
Conflagration générale fatale ou simple fiction quant au futur du genre humain ?
Nous revenons, pour terminer ces investigations, aux données d’un livre prophétique dont nous avions commencé les recherches et l’écriture au cours de nos premières années d’études universitaires à Lyon et à Paris-IV-Sorbonne. Le fruit de ces investigations a été publié à Grenoble par une jeune maison d’édition[1]. Car nos analyses se sont, par après, réalisées au cours des années 2000.
La question fondamentale que nous posions alors est la suivante : si l’homme de la rue – du monde occidental ou d’ailleurs – ignore le futur vers lequel le mouvement actuel conduit la terre ; si l’avenir de ses petits ou de ses arrières-petits enfants est l’utopie, soit la renaissance éventuelle d’un nouveau projet porteur de vie et de futur, ou la mort, c’est-à-dire l’acheminement continu de l’état actuel du monde vers un état eschatologique, il n’en est pas ainsi de la Raison mécaniciste. Elle a déjà amorcé, comme un plan caché, l’abandon de la terre à sa possible ruine mortifère. L’espace devient son ailleurs contemporain où elle se projette et elle pense offrir, ainsi, à sa dynamique un futur possible qu’elle partagerait non avec toute l’espèce humaine, mais essentiellement avec les seuls instruments dont elle se sert pour être et pour devenir. Il s’agit, en l’occurrence, des ingénieurs, des scientifiques technocrates, des détenteurs et des producteurs de l’industrie financière.
Cependant, l’espace vers lequel se tourne actuellement l’aventure de cette Raison, comme la possibilité de recherche effrénée de cet ailleurs, n’offre aucune possibilité de vie permanente. En ce sens, si cette aventure continue d’élargir ses horizons au-delà du monde, notre commune Terre, quant à elle, se rétrécit, y compris la vie, en général. D’ailleurs, est-il certain que la conquête de l’espace, comme la conquête du monde terrestre, ne puisse engendrer demain de graves désastres, du fait d’une certaine inintelligence des hommes et en raison de ce qu’ils sont mûs par la volonté de la mort ? Selon le célèbre anthropologue Robert Jaulin, cette éventualité n’est pas à écarter, mais plutôt à envisager sérieusement : « Il n’est pas certain que l’esprit de conquête, dit-il, avec lequel nous allons vers l’espace, ne porte en lui les désastres d’une mauvaise alliance, et que nous ne nous en trouvions un jour marris. L’espace ne peut être colonisé : or, comme l’Occident réduisit le Tiers-Monde, nous nous acheminons, conquérants aux drapeaux multiples, vers l’espace ; et nous risquons fort de nous en trouver mal (…) et nous pourrions pâtir de prendre l’espace pour un objet mort, un monde inerte, abandonné, disponible… auquel nous aurions à insuffler « la vie », nous, en notre prétention naïve et insolente à être seuls force et droit de vie »[2].
Une vision – quasi prophétique – des choses ne surprend plus dès lors que nous sommes témoins, aujourd’hui, sur terre, des conséquences immédiates et concrètes de l’accomplissement du mouvement de l’orbe négateur. Le soir de l’orbe négateur n’est-il pas en même temps la fin du monde identifié en totalité à son image ? Ses facteurs de dégénérescence ne sont-ils aussi ceux des autres totalités culturelles ? N’a-t-il pas, finalement, conduit le monde dans une inter-dépendance universelle et irréversible ? Aube et Crépuscule ne sont-ils pas identiques dans la mesure où ces deux moments du jour annoncent un temps de vie ou de mort ? Que signifie en fait le crépuscule de l’Occident ? Parler du déclin de l’Occident, c’est affirmer le fait qu’il n’y a plus d’extension possible dans l’espace terrestre. L’Occident s’est surtout implanté, de force ou de gré, et il a transformé quasiment le monde entier à sa propre image. La réalité contemporaine du monde est, en quelque sorte, celle de l’Occident. La fuite devant soi ou l’extension du Soi en soi-même a euro-américanisé le monde. Toutes les parties du globe qui étaient encore en dehors de cette réalité universalisée, tombent progressivement sous son empire. Ainsi en est-il aujourd’hui de la Chine, qui a vainement résisté à la tentation du modèle économique euro-américaniste ; et, depuis 1990, l’ensemble des pays de l’Est.
