un pouvoir d’influence inédit, gros de magie et de thaumaturgie. Certes, la radio élargissait déjà le cercle du monde, et son pouvoir, tout particulièrement pendant la Seconde Guerre mondiale, s’avère loin d’être négligeable : la bataille des ondes jouera un rôle incontestable jusqu’à la victoire des Alliés. D’ailleurs, d’une manière générale, la radio exerce une action profonde, elle touche les individus au coeur même de leur intimité. « C’est une relation de personne à personne, qui ouvre tout un monde de communication tacite entre l’auteur-speaker et l’auditeur ». (M. Mac Luhan, Pour comprendre les media, Points/Seuil, p. 341). Elle détient en fait le pouvoir de transformer l’individu de manière directe, de façon parfois explosive, comme nous le rappelle l’émission célèbre d’Orson Welles qui, simulant une invasion des Martiens, provoqua un début de panique parmi les auditeurs. Néanmoins, cette caisse de résonance qu’est la radio ne saurait se comparer au « petit écran », qui possède une puissance inégalée, redoutable et terrifiante, car l’image fascine et engendre des effets dotés d’efficace.
« La période d’expansion de la télévision française commence en 1950 avec l’extension du réseau, les premiers téléviseurs dans les classes moyennes, la découverte de l’expression « télévisuelle », enfin l’augmentation du nombre d’émissions et de la durée des programmes (…). Les années 60-80 furent marquées par une évolution technique considérable, une évolution qui eut une incidence importante sur la télévision. Au niveau professionnel, le magnétoscope permit de nouvelles méthodes de travail (enregistrement par séquence, relecture immédiate d’une scène)» (Francis Balle, Médias et société, Montchrestien, pp. 113, 11 9).
De la révolution des moyens audio-visuels va naître un type de pouvoir d’influence absolument inédit, mettant en jeu toutes les ressources de l’imaginaire et de la sensibilité humaine. L’usage de la télévision a provoqué un bouleversement psychique et social : elle a touché l’ensemble de notre vie. Mac Luhan, on le sait, va même jusqu’à penser que l’audiovisuel remet en question l’expression écrite : il s’agirait d’une véritable mutation, ce qui n’est pas tout à fait inexact.

2) Pouvoirs de l’imaginaire
Pourquoi cet efficace sans précédent ? Les médias irriguent l’imaginaire puissamment et permettent – tout particulièrement la télévision – le fonctionnement intensif des mécanismes de projection et d’identification. L’homme « télé-visionnaire » vit par procuration tout ce qui s’offre à lui, destins maudits, accidents de l’histoire, faits divers : il se projette en eux et s’identifie aux événements ou expériences qui défilent devant lui. Charge imaginaire infiniment plus influente que celle véhiculée par la lecture ou même la radio. Un changement de perspective se produit. La télévision transforme tout le réel en spectacle, auquel le spectateur s’identifie. Ce sont donc les phénomènes humains dans leur globalité et leur diversité qui s’offrent à l’homme de notre temps.
Le pouvoir des médias se comprend donc en fonction de cette participation imaginaire. Un voyeurisme magique imprègne les mentalités, les esprits et les corps. « Les nouvelles techniques créent un type de spectateur pur, c’est-à-dire détaché physiquement du spectacle, réduit à l’état passif et voyeur. Tout se déroule devant ses yeux, mais il ne peut toucher, adhérer corporellement à ce qu’il contemple (…). Le spectateur typiquement moderne est celui qui est voué à la télé-vision, c’est-à-dire qu’il voit toujours en plan rapproché, comme un téléobjectif, mais en même temps à une impalpable distance ; même ce qui est le plus proche est à l’infini de l’image, toujours présente, certes, jamais matérialisée (… Ainsi nous participons aux mondes à portée de la main, mais hors d’atteinte de la main ». (E. Morin, L’Esprit du temps, Grasset, p.90).
3) Pouvoir de l’image médiatique en politique
Ne serait-ce pas dans le champ politique que les puissances des médias et leur action sur l’imaginaire apparaissent en pleine clarté, présidant à des bouleversements inouïs, à de véritables mutations dans la Cité, désormais soumises au règne de l’image, de la séduction, du spectacle permanent ?
Avec les médias contemporains, qui entraînent croyances, opinions, persuasions diverses, des enjeux politiques considérables se dessinent. Une véritable théatrôcratie gouverne maintenant notre vie quotidienne, envahie d’images, avec tout ce qu’elles supposent d’action magique, mythique et thaumaturgique. C’est pourquoi le pouvoir politique finit par apparaître et se manifester sur scènes, comme le montre fort bien Georges Balandier.
