Foi et laïcité

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Foi et religion : quel avenir pour la foi chrétienne dans une société sécularisée ?

Par le Père Etienne Long, Dominicain (Intervention aux soirées du Pavillon des Causeurs)

Introduction

     Nous avons choisi de réfléchir à cette question pour éclairer certaines questions autour de la laïcité, et de notre manière de nous situer par rapport à la laïcité.

La question du statut de la religion peut se poser de deux points de vue :

– du point de vue de la démocratie : la religion a sa juste place quand elle est cantonnée à une liberté privée et ne dérange pas le bien public.

– du point de vue de la religion elle-même : la religion est-elle encore religion quand elle est cantonnée à la sphère du privé ? N’est-elle pas tout simplement menacée d’extinction dans un tel cas de figure ? Ne doit-elle pas réagir avant qu’il ne soit trop tard pour rétablir son influence ?

® Poser une différence entre foi chrétienne et religion chrétienne, c’est se rappeler de la distance critique de l’évangile par rapport aux diverses formes du religieux. En fonction de cette distance critique, la question de l’avenir de la foi se pose autrement que du simple point de vue religieux.

La réflexion proposée se déroule en trois temps :

  1. Indiquer quelques traits caractéristiques de la religion en général, et souligner les deuils que la société sécularisée impose aux hommes religieux.
  2. Indiquer les principaux points d’écart ou de rupture entre foi et religion : comment l’évangile rompt profondément avec le religieux. Et constater comment le christianisme dans son histoire a renoué avec le religieux.
  3. Tirer la conclusion de cet écart entre foi et religion sur la question du statut de la foi dans l’ère de la sortie de la religion.Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est 100311761-christian-cross-abstract-holy-spirit-with-dove-on-white-background-.jpg

I- La religion en général :

  1. « Définition » classique, dimension « verticale » :

Elle est ce qui est censé organiser et gérer les relations des hommes avec le divin. Le divin est ce qui apparaît à l’homme sous la forme du ‘numineux’, du sacré fascinant et terrifiant à la fois, tel qu’il se manifeste dans les puissances de la nature et dans la destinée.

Dans sa forme intéressée, la religion se déploie en magie et crainte.

La magie est la tentative explicite de contrôler les puissances divines, de les faire servir à son usage. La crainte religieuse s’exprime dans un culte sacrificiel : il s’agit d’apaiser la colère des dieux, telle qu’elle se manifeste dans les événements malheureux.

Dans sa forme désintéressée, la religion se déploie dans l’adoration d’un dieu transcendant, sans prêter à dieu des sentiments humains, et sans se prononcer sur ses effets dans l’histoire. C’est la dimension mystique des religions.

Dans la pratique, quelles que soient les religions, et on peut même le dire du christianisme, les dimensions intéressées et désintéressées se mêlent plus ou moins inextricablement.

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2- Deux caractères essentiels de la religion :

  1. la religion sacralise le politique, le politique s’appuie sur le religieux.

Les religions sont le plus souvent nationales ; être concitoyen, c’est avoir les mêmes dieux. La religion va sacraliser la terre de la patrie, les liens civiques, et la loi. Les devoirs du citoyen deviennent sacrés. En contournant la loi, ce sont les dieux qu’on offense, c’est un désordre dans le monde qu’on introduit et les dieux feront payer.

  1. la religion structure la culture, et détermine la morale.

C’est la religion qui détermine pour tous les usages, les contenus et les valeurs de tous les moments importants de la vie (naissance, initiation, puberté, amour, union, désunion, mort, repas, etc.). C’est elle qui fixe la moralité en distinguant le sacré et le profane, le pur de l’impur, en déclarant la souillure et ce qui répare la souillure (le sacrificiel).

3- Bilan sur la religion :

   Positivement : la religion crée une appartenance sociale et communautaire très forte ; elle discipline les mœurs, elle donne sens à la vie ; elle assure la permanence relative des cultures.

Négativement : la religion est cependant utilisée de manière ambiguë par le politique en tant qu’instrument de pouvoir privilégié des autorités qui manipulent la peur du sacré et absolutisent leur pouvoir) ; d’autre part la religion est aussi ambiguë dans son contenu mythique (à la fois irrationnel et immoral).

Notons bien :

– la critique de la religion s’exerce à différents moments de toutes les cultures : notons en Occident les philosophes grecs dans l’Antiquité, les philosophes arabes par rapport à l’Islam, les tentatives rationalistes dans la scolastique médiévale, enfin les Lumières.

– seules les Lumières ont ‘réussi’ en Occident à s’affranchir de l’emprise totalitaire de la religion. La question a été posée : ont-elles réussi du seul fait de leur puissance, ou bien aussi du fait que la religion chrétienne qu’ils combattaient portait en elle un ferment d’autocritique ? Cf. la thèse de Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde : le christianisme est la religion de la sortie de la religion.

– on ne s’affranchit pas impunément du religieux, et le retour du ‘religieux’ (la ferveur religieuse, l’exaltation religieuse, etc.) dans l’idéologie politique a conduit à des formes inédites de totalitarisme, sans aucune des limites du sacré (nazisme et communisme, shoah et goulags).