Peut-on envisager une extension sous la mer ? Certes, cela demeure possible du fait des moyens techniques que l’Occident possède et qui servent à la domination de la Nature. Mais, cette possibilité d’existence humaine sous marine demande un tel investissement financier et entraîne des conditions de vie si précaires, si difficiles, qu’elle demeure encore du domaine des utopies. Si l’’Anthropos s’est saisi, jusqu’ici, des terres clémentes pour épanouir son existence, si la vie humaine n’a été possible que seulement dans certaines zones circonscrites du globe, il faut reconnaître, au-delà de sa vaine ambition de soumettre la terre entière et les océans et de dominer l’Univers, que son existence et sa vie ne peuvent fondamentalement trouver d’heureux épanouissement que dans ces zones circonscrites elles-mêmes. Déjà, les villes flottantes en mer du Nord, pour l’extraction du pétrole, déshumanisent tant la vie et l’existence de ceux qui y travaillent qu’ils ne peuvent y rester plus de six mois sans revenir sur la terre ferme. En dépit des salaires très élevés, ces zones ou ces villes désolées en mer, n’attirent pas beaucoup d’hommes. Trop de malaises psychologiques (qui conduisent certains en asile psychiatriques), de maladies dues à l’insalubrité des éléments pétrolifères (beaucoup d’entre ces travailleurs de l’extrême meurent de cette pollution) et la non-résistance continuelle du corps aux insupportables et dures conditions de vie, sont tels qu’il n’est guère possible d’envisager, pour de bon, une extension de la vie humaine en mer ou sous les océans.

Possible date de la fin du genre humain ?
Même si, comme certains économistes l’affirment, il y a quelques années, les Océans offraient des possibilités immenses nécessaires à la survie, à l’alimentation des hommes, il convient de souligner que celles-ci ne peuvent être utilisées qu’à condition que les hommes restent, pour ainsi dire, dans leurs zones d’existence habituelle. Cependant, de nos jours, une telle analyse est, aujourd’hui, complètement erronée. Les ressources marines ne sont pas inépuisables ; du moins, à la longue, elles ne pourraient pas contenter l’espèce humaine en totalité si son nombre continue de s’accroître au rythme actuel. Déjà, même au sein de l’espace économique européen, les pêcheurs des différents pays (France, Espagne, notamment) se livrent une guère en mer pour tâcher de préserver leur zone de pêche. L’inintelligence humaine nuit – telle l’utilisation des moyens sophistiqués de pêche qui conduisent à des gaspillages incommensurables et même impardonnables -, là aussi, à ses chances de survie sur terre. C’est pourquoi, nous avons pu parler de la conquête de l’Anthropos par la nature. Nous entendons par cette affirmation l’aménuisement progressif des zones, des terres nécessaires et favorables à l’épanouissement de la vie humaine. Il ne s’agit pas seulement de l’Oekoumène au sens de l’ensemble des milieux propres à la vie permanente des collectivités humaines par opposition aux espaces géographiques inhabitables, inhospitaliers pour l’espèce humaine ; mais il s’agit fondamentalement de la nature entière entendue comme l’Etant, dans la mesure où il n’y a point de lieux qui ne soient atteints par les méfaits des activités humaines ou qui ne risquent pas d’être entièrement couverts par l’ampleur de l’expansion démogaphique de notre espèce virale.
Tout ceci montre qu’au-delà d’une certaine expansion, l’extension indéfinie demeure impossible.