Autrefois gouvernée par des idées, des desseins politiques, l’existence sociale obéit donc aujourd’hui aux normes du spectacle. Thème bien connu, mais qu’il faut néanmoins préciser car le « star System » en politique notamment, signifie la primauté de l’image par rapport à la notion, de l’apparence sensible par rapport aux concepts. Information et communication anesthésient toute la vie politique. Le contenu du message est ainsi moins important que la forme, l’image, le personnage, créateurs de tout événement et de tout jugement d’appréciation. Ici se mesure et s’évalue le pouvoir des médias. « Le monde entier est en scène », affirmait déjà Shakespeare. La dramaturgie politique de notre temps confirme l’énoncé et donne à voir la puissance de la théâtralité : les images sont bien, de nos jours, la substance même de la politique. La compétence ne suffit plus. Il faut que la séduction agisse.
« La multiplication et la diffusion des médias modernes ont modifié en profondeur le mode de production des images politiques. Elles peuvent être fabriquées en grand nombre, à l’occasion d’événements ou de circonstances qui n’ont pas nécessairement un caractère exceptionnel. Elles acquièrent, grâce aux moyens audiovisuels, à la presse illustrée et à l’affiche, une force d’irruption et une présence qui ne se retrouvent dans aucune des sociétés du passé. Elles deviennent quotidiennes, c’est-à-dire qu’elles se banalisent et s’usent, ce qui impose de fréquents renouvellements ou la création d’apparences de nouveauté. (…) L’univers politique paraît plus ouvert au regard des gouvernés, il perd une partie du mystère qui tenait à sa nature de monde caché et secret ; il ne l’est sans doute pas moins, mais ses apparences chaque jour manifestées provoquent une chute de curiosité et un certain désenchantement. Les techniques audiovisuelles dont dispose le pouvoir permettent une dramatisation permanente ». (G. Balandier, Le Pouvoir sur scènes, Balland, pp. 109, 110).
Les médias régissent la Cité par la théâtralité, libérant d’archaïques figures sur la scène magique des écrans de télévision : figures de l’autorité, du père, de la mère, etc. Tout un imaginaire infantile dessine les champs du pouvoir, loin de la justification rationnelle. A l’homme politique authentique se substitue le leader de charme à l’apparence sécurisante.

Autrement dit, la dramaturgie issue de l’imaginaire gouverne toutes choses et la « folle du logis » commande l’exercice politique. La politique ou l’art du spectacle bien réglé, déclenchant des mécanismes psychiques soigneusement fixés et mis au point.
Désormais, les médias créent l’événement, façonnent les hommes politiques et l’actualité. Ils engendrent l’information et l’histoire immédiate, inventent une partie de la vie sociale et politique.
II- Le pouvoir médiatique ou le triomphe de l’homme moyen
1) Acheminement des esprits contemporains vers la faillite et la déchéance mentales et intellectuelles des générations de demain. Naissance de sociétés closes ?
Intensifiant les séductions de l’imaginaire, producteurs d’illusions et de rêves, générateurs d’anesthésie politique, les médias contribuent à effacer, dans nos sociétés, la fonction critique, la contestation, la mise en question : l’acte d’accusation est dressé par Marcuse, dans une oeuvre célèbre, L’Homme unidimensionnel (1964), qui marqua les années 1968 ; Les médias ? Un pouvoir créateur d’une société close, qui absorbe les oppositions et participe à la formation d’un « homme unidimensionnel, c’est- à-dire entièrement intégré dans la société globale.
« Aujourd’hui la réalité technologique a envahi (l’)espace privé et l’a restreint. L’individu est entièrement pris dans la production et la distribution de masse et la psychologie industrielle a depuis longtemps débordé l’usine ». (H. Marcuse, op. cit., Minuit, p.35).
La critique marcusienne met en avant des éléments importants, les médias standardisent les goûts et intérêts divers, accentuant ainsi la poussée vers le conformisme, et finissant par produire un « homme moyen ». Le pouvoir médiatique uniformise, tendant à affaiblir les singularités de chacun et les données originales. De la médiacratie comme médiocratie, pourrait-on dire en quelque jeu de mots facile.