Conclusion : Enjeu de la critique de la religion :

L’appartenance, le sens, les valeurs, etc. ne sont plus données par le religieux ; c’est à l’individu tout seul de déterminer ses valeurs. L’angoisse est le prix de la liberté moderne.

II- La foi chrétienne en rupture avec le religieux :

  1. rupture historique des premiers chrétiens avec l’empire :

Ils étaient dits athées, parce qu’ils refusaient les dieux de la cité.

Leur foi entraîne un risque de mort ; elle n’est pas une foi d’appartenance sociale, mais en rupture avec la société ; elle est une foi nécessairement très engagée, existentielle, personnelle, volontaire.

  1. rupture théorique des chrétiens avec la confusion du temporel et du spirituel :

Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Le religieux ne relève pas du politique, et le politique ne relève pas du religieux.

La foi demande au politique la liberté religieuse. La foi reconnaît au politique une autorité dans son ordre, et elle invite à l’obéissance civile dans ses limites propres.

  1. rupture de l’évangile avec le culte religieux :

– dénonciation du sacrificiel : il n’y a pas d’expiation, de colère à apaiser, il n’y a pas de coupables à trouver et à éliminer (cf. René Girard, sur le christianisme comme dénonciation et déroute définitive de la logique du bouc émissaire).

– désacralisation de l’espace et du temps au profit de l’homme : le vrai temple de Dieu, c’est l’homme ; le sabbat est pour l’homme, non l’homme pour le sabbat.

– levée de la souillure : tout ce qui est créé est pur ; c’est le cœur qu’il faut purifier de ses intentions mauvaises (relativisation des ablutions, contact avec les lépreux, etc.).

  1. rupture de l’évangile avec la morale religieuse :

– aucun mal n’est absolu, aucun péché ne détruit en l’homme sa dignité et sa capacité de conversion ; c’est la conversion qui est demandée et non le sang ; la loi n’a pas pour but de tuer mais de sauver (Jésus et la femme adultère), elle ne distingue pas les hommes en bons et en méchants à éliminer : tous sont pécheurs devant Dieu.

– aucun bien n’est suffisant et ne donne droit au salut : Dieu seul justifie, et l’accomplissement de la loi qui se tourne en orgueil et en mépris des pécheurs est contraire au cœur de Dieu qui ne veut pas la mort du pécheur mais sa conversion.

  1. rupture du christianisme avec la théologie religieuse :

– Dieu n’est pas le dieu de colère à apaiser, il se fait proche en Jésus Christ.

= la croix de Jésus Christ est scandale pour les juifs et folie pour les païens, le Dieu des chrétiens manifesté en Jésus Christ n’est ni le Dieu tout-puissant attendu par les juifs, ni le Dieu transcendant, immuable et impassible des Grecs. Dieu échappe à nos délimitations, il n’est pas ce que la religion détermine qu’il doit être.

Conclusions :

  1. La foi dénonce la religion comme système à la fois totalitaire et pervers.
  2. L’histoire du catholicisme (quoi qu’il en soit des intentions de nos pères dans la foi et des trésors que nous recevons d’eux) manifeste une contamination de la foi par le religieux dans tous les domaines cités :

– avec la fin des persécutions, la foi devient religion d’appartenance sociale ;

– avec la chrétienté, les pouvoirs politique et spirituel sont de plus en plus confondus (césaropapisme, puis théocratisme, inquisition, croisades,…) ;

– dans la mentalité médiévale, retour assez massif du sacrificiel, de l’expiatoire, du sacrilège puni de mort,…

– revalorisation des œuvres, du mérite, apparition des indulgences, morale de l’accusation et de la condamnation (identification du pécheur et de son péché par la catégorisation des péchés mortels)…

– la théologie scolastique renoue avec le discours de la puissance et de la rétribution.

  1. Mais le christianisme d’une part continue à transmettre la Parole qui le conteste dans ses ambiguïtés, d’autre part s’autocritique à la lumière de cette Parole (cf. la Réforme, Vatican II).
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III- L’avenir de la foi dans une société sortie de la religion :

La religion n’est plus. Il subsiste des croyances communautaires, pouvant acquérir une force politique au titre de portion de la cité dans le jeu de la représentation démocratique. Cf. Marcel Gauchet encore : La religion dans la démocratie.

Le croyant par appartenance sociale ne demeure pas membre d’une communauté chrétienne. Il trouve ailleurs de quoi nourrir sa quête de sens.

Le croyant qui a la foi en Dieu et en Jésus Christ, qui a une relation personnelle avec son Dieu, se trouve devant 4 possibilités face à la situation de sécularisation :

1ère voie : considérer que la foi et ses expressions religieuses dans l’histoire ne font qu’un, et vouloir sauver la foi en sauvant la religion : principe de tous les traditionalismes et intégrismes, lié à l’absence de sens critique de l’histoire.

2ème voie : considérer que la foi n’a que trop longtemps souffert de ses expressions religieuses, abandonner par conséquent tous les symboles, rites et affiliations aux institutions. Indépendance de toute communauté.