Si l’Occident a pu s’étendre au-delà de son territoire circonscrit, et ce depuis le XVe siècle, c’est surtout du fait de l’existence de terres qui offraient des conditions nécessaires à l’épanouissement de la vie humaine. Il n’y a plus de tels espaces aujourd’hui. En d’autres termes, il n’y a plus de zones inhabitées où l’Occident puisse s’étendre en évacuant le surplus de sa population afin d’équilibrer, entre autres, ses problèmes et difficultés économiques et sociaux internes. Les terres inhabitées, aujourd’hui, sont fondamentalement des zones inhospitalières. L’extension de l’Occident, a pour ainsi dire, rempli de soi-même toutes les zones qui, dans le passé, étaient très peu peuplées. C’est ainsi que l’on peut parler d’un ensemble mondial Occidental.
Cet ensemble lui-même se trouve, à la fin du XX° siècle, divisé par des intérêts économiques très divergents. Beaucoup de « satellites » occidentaux, étant devenus eux-mêmes indépendants, autonomes et puissants, mais en gardant fondamentalement la nature de l’être moteur, en l’occurrence, l’Occident, rêvent àleur tour, non seulement d’un éventuel déploiement, d’une possible extension de soi-même. Ce faisant, ils rendent également impossible, à présent, le devenir de l’astre principal dans l’espace. Aussi, il grossit en lui- même sans pouvoir s’étendre aucunement. De partout, c’est un monde à son image qui se dresse comme une barrière à son avancement. Trouver des solutions extérieures pour résoudre ses problèmes intérieurs – par exemple renvoyer sur des terres vierges le surplus de populations, tels les chômeurs éventuellement les criminels -, n’est plus envisageable. Il est donc destiné à grossir et à s’étendre en lui- même. Cette situation est-elle, à la longue, soutenable ? N’engendrerait-elle pas des problèmes tels qu’ils dégénéreraient en révolutions, en conflits sociaux, voire en guerre civile ? Puisqu’il n’y a plus d’extension possible, donc plus d’ailleurs sur terre, l’Espace peut-il en offrir aux Hommes de demain ?
Il est certain que les êtres humains rêvent, après avoir conquis l’Espace, de s’y installer. Toutefois, comme l’extension en mer, l’Espace aussi présente d’énormes difficultés quant à l’installation, voire à l’épanouissement de la vie et de l’existence de l’Anthropos. Sur les autres planètes et leurs satellites proches de la nôtre, le manque d’air et d’eau rend impossible la vie. En outre, rien n’y pousse, ce qui fait que l’alimentation des hommes serait très problématique. Le fait de se nourrir continuellement de pilules peut-il permettre le développement harmonieux des facultés humaines ? En fait, les hommes, parce qu’ils ont les moyens techniques nécessaires, peuvent s’installer sous les mers ou dans l’Espace. De cela, nul ne doute plus sérieusement. Néanmoins, leur vie ayant été formée et épanouie dans des conditions spécifiques données auxquelles elle est réellement adaptée, fait que ces nouvelles possibilités d’extension risquent d’être seulement et toujours hypothétiques. Ce sont de nouvelles ouvertures à un ailleurs possible que les hommes cherchent – d’ailleurs, celles-ci ne manquent pas d’exacerber leur génie d’invention, leur imagination -. Toutefois, de telles perspectives de lieux nouveaux de vie demeurent de simples rêves, de projections[3].

Gloire insignifiante, puissance impuissante de l’Anthropos face à la colère de la terre blessée ?
