Le Mal est-il indéfinissable ?
Devoir de réflexion donné par le Père Christian Duquoc, Christologue à la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Lyon (1977)
Introduction
Il semble que tous les peuples aient élaboré des mythes autour du problème du Mal. Ces mythes ont été possibles ou, du moins, ont pu naître dans notre monde ici-bas, parce que tous les peuples, en général, et tout un chacun, en particulier, vivent dans le temps et l’espace l’expérience du Mal. Aussi, il se manifeste comme un principe que nul n’ignore. Si on le vit moins soi-même, on le côtoie le plus souvent par les accidents, les décès, les tremblements de terre, les guerres et tous les chaos, les accidents de la structure de notre terre.
Le fond du problème du Mal est, sans doute, la conscience que les peuples ont de ce qui existe dans le monde et provoque une perturbation dans leur destinée. Le Mal est parce que l’on prend conscience de la finitude de son être et de sa fragilité extrême. Notre corps est soumis à l’usure du temps. Il nous confère une conscience sensible à la douleur, à la souffrance. Il semble que si nous étions des êtres sans conscience, sans sensibilité, le fait du mal nous serait moins problématique ; ou n’existerait même pas pour nous.
L’intervention des mythes dans l’évolution de la conscience humaine, sa sensibilité par rapport aux différents aspects du Mal, intervient comme l’explication de l’inexplicable. Le Mal est perçu comme quelque chose qui ne peut être sans explication possible. Mais jusqu’à quel point ces mythes saisissent le Mal dans son essence ? Le Mal a-t-il jamais une explication originelle ?
Nous nous attacherons à montrer, d’une part, comment le mal est perçu comme un principe au-delà de l’entendement ; d’autre part, comment les interprétations mythiques du Mal sont un échec ; enfin, comment la tentative chrétienne par les explications du Mal a pour finalité de nous faire accéder à Dieu.
Le mystère des choses ?
I – Le mal est perçu comme un principe au-delà de l’entendement
« Il y a longtemps avaient existé deux puissances au monde, l’une du mal et l’autre du bien…
Mais les vieux leur dirent qu’il y avait une puissance du bien qui luttait dans le monde pour vaincre le Mal. Ils s’assuraient mutuellement que chacun avait un ange gardien qui essayait de le guider dans la bonne voie et de l’empêcher de tomber. On disait que les puissances du bien et du mal se disputaient constamment un homme… » Cet extrait d’une légende des Indiens Hopi va nous servir d’introduction à cette première partie de notre analyse.
Il semble que pour la conscience humaine, le Mal est venu au monde en même temps que s’opère la naissance des choses. Voilà pourquoi les mythologies renvoient à l’existence du mal, à un ailleurs primitif, voire à l’origine du monde et de l’homme. Alors, sur ce point, la question qu’on peut se poser est la suivante : D’où le mal nous vient-il ? Où se trouve-t-il ? Notre nature est soumise au temps qui passe. Et en ce sens, nous naissons, nous nous attachons à ce monde. Mais tout cela a pour fin la mort. Nous ne pouvons accepter, sans douleur, cette destinée naturelle du naître pour mourir. Or, l’immortalité à laquelle l’homme aspire en vain sera perçue comme étant provoquée par une erreur causée par ceux dont nous somme les rejetons. La conscience de la vie qui conduit à la mort est un mal incurable que l’homme véhicule à travers son histoire.
Outre l’idée de mort, il semble qu’il n’y aucune issue qui nous permettrait d’échapper à ce mal premier qui s’impose à nous avec force. Qu’on le veuille ou non, l’homme doit souffrir de quelque manière dans sa vie et dans le monde. « Les malheurs sont le lot naturel des humains, bien des malheurs lui viennent de la mer, bien d’autres fondent de la terre sur les mortels qui prolongent un peu leur vie… » Des Dieux ou de la terre, de la nature ou de la vie elle-même, l’homme est partout encerclé par le Mal que lui engendrent la souffrance, la mort, les accidents, le chaos et les manifestations des phénomènes naturels.
