
I- Définition de la déontologie
A- Sens général
Le terme de « déontologie » dérive de la philosophie soit de déon-ontos qui signifie étymologiquement la « science des devoirs ». Mais, notre époque contemporaine a limité cette notion philosophique au droit professionnel et l’a concrétisée dans une formulation des devoirs et des règles professionnelles. La déontologie relève à la fois de la morale et de l’éthique quotidienne liées à l’exercice d’une profession.
C’est l’ordre des médecins qui a fait entrer la déontologie dans le droit positif, en se dotant d’un code de déontologie qui a été approuvé par le Conseil d’Etat en 1947 et qui est devenu un règlement d’administration publique. Ce code s’est élaboré, d’une part, dans le contexte d’une époque de grandes réflexions éthiques sur les limites de la science, notamment à cause des expériences nazie dans les camps d’extermination ; et d’autre part, en application de l’ordonnance du 24 septembre 1945. Mais le code est révisé périodiquement.
Dès lors, en France, les professions organisées par des textes législatifs nationaux, ayant un conseil de l’ordre ou une organisation officielle reconnue, ont un code de déontologie respecté par les pouvoirs publics et qui s’impose à tous les membres de cette profession. Dès lors, il y a de nombreuses professions qui possèdent soit des règles déontologiques pour leur activité commune, soit leur propre code interne de déontologie. On observe même une extension de cette préoccupation, avec l’assentiment des pouvoirs publics. Par exemple, un décret du 18 février 1993 fixe les règles professionnelles relatives aux infirmières et infirmiers libéraux ou salariés Français, leur accordant ainsi une reconnaissance plus forte.
B- Déontologie et professions sociales
En général, les règles d’un code de déontologie comprennent les règles envers l’usager (place éminente du sujet), les textes de droit servant de référence, les obligations des membres envers la profession, la loi institutionnelle et l’autorité de compétence… L’autorité de la profession se manifeste ainsi dans le code de déontologie, mais c’est par l’existence de Juridiction professionnelle (par exemple, un ordre), sa compétence et sa jurisprudence (Science du droit : ensemble des décisions des juridictions sur une matière ou dans un pays, en tant qu’elles constituent une source de droit. C’est aussi l’ensemble des principes juridiques qui s’en dégagent) que se mesure l’autonomie professionnelle.

II- Les raisons d’une place éminente de la morale dans les traités de philosophie
De manière générale, les philosophes ont très tôt compris que l’homme est une créature étrange et plein de mystères. Sa psychologie est pleine de labyrinthes. Dans les grandes lignes, on peut retenir les idées suivantes :
- la transparence des cœurs et des esprits n’est pas possible chez les hommes, même entre les conjoints. Autrement, ce serait une fusion, ce qui est impossible ;
- la confiance n’est toujours une qualité première ;
- l’homme cherche ordinairement à tromper les autres ;
- la faculté du mensonge est propre à l’homme parce qu’il est le seul vivant sur la terre qui est doué de langage. Or, comme le reconnaît Rousseau, le langage semble nous avoir été donné par la nature non pas pour nous révéler aux autres, mais pour leur cacher nos pensées ;
- l’homme est un être qui accuse une faiblesse par rapport aux impératifs de la sexualité ;
- l’homme est sensible à la corruption, notamment par l’argent, les avantages matériels ; bref tout ce qui concourt à son bien-être et son confort matériels etc.
Toutefois, les philosophes posent que la personne humaine est douée de conscience, de raison laquelle est capable d’édicter des règles de conduite visant son bien-être. L’homme n’est pas totalement méchant. Il peut reconnaître que la valeur des valeurs reste encore l’homme lui-même. Grâce à sa conscience morale, il peut faire le bien et respecter autrui.
Aussi, les philosophes dans leur ensemble, ont édicter les moyens moraux pour atténuer quelque peu ces tendances humaines à la fois dans la vie quotidienne avec les autres ou vis-à-vis de soi-même. A titre d’exemple, on peut voir comment Emmanuel Kant, philosophe allemand du XVIIIe siècle, a pensé la loi morale dans sa vision rationnelle du monde.