Nonobstant ce, ces rêves d’un ailleurs habitable flattent l’orgueil et l’ambition de l’Anthropos à tel point qu’il a tendance à oublier les conditions terrestres nécessaires et indispensables à la possibilité de cette vie, c’est-à-dire de son existence sur cette planète. Ce faisant, ses illusions ou, plutôt, ses délires de puissance prométhéenne, de conquête d’un ailleurs gros de tous les possibles pour se répandre l’inclinent à manquer d’humilité. Car l’Anthropos oublie vite qu’au-delà de cette vie, il ne peut avoir une autre similaire. Au-delà de cette terre, sa vie n’est quasiment rien : en dehors de ses conditions naturelles, elle est impossible. Mais, ces rêves de l’ailleurs et de conquêtes indéfinies – hormis le vain désir de piétiner de petits pays pour démontrer sa puissance militaire – ne sont-elles pas, à la fois, des moyens ou des possibilités que l’orbe négateur se donne pour se perpétuer dans son mouvement dynamique incessant ? N’est-ce pas un espoir qui le fait vivre, aujourd’hui, en fonction de demain, si demain il y a ?
Si nous envisageons le fait que la vie n’est possible que sur terre, cela revient à montrer l’auto-accomplissement de l’orbe- négateur, et donc aussi sa fin en quelque sorte. Dès lors, on ne peut plus parler sur terre de conquêtes économiques que l’Occident pourrait éventuellement entreprendre. Toutes les conquêtes -économiques, sociales- ont été faites. Cette fin, c’est-à-dire la fin des conquêtes économiques, a été rendue possible par l’émergence de petites communautés économiques qui sont, aujourd’hui, les pays indépendants appelés aussi Tiers-Monde, pays du Sud, dont vertains sont qualifiés de pays émergents etc., que l’Occident naguère avait subjugués et colonisés. On sait que, du temps des conquêtes et de la colonisation, ces pays, de nos jours, dits pauvres, ont fait l’enrichissement de l’Occident. Car ils constituaient, en matières premières, des sources nécessaires à l’émergence et au développement des industries occidentales. En s’enrichissant au plus haut point, l’Occident a appauvri ces pays. Par exemple, le Ghana, en Afrique Occidentale, qui aurait pu, aujourd’hui, devenir une certaine puissance économique, a un rythme lent de progrès économique. Il survit économiquement mais ne vit pas comme il aurait pu le faire. En dehors des errances économiques des élites politiques ghanéennes elles-mêmes, on sait que pendant la colonisation anglaise, l’exploitation de ses mines d’or et de son bois, bases principales de son économie, fut conduite avec méthode et démesure. Actuellement, le Ghana n’est- il pas obligé de reboiser ses forêts dévastées ? De même, sous d’autres cieux, les mines d’or de Potosi, au Pérou, furent épuisées par les Espagnols dès le XVIIe siècle.
Chaque pays anciennement colonisé constitue un exemple de ce genre : l’essentiel de sa richesse a servi à l’enrichissement de la nation par laquelle il fut dominé. Dès lors, du fait de cet enrichissement provisoire, l’idée de nations puissantes, fortes et riches a pris naissance en Europe. On a illusionné les citoyens de ces nations en faisant croire à l’éternelle puissance, à la gloire prodigieuse, au destin unique de celles-ci en tant que ce cheminement est la marque même d’un progrès indéfini. Cette idée a d’autant plus pris racine chez les gens que ces mêmes nations étaient à la fois des puissances coloniales et des puissances économiques. Mais, l’époque présente ne marque-t-elle pas la fin des illusions sur les possibilités qui sont offertes à l’industrie, c’est-à-dire à l’économie occidentale de se développer de manière indéfinie ?