Dans cette mise à jour des puissances médiatiques et tout particulièrement de la télévision, Marshall Mc Luhan va très loin : à ses yeux, la télévision provoque des transformations majeures chez l’enfant, qui devient un myope culturel. L’alphabet et la vue en général engendrent, en effet, une habitude de perception analytique, la possibilité d’isoler des états parmi d’autres, alors qu’au contraire l’art de l’image opère de manière globale et totale, en engageant la totalité des sens, en prolongeant le toucher. Quand cet art se heurte à une culture alphabétique, que se produit-il ? Une métamorphose des puissances sensorielles. La télévision fait naître l‘anémie culturelle. « Les jeunes gens qui ont subi dix ans de télévision ont naturellement contracté une impérieuse habitude de participation en profondeur qui fait paraître irréels, dénués de sens et anémiques les objectifs lointains et imaginaires de la culture courante ». (Mac Luhan, Pour comprendre les média, Points-Seuil, p.380). Participation totale, la télévision oriente vers une saisie globale et, dès lors, l’enfant ne peut plus se satisfaire de l’idéal fragmentaire et analytique, qui est celui de la culture écrite. Ce médium qu’est la télévision exerce donc une action très profonde. Il crée, en tuant la lecture. Ce que le sociologue constate chaque jour dans nos sociétés.
2) La position stratégique des médias
Mais le pouvoir des médias ne résiste pas seulement dans leurs mécanismes de séduction. Ils détiennent aussi, par leur situation stratégique, un pouvoir considérable de création du réel : dans la masse colossale des faits recueillis par une information mondialisée, ils choisissent ceux qu’ils vont transformer en événements. Les médias ouvrent, certes, une fenêtre sur le monde, mais c’est une fenêtre étroite, à travers laquelle ne filtrent que des événements triés selon une stratégie de séduction, et parfois aussi à travers un projet politique. En attirant l’attention sur telle réalité plutôt que telle autre, en masquant certains faits, sans même les falsifier, les médias disposent d’un redoutable pouvoir d’orientation de l’opinion. Rien d’étonnant à ce qu’ils fassent l’objet d’une guerre de conquête, particulièrement de la part des pouvoirs politiques.
3) Limites de l’influence et du pouvoir des médias
Toutes ces analyses du pouvoir médiatique sont-elles pour autant justifiées ? Ne faut-il pas les nuancer ?
Les médias dessinent, depuis 1960, le cours nouveau de l’esprit du temps. La chronique du pouvoir moderne, sous sa forme médiatique, renvoie ainsi à une déperdition d’imaginaire fécond, à une pauvreté ou pénurie spirituelles. Dans l’extase de la communication, dans cette bacchanale des images dont nous parle Jean Baudrillard, tout se dissipe sur-le-champ. Apparaissent, non point des images ouvertes, mais des formes sans profondeur, qui, instantanément, s’évanouissent. C’est le pouvoir des médias ou la circulation incessante du vide. Toutefois, l’influence des médias, notent certains observateurs, se révèle plus limitée qu’on ne le croit. Par exemple, Michel de Certeau a bien montré que l’art du détour permet au consommateur, moins stupide qu’on ne le pense, d’éroder systématiquement l’ordre qui se présente à lui, de ruser avec les structures de domination, d’entrouvrir les mailles du filet. A son tour, la tactique du téléspectateur ne met-elle pas parfois à distance l’information saturante ? Il joue avec les représentations qui le piègent ; il use, par moments, les images qu’il met ainsi au service d’un imaginaire plus fécond (cf. Supra, p.214, sq.).
Par ailleurs, les choix personnels font souvent barrage à l’influence, à court ou long terme, de l’information médiatique. « Les observations empiriques mettent en lumière, inlassablement depuis près de cinquante ans, le rôle des contacts personnels dans la formation des opinions individuelles et, du même coup, les limites ou les obstacles que rencontrent les médias sur les chemins qui conduisent les messages vers leurs destinataires (…). La non-coïncidence entre les préférences des « mass media » et celles de leurs usagers comporte déjà cet enseignement : l’influence des organes de grande information est plus limitée qu’on le croit ou qu’on le dit (…) Les contacts personnels ont (…) sur les médias cette (…) supériorité d’être flexibles et de pouvoir s’adapter aux réactions immédiates des personnes qu’il s’agit de convaincre ». (F. Balle, Média et Sociétés, Montchrestien, p.666 sq.).

