Intervention à Beaumont-Les-Valence (26)
J’ai choisi de vous présenter, ce soir, trois aspects du Burkina Faso :
D’abord, je vous entretiendrai des peuples de ce pays, sachant que dans chaque groupe de population, il y a des sous-ensembles dont on estime le nombre à 60 environ. Ensuite, je vous parlerai brièvement de l’histoire des Moosè, qui constitue le peuple le plus important et le plus connu de ce pays. Enfin, je terminerai mon analyse par une courte présentation des religions traditionnelles du Burkina Faso.
I/ La superficie du Burkina Faso (ou pays des hommes intègres depuis la Révolution du Capitaine Thomas Sankara-1984-1987) est de 274200km2 pour environ 10 à 16 millions d’habitants. A titre de comparaison, la superficie du Japon est de 372727 km2 pour 125 millions d’habitants ; mais le niveau de vie n’est pas comparable. Hormis ses ressources minières comme l’or, le diamant, les phosphates, le manganèse, le bauxite, le cuivre etc., non encore exploitées, et si on s’en tient aux critères d’évaluation de l’économie libérale, on peut considérer ce pays comme l’un des plus pauvres au monde. Matériellement, la population ne vit pas de manière aisée. C’est pourquoi, l’émigration vers les pays côtiers comme le Ghana, la Côte d’Ivoire ou encore le Togo, est très forte au Burkina Faso, en particulier depuis le XIX° siècle, qui coïncide avec la mise en valeur, par les Français, des cultures d’exportation comme le café ou le cacao.
Les divers peuples de ce pays sont les suivants :
1)Les Moosè ou Mossi (centre du pays) ;
2)Les Gourmantché (Est) ;
3)Les Peul et les Touareg (Nord) ;
4)Les Gourounsi (Centre-Ouest) ;
5)Les Bwa, Bobo, Kurumba, Pougouli (Ouest) ;
6)Les Sénoufo (Sud-Ouest) ;
7)Les Lobi, Dagara, Karabara (Sud-Est) ;
8)Les gan, Dorosyé, Komono, Vigue (Sud) ;
9)Les Samo, Marka, (Nord-Ouest).
II/Les royaumes moosè
Selon divers historiens, dont le grand historien Burkinabé Joseph Ki-Zerbo (Histoire de l’Afrique noire, Hatier, Paris, 1978), il y aurait deux catégories de moosè qui ne seraient pas forcément apparentés, même s’il y a des ressemblances au niveau des coutumes régissant les royautés, entre autres.
D’abord, il y a eu les Proto-moosè. Ceux-ci seraient originaires de l’Est du lac Tchad et viendraient, comme beaucoup de peuples noirs sub-sahariens, de l’Est de l’Afrique, plus précisément du Sud de l’Egypte. Ces Proto-moosè ont occupé toute la boucle du Niger. On retrouve, aujourd’hui, des peuples au Nord du Cameroun qui portent les mêmes cicatrices (une forme de reconnaissance identitaire courante en Afrique) que les Moosè actuels du Burkina Faso. Dans ce pays, ils étaient surtout implantés dans le Nord. De 1050 environ, date de leur arrivée en cette zone, jusqu’au XVI° siècle où ils semblent avoir été intégrés aux autres populations locales, ils avaient été en conflits permanents avec les grands royaumes islamisés du Mali.
Quant aux Néo-Moosè, avant de s’implanter et de faire souche dans la vallée de la volta blanche, ils seraient partis du royaume du Dagomba, plus précisément de la région de Gambaga, au Nord du Ghana actuel. Leur mouvement d’expansion a dû commencer au XV- XVIè sicle. Les Moosè sont un peuple guerrier dont la dynamique, même encore aujourd’hui, reste fortement imprégnée par l’expansion continue. Dans leur mouvement d’occupation guerrière, ils ont, d’abord, fondé le royaume de Tenkodogo qui veut dire, d’ailleurs, « vieille terre ». C’est une ville étape aux confins de plusieurs royaumes rivaux et qui connaîtra des fortunes diverses selon la puissance militaire et les intérêts économiques des uns et des autres.