En effet, les crises économiques structurelles actuelles, provisoires ou définitives dans lesquelles se débattent tous les pays du Nord et corrélativement l’ensemble des pays du Sud, montrent, à l’évidence, qu’une telle logique est inapplicable chez l’homme. Le « toujours plus » est absurde. Ces crises préludent à un monde de demain incertain ; peut-être à un futur gros de conflits possibles. Car, déjà, il y a deux décennies, écrivions-nous, dans le Réel apparent structuré de mensonge, de duperie et d’aveuglement, on faisait croire aux travailleurs du Sud qu’ils étaient les causes des malheurs de ceux du Nord en acceptant de produire dans des conditions de travail inacceptables au Nord. On les traitait d’esclaves soumis, de sous- hommes. Ce faisant, les acteurs d’une telle situation, en l’occurrence, les détenteurs des pouvoirs économico-industrialo-fïnanciers, dorment tranquillement sur leurs oreillers. Mais, quelque jour prochain, ils pourraient inverser le mouvement des délocalisations. Quand la misère sera assez grande au Nord, les travailleurs pourraient accepter toutes conditions de travail. En outre, le système de dépendance économique mondialisé fragilise davantage le mode de production économique : un grain de poussière est susceptible de le désarticuler. Toutes les institutions et les structures de la réalité économique contemporaine sont tellement dépendantes les unes des autres qu’une relative autonomie de l’une des zones de la terre, voire un léger dysfonctionnement est capable de générer des problèmes socio-économiques incommensurables. Telle est l’une des faiblesses rédhibitoires du système capitaliste contemporain et la menace sous-jacente de décadence qu’il contient.
La décadence signifie la chute, si l’on peut dire, d’un état supposé meilleur, glorieux, opulent et hautement riche, dans un état profondément contraire. Mais cet état peut être réel comme il peut être psychologique. Si la première réalité ne peut s’appliquer, aujourd’hui, à l’Occident qui vit plutôt dans l’opulence et l’abondance de presque toutes choses du fait du progrès technique continu, il semble que la réalité psychologique est, en quelque sorte, la sienne. Comparées aux générations occidentales du début de ce siècle, qui avaient beaucoup à construire à la suite de grandes catastrophes résultant des deux Guerres Mondiales, d’une part et, d’autre part, l’exploitation des territoires colonisés de par l’enrichissement qu’ils permettaient, offraient d’immenses possibilités pour la création de petites ou de grandes industries nouvelles, les générations contemporaines n’ont quasiment rien à bâtir. Elles jouissent du fruit du travail qui a été fait. La jouissance passive d’un bien satisfait-elle entièrement le cœur humain ? Le plaisir de la vie ne se résume-t-il pas dans ce qu’elle offre à faire ? Exister n’est-ce pas se faire ou se construire en travaillant ? Non pas forcément pour un salaire, mais en exerçant ses facultés intellectuelles, entre autres, dans une activité quelconque.

Sens dessus dessous des fins du monde !
On peut dire que ce qui caractérise les générations contemporaines, c’est le marasme morbide, le malaise psychologique ; du moins, dans certains pyas occidentaux. Ces modes d’être morbides sont le fruit de ce qu’elles ont la ferme conviction que leur avenir est bouché[4]. S’il n’y a plus d’avenir, il n’y a plus d’espoir d’aucune sorte. Il se pose alors le problème du bien fondé des études que la jeunesse peut éventuellement entreprendre. Le manque de débouchés pour les récipiendaires issus des différentes disciplines universitaires se généralise de plus en plus ; et partout en Occident. Les possibilités de travail ont-elles baissé par rapport au nombre de demandeurs d’emploi ? S’il en est ainsi, comment résoudre cette situation qui va en s’empirant ? Quels moyens socio-politiques ou quels modèles de systèmes économiques peuvent remédier à cette situation aux conséquences sociales et psychologiques profondes ? En attendant l’avènement éventuel ou possible de ce Prométhée, la jeunesse, s’enlise dans une sorte d’indifférence face à l’existence et, en particulier, face à leur vie. On parlait, en Allemagne, de nihilisme pour qualifier la jeunesse. En France, selon Louis Leprince Ringuet « Les jeunes français s’instruisent sans ardeur excessive, sans grand appétit en général. A par une minorité de bûcheurs, ils cherchent à passer d’agréables années au milieu de bons camarades, en prolongeant l’adolescence pour éviter de s’engager dans la civilisation technologique considérée comme l’abomination. Ils veulent une vie libérée des tabous, aux expériences sexuelles précoces. On aim à la télévision, au cours d’une interview, un jeune étudiant proclamer son idéal : « jouir sans temps mort, vivre sans contrainte » »[5]?