III- Les morales déontologiques selon Kant
La morale kantienne atteint sa forme définitive dans la période critique, et est exposée principalement dans deux ouvrages fondamentaux : les fondements de la métaphysique des mœurs (1785) et la Critique de la raison pratique (1788). Kant définit la morale comme la partie de la philosophie qui s’occupe des lois d’après lesquelles tout doit arriver (loi morale), et non selon lesquelles tout arrive effectivement (lois de la nature)
1/ Une morale fondée sur la raison
Le déontologisme ou science du devoir de kant, est une morale fondée sur la raison, qui refuse les morales de l’autorité. La morale kantienne valorise l’autonomie, c’est-à-dire le fait de se donner à soi-même ou de trouver en soi-même sa propre loi. Les morales de l’autorité sont au contraire des morales hétéronomes, où l’individu trouve la norme de son action dans une instance autre que lui-même : Dieu, la Société ou la Nature.
Toutefois, l’autonomie ne signifie pas que chaque individu a sa morale propre et que chacun choisit les normes qu’il veut respecter en fonction de ses désirs, de ses préférences. Le déontologisme se rapporte étymologiquement à la notion de devoir. La morale relève en effet de ce qu’on doit faire, et non de ce qu’on désire faire. Ce devoir moral n’est pas relatif, il ne varie pas selon les individus et leurs préférences, il vaut de manière universelle. Quel est alors le rapport avec l’autonomie ?
L’autonomie signifie ici que l’homme peut par lui-même saisir ce qu’il doit faire : il lui suffit de faire usage de sa raison pour comprendre ce qu’il doit faire. Il n’a pas besoin de se référer à une instance extérieure à lui, il ne reçoit pas les règles de quelqu’un d’autre. Kant prône une morale de la personne humaine qui est contre les morales de l’autorité, mais pour une morale fondée sur la raison. Ce qui distingue ces deux approches, c’est avant tout le rôle précis que la raison joue dans chacune de ces théories morales.

2/ Une morale du devoir
Les impératifs moraux sont fondés sur la raison d’après Kant. Mais pour bien comprendre la nature de ces impératifs, il faut distinguer deux types d’impératifs fondés sur la raison.
a) Les impératifs hypothétiques
Un impératif hypothétique est un impératif qui ne vaut que sous la condition d’une certaine hypothèse, il est toujours de la forme suivante : « si on veut … [par hypothèse], alors il faut … [impératif] ». Par exemple : « si on veut être médecin, il faut passer un Bac S » .
Les impératifs hypothétiques sont fondées sur la raison. Ils commandent en effet simplement de choisir le moyen le plus rationnel, le plus adapté, le plus cohérent pour parvenir à ses fins. Le critère d’évaluation est un critère pragmatique de réussite et d’efficacité ; et ce qui est évalué, ce sont seulement les moyens choisis, et non la finalité poursuivie.
Mais, selon Kant, ce type d’impératifs ne peut ainsi constituer le fondement de la morale pour les raisons suivantes :
– soit ces impératifs n’ont absolument rien à voir avec la morale (« si on veut couper du bois, il faut utiliser une scie ») ;
– soit ils visent la réalisation d’une finalité immorale (cf. La lettre de Willy Just qui dit ceci : « si on veut tuer sans difficultés un grand nombre d’individus dans les camions à gaz, alors il faut apporter des modifications techniques aux camions à gaz ») ;
- soit ils réduisent l’action apparemment morale à une action faite par pur intérêt (« si je veux avoir des clients qui reviennent, il faut que je sois honnête »),
- par crainte (« si je ne veux pas me faire punir, il faut que je respecte cette loi »),
- ou par désir de reconnaissance (« si je veux être bien vu par les autres, alors il faut que moi aussi je donne de l’argent à des associations »), etc. Dans chacun de ces cas, on n’a pas une véritable action morale (l’individu n’agit pas par devoir, mais il agit simplement conformément au devoir : son intention n’a en fait rien de moral).
En fait, l’impératif hypothétique se formule de la manière suivante : « si nous voulons maximiser le bien et minimiser le mal, alors il faut calculer les conséquences de nos actes ». Or, selon Kant, la rationalité qui se manifeste dans ce genre d’énoncé n’est qu’une rationalité technique, instrumentale, qui ne cherche que le meilleur moyen de parvenir à une fin, dont il faudrait justement examiner la valeur morale.