Puis, en refoulant les Dogons et les autres peuples autochtones, comme les Gourounsi, vers le Nord et le centre-ouest, le Naba Oubri, fonde, au XVI° siècle, le royaume de Ouagadougou qui symbolise, encore aujourd’hui, la pérennité de l’Empire moosè.
Au cours de ce même siècle, le Naba Yadega, cousin du roi de Ouagadougou, par un procédé de sécession, va fonder à son tour le royaume du Yatenga qui fixe sa capitale à Ouahigouya.
Selon Joseph Ki-Zerbo, les royaumes africains pré-coloniaux, comme le moosè, par exemple, n’avaient pas une base purement tribale. C’étaient des royaumes qu’on peut qualifier de pré-nationaux. A titre d’exemple, quand les moosè s’imposaient aux populations autochtones, ils ne les éliminaient pas, ni ne les chassaient forcément. Ils pratiquaient ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le processus d’assimilation, telle que la France l’a pratiquée dans ses anciennes zones d’occupation. Il suffisait que les populations autochtones vaincues acceptent de pratiquer, sur le visage, les mêmes cicatrices de reconnaissance identitaires que les vainqueurs et adoptent la langue moré pour être reconnus semblables. Dès lors, ces populations étaient protégées par le roi et elles ne pouvaient être réduites en captivité, sauf par condamnation judiciaire. Ensuite, par le jeu des alliances matrimoniales, les mélanges de populations s’opéraient sans heurts puisqu’elles permettaient la circulation des femmes dans un sens et dans l’autre.
En fait, le roi moosè n’était pas un despote autocrate. Il était assujetti aux coutumes traditionnelles élaborées avec rigueur et précision inouïs dans le domaine religieux, administratif et politique.
Quant à la succession, elle avait deux formes : soit le transfert du pouvoir s’opérait en se transmettant de frère à frère, c’est-à-dire de l’aîné au puîné puis au cadet etc., ; soit du père à la primogéniture ou fils aîné. Mais la succession n’était pas toujours automatique : elle dépendait surtout du bon vouloir du corps électoral des hauts dignitaires du royaume. Il pouvait, en effet, refuser d’introniser un ayant- droit pour diverses raisons
Le roi portait le titre de Dima ce qui signifie : « roi souverain soumis à Dieu seul ».
III/Religions et traditions
Les religions traditionnelles peuvent être considérées comme des religions naturelles en ce que leurs principes moraux sont communs à tous les êtres humains. Ensuite, ce sont des religions indépendantes de toute révélation divine. Car les symboles sacrés ou sacralisés servent à synthétiser l’éthique d’un peuple, à savoir, les caractéristiques de sa vie, son style de vie, ses modalités esthétiques et morales, sa vision du monde, l’image qu’il se fait de la réalité et la métaphysique particulière qui en résulte. En réalité, la religion, quelle qu’elle soit, révélée ou naturelle, vise, au-delà des pratiques ou des formes de croyance particulières, à harmoniser les actions humaines au diapason d’un ordre cosmique présupposé dont elle projette les images sur le plan de l’expérience des hommes.
Comme l’affirme un homme de la région de BoBo-Dioulasso, « Dieu, il n’est personne qui soit monté chez lui pour l’entendre ». En revanche, la création qui émane de lui apparaît comme un réseau complexe de relations entre l’homme et son environnement vital. Elle est même source, lieu et racine d’énergies de toutes sortes. Dieu a donné à l’homme la possibilité d‘en capter pour son usage personnel suivant des modalités diverses : soit sous la forme matérielle, comme la raison matérialiste de la philosophie a permis à l’Occident d’avoir une certaine maîtrise de ce genre ; soit sous la figure des pouvoirs psychiques et/ou spirituels, comme les religions africaines ou comme celle d’autres peuples dans le monde ont mis en pratique ce genre de captation des forces de la Nature, œuvre de Dieu.