Dès lors, le raisonnement d’une certaine catégorie de jeunes est le suivant : puisque la vie n’offre pas d’avenir, puisque les études ne débouchent sur rien, il ne reste qu’une seule chose à faire : vivre pleinement le présent en essayant d’oublier au maximum le monde et soi-même dans toute forme de plaisir : drogues, boissons, sexualité, trois formes de plaisirs les plus répandues, plaisirs palliatifs, plaisirs salutaires ! Ne pas tomber dans cet état revient, pour certains, à emprunter purement et simplement le chemin du suicide. C’est pourquoi Le prince Ringuet dit aussi : « On vit beaucoup plus au jour le jour, essayant de profiter du moment présent, sans chercher à s’engager pour un avenir même proche. On sait qu’il sera toujours possible de vivre, au moins de vivoter, dans n’importe quelle situation professionnelle. Comme l’avenir est incertain, comme les prévisions que l’on peut faire aujourd’hui risquent d’être fort contredites par la réalité de demain, alors essayons de vivre heureux, hic et nunc, sans charger nos épaules du poids de toutes catastrophes prévisibles ». (p.202). S’il n’y a rien à conquérir, rien à faire, se dit-on, il y a au moins sa vie à détruire, en la soumettant aux pires excès. Ceci montre à quel point les problèmes des jeunes d’aujourd’hui sont multiples. Signaler seulement un aspect était nécessaire pour montrer qu’une entité culturelle vit également et, surtout, de la vigueur et de la vivacité de sa jeunesse. Mais, le fait que le nihilisme l’envahit plutôt que d’être portée par l’enthousiasme et l’espoir de demain, est un symptôme de déclin de la vitalité qui doit lui être propre.
Toutefois, nous devons nous poser la question de savoir si le déclin de l’Occident qui a, d’ailleurs, imposé sa réalité au monde entier, n’est pas synonyme du crépuscule de notre planète entière : la fin de l’occident n’est-elle pas en même temps la fin du monde ? La mort de l’Occident n’entraîne-t-elle pas nécessairement celle du monde entier ? On sait que, dans l’Antiquité, il existait des foyers de civilisations indépendantes ; ce qui fait la grande différence avec le monde d’aujourd’hui. Il y avait de civilisations et non pas la ou une Civilisation qui englobait toutes les autres au point de leur imposer, de gré ou de force, sa réalité même. Dès lors, ces civilisations, à chaque étape de l’Histoire, c’est-à-dire à chaque mort-renaissance, se substituaient à toutes celles qui prenaient ainsi fin de sorte que se continuait le processus moteur de l’Histoire. L’Histoire humaine n’est-elle pas faite essentiellement de mort-renaissance et de renaissance-mort des unes et des autres de ces civilisations ?
Le passé des hommes est le signe manifeste de ce mouvement discontinu. La mort générale, c’est aussi la fin de ce mouvement. En outre, l’Occident est la réalité par excellence du monde contemporain. Le monde a été identifié à son image. Le monde n’est rien d’autre que le produit même de l’Occident. Celui-ci est devenu, par la ruse de la Raison mécaniciste, fille superbe d’Hébreu-Pharaon, le moteur de l’économie mondiale dans la mesure où le monde, en son entier, a hérité de son modèle et de son système d’exploitation et de gestion de l’économie des différents pays. L’Occident n’a-t-il pas aussi, par ses multinationales, par la possession d’armes stratégiques sophistiquées, le pouvoir de vie et la force de provoquer sa propre mort et celle du reste du monde ?