Pis encore est l’imperfection de la création, de la nature, c’est-à-dire de la terre. Car la terre elle-même combat contre nous « en tuant par la famine les multitudes trop nombreuses ». De sa perfection supposée primordiale, il s’en est suivi, on ne sait pas trop comment, un désordre qui est la cause essentielle de la naissance du mal. Est-ce la naissance de l’homme sur terre qui cause cette perturbation ? Les Indiens Guayaki nous en donnent, par leur insertion dans la nature, une certaine explication : « La naissance d’un enfant, par exemple, c’est la mort du père. Une naissance en soi est une provocation au désordre cosmique : le surgissement d’un être nouveau s’opère seulement par la négation d’un autre et l’ordre détruit par une naissance ne peut se rétablir que par une mort compensatrice ». C’est sans doute ce qui explique la réaction hostile de la nature face à l’homme qui lui semble un élément hétérogène. Elle va alors tout provoquer pour contribuer à sa destruction totale, éventuellement. Ou alors est-ce par un acte quelconque de l’homme lui-même qui a provoque cette réaction ?
L’homme veut-il tenter de briser les chaînes qui l’emprisonnent dans sa condition soumise au Mal incompréhensif ? Les dieux donnent le sentiment de s’y opposer à travers les mythes des hommes. Car ils le criblent de plusieurs malheurs. Ils aggravent le mal contre lequel il lutte perpétuellement. Par le biais de ses dieux, qui ne sont en fait qu’une figure symbolique de la cause profonde et naturelle des phénomènes d’où le mal procède. Le fait semble manifeste que l’on veut trouver à tout prix l’explication de l’origine du Mal qui frappe l’espèce humaine. Les dieux rappellent à l’homme son impuissance à lutter contre ce qui est inscrit dans les lois-mêmes de son existence, voire de la vie. De plus, notre finitude liée à l’être même du vivant nous est un mal face à l’immortalité des dieux. C’est donc par les mystères de notre condition humaine, qui est au-delà de notre entendement, du moins, que nous ne voulons pas admettre comme telle que l’on est tenté de trouver une explication.
« L’homme est partout dans les fers » dit Rousseau dans son Contra social. Cet auteur veut montrer à quel point la lutte est désespérée contre l’idée du mal et sa compréhension doit essentielle. Le Mal est ce qui se manifeste en nous et en dehors de nous par la souffrance, les échecs, les peines, les douleurs… Les raisons profondes du Mal ne sont pas aisées à comprendre par l’homme. Dans tous les cas, il flamboie « même dans les ténèbres alors que la noire infortune fond sur la race des mortels ».
Finalement, les mythes nous donnent-ils une explication réelle et véritable du mal ? Sont-ce des interprétations qui tentent de justifier plutôt le mal qu’elles ne le révèlent dans sa profondeur et son origine première ?
Le Mal triomphe toujours du Bien ?
II- Les interprétations mythiques du mal sont un échec
Le problème est de savoir si ce que nous appelons le mMal a réellement une origine ou s’il nécessite une explication quelconque. En vérité, nul ne peut répondre à cette question avec assurance d’avoir trouvé la cause réelle de ce phénomène dans la mesure où même les mythes les plus anciens n’y sont pas parvenus. Eux aussi nous ont transmis des interprétations de la création du monde qui porterait en germe les racines du mal. La conscience humaine vit et supporte le mal et, ainsi, elle essaie de le justifier par les mythes. Dans la mythologie babylonienne, par exemple, on assiste à une confrontation de forces antagonistes : celles qui représentent le Bien et celles qui véhiculent le Mal. Mais, en réalité, le mal n’est pas totalement vaincu puisque la victoire des forces du Bien ne suffit pas à extirper les racines du Mal dans le monde, en rendant les hommes heureux ; ni à établir l’équilibre et à créer une harmonie entre eux : vertus auxquelles ils aspirent tant en ce monde. Au contraire, pour parvenir à l’équilibre, au bonheur, l’homme doit assurer aux dieux des cérémonies qui représentent et qui répètent ou qui font revivre les scènes de l’histoire même des dieux ; par exemple, leurs luttes mutuelles, leur victoire (l’harmonie) sur le chaos (désordre). Ces cultes rites ont pour fin d’implorer l’intervention bienfaisante des dieux pour adoucir l’existence aveugle et effroyable des mortels.