Il ne s’agit donc pas, dans ces formes de religion, d’une croyance en une infinité de Dieu. Dans mes travaux d’anthropologie sur l’une des populations du Burkina Faso, en l’occurrence, les Lyéla, s’agissant de leur religion dont la figure est répandue en Afrique sub-saharienne, j’ai montré qu’il s’agit davantage d’un hénothéisme. L’hénothéisme consiste à honorer ou à adorer un seul Dieu, sans pour autant nier l’existence des puissances invisibles supra-sensibles. Celles-ci, auxquelles on peut accéder par les facultés psychiques, ne sont pas érigées au même statut d’absolu que Dieu. Elles ont du divin en elles comme l’homme en a une parcelle en lui. Elle participent du divin en servant d’intermédiaires, le cas échéant, entre les hommes et Dieu.
Sans établir une comparaison adéquate, on trouve un lointain écho de ce mode de croyance dans l’ancien Testament. En effet, des exégètes, comme André Caquot, reconnaissent aujourd’hui qu’en raison des liens étroits entre le peuple hébreu et ses voisins immédiats, comme l’Assyrie, entre autres, outre Yahvé, on ne dédaignait pas de vénérer d’autres dieux. Ainsi, on sait que le premier roi d’Israël, Saül adorait aussi le dieu Baal, un des dieux tout-puissants de l’Assyrie et qu’on trouvait aussi au Liban. Et le baalisme est resté vivace chez les Hébreux pendant longtemps.
Quant aux religions des peuples du Burkina Faso, la croyance n’est pas dichotomisée entre une mauvaise et une bonne foi. L’homme ne peut juger de la sincérité du cœur humain, ni de la profondeur de notre foi. Ainsi, dans ce pays, on peut parfaitement être catholique, protestant musulman et pratiquer ses propres croyances traditionnelles. Dès lors que celles-ci constituent, par la ritualisation quotidienne ou la réactualisation permanente de ses actes de foi en l’unité et/ou l’unicité du groupe, elles apparaissent comme un tissu social important, le facteur même de continuité et de permanence de leurs valeurs spirituelles, sociales et religieuses. On comprend pourquoi il est dit qu’au Burkina Faso, il y a environ 70°/° de pratiquants des religions traditionnelles. D’ailleurs, l’Islam a compris cet attachement des sub-sahariens à ce qui constitue le ciment de leurs liens sociaux. Par son esprit de tolérance des formes de croyance premières, du respect de la différence, par la souplesse même de son esprit eu égard à la foi des peuples, l’Islam triomphe aujourd’hui dans cette zone de l’Afrique de l’Ouest. En revanche, le christianisme auquel j’appartiens moi-même, contrairement au message du Christ, qui nous recommande de nous abstenir de juger, le christianisme donc a tendu à combattre les croyances traditionnelles comme étant antinomiques à ce qu’il propose comme forme de foi. Ce faisant, il agit comme si, du jour au lendemain, les peuples pouvaient se forcer de changer totalement de nature culturelle, au risque de n’être plus eux-mêmes ; ce qui paraît quasi impossible à l’image de nos propres efforts, parfois vains, de changer d’habitudes.
Pourtant, la culture populaire du Sud de l’Italie, notamment à Naples, pour ne citer que cet exemple, a gardé telles quelles des pratiques dites païennes dont on retrouve des traces abondantes dans les pratiques religieuses catholiques. Je sais que la Réforme a tenté d’épurer l’Eglise de toutes de ces frasques. Il n’en demeure pas moins que le catholicisme, avec ces reliquats des religions d’autrefois, reste chrétien.
Mais, par-delà le théâtral ou la dimension païenne du catholicisme, je reviens au message du Christ : il ne nous appartient pas de juger. Faisons confiance en la sincérité des croyants, qu’ils soient catholiques ou qu’ils se réfèrent à des pratiques ou des croyances religieuses traditionnelles africaines. Car, semble-t-il, ce n’est pas la forme qui compte aux yeux de Dieu, comme le Christ nous l’a enseigné, mais la clarté du temple de Dieu, je veux parler de notre esprit ; et la sincérité de notre foi.
La mixité fait partie des formes de croyances dans beaucoup de religions chez les hommes, que celles-ci soient révélées ou non. Chez les peuples du Burkina Faso, ces croyances constituent, je le répète, un tissu humain, un lien social et spirituel fort, une éthique communautaire qui donne sens, continuité et permanence à leur essence comme groupes sociaux, valeurs humaines partagées ensemble.