Ainsi, du fait de l’extension de la réalité occidentale à l’ensemble du monde, il est indéniable que les autres civilisations atteintes profondément dans leur nature ou n’ayant de nature à présent que celle héritée de l’Occident, connaîtront désormais les difficultés que traverse ou traversera l’Occident. Désormais, elles sont incontestablement soumises à son destin. Dès lors, la survie de l’Occident sera, par voie de conséquence, celle du monde entier ; son déclin ou sa mort risquent fort bien d’être ceux également du reste du monde à moins… à moins que d’ici là, les autres civilisations aient trouvé leur propre voie de gestion économique, leur propre et réelle indépendance, bref leur destin spécifique leur permettant de la sorte de se soustraire de celui de l’Occident. Mais une telle perspective ou autodétermination du soi des autres civilisations humaines, devient de plus en plus problématique. En effet, l’impérialisme oppressant de la Banque Mondiale et du F.M.I., derniers avatars de la Raison mécaniciste, veille à obliger tout le monde à rentrer dans le rang. Cuba communiste, qui résiste encore, va finir par céder et rentrer dans le rang pour s’aligner, comme tout le monde, c’est-à-dire sur la voie de plus de misère, sous la pression des Américains.
Même la Chine qui, seule, aurait pu échapper à ce destin, s’ouvre à présent au modèle économique occidental et va, en s’euro-américanisant, inévitablement dans le sens de la fuite de sa propre nature. A son tour, sauf mouvement contraire d’histoire, elle sera, comme toutes les autres civilisations, dénaturée. Est-ce un bien ou est-ce un mal dans l’absolu ? Certes, notre position rompt radicalement avec les thèses défendues jusque-là sur la question de la mort de l’Occident. Leur sens, dans l’ensemble, dont certains aspects sont réels et conformes aux faits, est interne à la seule réalité de l’Europe. Notre thèse porte, en effet, sur la réalité du monde devenue une, c’est-à-dire à l’image de l’Occident. Parmi les thèses que nous ne partageons pas sur le déclin de l’Occident, il y a celle de Spengler. Celui-ci pense, en effet, que le déclin de l’Occident n’est rien d’autre que celui de sa culture, dans la mesure où la culture est ce qui fait l’être d’une Humanité. Tout ce qui est grand en Occident, dans le domaine des Sciences, au sens général, et des arts, ne peut plus être parce qu’il a déjà été. Les intelligences d’aujourd’hui, loin d’être aussi créatrices, aussi inventrices, se contentent plutôt de copier ou de collectionner, ou bien de répéter les grandes œuvres du passé. Dès lors, les plus hautes et les plus illustres intelligences ont été à l’origine et non pas au cours du devenir, et encore moins, à la fin de l’Occident.

Apocalypse ?
Le monde d’aujourd’hui se caractérise plutôt par un dialogue de sourds. Selon cet auteur, on crée de toutes pièces, la publicité et l’argent aidant, des théories pour lesquelles on fait beaucoup de bruit. Les Temps Modernes, plus que par le passé, sont un siècle de contradictions, de négations, de nihilisme. On dépense de l’énergies intellectuelle à nier – et dans certains cas, à louer – tout ce qui est du passé sans pouvoir, en général, faire preuve d’inventions neuves, de grandes créations originales pouvant éventuellement remplacer ce qu’on s’évertue à détruire, par exemple. Est-ce la mort généralisée des arts, de la philosophie, de la métaphysique, voire de la science véritable ? C’est en ce sens que Oswald Spengler écrit : « L’individu renonce en jetant les livres de côté ; une culture renonce en cessant de se révéler aux hautes intelligences scientifiques ; mais la science n’existe que dans la pensée des grandes générations de savants, et les livres ne sont rien qu’ils ne vivent et agissent dans des hommes qui en sont capables. Les résultats scientifiques sont de simples éléments d’une tradition spirituelle. La mort d’une science consiste en ce qu elle n’est plus un événement pour personne. Mais après deux siècles d’orgies scientifiques -on en a assez- ce n’est pas l’individu, c’est l’âme de la culture qui en a assez. Elle exprime cette satiété en choisissant parmi les chercheurs qu elle envoie dans le monde historique du jour, des hommes toujours plus petits, plus étroits, plus stériles »[6].