Est- ce là une révélation extraordinaire sur l’origine du Mal dans le monde ? Car à ces mythes ressemblent tous ceux qui ont pour fin non d’expliquer le Mal, mais de l’interpréter. Ainsi, chez les Grecs, ce sont les Titans qui ont été la cause du Mal dans l’univers. Certes, dans leur lutte contre Zeus, ils ont été foudroyés ; mais, leur cendre a servi à créer les hommes (« la race des mortels ») selon la tradition de la Grèce antique. Dès lors, le déséquilibre de la nature humaine, sa dysharmonie intérieure viennent de la dualité qui réside dans cette essence procédant de la nature même des mauvais Titans, d’une part, et d’autre part, de celle de Dionysos qu’ils avaient tué et mangé. Donc, nous participons à des deux essences antagonistes qui ne cessent de créer notre faiblesse par rapport à la grandeur des dieux qui jouissent d’une nature unique et édénique.
Cependant, le mythe le plus important est certainement celui d’Adam et Eve dans la Bible. En effet, celui-ci est la figure de l’Humanité universelle puisqu’il est censé être le Père des Hommes. Ayant commis une faute dans le jardin d’Eden où son créateur l’avait installé pour être éternellement heureux, il en fut chassé. Depuis lors, tous ses descendants hériteraient, sans exception, de sa faute qu’on appelle « le péché originel ». Ce mythe montre, de toute évidence, qu’avant la faute d’Adam, celui-ci vivait dans le Bien uniquement. Mais à la faute d’Adam succède l’état du Mal. Dans cette perspective, l’Homme seul est responsable non seulement de son état d’être malheureux, mais aussi du déséquilibre naturel, du chaos cosmique, en somme des maux de toutes, c’est-à-dire du Mal dans le monde. Peut-on dire, pour autant, que le mythe adamique rend réellement compte de l’état du Mal dans le Monde ? Même au fond de l’Homme lui-même ?
Enigme inhérent aux phénomènes ?
Les mythes, qu’ils soient théogoniques ou théologiques, ne donnent pas des interprétations satisfaisantes du Mal. On pourrait dire que leur évocation du mal est une tentative vaine en ce sens qu’elle ne va pas jusqu’à la racine même du Mal. Tous les mythes se situent en-deçà de son être réel. L’Homme ne peut conjecturer que sur ce qu’il connaît effectivement. C’est parce qu’il vit l’expérience du mal qu’il lui a été possible d’élaborer des explications ou des interprétations rendant compte du mal dans son milieu de vie. S’il n’y avait pas eu un Mal premier, Adam, dans son innocence, tel qu’il est conçu, n’aurait pas été tenté par un mal quelconque ; du moins, il n’en aurait pas provoqué. Car il avait à choisir entre le fruit de l’arbre de vie (le Bien) et la tentation de la liberté (le Mal). Or, la manducation du fruit de l’arbre au milieu du Jardin confère de la connaissance du Bien et du Mal. Adam se trouve alors face à une alternative, deux voies opposées : le Bien d’un côté, le Mal de l’autre. Et s’il a choisi ce que nous appelons le Mal, c’est parce qu’au départ il y avait en lui des déterminations, c’est-à-dire des penchants manifestes pour l’un ou pour l’autre. On imagine mal comment du bien peut naître le mal ; en d’autres termes, comment Adam, s’il n’y avait en lui l’inclination pour le bien et le mal, serait amené à opérer un choix. Ou bien Adam était foncièrement mauvais ou bien il était foncièrement bon. Ou bien, il faut croire que sa nature comprenait ces deux tendances.