Enfin, ce que l’on appelle les techniques de persuasion douce, constitutives des pouvoirs d’influence, et tout particulièrement des médias, si elles semblent des procédés parfaits de manipulation, désignent des instruments beaucoup plus fragiles qu’on ne le croit. La persuasion politique, action entreprise en vue de faire penser un groupe dans un sens déterminé, finit par s’éteindre dans le cadre d’une longue durée. Le verrouillage de l’opinion par la persuasion plus ou moins clandestine apparaît, en définitive, de l’ordre du mythe. Francis Balle évoque « l’effet dormeur »’ : si l’efficacité d’une action de persuasion dépend « de la crédibilité prêtée à ses auteurs », cet effet s’émousse avec le temps.
Contre les idées reçues et les évidences simplistes, ne faut-il pas, en définitive, relativiser le pouvoir des médias ? Pétris et modelés par la persuasion clandestine, ils flattent les esprits, sans emporter toujours l’acquiescement ni l’adhésion. Si la tendance à l’homogénéisation s’avère un effet réel de la puissance médiatique, l’idée d’un conditionnement total, créant des comportements réflexes, conduisant à la fin du politique, ne peut que paraître absurde. Dictature douce des médias ? La réalité est, en vérité, plus subtile, plus complexe et plus mobile.
« Le politique ne disparaît pas, il change de forme : il ne disparaît pas parce qu’il est indissociable du tragique toujours présent, en tout temps, dans toutes les sociétés » (G. Balandier, Le Pouvoir sur scènes, Balland, p.169).
III- Le pouvoir de la publicité et des sondages
Aux côtés des médias, fonctionnent d’autres pouvoirs d’influence qui, eux aussi, prennent en charge, par la douceur et la persuasion clandestine, le conditionnement des esprits : publicité, sondages, etc., ces nouvelles armes du contrôle social.
A) La publicité, tout d’abord : art d’exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales, elle recourt à des méthodes insidieuses de conditionnement et fait partie des techniques de persuasion ayant pour fin de domestiquer les esprits.
B) Les sondages, ensuite. Eux aussi nous influencent en douceur. « Adjuvants du discours publicitaire, les sondages fournissent renseignements et arguments supplémentaires sur les besoins de tous ordres des citoyens (…) Ils fouillent, sous de faux prétextes parfois, dans les comportements, les moeurs, les attitudes et dessinent peu à peu le profil du consommateur-électeur moyen. Ils définissent ainsi l’« opinion publique », reflet à peine déformé de l’information de masse et de la publicité ». (« Citoyens sous surveillance », In Le Monde diplomatique, Mai 1994,p.20).
Comment s’exerce le pouvoir des sondages ? Ils évoquent le désir du plus grand nombre et nous suggèrent d’aller dans la même direction, de nous ranger à l’avis de la majorité. Soyez en harmonie avec le groupe, répètent – ils. Ne vous marginalisez pas ! Sous un angle, la peur de la liberté apparaît le principe de leur action. Il y a là une étonnante capacité de contrôle, une arme dont peuvent s’emparer tous les démagogues.

Conclusion
Les pouvoirs d’influence ont une fonction sociale bien précise : agir par séduction, non par contrainte physique, s’ouvrir aux coeurs et aux esprits, par persuasion, voire par manipulation clandestine, pour administrer et gérer le social. Ils règlent ainsi adroitement la communication dans la société (médias), le fonctionnement de l’universel (intellectuels, idéologies diverses) ou l’angoisse et le désordre (religion). C’est pourquoi leur fonction ne peut être minimisée.
C’est sous une forme tout à fait spécifique que les pouvoirs d’influence aboutissent à la production des effets attendus. Rappelons, en effet, la structure du pouvoir (détenteur, cible, relation). Nous avons affaire ici à un réseau de relations original et très instable : chaque élément adhère au système et s’en retire librement, à tout moment, sans que le détenteur du pouvoir puisse, en général, intervenir efficacement. Il s’agit, en somme, d’un réseau souvent fluctuant, diffus et insaisissable, comme nous le signale l’exemple des médias. Seule la religion semble échapper à cet aspect amorphe et flottant. Ainsi, on retrouve bien, dans les pouvoirs d’influence, la même structure que dans les autres cas, mais les relations s’avèrent ici souvent inconstantes et instables. Si nul pouvoir ne possède un caractère absolu et permanent, les pouvoirs d’influence ont tout particulièrement tendance à s’évaporer. Reposant sur la séduction ou la manipulation, intégrés dans des ensembles souvent informels, ils représentent des ensembles diffus, insaisissables, énigmatiques. Pouvoirs des intellectuels, des médias, des idéologies, etc., donnent à voir des réseaux ambigus et fluctuants, mais néanmoins très puissants en leur évanescence.
