Par le Père Etienne Long

Tout n’est qu’une superbe combinaison d’énergie entre les pouvoirs du cerveau humain et l’Energie du Cosmos
I- Que signifie « être croyant » ?
Je voudrais commencer par m’arrêter à la signification que l’on peut donner au terme « croyant », et pour éviter de restreindre a priori son champ d’applications aux croyances religieuses.
I-1 tous les hommes sont des croyants
Je crois que c’est très important, à propos du sujet qui nous réunit ce soir, de rappeler que tous les hommes sont des croyants, que tous croient en bien des choses, qu’il est impossible de ne pas croire en plein de choses, tout simplement parce qu’il y a au fond très peu de choses que l’on sait de savoir absolu. Peut-être même n’y a-t-il quasiment rien que l’on puisse savoir de façon simple et absolue.
Même la raison raisonnante, dans l’exercice des plus rigoureuses méthodes scientifiques, doit reconnaître qu’elle repose sur des postulats qu’elle ne peut elle-même fonder.
Jean-Louis LÉONHARDT, Le rationalisme est-il rationnel ? L’homme de science et sa raison, L’aventurine, 2009
Comment pensait-on jadis, comment pensons-nous aujourd’hui ? L’instrument le plus nécessaire à l’exercice de l’activité scientifique est la raison qui nous permet de penser et parler sur le monde.
Le modèle de la raison rationaliste proposé par Aristote a été adopté par le monde occidental. Dans ce modèle, le statut du principe de contradiction permet d’envisager qu’une théorie scientifique puisse être en correspondance avec le monde. Celle-ci est unique et complète, du moins en droit. L’invention des géométries non euclidiennes a ruiné le rationalisme. La rencontre de dualités dans notre perception du monde empirique – par exemple la dualité onde-corpuscule en physique – impose un nouveau modèle de la raison.
Désormais plusieurs théories concurrentes peuvent prétendre décrire une même portion du monde. Mais chacune d’elle doit admettre son incomplétude.
Et dans la vie courante, notre pensée est faite d’une quantité impressionnante d’opinions, portant sur de très nombreux domaines, liées à notre culture, notre histoire, notre sensibilité. Cela va des opinions les plus légères, par exemple sur ce qui est bon ou mauvais en cuisine, aux opinions les plus graves, par exemple sur l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme, et la liberté humaine, pour citer les grands postulats de la raison pratique selon Kant, c’est-à-dire les trois fondements de toute morale (à ses yeux). Entre les deux, de multiples opinions sur l’histoire, sur les sciences, et enfin sur la politique, lieu par excellence de l’opinion, et qui ne peut guère dépasser le statut de l’opinion.
Ma propre répartition des types d’opinions que je viens de présenter est elle-même sans doute le reflet d’une opinion.
[ développement possible sur les diverses opinions :
en particulier politiques : cf. Julien FREUND, L’essence du politique ; Bruno LATOUR
la politique vise toujours à agir sur une société, sur les lois, sur la manière de gouverner, etc.
Elle est toujours art d’une décision qui ne peut attendre indéfiniment ; elle rassemble et synthétise un ensemble d’opinions de divers champs de pensée eux-mêmes sujets à discussion et à opinions (vision anthropologique, principes économiques, valeurs sociales et morales…)
l’évaluation a priori ne peut être scientifique, l’a posteriori donne la valeur… ]
I-2 spécification de la croyance religieuse
Une fois ce petit rappel effectué, il convient de préciser la signification du mot croyant dans le contexte de la question posée, c’est-à-dire en l’articulant à la spiritualité. Nous abordons alors le rivage de la croyance religieuse, une parmi tant d’autres…
Si l’on veut maintenant préciser le caractère d’une croyance religieuse, et atteindre sa spécificité, on pourra aborder divers aspects.