A propos du mythe « adamique », la question qu’on peut se poser est la suivante : d’où vient le Mal ? On pourrait sans doute y répondre en posant qu’il vient d’un bien perdu. Comment l’homme déchu, l’homme « mauvais » peut-il retrouver ce bien perdu ? La dualité dans la conscience humaine, cette tragédie a beau être niée, il n’en demeure pas moins qu’elle est au cœur même de cette problématique ; elle est le noeud par excellence de la longue lutte de l’homme contre le Mal pour retrouver ce qu’il a perdu, pour revivre cet âge d’or premier. La dualité s’inscrit à tous les niveaux de l’existence humaine. L’homme est une unité qui possède deux facettes : le Bien et le Mal. La tragédie grecque nous donne bien l’image de la déchirure de l’homme dans le monde, voire la dualité de l’existence humaine. Pourquoi le héros de la tragédie doit-il souffrir et que signifie sa faute, si faute « tragique » il y a ? De cette représentation théâtrale grecque, Freud nous en donne une certaine explication : « Le héros de la tragédie devait souffrir ; et tel est encore aujourd’hui le principal caractère d’une tragédie. Il était chargé de ce qu’on appelle la « faute tragique » dont on ne peut toujours saisir les raisons essentielles. Le plus souvent, cette faute n’a rien de commun avec ce que nous considérons comme une faute dans la vie courante. Elle consistait le plus souvent en une rébellion contre une autorité divine ou humaine … »
Mais pourquoi donc l’homme doit-il se rebeller ? Tout se passe comme s’il y a une lutte perpétuelle entre le ciel et la terre. Le ciel, c’est l’espace des dieux ou on imagine qu’on trouve sous sa dimension de plénitude absolue, la satisfaction absolue de tous les besoins. C’est aussi le lieu de la puissance du Bbien, du bonheur et de la vie éternelle. Le ciel est ce qui commande à la terre, laquelle est soumise à ses lois et à sa volonté avec les êtres qui vivent sur sa surface. Et les hommes qu’elle porte naissent nécessairement dans l’espace et le temps, limités par une impuissance suprême et qui se « nourrissent « d’aveugles espérances ». Ils vivent même dans la frustration de l’immortalité tout en subissant les caprices des dieux. L’homme oscille entre le ciel et la terre, écartelé entre l’un et l’autre, entre sa volonté de puissance et d’immortalité et le sentiment douloureux de son existence éphémère. Les dieux l’écrasent et il se révolte contre leur joug implacable. Pourquoi l’homme doit-il souffrir ? Pourquoi le Mal est – il entré dans son monde ? Tout indique que la souffrance s’inscrit dans l’ordre naturel des choses. On naît dans la souffrance ; on existe dans la souffrance et dans l’espace et le temps ; on meurt dans la souffrance. Exister signifie douleur.
Tout ceci nous amène à dire que les mythes, dans leur totalité, n’ont pas pu saisir le mal dans son essence même. Leurs interprétations ne sont même pas des approches fondamentales quant à l’origine de cet état des choses, lesquelles sont contraires à l’épanouissement humain. En somme, le Mal rentre dans un processus naturel qui a sans doute pris naissance avec l’origine du monde et dont l’homme est la victime essentielle du fait qu’il en est conscient.
Le tiraillement de tout sujet humain en proie à la tentation
III- Dans quelle mesure l’expérience chrétienne nous fait-elle accéder à Dieu et au-delà du Mal ?
L’exemple de la vie de Jésus va constituer l’argument majeur de l’ultime partie de nos analyses. Jésus, en tant qu’homme historique, c’est-à-dire qui a vécu à une époque donnée, dans un temps et un espace déterminés a été, comme ses contemporains, sans doute, confronté à la misère humaine. Loin de se lamenter, en se contentant de le contempler passivement, sur le mal incurable dans la vie humaine, Jésus a tenté de le combattre activement. On le voit à l’œuvre par ses nombreuses guérisons des individus plongés les malheurs, les souffrances. De par sa vie, il semble qu’il invite l’homme à combattre le mal comme lui. Sa philosophie peut être perçue comme une grand exhortation des hommes à agir pour dépasser le stade du destin, de la tragédie : il faut vivement agir contre ce genre de maux humains. A quoi sert-il de se lamenter si ce n’est pour empirer sa situation ? A quoi sert-il de vivre perpétuellement la situation tragique si ce n’est pour s’aveugler davantage ? A quoi sert-il de se révolter contre Dieu, contre la nature, voire contre sa naissance, la société même si ce n’est pour se perdre ?
Accepter le mal est une sorte de libération. Loin d’être une soumission aveugle, une aliénation déshumanisante de la liberté, une résignation servile, cette attitude, à savoir accepter le monde tel que nous le vivons, c’est passer de notre état de faiblesse à une sorte de victoire sur l’état du mal et des choses douloureuses. Loin de perdre la liberté qui nous est fondamentalement précieuse, on la retrouve, au contraire, en assumant notre destinée dans la liberté.