b) Les impératifs catégoriques
Le fondement de la morale ne réside pas, selon Kant, dans des impératifs hypothétiques, mais dans des impératifs catégoriques. Ce sont des impératifs qui commandent sans aucune condition (Il faut le faire … c’est catégorique, un point c’est tout). Cela signifie avant tout que ces impératifs sont universels : ils s’appliquent à tout le monde, sans exception. Notamment, ces impératifs valent quels que soient les désirs de l’individu. La morale est bel et bien de l’ordre d’un devoir qui s’impose à l’individu.
Pour autant, la morale n’est pas une contrainte qui prive l’individu de sa liberté, car elle est fondée sur l’autonomie de la personne. Comment cela est-il possible ? Il faut ici considérer le devoir moral comme une obligation intérieure et non comme une contrainte extérieure : l’individu reste autonome lorsqu’il accomplit son devoir moral, car il ne fait que suivre ce que sa propre raison lui indique. La source du devoir moral est en l’individu lui-même et non dans une autorité supérieure.
Mais dans quelle mesure peut-on dire que les impératifs catégoriques sont fondés sur la raison ? Nous avons vu comment les impératifs hypothétiques sont fondés sur la raison, et plus précisément sur une rationalité instrumentale. Kant soutient que la morale se fonde sur une autre forme de rationalité : une rationalité pratique et non plus simplement pragmatique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pour résoudre ce problème, il faut s’attacher à comprendre la formulation précise que Kant donne à l’idée d’impératif catégorique.
3/ Les trois formulations de l’impératif catégorique
Première formulation : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » (ou également : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature »)
La première formulation de l’impératif catégorique nous indique comment la raison peut découvrir par elle-même les normes morales qu’elle doit suivre. Il s’agit ici d’imaginer (par sa raison) un monde possible dans lequel chacun accomplit telle ou telle action, et où chacun sait que tout le monde accomplit cette action. Cette expérience de pensée constitue un test, plus précisément un test d’universalisation de la maxime de notre action (la maxime de notre action désignant tout simplement le principe directeur de notre action). Il s’agit en effet de se demander ici si notre action est universalisable. Est-il possible par exemple d’imaginer un monde où chacun ment et où chacun sait que tout le monde ment ? Non, car le mensonge n’est possible que si les autres croient que ce que les autres affirment est vrai. Dans un monde où le mensonge est devenu la règle, une telle confiance en la parole d’autrui ne peut plus exister, ce qui rend impossible le mensonge lui-même. De même, est-il possible d’imaginer un monde où chacun triche et où chacun sait que tout le monde triche ? À nouveau, on peut se rendre compte qu’un tel monde rend en fait impossible la tricherie. Par conséquent, selon Kant, un moyen rationnel de déterminer les actions qui ne doivent pas être accomplies : ce sont celles qui ne passent pas ce test d’universalisation, celles qui ne sont pas universalisables et qui manifestent au contraire que l’individu s’accorde un statut d’exception par rapport à une règle qu’il présuppose suivie par les autres.
En fait, la morale n’est pas un calcul compliqué des conséquences globales de nos actions. La procédure pour déterminer nos devoirs moraux est au contraire censé être simple, facile, aisée à mettre en œuvre.
Deuxième formulation : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen »
La deuxième objection qu’on peut formulée rend possible le sacrifice d’individus pour un bien global. Or, un tel sacrifice implique de considérer ces individus comme de simple moyens, ce qui est contraire à la deuxième formulation de l’impératif catégorique. On ne peut pas procéder à un calcul du type coûts-bénéfices avec les personnes humaines : les êtres humains ont une valeur et non un prix. Cette valeur intrinsèque est constitutive de la dignité de chaque personne : on ne peut réduire la personne au statut d’une chose disponible et échangeable.
La dignité de la personne repose sur son autonomie : sur sa capacité à poser par elle-même ses propres fins (ce qui fait que l’individu est considéré comme une « fin en soi »). Nous devons respecter cette autonomie en chaque individu, qui elle-même est fondée sur la raison que possède toute personne.
La morale se fonde ainsi sur la raison, non pas au sens d’une raison pragmatique qui procéderait à un calcul du type coûts-bénéfices, mais au sens où la morale est l’expression du respect en chacun de l’autonomie, et par conséquent de la raison elle-même.
Troisième formulation : « agis d’après les maximes d’un membre qui institue une législation universelle pour un règne des fins simplement possible »…