On pourrait croire que l’un des premiers caractères apparents d’une croyance religieuse, c’est sa dimension collective : être croyant, avoir une croyance religieuse, c’est le plus souvent se rattacher à une entité collective, généralement beaucoup plus large que celles de la famille, de l’association, de la cité, d’une nation, ou d’un peuple. Beaucoup de croyances religieuses ont aujourd’hui un caractère mondial.
Ainsi, ce n’est pas seulement la dimension collective qui importe, mais son caractère actuel de transversalité : ce sont des croyances qui rassemblent et rapprochent des hommes de cultures et de langues différentes, et qui ont des incidences sur la politique et sur les cultures, mais dans le même temps, ne sont plus aussi étroitement imbriquées dans le système culturel et civilisationnel.
[développement possible sur l’évolution de la religion / la politique :
Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Gallimard, 1985
Ou histoire politique de la religion ; le stade premier de la religion est celui d’une confusion totale entre le politique et le religieux, inséparables ; à chaque cité sa religion et ses dieux ; pas de politique non religieuse, pas de sacralité politique sans sacralité religieuse ;
Le monothéisme juif fait coupure et achève la transcendantalisation commencée sous les empires, où l’empereur est intermédiaire entre le divin et le peuple ;
Aussi bien dans le judaïsme que dans le christianisme, l’histoire manifeste une résistance à cette transcendantalisation (et séparation-distinction du religieux et du politique) en même temps que sa possibilité (religion de la sortie de la religion, démocratie moderne)]
Un autre caractère très manifeste des croyances religieuses, c’est leur poids dans l’histoire, leur caractère traditionnel. La plupart des croyances religieuses s’appuient sur la transmission d’écrits anciens, d’histoires anciennes, plus ou moins vénérées.
[ développement possible sur la notion et la puissance de la tradition : Maurice Blondel
l’autorité de la tradition surprend les modernes parce que la démarche moderne est cartésienne, c’est-à-dire sceptique, et autonome ;

L’être humain ou son esprit est le centre de ces types d’énergie spirituelle/matérielle (?)
mais on en comprend la force si on ne réduit pas la tradition à des concepts et des raisonnements logiques, mais si on la comprend pour ce qu’elle est en fait, à savoir un ensemble vital, une manière de vivre, intégrant des sentiments, des pensées, des croyances, des aspirations, des rites, des usages, etc. qui donne accès à un monde, qui font participer à un monde, qui constitue une communion des âmes, avec son potentiel de fécondité et de vitalité ;
pour une part inconsciente et présente à toute histoire collective, subsiste chez les modernes, et n’est jamais intégralement réfléchie]
Pourtant, ces deux caractères ne sont pas propres aux croyances religieuses ;
ainsi des croyances collectives existent sur le plan des histoires nationales,
au point de constituer une mémoire collective, avec l’aspect de mythe :
mythe de la Révolution, mythe de la Résistance, etc. (depuis toujours)
ou de l’économie de marché libérale,
la production obéit à des « lois du marché », auto-régulation, etc.
lois déjouées par les crises ;
postulat matérialiste commun aux libéraux et aux marxistes selon Simone Weil :
la croissance indéfinie des moyens de production
de même aussi existent de nombreuses traditions dans le domaine des sciences.
Contrairement aux idées reçues, la science expérimentale s’appuie énormément sur la tradition : on ne refait pas toutes les expériences déjà faites, on part de ce qui a été fait, sans tout vérifier.
Si l’on veut atteindre la spécificité de la croyance religieuse, il faut aller voir du côté de son contenu métaphysique : voilà ce qui la spécifie !
La croyance religieuse porte sur un divin, un au-delà, une nature spirituelle de l’homme, et par là elle s’oppose à la croyance matérialiste, qui pense qu’il n’y a pas de divin, ni d’âme immortelle.
Le plus souvent, les croyances religieuses entraînent aussi des prescriptions morales particulières, peu ou prou rattachées à un culte. Ce qui colore et spécifie la morale, pour ne pas dire la moralité des croyants.