3ème voie : considérer que la foi peut être détachée de toutes les expressions religieuses diverses et ramenée à un dénominateur commun spirituel, à promouvoir face à l’athéisme matérialiste. Abandon de tout particularisme, de toute identité chrétienne et ecclésiale. Risque d’éclectisme, de syncrétisme, et souvent vision irénique de l’histoire.

4ème voie : considérer que la foi ne peut que s’incarner dans des expressions religieuses, à la fois nécessaires et relatives, en renonçant à la puissance.

– Nécessaires :

pas de foi sans communauté qui la transmette et la vive,

pas de disciples du Christ qui ne vivent pas en fraternité concrète, qui refusent de ‘faire église’,

pas de foi sans rites, symboles, langage théologique,

pas de foi sans une existence toute entière rapportée dans toutes ses dimensions à Dieu.

– Relatives :

aucun rite, aucune formule théologique, aucun symbole n’est un absolu.

Relatives ne signifie pas sans importance, ou sans valeur, ou de valeur indifférente.

Relatives signifie : cela vaut ce que cela vaut, seulement ce que ça vaut, et tout ce que ça vaut.

– en renonçant à la puissance :

la foi n’est pas une institution ni un discours, elle est suite du Christ, combat pour la justice à sa suite, exposition aux puissances de ce monde à sa suite, acceptation de la mort et de diverses morts (mort d’un système théologique, mort d’un pape, mort d’un rite, mort d’une discipline ; accepter de ne pas être dans la société les plus forts, les plus célébrés), à sa suite.

En renonçant même à ce que la réforme des institutions religieuses et ecclésiales se fasse selon notre rythme et nos idées (retour possible de la volonté de puissance chez le réformateur progressiste).

Entrer dans le don de soi, dans la logique du Dieu manifesté en Jésus Christ, c’est sortir de la justification de sa religion avec menace de l’enfer adressée aux autres, pour entrer dans une relation d’amour universelle (avec tous les hommes, de toutes langues, races, peuples et cultures) et gratuite (aimer sans condition, vouloir le bien de tous, sans imposer sa vision du bien, donner, partager,…). Le contraire du projet religieux totalitaire de domination du politique, du culturel, et du moral.Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est 005-1.jpg

Conclusion :

La sortie de la religion est une chance pour la foi, non au sens mondain, parce que la foi y est plus difficile et plus exigeante (climat d’indifférence, isolement, minorité, hostilité, etc.), mais au sens chrétien, parce que la foi y trouve l’occasion d’être plus engagée, plus personnelle, et plus authentique.

Bibliographie

-Dictionnaire de spiritualité, Beauchesne, 1988, art. Religion et foi, t.13, p.322-335, René Marle.

-Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, 1985. La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité, Gallimard, 1998.

-Joseph Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t.1, Du deuil au dévoilement de Dieu, Cogitatio Fidei 222, Cerf, 2002. Cf. ‘Le retrait de la religion’, p.81-130.

-Paul Ricœur, Lectures 3, Entre philosophie et théologie I : la Règle d’Or en question, Seuil, 1994. Sur la charité comme mesure de la justice, le décloisonnement de la morale naturelle.

-Stanislas Breton, Foi et raison logique, Seuil, 1971, c. V, Sur l’idée de tradition, p.153-163. L’avenir du Christianisme, DDB, 1999.

-Mircéa Eliade, Le sacré et le profane, Gallimard, 1965, Folio essais 82.

-Jean-Luc Blaquart, Le mal injuste, Cerf, 2002. Sur le système religieux de la rétribution.

-Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission, Labor et fides, 1963.

-René Girard, Le bouc émissaire, Grasset, 1982. J’ai vu Satan tomber comme l’éclair, Grasset, 1999. Sur le sacrificiel, et son abolition par le christianisme.

– Paul Valadier, L’Église en procès. Catholicisime et modernité, Calmann-Lévy 1987. Prend au sérieux les objections religieuses à la modernité.

-Encyclopédie philosophique universelle, Les notions philosophiques, t.2, PUF, 1998, art. Religion, A. Bertrand. Bibliographie intéressante ; aperçu succinct / Kant, Feuerbach, Freud…

On notera ‘l’oscillation’ de Karl Barth, qui dans le Commentaire de l’épître aux Romains, 19212, applique à la religion ce que Paul dit de la Loi (le comble du péché : vouloir obtenir par ses propres forces qui ne peut être que donné gratuitement par Dieu) ; puis qui, dans sa Dogmatique, 1953 svv, écrit : « la révélation divine doit être comprise aussi comme une religion humaine, elle est donc aussi une religion parmi d’autres. Le révoquer en doute serait nier l’humanité de la révélation, c’est-à-dire la révélation elle-même ». t.1/1, 2partie.

Mots clés : laïcité, foi, croyances, religion, démocratie, société, religion chrétienne, évangiles, christianisme, foi et religion, le divin, numineux, magie, politique, citoyen, valeurs, appartenance sociale, communautaire, irrationnel, immoral, sens, athées, désacralisation, salut, théocratisme, césaropapisme, syncrétisme, rite, sécularisé

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