D’après Spengler, le début du XXè siècle a marqué, déjà, la fin des grands savants. Il n’y a plus de grands et véritables maîtres pratiquement en chimie, en physique, en mathématiques, voire en biologie. Car les « les grands maîtres sont morts et nous vivons aujourd’hui le decrescendo des brillants imitateurs qui classent, collectionnent et achèvent, comme les Alexandrins de l’époque Romaine », ajoute-t-il dans ce même ouvrage. A titre d’exemple, Spengler cite Lysippe comme véritable et grand artiste plasticien à la suite duquel l’Occident n’en a plus connu de pareil. Il en est de même des impressionnistes auxquels n’a succédé aucun autre mouvement artistique valable ; de Wagner en musique qui a mis un terme aux grandes créations originales dans l’opéra[7]. C’est pourquoi, le monde présent de la culture aime le laid, notamment dans l’art plastique, telle la peinture.
Quelle est la cause profonde de cette décadence culturelle ? Spengler la voit dans la puissance de l’argent qui ruine inévitablement celle de la spiritualité. Le pouvoir de l’argent sur le monde est une véritable dictature. Dans la mesure où son intérêt est dans la productivité, la rentabilité, elle appauvrit la spiritualité en développant seulement des capacités, des facultés purement techniques. La raison est dans l’irrationnel rationalisé de la technique poussée au plus haut point. « La haute finance » qui est libre et insaisissable veut de plus en plus la médiocrité en aidant à la formation de petites intelligences qui sont à son service sans pouvoir vouloir authentiquement autre chose qu’essentiellement la volonté de la haute finance. Elle veut des producteurs et des consommateurs sans plus. C’est pourquoi, elle s’évertue à faire baisser le niveau intellectuel des citoyens dans les pays où elle exerce, de façon incontestée, son pouvoir. Et l’on comprend, dès lors, que la naissance de grands penseurs, de grands créateurs et inventeurs originaux fasse terriblement défaut. Mais, selon Spengler, il se pourrait bien que l’argent, en quelque sorte, connaisse aussi une fin. Car « L’argent ne sera dominé que par le sang et supprimé par lui. La vie est le premier et le dernier courant, le flux cosmique en forme microcosmique. Elle est la réalité du monde historique »[8]. Le vouloir vivre authentiquement qui, éveillé, niera le vouloir mourir du monde vide, déshumanisé et stérile de l’argent peut, de la sorte, triompher du pouvoir nihilisant de l’argent.

S’agit-il de l’avènement d’une nouvelle civilisation sur la terre ?
[1] To Eskhaton, le triangle de la mort (Grenoble, Thot 2000, 559 p)
[2] La Paix Blanche Tome II (UGE, coll. 10/18, Paris 1974, p.250)
[3] Certes, des réalisations concrètes ont été tentées ou faites, comme le vaisseau spatial russe, M.I.R., entre autres, qui tourne sans arrêt autour de la terre et au-dessus de nos têtes. Mais, comme tout objet naturel ou artificiel, dans les conditions de notre planète, est soumis à l’usure-temporalité, cette station, après épuisement de toutes ses ressources d’énergie, pourrait, quelque jour prochain, s’abîmer sur terre, par vieillesse. Même l’ambition américaine de conquérir la planète Mars, en raison des coûts exorbitants des investissements en matériels techniques, relève aussi de ce type de rêve.
[4] Le nœud d’une telle déstabilisation psychologique réside essentiellement dans l’absence de travail malgré des études pointues et hautement sérieuses.
[5] Le grand merdier (France Loisirs, Paris 1978, p.p.203-204).
[6] Le déclin de l’Occident, tome II (Gallimard, Paris 1948, p.407)
[7] Contrairement à la thèse de Spengler, nous reconnaissons que le XX° siècle a connu ses heures de gloire dans tous les domaines. Ce ne sont pas les originalités qui lui ont manqué. Elles sont seulement différentes de celles des siècles précédents.
[8] Opus cit, p.466