La foi en l’existence de Dieu juge induit une conscience morale possiblement obsessionnelle :
Cf. Hugo : L’œil était dans la tombe et regardait Caïn
La foi en Dieu créateur de l’homme à son image induit un respect inconditionnel de la personne de sa conception à sa mort (identification de l’avortement et de l’euthanasie au meurtre)
I-3 ce qui fait difficulté dans la croyance
Ce qui fait difficulté aujourd’hui, ou encore ce qui fait difficulté à partir de la manière dont on pose la question ce soir, ce ne semble pas être ce contenu métaphysique de la croyance religieuse. Au fond, chacun peut avoir une expérience spirituelle qui le convainc de la spiritualité de son âme, et le conduit à envisager un au-delà, l’existence d’un être supra-mondain et divin, voire sa propre immortalité… ou bien à envisager une autre représentation du monde de type plus immanentiste (Spinoza, hindouisme, etc.).
Ce qui fait difficulté aujourd’hui, c’est davantage l’appartenance, la collectivité, et la soumission au critère de la tradition.
Autrement dit, la difficulté est typiquement moderne et le produit de la modernité.
– Ce qui fait difficulté dans l’appartenance, c’est le risque de se perdre, de perdre même son âme justement, dans une idéologie, un embrigadement, un collectivisme, une confusion du religieux et du politique, et à la fin, une exaspération de la violence.
D’où vient l’exaspération de la violence ?
De la prétention à l’universalisme, issue du monothéisme, et transmise aux succédanés des religions, comme les totalitarismes (Sloterdijk, La folie de Dieu).
De la difficulté intrinsèque à tout homme, à toute spiritualité, de trouver l’équilibre entre courage d’être soi-même et courage d’être participant (Tillich, Le courage d’être).
– Ce qui fait difficulté avec le critère de transmission, c’est la soumission aveugle à un critère extrinsèque à la vérité, extrinsèque tout au moins à la raison.
Voir Kant, Réponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ?
« Les Lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte, non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières ! »
I-4 différentes modalités de croyances dans une religion
Dans leur mouvement d’ensemble, leur histoire, ou leur expression globale, toutes les religions ne se ressemblent pas sur ces deux derniers points (politique et tradition).
Et plus exactement encore, plusieurs types de croyances religieuses traversent les religions, et divisent fortement les coreligionnaires, au point de permettre des rapprochements peut-être plus déterminants sur le plan existentiel et politique entre différentes religions.
Du côté de la politique :
Il faut distinguer le modèle théocratique ou impérialiste (confusion des sphères religieuses et temporelles, propre à l’ensemble des religions jusqu’au judéo-christianisme, mais aussi présent dans le christianisme et plus nettement encore au-delà avec l’islam) du modèle de sécularisation, d’autonomie, de distinction des plans, etc. (propre à la modernité).
Du côté de la tradition :
Il faut distinguer, selon leurs rapports à la tradition, les croyances :
– de type fondamentaliste (…)
qui n’accepte pas d’autre lecture de ses sources (de la tradition) que littérale et dogmatique, qui résiste à toute diversité d’interprétation, au principe herméneutique lui-même, et donc à l’intégration de l’histoire dans la question de la vérité.
– de type fidéiste (…)
qui n’adhère pas de manière convaincue aux sources d’une tradition, qui est intérieurement sceptique sur la valeur de vérité de ces sources, mais qui adhère extérieurement, socialement, politiquement, aux discours et valeurs de ces sources, pour des motifs extrinsèques et socio-politiques (cf. Montaigne, Descartes, etc. – cujus regio, cujus religio) (…)
– de type apophatique (…)
qui ne met pas en doute la vérité des sources, mais en retient surtout le caractère inadéquat, analogique, c’est-à-dire insiste sur l’incapacité du langage humain à rendre compte du divin, et qui préconise pour cette raison le silence comme dernier mot sur Dieu, et la négation comme avant-derniers mots : on peut davantage dire ce que Dieu n’est pas que ce qu’il est.