De plus, l’exemple de la vie de Jésus, en tant que fils de Dieu, nous révèle Dieu dans sa miséricorde, dans sa compassion pour nos misères. Dieu vient à notre secours pour nous relever de la « chute ». Il veut effacer nos misères, notre Mal par amour. C’est pourquoi Jésus nous enseigne que par sa mort volontaire (« Personne ne m’ôte la vie, mais je la donne de moi-même »), il veut sauver l’humanité. Ainsi, il enlève de la conscience chrétienne le caractère tragique de l’existence humaine. « Que le destin absolu soit aussi Don absolu, voilà le tragique accompli et supprimé ». Si le Mal est venu dans le monde parce que Dieu l’a « voulu », de la même façon Dieu seul est capable de le supprimer ; du moins de tirer l’homme de son état d’être dans le mal. Pour Saint Paul, c’est par Adam que le Mal connaît son jour dans le monde, et c’est par Jésus qu’il a été vaincu. D’un côté, il y a une totale défiguration de l’image de Dieu, de l’autre, c’est sa sublimation qui s’est faite. Dieu est avant tout Amour et c’est par Amour qu’il appelle l’Homme à participer à sa divinité. En ce sens, au-delà de l’explication du Mal, c’est Dieu qui se révèle à l’Homme. Et, par Jésus, il se fait connaître.
En guise conclusion, qu’on me permette d’exprimer un point de vue personnel comme un complément à ce devoir. Que dire à propos du Mal et de l’existence de Dieu dans notre vie ?
Si Dieu existe et s’il est le créateur du monde, alors il n’est pas parfait. Si Dieu n’existe pas et si le monde est une création de fait inexplicable, alors le mal peut se justifier.
Un être parfait ne peut concevoir une création imparfaite, car le monde, l’univers, le cosmos et l’Homme sont des créations ou des modes d’existence en soi imparfaits, malgré l’harmonie interne qui les régit. Le Mal inhérent en tous les êtres peut se justifier si l’on ne fait pas de ces existences imparfaites, la création d’un Etre parfait en soi. C’est parce que l’homme est imparfait qu’il crée des choses conséquemment imparfaites. C’est absurde de dire que l’homme, à l’origine, était parfait sinon bon et que par des circonstances, soit inexplicables, soit « justifiées », soit il devenu mauvais. Pour qu’il le devienne, il a fallu que le Mal soit en lui depuis son émergence dans le monde, en puissance ou en germe. Ce sont de vaines espérances qu’on a mises en l’homme ; ce qui amène à croire que ce Mal qui a été fait est réparable par Dieu qui est dit Tout-puissant par ailleurs ?
Peut-être changera-t-il la situation de l’Homme ? De fait ? C’est à douter. Jésus Christ comme Dieu n’a-t-il pas combattu durant toute sa vie sur terre contre le Mal ? Et pourtant, nous y sommes encore plongés. Est-ce que sa mort sur la croix est une victoire ou un échec ? En outre, comment un Etre Tout-puissant, qui est à la fois Amour, s’il aime les hommes, peut-il mettre en concurrence, par les forces du mal exogènes à sa création parfaite, sa puissance ? L’inexistence de Dieu orchestré aujourd’hui par des penseurs, des philosophes, des scientifiques, des chrétiens même réside en partie dans ce problème absurde. Il n’y a pas de Dieu s’il y a le Mal. Il y aurait un Dieu véritablement parfait si le bien était inhérent en l’homme et dans le monde. Hélas ! Ce n’est point le cas. L’Homme est loin d’être parfait et c’est pourquoi le Mal, à certains égards, existe. Le Rien dont il est issu par son existence éphémère est également imparfait. Si la création tout entière dont l’Homme, les univers proches et lointains etc., ne se justifient pas par un Dieu parfait, alors le Mal absurde se conçoit naturellement puisque ce qui existe par soi-même et en soi-même est éphémère ; et il est en situation. La fragilité interne devient explicable.
Alors le Mal devient Dieu en tant que qu’élément de cette création absurde. Alors on pourrait dire presque sans se méprendre que le monde est, dans son ensemble, le Mal. Le monde égale le Mal. Le Bien, s’il existe, a pour fin le Mal. Le Mal remplit toutes les alvéoles qui constituent l’architecture universelle. Le Bien est le stade suprême du Mal. Car le Mal, c’est la réalité par excellence de ce monde et le Mal est la force créatrice, éternelle et profonde de ce monde. Ainsi, qu’on le veuille ou non, toute existence humaine très courte, voire éphémère, est appelée dans ce monde ici-bas trouble, à se confondre et à faire l’expérience tragique du Mal dont tout un chacun est victime. A quoi donc peut-on se fier ? A l’expérience chrétienne ? Sans doute !
Bien et Mal n’ont de sens que par rapport à la mort elle-même