– enfin de type « théologique » (…)
où l’expression de la foi se refuse à la seule transcription de l’émotion ou de l’expérience, mais s’élabore comme une intelligence du réel ; la tradition, les sources de la foi, sont interprétées, commentées, etc., avec les instruments et les règles de la raison, dans un partenariat plus ou moins heureux, un dialogue foi et raison…
longue tradition talmudique d’interprétation, puis chrétienne, de la patristique à la scolastique, avec l’organisation des universités, et l’articulation des savoirs et des langages (la liste des auteurs et penseurs est immense, et demeure actuelle : discours de Benoît XVI à Ratisbonne et aux Bernardins).

L’Energie-énergie seule peut tout transfigurer sous la dimension du sublime et de l’extraordinaire
I-5 Une spécificité de la croyance judéo-chrétienne : le conflit entre foi et croyance
Tous les croyants se réclamant du judaïsme et du christianisme ne se reconnaîtront pas nécessairement dans la présentation d’une opposition entre foi et croyance, mais… il semble impossible de passer sous silence ce courant puissant et constitutif de la notion même de révélation.
Un penseur chrétien moderne, Karl Barth, après la 1ère guerre mondiale, expose le problème de manière vigoureuse, mais sans être le seul ! thématique très paulinienne, que l’on trouve aussi chez des philosophes comme Pascal et Kierkegaard…
En réaction contre la pensée libérale, qui fait de la religion chrétienne une religion humaine parmi d’autres, réaffirmation de l’aspect transcendantal de la révélation. C’est vraiment Dieu qui surgit dans l’histoire et dans la prophétie, et qui conteste la pensée humaine sur Dieu, la pensée religieuse antérieure, la pensée philosophique.
Paul : le Christ et le langage de la croix, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs.
De ce fait, la croyance change de statut, c’est un accueil, une soumission, une obéissance, une foi (archétype : Abraham, le sacrifice d’Isaac, comme symbole de la foi inconditionnelle, absolue – cf. Crainte te tremblement).
Le Christ comme celui qui conteste les dérives du religieux en général,
introduisant le principe de distinction entre Écriture et tradition, entre lettre et esprit de la loi,
contestant la confusion spirituel et temporel, politique et religion,
contestant la dimension sacrificielle du culte, l’expiation sacrée, le prix du sang,
contestant la sacralisation des espaces et des temps (le sabbat pour l’homme, etc.)
relativisant la loi morale : elle cesse d’être absolue, le péché ne condamne plus absolument, la vertu ne sauve plus absolument, la justice n’est vraiment juste qu’à intégrer un au-delà de la justice, du côté de la charité…
II- Qu’est-ce que la spiritualité ?
Difficulté d’aborder la spiritualité au singulier !
Dans chaque religion, il y a diverses spiritualités, diverses manières de vivre la relation à Dieu et les implications de cette relation à Dieu dans la vie « mondaine ».
Ainsi dans le christianisme parlera-t-on par exemple de spiritualité franciscaine ou de spiritualité jésuite, et de tant d’autres.
La spiritualité franciscaine est faite d’amour de la création, de pauvreté et de simplicité, de proximité avec la nature, de louange joyeuse : Saint François et les petits oiseaux, ou avec le loup de Gubio… les fioretti !
La spiritualité jésuite est faite de rigueur dans tous les sens du terme, rigueur morale, rigueur intellectuelle, rigueur de vie, de discipline, d’obéissance militaire, d’efficacité, de détachement de soi, de générosité, de discernement…
La spiritualité bénédictine est faite d’équilibre entre prière et travail, la spiritualité carmélitaine de silence et d’oraison, la spiritualité de Charles de Foucauld d’enfouissement, etc.
Mais dans le contexte de la question, spiritualité renvoie à un sens plus large, à la démarche même de l’esprit, à la vie de l’esprit, à une expérience existentielle où l’homme se saisit non seulement comme sujet autonome, rationnel, libre, mais aussi avec une part de soi-même plus personnelle, plus intime, plus intérieure, qui se distingue à la fois des sens et de la raison, tout en s’articulant en quelque sorte avec les uns et l’autre… et qui s’éprouve aussi dans le détachement à soi-même, la sortie de soi-même, ou encore la transparence à une expérience telle que le sentiment de l’ego disparaît.
La spiritualité à mon sens s’articule nécessairement à diverses croyances métaphysiques, mais qui ne sont pas nécessairement religieuses, ou en tout cas, qui ne sont pas nécessairement religieuses au sens de religions établies, d’appartenance à une collectivité, ou de soumission à une tradition, ou d’inscription dans une communauté instituante.
La spiritualité est en quelque sorte incontournable dans certaines expériences et le temps que durent ces expériences ; elle ne peut que s’éprouver :
– dans certains états du corps limites (NDE, drogues, etc.),
Near Death Expérience, cf. Dr Moody, La vie après la vie ; s’éprouver esprit, à distance de son corps, percevant de manière précise des dialogues de l’entourage ; mais aussi entrer dans une autre dimension de l’existence, croiser une lumière, voire des ancêtres, et retourner dans la vie différemment.
Voyages astraux, sous l’effet d’hallucinogènes…

La Prière – toute forme de prière – est une figure de langage ou de communication avec l’Energie du Cosmos ou le Théios
– dans l’appréciation de la beauté, l’expérience du sublime, ou du ravissement,
Il y a divers degrés de perception de la beauté, qui va d’un ressenti, jugement, perception imprégnée de raison, de motifs, etc., à un total ravissement, une sorte de perte du soi dans la synthèse du sujet et de l’objet, d’une vibration harmonique, où sujet et objet ne font plus qu’un, produisant une sorte de transe (une musique, un paysage dans la montagne, ou… selon l’inclination, la sensibilité du sujet, son état spirituel !)
On parle d’esprit parce qu’à la relecture, on se rend compte qu’il faut être esprit pour faire l’expérience de ce saisissement, de ce débordement ; cette possession de l’esprit par l’harmonie est ce que les anciens appelaient noèsis, relève du nous et non du logikov.
– dans l’expérience créatrice, artistique,
où l’œuvre s’impose, déborde le créateur, lui arrive, le saisit… on parle d’inspiration, qui soulève, commande, emporte… comme si l’œuvre était donnée à l’artiste, et à travers l’artiste à un public, ou de l’artiste au public…
– dans certaines expériences d’amour et d’amitié,
le ravissement en l’autre, l’extase du don de soi, la capacité d’engager sa vie pour toujours et de la lier à une personne, le bonheur particulier d’être reçu chez un autre, de pouvoir demeurer, l’expérience de l’hospitalité spirituelle… d’une complicité, d’un accueil inconditionnel, de se découvrir en l’autre, de recevoir de soi le regard amoureux ou aimant, permettant de se saisir comme unique… (avec ou sans le langage de la chair) celui qui ne juge pas, qui reçoit, dont on ne craint pas l’épreuve…
– dans l’expérience du pardon,
face à la trahison, face à la mort de l’être aimé, c’est-à-dire face à l’impardonnable, le « choix » ou la grâce de vivre hors de la vengeance, du ressentiment, de la haine auto-destructrice, la capacité de considérer un meurtrier ou un bourreau avec un regard qui donne une seconde chance, qui reconnaît le frère en humanité… démarche au-delà de la justice, d’un consentement au malheur qui n’est pas négateur de soi (masochiste) mais vital, fécond, dépassement, sauvegarde d’une dignité éventuellement pour deux… [voir Maïti Girtaner, Résistance et pardon ]
– dans l’expérience de la non-violence
Selon Gandhi, pour entrer dans la non-violence, il faut être un spirituel, et d’abord avoir le courage du soldat (vaincre toute peur de la mort – le sommet de la force humaine) et aussi aimer son ennemi (ce qui, dit-il, ne peut être obtenu que par la prière, dans la foi en Dieu).
La non-violence est une expérience spirituelle extrême, comme le révèle un Jésus Christ sur la Croix. Elle révèle à l’ennemi sa violence : soit il la convertit, soit il l’exaspère.
– dans des expériences dites mystiques,
en particulier lors de saisissement, ravissement au-delà de soi-même, avec parfois des phénomènes particuliers (lévitations bouddhiques ou chrétiennes)
cf. Paul : ravi au 4ème ciel, avec ou sans son corps, Dieu le sait, je ne sais…
expériences qui peuvent se produire non seulement chez qui croit en un Dieu transcendant et personnel, mais chez qui ne croit en aucun Dieu transcendant et personnel, qui identifie la nature à Dieu (le Deus sive natura de Spinoza), comme le décrit si bien André Comte-Sponville dans L’Esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu.
expérience de communion au réel, qui a chez lui une plénitude encore plus grande que l’expérience d’extase esthétique, et qu’il qualifie en des termes analogues : perte du sentiment de l’ego, simplicité absolue, sentiment d’éternité ou de sortie de la temporalité… voire de consentement à la totalité du réel dans ce qu’il a d’éprouvant (le consentement à la nécessité et à l’ordre du monde du stoïcisme)
– dans des expériences de salut hors du malheur, d’événements inexplicables…
variante de la précédente,
– soit dans l’état d’âme, expérience d’être hissé hors des ténèbres, d’être saisi hors du désespoir, sans aucune maîtrise et explication du vécu conscient,
– soit dans un événement concret, « miraculeux », l’improbabilité d’un secours approprié et inespérable, et le sentiment d’une providence, d’une intervention personnelle de la providence divine, hors des lois naturelles.
D’où la distinction entre une spiritualité de l’épistrophê
(l’homme se tourne en lui-même, vers lui-même, et par lui-même choisit et détermine une voie de dépassement spirituel ; de manière exemplaire les philosophes grecs, ou Nietzsche),
et une spiritualité de la métanoïa ,
(la conversion résulte d’une expérience mettant en face d’un autre, elle est mouvement vers cet autre : c’est la voie des religions théistes).
C’est l’expérience d’un Paul sur le chemin de Damas, renversé, faisant une rencontre qui bouleverse totalement sa vie, qui ressaisit toute sa vision du monde en une nouvelle qui la dépasse…
D’où la notion d’événement chez Badiou, athée, et la fondation de sa réflexion éthique et de sa conception de la vérité, hors d’un consensus logique, mais dans la fidélité à un événement, à une réponse donnée face à la convocation à un éveil de soi dans des circonstances données…, réponse qui excède les possibilités conscientes, qui survient comme à l’insu du sujet.
Éthique dont la maxime est « Fais tout ce que tu peux pour faire persévérer ce qui a excédé ta persévérance. Saisis dans ton être ce qui t’a saisi et rompu. » « N’oublie jamais ce que tu as rencontré ! ».
Spiritualités qui ne s’excluent donc pas nécessairement, mais se peuvent associer…

L’éternelle recherche de Spiritualité, de Sens de son existence ou de Salut chez les êtres humains
Dans toutes les religions comme hors des religions établies, il y a des spirituels. C’est la rencontre par le haut, par la mystique. Ou la rencontre par le sens de l’humain. Le choix de l’homme.
Au fond, la spiritualité peut s’avérer ascendante ou descendante, soit l’un soit l’autre, ou tantôt l’un, tantôt l’autre…
– ascendante quand elle fuit le monde pour se retirer dans un monde intérieur, et par delà éventuellement, dans un monde supérieur,
– descendante quand elle reconnaît l’homme, ou pose l’homme, sa dignité, sa valeur sacrée, quelle que soit sa condition.
Dans toutes les religions comme hors des religions établies, il y a des hommes qui résistent au spirituel.
Cf. Tillich : Le courage d’être,
la foi contre la religion, contre la croyance = la spiritualité !